Urban Comics
  Episode 32 : Venin (3)
 

Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Décembre 2005

Ce fut d’abord la musique douce classique qui le réveilla.
Beethoven. La cinquième symphonie. La plus connue, bien évidemment. Mais depuis quand le fan de punk et de métal qu’était Ben Reilly pouvait reconnaître la cinquième symphonie de Beethoven ?! Ce n’était pas vraiment dans ses goûts habituels…

Beaucoup de choses étranges se passaient pour lui ces derniers temps…beaucoup trop, même. Le jeune homme ouvrit alors les yeux et remarqua qu’il se trouvait dans une pièce assez bizarre. Le plafond était bas et les murs étaient proches l’un de l’autre, mais le propriétaire avait réussit à y placer des dizaines de livres dans trois grosses bibliothèques remplies à rabord. Tant de livres, tant de culture et de savoir…c’était impressionnant.

L’adolescent se leva alors et vit qu’il avait dormit sur un beau lit ancien, comme ceux qu’on voyait dans les musées ou dans les livres. Etrange. Très étrange. Où se trouvait-il donc ? Et comment était-il arrivé ici ?
Il se rappelait vaguement avoir été dans la rue, avant…les souvenirs revenaient lentement en lui tandis qu’il passait ses doigts noirs sur les titres des livres présents dans la pièce.

Shakespeare.
Molière.
Locke.
Rousseau.
Montesquieu.
Bakounine.
Belleguarrigue.
Orwell.

Le théâtre se mêlait à la philosophie, aux institutions et à l’anarchie. Etrange mélange. Etrange lieu. Etrange musique. Mais pourquoi est-ce que tout cela semblait familier à Spider Man ? Pourquoi sentait-il qu’il connaissait déjà cet endroit ? Pourquoi avait-il un sentiment de déjà vu ?

« Content de voir que tu es debout. »

La voix était étouffée et travaillée. Il ne voulait pas qu’on puisse la reconnaître, même si rien que la sonorité du masque empêchait toute reconnaissance possible. Ben se retourna alors instinctivement, prêt au combat même si son sixième sens et ses ancêtres étaient muets. En général, cela voulait dire qu’il n’y avait pas de danger. Mais la généralité ne s’appliquait peut-être pas à cet être et à cet endroit…

« Mais qui êtes-vous ? »

Le jeune Reilly se rendit alors compte que sa voix était agressive et dure. Il remarqua alors aussi qu’il ne ressentait plus le port de son costume…comme si cette chose était réellement devenue sa deuxième peau, comme si il se sentait chez lui dans ce cadeau obscur…
Mais l’adolescent décida de penser à cela plus tard. L’être devant lui était plus important pour le moment.

« Moi ? Allons, Ben…cherches en toi, tu sauras qui est derrière ce masque… »

Facile à dire, pensa le jeune homme tandis qu’il détaillait la personne qui était apparue derrière une rangée de livres. De taille moyenne, l’être était habillé entièrement de noir et l’on ne pouvait presque rien voir de lui, un long manteau noir étant posé sur ses épaules et masquant son corps. Seul son visage était véritablement visible, enfin si l’on pouvait parler de visage pour ce masque qu’il portait.
Celui-ci était d’ailleurs étrange…uniquement composé de la couleur noir, il y avait quelques variations plus claires pour les yeux et la bouche, mais l’on pouvait noter une absence complète de nez et de chevelure : le masque était en effet chauve et recouvrait totalement le crâne de l’homme présent devant Spider Man.

« Je…euh…j’ai…j’ai l’esprit de vous connaître…enfin…pas moi…mais…
- Mais tu sens en toi que tu me connais, n’est-ce pas ? »

Ben pu presque voir le sourire qui s’affichait derrière le masque de l’homme.

« Je…oui, c’est cela…
- C’est normal. Peter et les autres ont rencontré mes prédécesseurs.
- Quoi ?
- Viens. Nous avons beaucoup à nous dire. »

Spider Man ne comprenait plus rien. Qui était ce type ? Et pourquoi lui disait-il que Peter et les autres avaient connus ceux qui avaient été ses prédécesseurs ? Et où se trouvaient-ils donc, bon sang ?
Le jeune homme voulait poser toutes ces questions à son étrange hôte, mais quelque chose…quelque chose de fort et de puissant en lui le forçait à se taire et à suivre cet être. Il voulait se forcer à parler, mais apparemment son corps refusait…l’adolescent détestait cette sensation, détestait cette impuissance mais se résolut d’accepter ce qu’il se passait et il suivit l’étrange être.

Son hôte emmena le jeune Reilly hors de la pièce par une porte cachée derrière une des immenses bibliothèques. Ils passèrent alors dans une immense salle où il n’y avait que des téléviseurs, et ce par dizaines…il y en avait peut-être une centaine, même…
Ben resta stupéfait devant tant d’écrans qui montraient tous une rue, une chambre, une maison…quelque chose…L’immense pièce n’était composée que d’écrans, excepté un passage au milieu où se trouvait aussi un siège confortable en cuir et une petite table. L’homme masqué s’arrêta au niveau du fauteuil et se retourna.

« Il est temps que l’on parle, Ben. Es-tu prêt ? »

Le jeune homme ne l’était pas vraiment. Les souvenirs revenaient lentement en lui et il se rappelait désormais où il était lors de sa dernière prise de conscience…et ce qu’il faisait. Un frisson le parcourut alors sous sa deuxième peau tandis qu’il repensait à la rage et la haine qu’il avait éprouvées alors…qu’est-ce qui lui arrivait donc ?
Cette rage subite, cette envie de meurtre, cette sensation de n’être plus qu’un esprit en son corps…cela rappelait trop de souvenirs à l’adolescent…trop de mauvais souvenirs, en fait. Les images de Michael blessé gravement et de Fanny choquée revinrent à Ben, et il se demanda alors si il n’était pas en train de retomber dans la folie…si la chose qui avait prit possession de son corps alors n’était pas de retour…
Mais Spider Man fut arrêté dans ses pensées par le regard insistant de son hôte. Il devait lui répondre.

« Euh…oui…
- Bien. Je sais que tu dois être…désorienté et surpris de te voir ici, et de me voir. Je comprends parfaitement. Cela ne doit pas être facile pour toi. Tu veux savoir qui je suis et où tu es, n’est-ce pas ?
- Oui.
- Bien. Je suis l’Anarchiste. Enfin, l’Anarchiste de cette génération… »

L’homme masqué tourna lentement autour du fauteuil.

« Car, vois-tu, il y a toujours eu un Anarchiste…depuis des années, des siècles même, des hommes et des femmes tentent de changer le monde en protégeant les innocents. Bien sûr, nous pourrions tout détruire et tuer plein de gens pour arriver à nos fins, mais…nous ne faisons pas cela.
Vois-tu, notre but est de changer la face du monde par des actes discrets au grand public mais aux conséquences désastreuses pour l’économie et les grandes entreprises. Depuis des années, ces firmes contrôlent et tuent la planète…et cela n’a que trop duré.
Mes prédécesseurs tentaient de transformer les Rois et Gouvernants de leurs époques, je fais de même mais en frappant là où cela fait mal : l’argent et les investissements. Mes armes ne sont plus que les lames et la poudre, j’ai rajouté à cela le capitalisme et la bourse. »

L’Anarchiste s’approcha d’un Ben totalement désorienté et stupéfait par les paroles de celui qui était devant lui.

« Mais pardon, je m’emporte. Je suis donc l’Anarchiste, un Justicier de l’ombre qui œuvre pour le peuple, mais je protège aussi mes concitoyens comme je le peux. Nous faisons presque le même métier, Ben. Presque.
- Et…et qu’est-ce qui nous différencie ? »

Le jeune homme était quand même scotché aux lèvres de cet homme. Il ne savait pas pourquoi, mais l’Anarchiste était si fascinant, si charismatique…même si ce qu’il disait était digne d’un fou et que l’adolescent avait du mal à y croire (enfin…en tant qu’Avatar d’un Dieu Amérindien de la Justice et après avoir rencontré un Diable humain, un monstre de pierre, un homme élastique, une fille invisible et une torche humaine, il pouvait facilement y croire quand même), il le disait d’une telle façon que l’on ne pouvait qu’être rivé à ses paroles.

« Le fait que toi, tu n’ais pas encore accepté les conditions du jeu, Ben. Tu refuses de tuer. Tu refuses de donner leur véritable punition à ceux qui méritent l’ultime châtiment. Je l’ai vu, même si tu as failli le faire ce soir. Mais je suis intervenu pour t’en empêcher.
- Mais…pourquoi ? Vous dites qu’il faut que…que je tue, et vous m’en avez empêché ! »

Spider Man ne comprenait plus.
Il se rappelait désormais qu’il était en train de tabasser ce tueur fou dans une boutique détruite, et il pensait vraiment le tuer mais…mais il ne savait pas ce qu’il s’était passé ensuite. Apparemment, l’Anarchiste l’avait arrêté et amené chez lui. Mais pourquoi ?
Cet homme lui disait qu’il devait tuer, qu’il devait achever ceux qui commettaient des crimes…comme ses ancêtres dont les voix se faisaient tant insistantes ces dernières heures…et pourtant il l’avait empêché de passer à l’acte ?! Pourquoi ?

« Parce que tu n’étais pas conscient. Parce que ce n’était pas toi qui voulais cela. Je connais ce costume, cette seconde peau, Ben. J’ai lu dans les dossiers de mon père, mon prédécesseur, le rapport qu’il en avait fait après sa rencontre avec Peter Parker. Je sais aussi ce qu’il se passe en toi ces dernières heures.
Je sais que tu as soif de sang dans l’excitation de la bataille.
Je sais que tes prédécesseurs veulent que tu passes à l’acte.
Je sais que ton costume tente de te faire faire des choses que tu réprouves.
Je sais que tu as peur d’être contrôlé par lui. Oui, je le sais.
- Mais…mais comment ? »

Ben ne suivait plus rien. Comment cet homme qu’il n’avait jamais vu, qu’il connaissait depuis quelques minutes et qui était si mystérieux en savait-il autant sur lui et ce qu’il vivait ? Quels étaient clairement les liens qui l’unissaient à lui ? Et quels étaient les liens entre les Spider Man et les Anarchistes ?
Beaucoup, beaucoup de questions pour un adolescent qui sentait son corps faiblir au fil des instants et des révélations…

« C’est facile. Parker a vécu la même chose que toi, au début. Puis, il a accepté sa mission et ce qu’il devait faire, et lui et mon père furent parmi les meilleurs duos de justiciers et de héros de la planète, avant que Peter ne change d’avis…mais ce n’est pas là le sujet.
Accepte ton héritage, Ben. Accepte que tes valeurs ne sont de mise que dans tes rêves. Accepte de comprendre que la seule véritable sanction possible pour les criminels est la mort. Ils ne peuvent aller en prison. Ils ne peuvent retourner à la société. Ils doivent mourir. C’est la seule solution, mon ami.
Accepte cela de ton plein gré, et non pas contrôlé par tes ancêtres. Accepte ton destin et deviens véritablement Spider Man, et nous pourrons changer le monde ! Ne veux-tu pas que New York soit nettoyée de ses criminels ? Ne veux-tu pas que la population soit heureuse ? Ne veux-tu pas que le monde soit bon et beau ? Ne veux-tu pas que Gwen soit en sécurité ? »

Chacune des paroles de l’Anarchiste était comme un coup de poignard dans les certitudes de Ben Reilly. Les pensées de l’adolescent étaient étranges et complexes. Il n’arrivait plus vraiment à suivre le fil de son raisonnement, et cela était dû aux mots de l’homme devant lui…
Malgré toutes ses valeurs, toutes ses certitudes, le jeune homme savait que les criminels qu’il arrêtait allaient retourner dans la rue et qu’ils feraient encore du mal…
Malgré toutes ses actions, toutes ses bastonnades, ils allaient encore polluer la ville et causer du malheur à des innocents…
Malgré toute sa bonne volonté, Ben ne faisait que poser un sparadrap sur une fracture, ce qui voulait dire rien…il ne faisait rien…

Etait-ce possible ?
Etait-il possible que seule la mort pouvait sauver New York et les innocents ? En acceptant en Australie son destin de Spider Man, jamais Ben n’aurait pensé qu’il devrait un jour se poser ces questions…et pourtant, elles étaient vitales pour lui désormais.
Que devait-il faire ? Continuer ce qu’il faisait ? Mais à quoi cela servait-il ? Rien…Ceux qu’il arrêtait étaient relâchés, et continuaient leurs horreurs et des innocents payaient…alors que si il les punissait définitivement…ils ne pourraient plus rien faire…
Mais n’était-ce pas mal de tuer ? Si, bien sûr…mais ne pouvait-on frapper le mal par le mal ? En maths, le jeune Reilly avait toujours entendu que le négatif et le négatif donnaient du positif…était-ce pareil dans la réalité ? La mort pour la mort était-elle la seule solution ?
Mais quelle solution donnée à quelqu’un qui tuait par plaisir et martyrisait les innocents ?

« Ben… »

La voix de son hôte tira le jeune homme de sa rêverie. Il remarqua alors que l’Anarchiste avait le bras levé vers un téléviseur, où l’adolescent pu voir le corps inconscient du tueur sadique qu’il avait affronté avant. Il semblait dormir, et était enchaîné.

« Tu as le choix, désormais.
Soit tu n’acceptes pas ton destin et tu continues de laisser la vermine grouiller dans les rues, mais alors saches que tu trahiras tes ancêtres et que les voix seront de plus en plus fortes, jusqu’à ta folie. Tu pourras partir d’ici, mais saches que tu ne me reverras plus jamais et que tu ne le reverras plus jamais.
Soit tu acceptes ta mission et tu me rejoins. Si tu fais cela, tu devras tuer ce soir de sang froid cet homme, ce monstre, ce sadique, cet assassin, ce dérangé…
Alors ? Quelle est ta décision ? »

Spider Man soupira lourdement. Il resta quelques instants à observer l’écran et à se rappeler les horribles visions des monstruosités faites par cet être et toutes celles qu’il avait vues dans sa vie. Il se tourna alors vers l’Anarchiste et parla d’une voix calme.

« Emmène-moi à lui… »

 
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