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  Le Gorille #9:La Faux(4)
 

Histoire : P'tit Lu
Date de parution : Septembre 2005

Ma respiration sifflante était saccadée et chaque soulèvement de ma poitrine me procurait une douleur aigue… J’étais au sol, allongé à demi inconscient sur le ventre, le visage tourné vers un mur crasseux. La Faux se tenait magistralement debout face à mon visage, la lame ensanglantée de son arme posée au sol à quelques centimètres de ma tête.
- Je t’avais prévenu, mortel.
Vingt secondes, voilà en tout et pour tout le temps qu’avait duré le combat. Il était d’une rapidité sidérante que j’avais sous-estimée. Le temps que je balance mon poing vers lui, il avait le temps de se déplacer derrière moi et de balancer sa faux sur moi ! Quand je faisais un mouvement, il en faisait quatre, et en quinze secondes il m’avait balafré le corps entier avec la pointe de sa faux ! Les cinq secondes restantes, c’était ma tentative de rester debout puis mon écroulement par terre.
Ce type n’était pas humain…
- Ma proie s’est enfuie, me fit-il remarquer avec agacement. Par ta faute cette soirée est fichue.
A nouveau, je me dis qu’à tout moment il aurait pu me tuer mais qu’il ne l’avait pas fait. J’avais beau souffrir le martyr, j’étais bien conscient qu’aucune des innombrables coupures recouvrant mon corps n’était mortelle et que j’avais toutes les chances de survivre. Pourquoi ?!
- Je… Je… soufflai-je, mais le fait même de parler m’arrachait d’horribles souffrances à la poitrine.
- Tes supplications ne m’intéressent pas, cracha-t-il.
Puis, s’agenouillant pour pouvoir me parler en murmurant :
- Pour te faire payer ta témérité, je chasserai dorénavant autour de toi… ton voisinage, les gens que tu croises dans la rue… personne ne sera à l’abri. Par ta faute, petit mortel insignifiant. Et ne t’inquiète pas : je n’aurai aucun problème à retrouver ta trace.
Puis il se redressa et quitta la ruelle d’un pas tranquille en cachant sa faux sous son imperméable, tandis qu’au sol, sans défense, j’étais incapable du moindre mouvement.

* * * * * * * *

Annabelle rentra dans notre appartement à la fin de sa journée de boulot et, en me voyant affalé dans le canapé devant une télévision au son coupé, le regard dans le vide, se posta devant moi d’un air inquiet.
- Eh oh, Mat ! C’est moi, Annabelle Deshais, tu te rappelles ? Ta colocataire.
J’ai acquiescé vaguement, vraiment pas d’humeur à engager une conversation.
- Matthieu ! cria-t-elle. Reprends-toi, merde ! Ça fait cinq jours que tu vis comme un zombie, tu te rappelles que t’as une vie ? Tu vas en cours comme un zombie, le soir tu rentres comme un zombie, tu bouffes comme un zombie… Y en a marre ! Franck, Marie et Emily se demandent si tu es toujours en vie !
Elle me prit le bras et me força à me déplacer jusqu’à la fenêtre, au travers de laquelle je vis le spectacle habituel de la rue.
- Tu vois, Mat ? La vie, dehors ! Tes blessures sont quasiment guéries, on ne les voit presque plus, elles étaient superficielles, alors pourquoi t’es incapable de mettre un pied dehors ?! Je ne supporte plus de te voir t’enfoncer dans la déprime comme ça, c’est…
Elle ne trouva pas de mot adéquat, et me laissa m’allonger sur le canapé. J’aurais juré voir ses yeux perler.
- T’es un battant, Mat. A chaque coup dur, tu te relève et tu te bats, c’est ce que j’ai toujours aimé chez toi, et te voir dans cet état, ça me bouffe, t’as pas idée à quel point. Et franchement, j’espère que c’est passager, parce que sinon je ne sais si j’aurai envie de continuer de vivre avec…
- Je ne le battrai jamais, la coupai-je.
- Quoi ? Tu parles de la Faux ? C’est ce mec qui te met dans cet état-là ?
- Lui, et… et tous les autres. J’ai cru que je serais un héros, que ça serait cool avec mes pouvoirs et mes gants, mais je me rends compte que des pouvoirs ça ne suffit pas. On ne devient pas un héros, on en est un dès le début ou on ne l’est pas du tout. Je ne suis pas un héros, juste un mec avec la force d’un gorille.
- Tu veux… ? Tu veux arrêter ? Vrai ?
Elle se jeta à genoux au niveau de mon visage, les yeux furieux.
- Combien de fois j’ai essayé de te convaincre d’arrêter de faire le guignol en costume ? Hein, combien de fois ? Des dizaines, au moins, voir plus. Je serais la plus heureuse que tu arrêtes ton cirque en costume de singe, mais ce que tu racontes c’est des conneries.
- Annabelle…
- Toi, pas un héros ? T’as pas hésité à te battre tout seul contre un type de 3 mètres sur-musclé, tu entres dans des bâtiments en feu, tu t’interposes pendant des braquages de petits commerces… tu t’es jeté sur un tueur en série armé d’une faux pour sauver sa victime, bordel t’es la définition même du héros !
- Ouais… ricanai-je en me levant et en marchant vers cette foutue fenêtre. Mais tout ça, je ne l’ai pas fais par courage, je l’ai fais par insouciance. Pire, par amusement. Tu sais pourquoi je n’ai pas touché à mon costume depuis cinq jours, ou pourquoi je ne sors que pour le strict minimum ? Parce que j’ai la frousse. J’ai peur qu’il me tue, Annabelle, il m’a prouvé qu’il pouvait le faire à n’importe quel moment, il sait qui je suis ! Si je me bats à nouveau contre lui, il me tuera ou fera en sorte que je souffre des jours entiers avant de mourir ! J’ai… oh, t’as pas idée à quel point j’ai peur. J’ai l’impression que je vais faire dans mon froc à chaque fois que j’entends une chaise grincer ou quelque chose bouger à côté de moi. Et tu sais ce qui me fait encore plus peur ? C’est que même si j’arrive à buter ce mec, il en viendra un autre pire encore, puis un autre et ainsi de suite. Tu parles d’un héros… Si j’ai peur de sortir à chaque fois que je dois me battre contre un dingue qui peut me tuer, je n’irai pas loin dans la profession !
Je tremblais comme une feuille, de colère contre moi. J’étais une loque qui s’apercevait qu’il ne serait jamais rien d’autre.
- Tu as peur de mourir, Mat, me dit Annabelle. C’est normal, t’es humain. Raccroche si tu penses que tu ne pourras pas aller plus loin, qui t’en voudra ? L’Archer s’occupera de ce tueur en série, t’inquiète pas.
J’ai pouffé nerveusement, en ajoutant :
- Il est occupé en Espagne, à traquer un terroriste qui aurait voulu tenter quelque chose à Paris. T’es au courant que les gens ne l’appellent pas « l’Archer » à l’étranger ? Il paraît qu’il a un nom anglais, je ne sais plus lequel.
- Il faut que tu te changes les idées, Mat.
- Non.
Elle ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, mais s’abstint au dernier moment. Elle sembla réfléchir quelques instants, puis balança comme à contre cœur :
- T’es au courant pour la concierge ? Il paraît qu’elle a été victime de… de la Faux.
J’ai fermé les yeux, essayant de ne réfléchir à rien, en vain. Il m’avait prévenu qu’il chasserait autour de moi, et il l’a fait. Des gens allaient mourir autour de moi.

* * * * * * * *

Je savais qu’il fallait que j’enfile mon costume : l’Archer ne pouvait rien pour nous et la police était totalement inefficace face à la Faux, qui tuerait encore et encore. Il m’a fallu vingt-quatre heures de plus mais j’ai réussi à enfiler mon costume de Gorille et à sauter de la fenêtre de ma chambre. Je ne pouvais rien contre la Faux, le gamin qui m’avait averti de son existence n’avait pas l’air d’être de mon côté, le seul à pouvoir faire bouger les choses restait donc le mystérieux et invisible Temple.
Contacter le Temple était devenu mon objectif prioritaire.
J’ai visité tous les coins qu’on pourrait qualifier de « mal famés » sur Paris, que ce soit bistrots glauques ou caves suspectes dans lesquelles se baladait la pire vermine et quelques personnes aux mœurs sexuelles douteuse. Je n’avais pas le temps d’y entrer que je rêvais déjà d’en être sorti. Le scénario était toujours le même : faire une entrée spectaculaire, balancer quelques coups à un gars pour impressionner les autres et ensuite poser des questions. Je faisais ça machinalement, sans même y réfléchir. Mais le résultat était toujours le même : je repartais sans mes précieuses réponses.
- Le Temple ! grognais-je à un dealer que j’avais plaqué au mur en pénétrant dans les caves d’un immeuble réputé pour être assez « agité ». Et t’as pas intérêt à me dire que tu ne sais pas ce que c’est !
Il tendit un bras tremblant vers une porte sombre, bégayant plus que de raison.
- Ils… ces types… ils vous attendent depuis des heures…
Surpris, je l’ai relâché et il s’est écroulé comme une masse. « Ils » ? Le Temple m’attendrait ? Méfiant, je me suis dirigé un peu à l’aveuglette dans cet endroit à peine éclairé jusqu’à la porte que m’avait désigné le dealer. Si c’était un piège, j’étais vraiment parce que je ne savais pas à quoi m’attendre, mais rester ici ne m’avancerait à rien.
Je n’ai donc pas suivi mon instinct et j’ai ouvert la porte crasseuse qui débouchait sur une petite salle éclairée. Au centre, un homme qui faisait tâche dans cet endroit glauque tellement il semblait faire attention à lui et à son apparence : assis sur une chaise, les jambes croisées, portant une toge rouge à la romaine, il était rasé de près, les cheveux grisonnant courts. Son regard bleu était fatigué mais encore déterminé. Il avait une telle présence, un sorte de classe telle malgré son accoutrement, que je n’ai remarqué les deux autres hommes debout à ses côtés, habillés comme lui, que quelques secondes plus tard.
- Le Temple ? demandai-je.
- Oui.
- Je viens pour la Faux.
- Nous le savons, Gorille. Nous aussi.
- Vous voyez où je veux en venir ?
- Tout à fait. Soyez prêt, votre dernier combat contre la Faux ne sera pas une partie de plaisir.

 
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