Urban Comics
  La Ligue #8 : La Fin d'un Monde (1)
 
Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Septembre 2008

« Barry, tu es sûr que ça va ?
- Oui, m’man. »

Il lui fit un petit sourire alors qu’il se dépêchait de passer devant elle pour monter dans sa chambre. Sa canne tapait lentement au fil de ses pas réguliers et difficile sur le carrelage familial alors qu’il grimaçait en se hissant jusqu’à l’étage. Nora Allen soupira lourdement en voyant son fils peiner autant mais elle savait qu’elle ne pouvait rien pour lui ; la rééducation serait longue et difficile mais il devrait normalement reprendre une allure normale…dans plusieurs mois. En attendant, elle devait l’observer souffrir et tenter de vivre comme les autres alors que ça n’était pas le cas – et ça lui brisait le cœur.

Elle l’avait récupéré deux semaines plus tôt, quand la Louisiane avait été la cible d’une attaque violente dont l’origine restait mystérieuse et que son fils s’était retrouvé là-bas, sans qu’elle ne sache pourquoi. Il avait disparu plusieurs jours plus tôt et avait été folle d’inquiétude, et celle-ci n’avait toujours pas disparue. Barry refusait de lui dire ce qu’il avait fait et pourquoi il s’était trouvé là-bas, mais elle avait décidé jusqu’à maintenant de ne pas le forcer.
Elle avait cru le perdre comme son mari, elle pouvait bien supporter un peu de mystère en attendant qu’il se remette. Jamais elle ne l’avait vu aussi blessé – aussi bien physiquement que moralement – et sentait qu’il valait mieux le laisser se retrouver un peu avant de lui poser des questions. Ça lui faisait mal en tant que mère mais il avait besoin de ça, et qui était-elle pour lui en priver ?

Barry, d’ailleurs, était très heureux de cette relâche. Il pouvait se reposer et se soigner dans un endroit sûr où il pourrait regagner des forces et tout remettre en ordre. Il était détruit depuis la Louisiane et savait pourquoi : on avait trahi sa confiance et massacrer des milliers de personnes alors qu’il avait dit son désaccord sur ça. Il avait été blessé et des gens étaient morts parce qu’il n’avait pas arrêté les coupables avant qu’ils n’agissent ; il était responsable de tout ça.

Même s’il sentait que ça n’était pas forcément vrai, cette pensée n’arrêtait pas de le ronger et en voyant les multiples reportages sur le drame, il sentait qu’il était impliqué là-dedans. Il n’avait aucune idée de ce qu’il s’était passé mais Jones avait disparu, l’Ombre ne donnait plus de signe de vie et Donna avait refusée de lui parler. Steelman semblait n’avoir aucun souvenir de tout ça et c’était peut-être le plus inquiétant. Il se rappelait que leur « chef » avait essayé de les contrôler télépathiquement et qu’il avait sûrement réussi, mais James semblait totalement absent quand il lui avait parlé de ça et il avait préféré se taire pour ne pas trop le choquer.
En fait, la seule explication à cette absence de souvenir était que Jones lui avait fait faire de telles horreurs qu’il se les était lui-même supprimées de son esprit pour éviter de devenir fou ; ou alors, ça voulait dire que John était toujours en vie et avait zappé ça du plus grand héros pour empêcher sa juste vengeance. Aucune des solutions n’était plaisante.

Maintenant, et malgré les appels de soutien de Steelman, Barry était seul et handicapé. La déflagration l’avait blessé assez gravement à la jambe et même si son corps guérissait plus vite que n’importe qui, c’était là la pire chose qui pouvait exister pour une telle situation. Les médecins n’avaient rien compris quand ils avaient vu la chair se refermer aussi vite mais Allen avait avancé qu’il était mutant et qu’il ne pouvait pas contrôler ça. Heureusement, il était tombé sur des gens compréhensifs, plus orientés Whitman que Ste Croix dans la course à la présidence, et ils avaient acceptés de ne rien dire à sa mère et de faire ce qu’ils pouvaient.

Son opération avait ainsi été un enfer et pas que pour eux. Ils avaient obligés d’ouvrir constamment ses blessures et parce qu’ils pensaient que Barry pouvait contrôler un peu ça en se concentrant, il avait dû rester éveillé. La douleur avait été affreuse et il en tremblait encore rien qu’en y pensant. Tout ça avait duré des heures entières mais finalement ils étaient parvenus à ôter le bout de métal coincé dans le bas de son genou. Ils n’étaient pas peu fiers d’eux et ils avaient de quoi mais Allen avait su immédiatement que le plus dur commençait pour lui.
Il ne pouvait plus courir. Il ne pouvait plus que se traîner avec une canne. Lui qui détestait l’immobilisme et qui n’arrivait pas à vivre parfaitement parmi les gens parce qu’ils étaient trop lents vivait un cauchemar permanent. Même si sa mère était totalement à son service, il avait l’impression d’être comme un homme coincé dans le corps d’un escargot ; toute cette lenteur le tuait à petits feux et il se bourrait de médicaments pour tenter de passer outre ça et survivre dans des paradis virtuels.

Barry était donc condamné à cet enfer pendant des mois encore, et il s’écroula sur son lit plus par désespoir que par réelle fatigue. Il avait tout à portée de mains – télévision, ordinateur, jeux-vidéos, Internet, ligne de téléphone – mais ce qu’il désirait, c’était sortir et courir, se détendre, vivre tout simplement. Se dépenser était pour lui comme de l’oxygène et il en était privé.

« Barry, téléphone pour toi ! »

Il avait entendu la sonnerie mais ne voulait pas répondre. Hunter prenait trop souvent de ses nouvelles, il avait des coups de fil étranges de deux types soi-disant chercheurs qui avaient voulu en savoir plus sur Flash et leur avait raccroché au nez. Il refusait aussi de joindre Hartley : ça lui aurait rappelé trop de souvenirs et il ne pouvait pas parler du vieux temps…pas encore. Ça faisait trop mal.

« Barry !
- C’est qui ? »

Sa voix était lasse ; il fixait le plafond en se demandant s’il pourrait être l’homme le plus rapide du monde en chaise roulante au lieu de l’être tout court. Rien que de penser à ça faisait monter les larmes dans ses yeux.

« Un certain Hunter…quelque chose du genre. »

Son regard devint vide pendant quelques secondes alors que les images se bousculaient dans son esprit. Le sourire arrogant, les paroles remplies de confiance, l’éloquence trop facile de cet homme en qui il avait eu confiance et qui l’avait réduit à cet état. Tim Hunter avait produit l’horreur qui avait massacré tous les Lézards, il était responsable d’un génocide et l’avait lié à une canne pour de longs mois – voir toute sa vie si ça se passait mal. Il était l’homme qu’il haïssait le plus et il appelait chez lui.
Bien sûr qu’il allait prendre l’appel !

« Tu peux lâcher, m’man. J’ai.
- Allo ?
- Hunter ? »

Sa voix avait claquée dans l’air juste après sa porte. Il ne voulait pas que sa mère sache pour Flash mais surtout qu’elle n’entende pas son ton ni ce qu’il avait à dire. Mieux valait qu’elle garde encore ses illusions sur son fils si sage et si doux.

« Oui. Content de te savoir en vie, Barry.
- Je ne peux pas dire la même chose.
- Hum. »

Le froid était de vigueur et le sorcier devait sûrement le comprendre. Allen était couché sur son lit, serrant fortement le combiné du téléphone dans sa main et contre son oreille. Il ne voulait pas tout casser car sa rage était intérieure – pour le moment.

« Ecoute, je sais que tu vis mal ce qu’il s’est passé mais…
- Ils sont morts par ta faute.
- Oui, je sais et…
- Je suis blessé.
- J’ai appris ça et je suis désolé, mais…
- Tu es désolé ? C’est un peu court, non ? »

Jamais le jeune homme ne se serait cru capable d’une telle dureté mais il avait beaucoup changé, ces derniers temps. Sa blessure l’avait rendu encore plus renfermé et taciturne, et il s’était même laissé pousser les cheveux et la barbe. Il ressemblait plus à Robinson Crusoé qu’au pseudo GI d’avant et même si ça rendait folle sa mère, il n’avait pas l’intension de changer.

« Oui, je sais. Les choses ont mal tournées mais ça n’est pas uniquement ma faute.
- C’est de ta faute. On te faisait confiance, on avait accepté ton plan foireux mais tout le monde est mort par ta faute ! Tu devais sauver les Lézards, tu devais protéger ces gens d’eux-mêmes mais tu les as massacrés !
- Ecoute, ça n’est pas aussi simple. Tu crois vraiment que tout se serait bien passé si je les avais envoyés dans cette dimension de poche ?
- Ils ne seraient pas morts.
- Pas tout de suite, non. Mais après, c’est évident. Il n’y a rien à manger là-bas, ils se seraient entre-dévorés.
- Donc tu as préféré les tuer tout de suite au lieu de les faire s’entretuer ? Tu veux une médaille pour ce geste d’humanité ?!
- Mais tu vas fermer ta gueule, un peu ?! Laisse-moi parler !
- Je veux pas t’écouter ! T’es un menteur ! Un monstre qui a tué des milliers de personnes et qui m’a blessé ! J’ai plus rien à cause de toi, sale ordure ! Plus rien ! »

Les larmes coulaient lentement le long des joues de Barry alors que sa colère s’extériorisait enfin. Il se fichait que sa mère l’entende, il se fichait de griller son « identité secrète » maintenant qu’elle avait disparue. A cause de son pouvoir et de ses excès, il avait perdu une grande partie de sa vie et tout ça pour rien. Son corps ne supportait pas sa vitesse et le tuait à petit feu mais il avait espéré faire au moins ça pour une bonne cause – sauver des gens. Mais voilà qu’il était maintenant devenu une ruine qui devait attendre une mort jeune dans la douleur et l’abandon de tous.
Et tout ça à cause de Tim Hunter. Comment pouvait-il rester calme ?

« Barry, je sais que tu vis mal tout ça et c’est normal, mais ce que j’ai à dire est important, alors ferme-la !
- Va te faire foutre !
- Mais t’en as pas marre de jouer au gamin ? Merde, si tu veux m’insulter, je te laisserai faire mais laisse-moi parler ! Je suis pas responsable de ce qu’il s’est passé !
- Ah ouais ? Tu vas me dire que quelqu’un d’autre a fait un sort ou une connerie du genre et que t’as regardé ça sans rien faire ? Tu oserais me dire ça, à moi ?!
- Non. Je veux dire que quelqu’un a parasité mon incantation.
- Ah, c’est pas mal ça ! Pardon, m’sieur, mais c’était pas moi, c’était un méchant ! C’était mon côté obscur !
- C’est ça, Barry. C’est malheureusement ça.
- Quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Quelqu’un a embrouillé mon incantation pour que ça se passe mal et que tout le monde meurt. Il a fait ça pour gagner plus facilement et…
- Arrête un peu tes bêtises, ça ne prend pas.
- Et se débarrasser de la Ligue. Vous le gêniez.
- Ah oui ? Et qui serait ce grand méchant ?
- Tu l’as dit toi-même : ce sont les Ténèbres. Et personne ne peut rien contre elles. »



Donna était fatiguée. Elle venait de passer six heures à servir de la malbouffe à des crétins qui ne savaient que crier parce que le service n’était pas assez rapide, et ils étaient d’ailleurs relayés par son patron quand ils n’avaient plus de voix. Ça ne faisait que deux jours qu’elle était coincée avec ce boulot pourri et elle savait qu’elle allait encore endurer ça longtemps ; tout ce qu’elle voulait, c’était arracher la tête de ces imbéciles. Mais elle devait encore attendre.

Elle avait été blessée elle aussi par l’explosion en Louisiane et avait besoin d’argent pour ses médicaments. Son crâne avait été touché par un éclat de quelque chose et elle avait une vilaine plaie au ventre, qu’elle parvenait heureusement à cacher avec des pansements et des vêtements. Toutes ses provisions avaient fondues avec les frais d’hôpital et les seuls produits qui pouvaient la faire tenir face à la douleur étaient si chers qu’elle devait sacrifier tout son salaire pour en avoir, mangeant trop peu pour guérir véritablement.

Au fond, Donna ne savait faire qu’une chose : se battre et éventuellement tuer. Privée de ses capacités physiques, elle trouvait la dure réalité de la pauvreté et se voyait désormais condamnée à survivre plus ou moins avec un boulot minable et l’obligation presque vitale d’en trouver un autre. Elle avait même pensé à revendre ses armes, mais les gardait encore au cas où elle en aurait besoin. Heureusement en tout cas que son loyer n’était pas à payer : elle s’était achetée l’appartement avec son argent au début.
Néanmoins, ça n’était qu’un petit studio de vingt mètres carrés, occupé pour le moment avec ses armes, des tonnes de pansements usagés et des boîtes de médicaments vides. Elle était devenue une loque qui passait chaque instant de la journée à souffrir et elle ne le supportait pas. Mais pire encore, elle ne supportait plus de se voir dans la glace.

Elle avait échoué. Des gens étaient morts à cause d’elle.

Oh, Donna savait bien que le responsable de l’explosion était ce Tim Hunter stupide et trop puissant, mais elle aurait dû l’empêcher – elle aurait dû intervenir. Elle avait su dès le départ qu’il n’était pas à la hauteur de sa mission mais avait espéré que tout irait bien malgré tout. Elle savait maintenant qu’elle avait été stupide de penser ça et que des gens étaient morts par sa faute.

Les images des Lézards morts brûlés vifs et des secours qui avaient aussi trépassés avec l’explosion lui revenaient chaque nuit en rêve et elle ne parvenait pas à se reposer assez pour reprendre des forces à cause de ça, tout semblant vraiment fait pour la détruire peu à peu. Le destin s’acharnait sur elle et elle n’avait pas grand-chose pour se défendre.
Finalement, la jeune femme n’avait jamais voulu qu’une chose : que le monde aille mieux et être digne de sa mission. Or, en faisant cela, elle s’était trahie et avait participé à un des plus grands génocides de l’Histoire Américaine. Même si personne ne le savait, elle était consciente qu’elle aurait dû tuer Tim Hunter avant qu’il ne passe à l’acte – et elle n’avait rien fait.

Elle s’écroula sur son lit sale et ne tenta même pas de ravaler les larmes qui venaient à ses yeux. Elle était blessée et vaincue, les pires choses au monde pour elle. Sa fierté était réduite à néant, son équipe avait disparue et elle se retrouvait seule face à un monde bien trop dur. Même avec ses capacités hors normes et son sens du combat, elle ne parvenait pas à remonter la pente ; et elle en avait honte.

Durant toutes ses années d’entraînement, Donna avait été sûre d’au moins une chose : jamais elle ne se laisserait faire. Sa mission était impossible mais c’était ce qui comptait le plus pour elle et faillir lui semblait totalement impossible. On avait foi en elle, on lui faisait confiance mais elle savait qu’on ne lui en tiendrait pas rigueur si elle échouait. Tout ce qu’on lui demandait – et qu’elle exigeait d’elle-même – était de ne jamais abandonner en cas de souci et d’échec. Et c’était exactement ce qu’elle faisait.
Evidemment, ses blessures étaient assez graves et la douleur terrible, mais elle se laissait aller à un océan de désespoir et à une déprime tenace. Elle était revenue à New York difficilement, souffrante et elle n’avait pas changée depuis. Elle était une loque humaine qui refusait de se redresser alors qu’elle avait fait le serment de ne jamais faire ça.

Comment pouvait-elle encore se regarder dans la glace ? Ou être digne d’elle-même ? Elle trahissait ses serments et ses idéaux. Sa famille la rejetterait si jamais ils savaient ce qu’elle faisait – et même ça ne la faisait pas bouger. Même si elle était consciente de son état et de sa honte, elle n’arrivait pas à trouver la force d’aller au-delà, de se battre. Les images des morts revenaient la hanter et elle était tétanisée par sa culpabilité.

Néanmoins, la fatigue était forte et la douleur encore plus, et la jeune femme ne put continuer son combat trop longtemps. Malgré sa tristesse et sa colère, malgré ses cauchemars, elle se laissa entraîner dans le sommeil, qui ne dura malheureusement pas longtemps. Quelques heures durant, elle put rejoindre le royaume des rêves mais fut brutalement réveillée par une douleur dans le ventre, comme à chaque fois. Sa plaie ne cicatrisait pas bien et elle aurait due revoir un médecin, mais c’était cher et elle espérait que tout redeviendrait normal naturellement. L’espérance des désespérés.

Mais alors qu’elle se relevait pour s’approcher de son petit évier mal lavé pour boire un peu d’eau, Donna se rendit compte que cette fois-ci n’était pas comme les autres. L’atmosphère de son appartement était autre, différente…menaçante. Elle sentait que quelque chose – ou quelqu’un – s’y trouvait et elle n’aimait pas ça.
Malgré la douleur, elle prit un couteau, arme bien peu utile face à un adversaire véritable mais la seule près d’elle, et tenta de parler d’une voix forte et déterminée, comme une lionne. Seul un miaulement de chatte apeurée sortit de sa bouche.

« Qui est là ?! »

Après quelques longues secondes crispantes où la peur et la douleur remplissaient son esprit, une forme se détacha du mur opposé, totalement obscur. Elle serra plus fort son couteau comme pour se donner du courage dans ce combat perdu d’avance, mais la silhouette qui apparut dans la lueur lunaire de la fenêtre la fit se détendre. Ça n’était pas un ennemi ; c’était l’Ombre.

Même si elle ne le connaissait pas du tout, la jeune femme avait combattu à ses côtés et savait qu’elle pouvait se fier à lui. Il avait le seul à prendre leur défense face à Jones, à ce qu’il lui avait dit à un moment lors du début de l’attaque finale, et elle était consciente que ça avait demandé un grand courage – et une grande folie. Leur ancien leader était un monstre qui avait heureusement disparu de la surface de la Terre, mais ses pouvoirs étaient monstrueux et pouvaient le faire revenir, sûrement pour se venger de ceux qui l’avaient trahi. Et l’Ombre serait en bonne place sur la liste, et il l’avait toujours su.
Néanmoins, il avait quand même agi et c’était pour elle un gage de confiance. Elle baissa donc son couteau alors qu’il s’arrêtait devant elle et la regardait longuement, toujours vêtu avec son masque et sa « combinaison » étrange. Il faisait plus ninja qu’autre chose, mais ninja de mauvaise production hollywoodienne. Rien de vraiment impressionnant même si elle savait qu’il fallait voir au-delà de ses apparences, surtout avec lui.

« Je ne pensais pas que tu étais vivant.
- Je ne pensais pas que tu aurais tant voulu mourir. »

Elle fronça les sourcils : elle ne s’était pas attendue à une telle réplique. C’était blessant, méchant et humiliant. Elle le gifla avec toute la force qui lui restait et tituba après son geste, vaincue par sa faiblesse et son mouvement trop rapide. Elle était tout sauf en forme et semblait un pantin dont le maître avait cessé de faire bouger les pieds. Elle n’était plus rien de ce qu’elle avait été avant, et cracha du sang pour cacher sa douleur sur le sol tout en baissant les yeux. Elle ne parvenait même plus à le regarder en face.

« C’est tout ce que tu peux faire ?
- Ferme-la… »

Une quinte de toux la prit violemment et elle dut s’asseoir sur son lit pour se remettre. Sa faiblesse claquait au visage et l’Ombre s’accroupit devant elle ; il soupira lourdement comme pour marquer sa compassion et la regarda dans les yeux. Malgré son masque, elle s’en rendit compte et ne prit pas ça pour une marque de pitié. Elle détestait quand on voulait la plaindre, même si elle n’avait plus les moyens de s’en défendre.

« J’ai su que tu avais été blessée mais j’ai mis du temps avant de te retrouver.
- C’était le but.
- Tu ne veux pas qu’on sache que tu sois ici ? Ou tu ne veux pas qu’on te voie dans cet état ? »

Ses yeux rougis par la douleur lui lancèrent des éclairs alors qu’il restait de marbre ou du moins ne montrait rien de ses émotions. Elle était touchée par sa présence mais ne savait pas ce qu’il voulait, et c’était pour ça qu’elle avait encore le couteau dans la main ; pointé vers le bas, mais toujours là quand même.

« Un peu des deux…
- Je peux t’aider, Donna.
- Je me débrouille toute seule.
- Tu es sûre ? »

Elle avait tenté de calmer ses ardeurs avec un ton froid mais c’était vite retombé ; il était évident qu’elle était dans un état lamentable, donc pourquoi le cacher à l’Ombre ? Il le voyait bien et s’il avait bien fait son travail, il l’observait depuis quelques jours et s’en était rendu compte. Nier ne ferait que la rendre encore plus pathétique.
Donna soupira lourdement, comme pour accepter enfin l’évidence tout en parlant de sa voix lasse.

« Non…non, ça ne va pas. Et tu le sais bien, c’est pour ça que tu es ici, n’est-ce pas ?
- Oui. Mais pas uniquement.
- Comment ça ?
- Je suis venu te voir parce que j’ai quelque chose à te dire, mais en te voyant comme ça, j’ai préféré m’assurer que tu allais bien – et il est évident que ça n’est pas le cas. Je vais t’aider un peu et repartir. »

Il chercha dans la poche de son pantalon quelque chose et déposa plusieurs liasses de billets verts sur le lit. La jeune femme les fit tomber d’un geste de la main et lança à nouveau un regard noir sur son ancien coéquipier.

« Pour qui tu me prends ? Une mendiante ? Je ne veux pas de ton argent, ni de ta pitié ! Je suis peut-être mal en ce moment mais pas encore assez pour faire la manche ! »

Elle aurait voulu crier mais sa voix était trop faible. Son ventre la faisait encore souffrir mais elle ne voulait surtout pas se montrer si vaincue devant l’Ombre et faisait donc tout pour se contenir – ce qui la rendait encore plus triste, d’ailleurs. Sa souffrance était évidente mais sa fierté l’empêchait de l’accepter, et l’homme en face d’elle soupira à nouveau avant de poser ses mains sur son visage. Là, il enleva d’un geste las son masque et fit ainsi apparaître des cheveux d’un blond éclatant coupés courts avec une grosse barbe sur les joues et le menton. Ses yeux étaient beaux et clairs et Donna fronça à nouveau les sourcils : ce visage lui disait quelque chose.

« Tu…je te connais…
- Oui. Je m’appelle Connor, j’ai fait partie des Titans.
- Oh. »

Les Titans, l’avant-dernière mission de la Ligue, ultra confidentielle. Le Batman avait demandé à ses alliés de se réunir avant sa disparition et ils avaient dû livrer une bataille secrète contre un des Architectes, un dénommé Joey Wilson qui avait fait tant de mal à l’équipe de jeunes justiciers. Le combat avait été très dur, très brutal et ça ne lui rappelait pas de bons souvenirs : des gens étaient morts dans de sales circonstances et la Ligue avait déjà commencé à se fissurer. Mais tout ça serait pour un autre jour, elle avait mieux à penser.

« Qu’est-ce qui t’amènes ici, Connor ? Et pourquoi étais-tu en Louisiane ? Aux dernières nouvelles, tous les Titans avaient arrêtés tout ça…et ils ont eu raison, d’ailleurs. »

Elle baissa les yeux en voyant le sang apparaître sur ses habits, ayant passés la compresse. Oui, ils avaient vraiment bien fait de s’arrêter avant d’y passer définitivement.

« Je…la fin des Titans n’a pas été simple, tu le sais bien mais ça a été encore pire entre nous. Certaines choses que j’ai faites…et bien je les regrette, vraiment. Et la fin du groupe m’a rendu un peu coupable, aussi. J’ai donc voulu faire quelque chose de bien, de vraiment bien pour une fois et je me suis dis qu’aider des gens comme ceux de la Louisiane, ça pouvait être une bonne chose. La suite, tu la connais. »

Donna acquiesça en silence, ne cherchant pas à savoir pourquoi il se sentait aussi coupable. Elle savait elle-même le prix de la culpabilité et le fardeau qu’on avait alors sur les épaules, et ça n’était pas à elle de demander à quelqu’un d’autre de s’expliquer.

« Je vois. Pourquoi es-tu venu, alors ?
- Tu es blessée, Donna, et pas bien. Je vais t’amener quelque part, tu vas prendre cet argent et récupérer. Ça vaut mieux.
- Je ne veux pas de ta pitié.
- Ça n’en est pas. Si tu veux vraiment savoir, j’ai besoin de t’avoir à mes côtés avec ce qui arrive et je te veux en pleine forme. Vois ça comme un investissement, pas un geste de compassion si tu préfères. »

La voix de la jeune femme avait été plus forte qu’auparavant mais celle de Connor ne laissait rien perdre de sa détermination. Quand elle l’avait connu avec la Ligue, elle l’avait pris pour un gamin sans grand intérêt, incapable de se défendre. Vu son expérience avec lui et son naturel si dominant actuellement, il était clair qu’elle s’était bien trompée.

« Si tu veux, mais dis-moi pourquoi tu as voulu retrouver ma trace. Qu’est-ce que j’ai de si spécial ?
- Je sais aussi où sont Steelman et Flash. Je suis venu te voir en premier parce que je savais que tu étais blessée et que tu n’avais sûrement personne pour t’aider. J’avais raison.
- Hum…mais pourquoi tu veux nous revoir ? Tu es si nostalgique de tes deux jours avec la Ligue ?
- Non. Mais j’ai besoin de vous.
- Pourquoi ?
- Je sais où est Jones. »

L’annonce faisait évidemment l’effet d’une bombe pour Donna, qui concentrait sa haine sur John Jones et Tim Hunter depuis deux semaines. Ses doigts se serrèrent au-dessus de son couteau alors qu’elle oubliait la douleur pendant quelques secondes pour se rappeler tout ce qu’elle voulait faire à ces deux êtres.

« Où est-il ?!
- Je sais où Jones et je veux que vous veniez avec moi.
- Pour le tuer ? Tu n’as même pas à demander, tu as mon appui tout de suite.
- Non, pas pour le tuer. Pour le sauver.
- Quoi ?! »

La surprise et la colère apparurent dans le cœur de la jeune femme. Elle ne comprenait pas comment cet homme, qui avait été là lors de l’horrible explosion, pouvait vouloir faire survivre le monstre inhumain. C’était inconcevable.

« John Jones est en ce moment même prisonnier quelque part, entre la vie et la mort. Nous devons le sortir de là.
- Pour l’assassiner.
- Pas forcément, mais le juger oui.
- S’il est en train de souffrir, je pense qu’il peut y rester – si son traitement est suffisant. Je veux qu’il meure.
- Tu es dure.
- Il a été pire que ça.
- Oui, mais ça ne veut pas dire qu’on doit laisser son geôlier gagner.
- Serait-ce si mal ? Si Jones a fait du mal à quelqu’un d’autre et qu’il veut le lui faire payer, je n’y vois pas de mal.
- Même si c’est Lex Luthor ?
- Luthor ?! »

Donna fronça les sourcils. Elle ne savait pas grand-chose de cet homme, sauf qu’il avait été à l’origine de la réunion de la Ligue et qu’il était un pourri de la pire espèce. Jones leur avait dit ce qu’il faisait et c’était ignoble – mais ça ne provenait que de John. Nul ne savait s’il leur avait dit la vérité et elle n’était plus vraiment encline à le croire sur parole.

« Oui, il l’a emprisonné et le torture. Mais il n’est pas seul : quelqu’un l’aide, quelqu’un de pire.
- Pire que Luthor ?
- Pire que Jones, même. »

Elle savait qu’elle n’aimait pas ça. Elle n’avait encore aucune idée de ce qu’il se passait, mais elle savait déjà qu’elle n’aimerait pas ce qu’elle entendrait.

« Il a fait alliance avec le diable en personne, Donna, et j’ai besoin de votre aide. Sa nouvelle âme damnée est Amahl Farouk et il est pire que John, vraiment – bien pire. Je crois que c’est même une bataille que nous ne pouvons pas gagner. Mais ça n’est pas une raison pour ne pas la mener, n’est-ce pas ? »
 
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