Urban Comics
  Episode #12 : Worldwide (4)
 
Histoire : Ben Wawe & Zauriel
Date de parution : juin 2007

2531 après le Cataclysme.
Je rentre chez moi. Enfin, si on peut appeler ça ainsi. Je suis Roman MacKenzie. Mais depuis des années, on m’appelle Namor. On me craint. On me redoute. On complote contre moi. Et on m’espère. Je suis Namor, Prince des Mers. Et je rentre chez moi. A Atlantis.

Cela fait des années que je suis parti, et alors que je suis à quelques mètres à peine de ma chère cité, de cet endroit dont j’ai tant rêvé durant mes nuits solitaires, qu’est-ce que je fais ? J’écris. Ou plutôt, je grave sur de la pierre fine et malléable, idéale pour pouvoir garder trace de ce que nous faisons ou envisageons. L’encre ne peut être utilisée, dans l’eau, et mes ancêtres ont rapidement trouvés cette solution pour pouvoir continuer à noter, comme ils le faisaient jadis, lorsqu’ils étaient à la Surface.

Bien sûr, je pourrais écrire normalement, à l’abri dans mon appareil sous marin qui me permet d’aller où je le désire dans les océans et les cours d’eau. Mais je ne le fais pas. J’aime l’eau. J’aime ce liquide. J’aime me sentir flotter, me sentir emporter par les courants. Je suis un fils de l’eau, et je n’aime rien plus que de vivre avec.
C’est pour ça que j’écris au dehors de mon appareil. Je retiens ma respiration et j’y respire plus ou moins : rien n’a encore été réellement découvert sur mes capacités. Je ne cherche pas vraiment à découvrir ce que je peux faire ou non, ce dont je suis capable en poussant mon potentiel au maximum. Ca ne m’intéresse pas.

Ce qui m’intéresse, c’est l’eau. C’est la mer, l’océan. C’est mon monde. J’ai tout sacrifié pour lui. Et même si j’aimerais dire que j’ai fait ça par amour pour ce milieu, même si j’aimerais dire que j’ai fait ça par ma propre volonté et par un choix mûrement pensé…ça serait mentir. Et je n’aime pas mentir.
Je n’ai pas fait ce choix en y réfléchissant. Je n’ai pas décidé de ne vivre que sous l’eau depuis des années en pensant vraiment aux conséquences. J’ai fait ça sur un coup de tête, sur un coup de sang. Mais je ne regrette rien, bien au contraire.

Il y a des années, ma femme (même si j’ai du mal à écrire ce mot) m’a quitté pour un autre. Mon frère. Ou plutôt, l’homme que je considérais comme un frère. C’était ma cousine, et je l’aimais. Nous avions un fils, nous nous battions contre mes ancêtres et nous venions de trouver un allié. Nous étions heureux. Mais elle a tout gâchée. Et je la hais.

Elle tomba amoureuse de ce Curry, et décida de vivre avec lui. Bien sûr, Arthur s’en voulut, mais au fond il l’aimait aussi. Que pouvais-je faire ? Accepter ce couple infidèle et de traîtres ? Elevé mon fils en même temps que leur fille ? Être heureux quand même ? Continuer à mener mon existence avec eux, en les voyant s’enlacer et s’accoupler dans la chambre à côté de moi ?
Non.

Je suis Namor. Je suis le Prince des Mers selon ceux qui me rencontrent. Je suis le fils du Roi Maudit Atlan, qui a failli créer une guerre sans nom entre son peuple et ceux de la Surface. Je suis à la fois Atlante et à la fois Humain. Je suis le lien entre les deux mondes. Et on ne me trahit pas.

Quand Marrina décida de rester avec Curry, je les abandonnais là, me fichant complètement de leur sort. Néanmoins, avec les années, je repris contact et revis souvent Khymera, la fille de ma cousine et de mon ancien ami. Je m’en suis un peu occupé, mais il y a eu des soucis. Mais je n’ai pas envie d’écrire ça, maintenant.

Je pensais ne jamais faire de journal intime, mais avec l’âge, j’ai envie de laisser quelque chose derrière moi, de laisser les chroniques du Prince des Mers, pour que les générations futures sachent qui je fus et ce que j’accomplis en mon temps. Car j’ai fait beaucoup pour mon peuple…pour mes peuples.

Depuis que j’ai laissé Curry et Marrina, je suis une sorte d’ambassadeur : avec ma fortune à la Surface, j’interviens régulièrement pour éviter des incidents diplomatiques, oeuvrant dans l’ombre pour la sauvegarde des deux mondes. Et avec mes pouvoirs, je vais aussi de ville sous marine en ville sous marine, allant voir les progrès de chacune pour les inscrire dans mes registres. Ceux-ci comportent tout ce que je sais sur le monde aquatique, et il recèle évidemment un savoir sans nom.

Aujourd’hui, je reviens à Atlantis après plus de vingt cinq ans d’absence. J’ai hâte d’y revenir. J’ai hâte de sentir à nouveau les courants de cette belle cité. Atlantis est ma patrie plus que toute autre ville. Et peut-être que là-bas, j’oublierais enfin la douleur et la colère qui m’habitent depuis mon départ, même si j’en doute : certaines choses ne peuvent être oubliées. Certaines choses ne peuvent être pardonnées.

J’en dirais plus demain, je pense. Je vais me coucher. Mieux vaut être reposé pour rentrer chez soi en héros, non ?


Des légendes, pourrait penser l’homo sapiens. Un mythe. Une histoire passionnante qui l’emmènerait dans un monde à la richesse insoupçonnée, au caractère onirique, impalpable, et pour le moins impossible.

Alors que l’être humain dominait les surfaces émergées depuis quelques millénaires, pliait la nature à son désir, partait à la recherche de l’immensément grand, pour la conquête de l’espace, et dans l’immensément petit, à la découverte des atomes, peu d’entre eux pouvaient envisager, sans que cela soit un fantasme, l’existence de créatures installées en sociétés développées à plusieurs kilomètres de la surface. Et moins nombreux encore étaient les privilégiés qui avaient pu être témoin de ce qui aurait pu passer pour un miracle. L’homo sapiens marinis, dit homo mermanus aussi.

L’homme des mers. Le fils des océans, dont le système respiratoire était calqué sur celui de son équivalent terrestre, à l’exception près qu’il filtrait l’oxygène venait du liquide aquatique, et non de l’air.

Lémuria, Mû, Atlantis. L’homme de l’eau avait, tout comme son équivalent terrestre, établi des cités aux quatre coins des océans. Des cités distinctes, avec des religions différentes, des modes de vies différents, des langues qui avaient fini par s’éloigner les unes des autres avec le temps.

Et comme dans chaque espèce qui domine son écosystème, qui en fait ce qu’il en veut, il se heurte à ses semblables dans sa volonté d’expansion. A force de vouloir plus de richesses, plus de terre à appartenir, l’homo sapiens marinis dut faire la guerre, répandre le sang et construire des empires sur des monticules de cadavres. Mais comme à la surface, la guerre ne dure qu’un temps. Et Atlantis, la cité aux neufs tours, s’imposa comme maîtresse de l’Atlantique, du Pacifique, et de l’Océan Indien. Partout où les terres étaient immergées, on craignait la cité préférée de Poséidon.

Contrairement à toutes les cités sous marines qui furent construites des millénaires avant le calendrier grégorien, Atlantis est une très jeune cité qui fut jadis terrestre. Il y a exactement trois mille ans, ou 2531 de leurs années. Telle une Gomorrhe aquatique, Atlantis était tombé dans un mélange de dépravation, de luxure et de décadence. Elle fut foudroyée par une malédiction divine, ou par un quelconque événement géologique, tout dépend des versions. Mais ce qui est certain, c’est qu’une malédiction suivit cette catastrophe, nommée « Grand Cataclysme » par les Atlantes actuels.

Ceux qui ne périrent pas dans l’orage qui engloutit la cité, les tempêtes, ou par le raz de marée final, se virent radicalement transformés. Leur peau jadis rose bleuit, l’air libre les étouffait et la seule option pour survivre était de résider dans les fonds marins. Rendus plus humbles après leur changement de condition, ils reconstruisirent leur cité, près d’un gouffre.

Cette volonté de se situer à cet endroit pourrait paraître stupide. Elle ne l’était pas. Si Atlantis avait revu le jour près d’un gouffre qui pourrait l’engloutir, c’était purement symbolique. Il s’agissait de ne pas oublier ce qui était arrivé à leurs ancêtres. Et si jamais Atlantis retombait dans ses travers, et se faisait à nouveau foudroyée pour quelque raison, il n’y aurait pas de troisième cité.

Atlantis, en ces quelques trois millénaires d’existence aquatique, avait connu plusieurs systèmes de gouvernance. Durant les premiers temps, alors qu’ils pensaient être les seuls à vivre sous les eaux, les Atlantes se consacrèrent à l’agriculture et à l’exploitation des richesses naturelles des environs. Puis vinrent d’autres peuples marinis, qui avaient des volontés belliqueuses. Les Atlantes durent unir leurs forces. Ils se placèrent sous l’égide d’un roi, Tarkonn, qui réussit à repousser les envahisseurs. Mais jamais Tarkonn ne s’en enorgueillit. Contrairement à lui, ses successeurs partirent en guerre de conquête contre les autres peuples, et établirent pendant près d’un millénaire un empire immense. Trop immense pour un seul homme, fut-il empereur. Des sécessions se produirent partout, et Atlantis redevint la cité d’antan. Elle échangea les armes de la guerre contre celle de la démocratie, en concentrant ses pouvoirs dans tout l’Atlantique et en aidant ses colonies du Pacifique. L’empereur fut renversé. A la place émergea une Assemblée, constituée par plusieurs députés, élu tous les sept ans. De cette Assemblée, on tirait neufs députés pour qu’ils deviennent les neufs Anciens, qui dirigeaient la cité.
Les homo marinis s’étaient mis d’accord. Leur existence devait rester secrète aux yeux des êtres de la surface. Mais pour des raisons que nous ne développerons pas ici, certains en acquirent le privilège. La plupart furent des aventuriers dont le nom fut oublié. Mais parmi les plus récents, on peut citer le sorcier Arion, qui participa aux Guerres Magiques aux côtés des sages du royaume de K’un L’un et de Kazar de la terre Sauvage ; ainsi que Namor, descendant direct de Tarkonn, premier roi Atlante.

Depuis quelques cycles, la politique s’extrêmisait, à l’Assemblée. Les déchets de la surface commençaient à détruire l’environnement aquatique. Les Seigneurs du Pacifique avaient uni leurs forces pour expulser les colonies atlantes. Les tensions à l’intérieur même de la cité, entre ethnies, se radicalisaient. La peur naissait d’un regard neutre. Le mépris prenait genèse dans une parole banale. Tous, au delà de ces sentiments qui voyaient le jour, attendaient le miracle, ou l’homme, qui puisse les fédérer sous une même bannière de justice.

Je ne décolère pas depuis des jours. La rage qui est en moi explose à chaque instant de la journée, à chaque moment de mon existence. Je ne peux pas accepter ça. Je ne peux pas accepter ce que je vois. Je ne le peux pas, tout simplement. Et je n’y arriverais certainement jamais.

Je suis entré en Atlantis depuis une semaine, maintenant. Enfin, si on peut encore appeler cette cité perdue et que j’exècre de tout mon être comme Atlantis. Cette ville fait honte à ce qu’avait été l’endroit préféré de Poséidon. Elle fait honte à tous ceux qui se sont battus pour elle. Elle fait honte à mon peuple.
Et c’est pourtant lui qui l’a fait ainsi.

Je pensais entrer en Atlantis auréolé de gloire, acclamé dans les rues pour mes travaux diplomatiques et les secrets que recèlent mes livres et ma mémoire. Que nenni. Je suis arrivé dans le plus grand anonymat, et personne ne semblait me connaître dès que je disais mon nom. On eut dit que tout le monde avait oublié Namor, celui qui s’était tant battu pour que ceux de la Surface ne nous tuent pas. On eut dit que tout le monde avait oublié celui qui avait accepté une mission impossible pour la gloire d’Atlantis et la recherche de la connaissance, ce que nous avions toujours voulus.

Je ne reconnais plus cette ville.
Où sont passés les salons de discussion entre Atlantes ? Où sont passés les endroits où nous pouvions lire et apprendre en toute tranquillité ? Où sont passées les immenses bibliothèques qui s’élevaient à chaque coin de rue ? Avec les Anciens qui donnaient leurs leçons aux jeunes, nous avions une société constamment à la recherche de la connaissance, voulant repousser les anciennes limites pour devenir meilleur.

Oui. Jadis, lors de mon départ, nous voulions tout savoir, pour pouvoir survivre le mieux possible. Nous étions doux et peu agressifs, sauf quand on s’en prenait à nous. Je suis parti d’Atlantis plein de gloire, avec des centaines d’Atlantes qui me criaient qu’ils étaient fiers de moi et qu’ils attendraient avec impatience mon retour.
Je suis revenu avec personne pour m’acclamer et personne pour me reconnaître. Mais ce n’est pas ça le pire.

Même si mon orgueil est touché par l’oubli de mon existence, même si ma fierté en a prit un sérieux coup quand je me suis rendu compte que ceux que j’aimais énormément, mon peuple, ma famille finalement, ne se souvenaient plus de moi…ce n’est pas ça qui me rend fou. Ce n’est pas ça qui me fait me demander si je ne devrais pas fuir cet endroit et retourner à la Surface, lieu que j’ai choisi d’éviter depuis que ma cousine m’a trahie avec ce chien de Curry. Oui, ce chien. L’heure n’est plus à se tempérer, je crois.

Le Conseil est devenu fou.
Ces vieux Atlantes, jadis sages, ont été gangrenés par des Atlantes qui croient qu’il faut retourner aux vieilles coutumes, aux anciennes pratiques. Le culte barbare de Poséidon est revenu en force dans les rues de la cité depuis des années, et les sacrifices au Dieu sont à nouveau chose courante, alors que nous avions décidés de nous libérer de ces choses stupides et monstrueuses il y a des décennies.

Pire encore, ces êtres qui ont réussis à prendre le contrôle du Conseil veulent désormais mettre à bas la culture et la connaissance. Déjà, les bibliothèques publiques ont été fermées, et les ouvrages qu’elles contenaient ont été enlevés et sont stockés on ne sait où. Il ne reste plus que la bibliothèque centrale, mais celle-ci est réservée à l’élite, et le peuple ne peut plus y accéder comme il le désire.
De plus, les Anciens ne dispensent plus leurs leçons aux jeunes, et ceux-ci grandissent avec des imbécillités dans la tête : ils pensent que le monde entier est à eux, que la Surface doit leur revenir, qu’ils sont les héritiers des Dieux…folie que tout cela. Folie que cette cité.

Plus rien n’est comme je l’ai connu, en fait. Plus rien du tout.
Jadis, Atlantis dominait son territoire avec des avancées technologiques impressionnantes, qui d’ailleurs étaient connues aussi des autres villes sous marines, comme je l’ai vu lors de mes voyages. Nous étions néanmoins les plus avancés, et j’espérais en revenant ici découvrir d’autres merveilles créées par nos scientifiques, qui sont des décennies en avance par rapport à leurs homologues de la Surface. Mais je me trompais.

La Science est morte en Atlantis. Les ingénieurs et leurs collègues sont poursuivis et doivent se cacher pour échapper à la Mort. Le pouvoir en place ne veut plus de leurs technologies, ils ne veulent plus de ce qu’ils pourraient apporter. Peu à peu, la cité est retombée dans l’ambiance qu’elle avait quittée il y a des siècles, et si nous comparons ça à la Surface, je puis dire non sans mélancolie qu’après avoir été une cité futuriste, Atlantis est désormais un simple fief du Moyen Âge terrestre.

En tous points, la ville ressemble à un de ces endroits abandonnés depuis des années par les hommes de l’air. Ordures jonchant les rues, habitations malpropres et dangereuses, gardes armés d’épées flottant dans les rues à la recherche d’êtres à agresser, pouvoir despotique, absence de démocratie et surtout un peuple qui ne sait plus ce que peut vouloir dire l’Honneur, la Liberté ou la Révolte.

Enfin…ceci est un peu faux. Par mes colères et mes accès de rage, qui ont faits que j’ai échappé de justesse à la prison plus d’une fois, je suis hors la loi en ma cité, mais je ne suis pas seul. Certains Atlantes ont réussis à échapper au lavage de cerveau opéré par mes ennemis. Certains de mes frères et sœurs veulent se soulever pour éviter que Atlantis continue sa plongée dans les eaux troubles de l’horreur dans lesquelles elle est déjà bien engagée.

Nous sommes peu, mais nous sommes motivés. Le peuple nous suivra si nous sommes assez forts pour déstabiliser le pouvoir en place. La rage explose au fond de moi, comme depuis que Marrina m’a annoncée qu’elle aimait aussi Curry. Je ne pouvais accepter à l’époque de partager ma femme, et je ne peux accepter désormais qu’Atlantis soit réduite à cela.

La colère est en moi. L’épée est à ma ceinture, et je suis prêt à la sortir. Peut-être n’écrirais-je plus jamais en ce journal, mais que ceux qui le découvrent sachent une chose. Namor, Prince des Mers, fut de retour en Atlantis et découvrit une ville monstrueuse qu’il ne reconnaissait pas, comprenant que ceux qui avaient le pouvoir l’utilisaient pour leurs propres intérêts et non ceux du peuple. Et Namor ne peut vivre avec cela.

Même si je dois mourir, même si je dois périr…je changerais Atlantis. Je me battrais pour elle. Tremblez, membres du Conseil ! Tremblez, despotes fanatiques ! L’heure de la revanche et du changement a sonnée…

On avait étouffé le bruit de son retour. On avait dit qu’il s’agissait d’un imposteur, d’un tricheur. Il représentait une menace, alors on l’avait enfermé.
Namor, prince de sang, avait choisi une vie d’aventures et de découvertes. Solitaire de nature, il devint amer après le départ de sa femme pour celui qu’il considérait comme une frère. Il accepta la mission d’exploration que lui proposa le conseil.
Apporter la connaissance et la lumière atlantes dans les fonds marins les plus obscurs, voilà ce qu’on lui avait demandé. Et il vit là une opportunité de trouver une sérénité et une paix qui pourraient atténuer sa colère.
Il était rentré voilà trois jours. Il s’était d’abord promené dans les rues, profitant du silence de ce début de journée, se ressourçant auprès des monuments, auprès des rues dallées. Peu de gens l’avaient reconnu. A vrai dire, peu de gens se trouvaient dans la rue à cette heure, si ce n’est des vendeurs, des gosses qui jouaient, et quelques clochards.
Ces derniers étaient en quelque sorte le reflet nié de la bonne conscience atlante. Pas de ghettos, pas de zones d’ombres pour entasser les déchus. Non, ils allaient et venaient dans les rues dorés de la cité aux neufs tours, tels des fantômes que l’on refusait de voir ; des fantômes qui dormaient et vivaient. Ce fut un de ces spectres qui reconnut le prince. Il était sorti de sa cache, après avoir examiné de loin, avec incrédulité et stupéfaction, le visage de l’aventurier qui retournait chez lui. Voûté, tête baissée, il s’était précipité dans la rue et avait agrippé le bras du prince, tombant à genoux, murmurant.
« Vous enfin ! »
Le clochard portait des vêtements qu’il aurait pu porter pendant toute une vie. Son manteau, réduit à l’état de cape usée, était miteux et taché. Namor n’avait pas réagi. Au fur et à mesure qu’il détaillait le visage de cet homme, il le reconnut. Il s’agissait de Byrrah, un de ses lieutenants de la campagne méditerranéenne. Le pauvre homme fut ravi de voir que son prince se souvenait de lui. Namor, à cette réflexion, lui demanda pourquoi, dans les rues de la cité, personne ne l’avait reconnu. Une ombre passa sur le visage de Byrrah. Il baissa la tête, murmurant, inaudible aux oreilles du prince.
« Eh bien, Byrrah. Parle haut.

- Mon prince, vous êtes un fantôme depuis des années. Il s’agit de votre cruel cousin, Attuma. Il a été choisi comme maître du conseil, voilà plus des neuf années réglementaires. Il a balayé cette loi et personne n’a levé le petit doigt pour protester contre la dictature qui se mettait en place. Quand, bien trop tard malheureusement, certains professeurs ou intellectuels de la cité commencèrent à craindre le pire, il a fait enfermer tout ceux qui auraient pu constituer une menace pour lui. Beaucoup de nobles, par intérêt ou par peur, se sont alliés à lui. Il a fait fermer le culte de Poséidon Sauveur pour instaurer à la place, avec l’aide des radicaux, celui du Poséidon Triton. Quand les scientifiques ont relevés des activités géologiques anormales dans la Faille, les radicaux ont attribué cela à la foi vacillante des Atlantes.
- Folie. Je n’étais pas encore parti que des relevés semblables nous alertaient de la situation. Il faut déplacer la ville, évacuer la population. Les autre membres du conseil
- Sont à la solde d’Attuma, le coupa Byrrah. Ceux qui ne se sont pas tus sont morts, ou au cachot.
- Tous, dis-tu ?
- Non, répondit malicieusement Byrrah. Il reste à l’université le vieux Vashti. Rencontrez le, mon prince. Il vous aidera plus facilement que moi
- Tu en as déjà beaucoup fait, mon ami. »


Namor retira son manteau et le lui donna. Puis, il prit congé et retourna dans les rues de la cité, plus préoccupé, plus à l’affût de son environnement. Byrrah lui avait donné sa cape. Namor se dirigea vers l’Université, relevant sa capuche à cause de ses avertissements.



L’université était, avec l’armée, l’une des plus prestigieuses institutions atlantes. Fondée sous le règne d’Estarion, dernier roi qui proclama la naissance de la République, elle avait vu se former les meilleurs intellectuels, artistes et sportifs que le monde sous-marin ait jamais connu. C’était un espace de liberté et d’enseignement. Aussi Namor fut-il surpris et dégoûté de voir nombres de gardes postés à chaque entrée. Dans le grand amphithéâtre où il avait appris la philosophie et l’Histoire, un petit homme, sur l’estrade, chantait les louanges d’Attuma et des prêtres du Triton. Les deux côtés de l’estrade étaient gardés, mais cela n’arrêta pas un homme à la barbe blanche, dont le corps avait souffert du passage du temps, mais dont le regard était sans âge. Il repoussa l’orateur et prit sa place devant l’assemblée de citoyens atlantes.
« Peuple d’Atlantis, clama-t-il. Tu te complais dans la misère que t’ont offert ces brutes assoiffées de pouvoir. Notre foi en ce nouveau Poséidon, ce terrifiant culte du Triton, ne nous sauvera pas de la Faille. Attuma s’est joué de vous. Il a perverti le Haut Conseil. Il vous a perverti et… »
Le petit homme que Vashti avait fait tomber sur les fesses se releva et fit signe aux gardes de s’emparer de l’ancien professeur. L’assemblée devint houleuse après que ce discours soit prononcé. Le petit homme mit un terme à ses murmures en reprenant la parole.

« Il y a longtemps que le vénérable Vashti ne s’est pas présenté à l’Université. La vieillesse, malheureusement, n’apporte pas que la sagesse. Toute parole portée contre Attuma met en danger la stabilité de la cité. »

Namor avait descendu les escaliers qui surplombaient la salle. Il avait soulevé sa cape, mettant en évidence la garde de son épée. Il marcha droit sur l’estrade, derrière les rumeurs de la foule qui le reconnaissait.
« Moi, Prince Namor, je ne le permettrai pas. »

Le petit homme haussa les épaules avec mépris, pointant un doigt accusateur sur l’intrus.
« Un énième Namor ; un énième imposteur. Gardes, emmenez aussi celui ci. »

Hache à la main, ils s’exécutèrent, mais Namor profita de leur lenteur pour dégainer son épée et leur trancher les mains à tous deux. Ahuris, ils s’écroulèrent de souffrance. La foule était levée. Il n’y avait plus aucun doute, c’était le Prince. Le petit homme, le consul Ghaur, sortit une dague de son manteau, se précipita sur le prince, et lui entailla à peine le bras. Puis, avec un sourire machiavélique, il bondit en arrière, patientant.

« Eh bien quoi, Ghaur ? Un simple filet de sang, fût-il royal, te suffit ?
- Oui, mon Prince. Les lames de corail n’ont point besoin de carnage pour remplir leur office. »

Les lames de corail. Namor porta la main à sa tête. Il lâcha son épée, tituba. Puis le poison l’emmena au pays des songes.

Quand il se réveilla, le prince avait l’impression q’un combat spectaculaire avait eu lieu dans sa boite crânienne. Il se trouvait dans une minuscule cellule. Pas de lit, seulement une couverture rapiécée. Derrière les barreaux, un rire fusa. Namor, en vain, tenta de percer les ténèbres du regard. Mais l’auteur du rire se présenta de lui même. Il s’agissait d’Attuma, ce barbare qui avait pris possession de la cité et de l’âme atlante. Il portait au bras son casque de chef de guerre, aux motifs d’hippocampe. Il se mit à aller et venir le long de la grille de la cellule, détaillant son captif.
« Eh bien, quel hôte. Notre prince bien aimé, de retour en cette contrée, alors que tous le croyaient morts, murmura-t-il.
- Comment se fait-il ? J’ai envoyé des messages à Vashti, au Conseil, tout le long de mon voyage. »
- Messages que j’ai pris le soin d’intercepter, cher cousin. Vivant, tu me gênais. Disparu, tu me sers. Hélas, il a fallu que tu réapparaisses. Il va falloir t’exécuter
- Sous quel motif ?
- Traîtrise, bien sûr. Tu es parti pendant très longtemps, Namor Durant cette période, des imbéciles, tout aussi princes de sang que toi, ont tenté de me détrôner. Asiphélès, Ctiphion, Melios, Tars, Naphimel. Chacun leur tour, ils ont levé de ridicules petites armées dans l’espoir de me voir mort. Et toi, Namor, tu les rejoindras bientôt. »

Sur ces funestes paroles, Attuma remit son casque et sortit du cachot. Plusieurs jours passèrent, laissant Namor perplexe dans sa cellule, impuissant derrières les barreaux. Il ignorait le garde, la nourriture qu’il lui apportait, alors qu’approchait, inconnue de lui, la date de sa mort. Il n’avait qu’une chose en tête : son échec.
-

A l’issue de ces quelques jours, il entendit des bruits dans le couloir du cachot. Il se leva de sa couche et agrippa les barreaux, se tordant la tête pour voir ce qu’il se passait. Il vit le cadavre du garde s’écrouler sur le sol. Derrière lui, deux hommes : Byrrah et Dara, un noble qui avait fait semblant de rallier Attuma. Ce dernier prit les clefs du garde et libéra le prince.
« Attuma devait vous exécuter aujourd’hui.
- Il attendra. Je dois le détrôner. Où est-il ?
- Il discoure sur la menace que tu représentes. Selon lui, tout comme Vashti et ceux qui ont tenté de le tuer, tu n’es qu’un traître.
- Où fait-il son discours ?
- A la plus haute tour d’Atlantis. Il s’adressera à la foule toute entière.
- Alors, ce sera son discours d’adieu, fit le prince en prenant l’épée que lui tendait Dara. »



Attuma allait et venait, au plus balcon de la plus haute des neufs tours de la cité atlante. La foule, à des mètres en dessous de lui, ne l’écoutait pas. Elle ne levait même pas les yeux vers lui. Elle ondulait de murmures et de rumeurs. Et aucune ne concernait l’actuel dirigeant de la cité. Toutes se portaient sur la personne du prince Namor, de retour en Atlantis, actuellement prisonnier. Attuma entendit un rire provenant de derrière lui. Namor s’avança sur le balcon. La foule hurla, pointant du doigt la scène. Attuma ne semblait pas surpris de la présence du prince.
« Ainsi, on t’a libéré. Bien. Ta mort se fera en public. »
Namor ne voulait pas gaspiller un seul mot pour cette ordure. Aussi dégaina-t-il son épée sans prononcer une parole. Les deux prétendants croisèrent le fer pendant de longues minutes. En bas, le peuple retenait son souffle. Attuma fit tomber Namor et se précipita sur lui, le bras en arrière. Mais le prince, agile, se releva, fit un pas en arrière, et Attuma, emporté par son élan, vint s’empaler sur l’arme de Namor.
En tombant, il s’accrocha aux jambes de son adversaire, demandant pitié et soins. Namor lui trancha la tête. Ce trophée à la main, il se releva la foule et embrassa la foule du regard.
« Vous avez laissé faire ce fou. Vous l’avez laissé détruire le conseil. Aujourd’hui, je vous laisse le choix. Ou bien je gouvernerai sagement, avec tous les pouvoirs ou presque dans ma possession. Ou bien je vous quitte et ne reviendrai pas. »

La foule resta silencieuse quelques instants. Puis, des poings se levèrent, des cris fusèrent.
« Namor ! Namor ! »
 
 
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