Auteurs : Ben Wawe & Firediablo
Date de parution : Mai 2005
Les ténèbres de l’inconscience ont quelque chose de réconfortant selon Franck. Il ignorait où il était, il ignorait quelle heure, voire quel jour il était, mais il s’en foutait, il avait vu assez d’horreurs comme ça pour ouvrir ses yeux et voir son corps déchiré de toutes parts après cette chute. Oui, il s’en rappelait, trop bien d’ailleurs, cette peur du vide lorsque l’on a plus rien qui nous empêche de tomber, le vide absolu sous ses pieds, la chute sans fin, si longue qu’il aurait pu réciter le « San Padre » et toutes sortes de pierres une vingtaine de fois. Puis, à quelques dizaines de mètres, c’est le l’inconscience, on préfère se terrer aux confins de l’esprit pour éviter de sentir cette douleur. Une douleur qui étrangement, se fait attendre. Il est conscient, ses yeux sont clos, mais il est conscient. D’ailleurs, il ne sent plus le casque sur son crane ou les ailes qui devraient le gêner alors qu’il est allongé sur le dos. Par ailleurs, ses fringues qu’il avait habituellement crades étaient lavées. Il sentait leur odeur et le tissu sur sa peau n’avait pas tendance à être déchiré de toutes parts. Quelqu’un avait visiblement changé ses vêtements.
Il se rappelait être tombé dans une décharge publique. Pourtant, l’odeur de nourriture ou d’animaux en décomposition n’était pas présente. Il n’y avait presque aucune odeur particulière. Juste un bruit sourd, comme un écho sans fin qui se répercute sur des murs millénaires.
Puis il entendit un murmure. Très léger, mais il savait que quelqu’un venait de parler. Il ouvra les yeux et se redressa sur son séant. Personne. Mais où était il ? Au lieu de se trouver dans la grande décharge publique en plein Los Angeles, il était assis au beau milieu d’un immense bâtiment de pierre froide, aux piliers innombrables, et le tout était éclairé faiblement par quelques torches presque consommées. Puis, d’autres torches, les flammes pleines de vie, cette fois, s’allumèrent, comme lui montrer un chemin.
« Par ici… »
La voix était plus nette. Franck, aux aguets, attendait que quelqu’un, cette personne qui parlait, se montre et qu’il puisse enfin poser des questions. Mais voyant que personne n’arrivait, il se décida à se lever et suivit la route de torches qui s’éteignaient derrière ses pas. Son vieux jean et ses vielles affaires n’étaient plus sur son corps. Il portait une sorte de tunique, qui par sa riche bordure, ses couleurs vives et ses coutures nettes laissaient entendre que c’était une sorte de costume de rituel. C’était très étrange, cette sensation d’être hors du temps, de ne pas savoir où on était, où on allait, mais en même temps de se savoir en sécurité…peut-être était-ce le paradis, pensa-t-il, ou bien l’enfer, qui est pavé de bonnes intentions, sourit-il.
Frank arriva finalement à une grande salle au plafond ouvert. De grandes colonnes en pierre lisse soutenaient l’ouverture au ciel, et un grand rayon de soleil fort balayait la pièce, et plus particulièrement un autel en pierre placé au centre de la pièce et du rayon de soleil. Magnifique création d’architecte pensa le jeune homme tandis qu’il marchait toujours vers le centre, où se trouvait désormais un grand homme.
Mince, peau matte, cheveux coincés dans une sorte de coiffure ressemblant vaguement à des coiffes égyptiennes, il était habillé d’une longue toge blanche et avait à sa main un long sceptre avec une tête de faucon comme manche. L’homme sourit en voyant Frank, mais celui-ci était peu rassuré. Il aurait voulu s’arrêter, mais ses pieds continuaient de marcher, comme mus par une force extérieure.
L’homme s’approcha alors de Frank, ouvrit la bouche et allait parler quand le jeune homme entendit…des bruits de klaxon. Puis des bruits de circulation. Des cris de passants. Vinrent alors les odeurs des déchets, passant de l’odeur de la capote usagée aux spaghettis non finis par un petit gamin de trois ans. Génial, pensa-t-il.
Franck se sentit vidé, comme aspiré de l’intérieur. Il vit l’homme disparaître. Il ferma les yeux et ne les rouvrit qu’une minute après. L’odeur était maintenant forte et insoutenable. Il se trouvait dans cette même décharge où il était censé être tombé. Mais où était l’homme ? Il chercha dans les environs, il n’y avait que deux gamins qui le contemplaient avec émerveillement. Franck réalisa qu’il avait alors son casque en forme de tête d’oiseau et ses ailes sur lui, ce qui devait avoir son petit effet sur les gosses. Elles ne semblaient pas avoir souffert de la chute. D’ailleurs, Franck aussi. Cette chute mortelle, de plusieurs mètres, sur des bouts de fers rouillés et des bouteilles cassées auraient du lui enlever la vie. Mais non, il ne devait avoir que quelques bleus et des contusions, mais pas de blessures importantes. Il chercha comment cela était possible et une image en 3D apparu sur l’écran du casque et le montra en pleine chute. Sur la vidéo, il vit que les ailes, peu à peu, l’avait entouré et il se vit s’écraser au sol dans le cocon de métal, comme lorsque les terroristes lui avaient tiré dessus. Il s’en était donc sortit sans blessures. Merveilleuses, ces ailes.
Il devait aller prévenir la police, mais il avait un problème plus urgent. Tout d’abord, où était il allé ? Ce temple (Franck ne trouvait pas d’autre nom à associer à ce bâtiment) était trop réel, ce n’était pas un de ces stupides rêves. Non, il y était allé, il ne savait comment, mais il en était sur. Cet homme allait lui parler, un homme qui lui inspirait confiance, peut être pour lui dire quelque chose d’important. Il ferma les yeux dans l’espoir d’y retourner mais rien ne se produisit. Franck se leva, il ne savait où aller ni que faire, mais il ne voulait pas rester là. Un deuxième problème s’ajouta. Les deux gamins lui avaient tendu un bout de papier et voulaient à présent son autographe, « pour frimer auprès des filles ».
Il sourit, prit les deux papiers et le stylo avant de s’arrêter. Qu’allait-il marquer ? Il ne pouvait pas mettre ses noms et prénoms…
« Dites, m’sieur l’Homme Aigle, vous êtes un héros de BD ? »
Homme Aigle…Hawkman. Pas mal. Pas mal du tout, pensa-t-il en écrivant son nouveau nom sur les papiers.
« Nan, petit… »
Il lui sourit en pensant à la magie et à l’innocence de cette enfance bientôt volée par l’horreur de la rue avant de sortir de la décharge. Maintenant, il y avait un vrai problème : qu’allait-il faire maintenant ? Il n’avait pas assez confiance dans ses ailes pour tenter un nouveau vol, et il ne pouvait pas aller marcher en pleine rue avec ça…même si aucun flic ne l’arrêtait, des passants pourraient le signaler et alors le gouvernement voudrait le retrouver…trop risqué.
Le jeune homme prit alors un vieux sac déchiré dans les ordures, et y fourra du mieux qu’il pu les ailes et le casque. Le casque était encore plus ouvert à cause des ailes, mais cela ne faisait pas trop suspect. Frank se dirigea alors chez lui, prêt à dormir minimum deux jours.
Arrivé dans la chambre qu’il avait loué dans un hôtel moins 3 étoiles, Franck posa son sac sur le lit. Qu’allait il faire ? Se cacher, avec ces petits joujoux ? Ou les ramener en disant qu’il avait du s’en servir pour échapper à des terroristes armés jusqu’aux dents ? Du moins, il devait prévenir les flics, même s’il les détestait. Il leur avait souvent demandé de l’aide lorsqu’il vivait dans la rue pour aider un gamin qui se faisait tabasser ou parce qu’une pauvre fille se faisait violer et la réponse était toujours la même : « si c’est dangereux pour notre vie, on vient pas, démerdez vous »
Mais John était mort pour qu’il s’enfuie et il n’allait pas laisser les tueurs partir tranquillement. Il changea de vêtements, son vieux jean était immaculé de détritus, laissa là le sac (on ne sait jamais, ils pourraient trouver ça suspect) et se dirigea vers le commissariat le plus proche.
« Comment savez vous que monsieur Jonathan Wells est mort ? »
-Euh, j’étais présent monsieur.
Franck a directement été conduis au bureau du commissaire. Apparemment l’affaire est grave, pensa-t-il.
-Comment ça, « présent » ? Vous étiez sur les lieux du crime ? Monsieur ?
-Franck Hall. Et oui monsieur et j’ai assisté au cambriolage et à la mort de John.
Franck lui expliqua alors toute l’histoire. De l’explosion à la mort de John. Mais il prit soin de ne pas mentionner les ailes et le casque et préféra une version où il s’enfuyait dans les escaliers en laissant les agresseurs derrière lui.
-Vous voulez dire, récapitula le commissaire, que vous avez survécu à une explosion de C4, que vous avez maîtrisé un homme armé avec vos poings et que vous vous êtes enfuit sans être blessé par aucunes balles, alors que monsieur Wells était tué sans ménagements? Mais voyons, vous savez que le faux témoignage peut dans certaines affaires vous conduire jusqu’à la chaise ?
-C’est la stricte vérité monsieur. Vous n’avez qu’à vérifier les caméras de sécurité si vous ne me croyez pas.
-J’allais y venir. Il n’y a aucunes traces des bandes vidéos qui sont normalement censées enregistrer tout ce qui se passe dans cet immeuble. Il me faudra donc beaucoup plus de détails pour que je vous croie.
Afin de prouver son innocence, Franck lui décrivit exactement John. Il lui expliqua aussi toute la scène, jusqu’au moindre détail. Mais l’inspecteur restait incrédule.
-Bien, on va admettre l’espace d’un instant que cela est vrai. Avez vous vu quiconque en possession des ailes, monsieur Hall ?