Urban Comics
  Episode #1 : L'Anarchiste (1) : La Théorie
 
Histoire : Ben Wawe
Date de parution : Avril 2006

La télévision s’allume.
L’image montre un soap opéra digne des meilleurs lavages de cerveau durant la Guerre Froide. Il faut bien que les vieilles techniques servent encore à quelque chose, non ? Mais il ne reste pas dessus, et entre de suite la cassette vidéo dans le magnétoscope.
L’appareil complexe, bien qu’ancien désormais, démarre, et l’image change. Le noir absolu d’abord. Puis une silhouette. Une étrange silhouette.
Tout vêtu de noir, avec un masque intégral, une cape et un costume noir. Il est assit, les bras croisés. Le spectateur ne peut s’empêcher de penser qu’il sourit. Et l’être parle alors. D’une voix suave et douce, les mots s’échappent de sa bouche.

Et la leçon peut commencer.


L’anarchie.
Une idée, un concept.
Un monde sans lois. Sans supérieurs qui vous gueulent dessus pour pousser à l’efficacité. Sans jalousie et sans l’envie de biens, caractéristique ultime de notre société actuelle.
Un monde où la Liberté, la vraie Liberté, serait la seule doctrine, et où les Hommes et les Femmes pourraient vivre comme nous avons été créés : purs, sans la salissure du monde moderne et des horribles inventions de l’Homme pour se faire du Mal. Le capitalisme, l’esprit de marché…tout cela ne sert qu’à nous rendre esclaves d’un monde fictif. Pourquoi ? Pourquoi suivre cela ? Je me demande si, un jour, vous vous êtes posés cette question…mais j’ai bien peur de la réponse.

L’anarchie, finalement, qu’est-ce ?
Un rêve, une utopie. L’idée ultime de la Liberté Humaine. Les Hommes libérés de toutes leurs contraintes matérielles. Le Paradis, peut-être. L’anarchie est tout cela. L’anarchie est ce rêve sublime que les Hommes vivent enfin ensemble dans la Paix et l’égalité.
C’est inaccessible et beaucoup critiqué (comme tous les génies au début), évidemment, mais…Mais même si j’ai peu de chance de voir cela devenir réalité, je me bats pour elle. Car il faut toujours se battre pour ses rêves. Toujours. Même si ils n’arriveront certainement jamais…

Vous vous demandez qui je suis pour vous dire tout cela. Qui je suis pour parler ainsi de l’anarchie, cette idée devenue insultante désormais et bannie du vocabulaire par nos « chers » Gouvernements oppresseurs.
Je suis l’Anarchiste. L’Anarchiste de ce temps, en fait.
Depuis des dizaines d’années, un Anarchiste agit sur cette Terre et tente de rendre réel le rêve que je partage avec quelques rares être doués d’intelligence et de pensée non diluée par la société de consommation. Mon père, mon grand père et mon arrière grand père l’ont été. Ce dernier a même été le premier à revêtir la cape et le masque noirs. Ils se sont tous battus pour que notre rêve puisse voir le jour, et que nos contemporains soient libérés de leurs chaînes.
Mais l’Histoire de ma famille ne s’arrête pas à ce seul rôle, loin de là. Si les derniers représentants de ma lignée ont été les Anarchistes, les autres n’ont pas été inactifs dans leurs existences.

Depuis la nuit des Temps, nous existons.
Depuis l’Âge du Feu, ma famille survit sur Terre. Elle est connue de tous, mais ignorée. Elle est l’amie des moments difficiles et l’adversaire des moments de calme. Elle est le combattant féroce des champs de bataille et la criminelle en temps de Paix. Elle est l’esprit de contradiction. De rébellion.

Nous sommes l’Evolution. Nous sommes la Révolution.
Nous sommes la petite voix au fond de vous qui vous exhorte à briser vos chaînes et à prendre ce qui vous revient de droit : la Liberté pure et indivisible.
Nous sommes votre rage, votre colère face au monde. Nous sommes ce que vous voulez et devez faire, et que vous avez peur d’accomplir. Nous sommes éternels.

Je ne sais pourquoi nous existons. Pourquoi, moi, j’existe. A quoi bon le savoir, d’ailleurs ? Seuls mes actes comptent, pas mon origine. Seul mon message est important, pas qui est derrière lui. Mais je n’ai pas toujours pensé cela…
Cela m’a retourné l’esprit pendant de nombreux mois à un moment, je l’avoue. Qui suis-je ? Qui est ma famille ? On m’a toujours apprit que nous étions l’Anarchie de chaque époque, la Révolte en marche et les Instigateurs du changement du monde. Mais pourquoi était-ce ainsi ? Pourquoi devions-nous faire toujours cela ? Pourquoi devions-nous toujours rechercher à changer le monde ?
Ce n’était pas logique pour quelqu’un né à Woodstock et ayant fait l’expérience de la société de consommation dans ses formes les plus absolues…

En fait, c’est à la mort de mon père, le précédent Anarchiste, que ces questions ont rebondies dans mon cerveau, comme une super balle pour gosses. C’était alors à moi de mettre le costume noir qu’il avait porté pour tenter de changer les Hommes, et je me demandais si j’avais raison de le faire. Après tout, je n’étais alors qu’un gosse.
Comment un gamin de dix huit ans pouvait-il changer les choses, surtout quand il n’était même pas certain de sa Destinée et de ses actions ? J’ai mis du temps à m’y faire, oui. Mais j’ai compris.

J’ai compris ce que voulaient dire mon père et mon grand père quand ils me disaient que nous devions changer les choses. Que les Hommes devaient changer grâce à nous et les préceptes que nous défendions, et que nous défendrons toujours.
Nous ne sommes pas des meneurs.
Nous ne sommes pas des généraux, des présidents.
Nous sommes ceux qui doivent montrer au reste de l’Humanité le chemin à suivre. Nous sommes des Eclaireurs de l’Ordre Nouveau, l’Ordre Naturel. A vous de faire la suite.

Maintenant que vous me connaissez un peu plus et que vous vous rendez compte que ce n’est pas un film Porno laissé dans votre boîte aux lettres par un de vos amis, vous devez sûrement vous demander pourquoi je vous raconte cela.
Pourquoi un taré en costume noir fait une telle cassette vidéo et vous explique des choses que vous ne comprenez pas. Patience, cela va venir. Tout est préparé. Huilé. Planifié. Ecrit en lettres de sang dans la grande feuille du Destin.

La vie n’est pas un long fleuve tranquille, et vous le savez déjà. Mais d’autres choses doivent maintenant vous apparaître. D’autres choses plus complexes, plus étranges et plus difficilement croyables. Mais il vous faudra croire tout ce que je vais vous dire. Tout. Le monde, les Hommes et toutes les personnes vivants sur cette Terre en dépendent.

Je suis l’Anarchiste, oui. Mon arrière grand père fut le premier d’entre nous. Il est né en 1847, dans la « Douce » Angleterre, au moment où le monde changeait et entrait dans l’ère moderne…ou capitaliste, si vous préférez. Il est donc venu au monde dans une pauvre maison du Sud de Londres, en 1847. En fait, cela m’a fait toujours rire que les Anarchistes étaient nés à des dates clefs de l’Histoire Humaine et de la Rébellion. Vous ne voyez pas ce que je veux dire ? Patience, ais-je dis avant…
Mon arrière grand père est donc né en 1847, l’année de l’écriture du Manifeste du Parti Communiste par Karl Marx. La première réelle opposition à ce qui arrivait aux Hommes de l’époque. Malheureusement, cela fut souvent mal appréhendé par les « héritiers » du grand homme…
Mon grand père est venu au monde en Octobre 1917, le mois et l’année de la prise de pouvoir de Lénine en Russie. Oui, son père était encore quelqu’un de très en forme, à 70 ans…mais passons, les performances sexuelles exceptionnelles de ma famille ne sont pas à l’ordre du jour. Mon grand père est donc né à Moscou. Ca aurait pu être bien, la Russie, si tout n’était pas devenu monstrueux et inhumain. Mais le communisme, même si c’est un très beau rêve, ne peut que survivre dans un contexte de petits groupes…ou tribus. Mais ce n’est pas le sujet.
Mon père, lui, est né en 1945, quand les Communistes ont vaincus totalement les Nazis et qu’une ère de paix devait arriver sur Terre. On l’a vu, ce ne fut pas vraiment le cas…
Et moi ? Moi, je suis né le 17 août 1969. Woodstock. La révolte de la jeunesse mondiale, mais surtout américaine, contre la marche du monde. Ça aurait pu être bien, le monde, si les jeunes de ce mouvement avaient continués de croire en leurs rêves. Mais, rapidement, ils ont troqués les cheveux longs, les pétards et les vêtements Hippies pour une coupe à la brosse, les chewing-gums et les costumes Armani…

Vous le voyez, tous les Anarchistes sont nés alors que le monde pouvait changer. Ils sont venus au monde au moment où le Destin offrait aux hommes des occasions de changer la face de la Terre, et de vivre heureux et simplement. Jamais ils n’ont suivis ces cadeaux. Jamais ils n’ont compris les messages.
C’est pour cela que nous sommes là : pour leur montrer l’évidence. Pour leur ouvrir enfin les yeux sur les différents cadeaux qu’on nous offre. Pour expliquer chaque message. Le Marxiste. Le Léniniste. L’Utopiste. Le Woodstockiste, si on peut dire.

Mais passons. Encore une fois, la Destinée s’amuse avec nous. Encore une fois, celui qui fait et défait les fils de nos vies a dû bien rire avec l’Humanité. Mais arrêtons avec cela. J’ai autre chose à dire pour le moment.
Parlons donc de mon arrière grand père. Il s’appelait Walter. Walter D., pour être précis. Je tairais mon nom par mesure de sécurité pour ma mère, évidemment. Jusqu’à ce que vous acceptiez mon offre, bien sûr. Il a vécu dans un monde dominé par la guerre et les tensions incessantes en Europe. Tous savaient qu’un énorme conflit allait exploser, mais personne ne savait quand. La peur, le désordre et la douleur régnaient déjà dans son monde. Et au même moment, il lisait Karl Marx.

Comment mesurer l’impact d’un livre révolutionnaire (acheté illégalement) sur un jeune Anglais en quête d’identité, et qui fait partie de la famille la plus dangereuse de tous les Temps ? Comment comprendre pourquoi cet homme, ce cher Walter, a décidé que le monde avait besoin d’être éclairé aux idées de Marx, et qu’un livre ne suffirait pas ? Comment comprendre ses gestes ?
C’est assez simple, en fait : les Hommes ont toujours eus besoin d’être guidés. Et même Karl Marx ne pourrait le faire, en ne faisant qu’écrire ces lignes qui changèrent le Destin de ma famille. C’est pour cela que Walter a fait cela. C’est pour cela qu’il est devenu l’Anarchiste.

Vous expliquer tout ce qu’il a fait serait long et ennuyant. Walter D. a marqué son Temps, même si l’Histoire a eue l’ordre de l’oublier. Mais c’est grâce à lui que l’anarchie a été vue comme quelque chose de prodigieux et d’intéressant, et que la vision de Marx a été démocratisée.
Ses actions ont été exceptionnelles, prodigieuses et impressionnantes. Il fut un des plus grands terroristes de son époque, et nombre d’hommes et de femmes ont tenté de l’arrêter. En vain. Comment stopper une idée en marche ? Comment stopper un idéal ?

Car, même si mon arrière grand père mourrait, son message avait été crié à tous. Et, quand il s’éteignit de vieillesse dans son lit en Russie après une vie de bons et loyaux attentats…son fils, conçu par Walter à un âge très avancé, suivit les principes de son père. Et ses enfants aussi.

Pourquoi, me demandez-vous alors que vous cherchez à reconnaître les bâtiments derrière moi pour venir me chercher ? Simplement parce que le message de Walter D. était clair et simple : le monde a encore une fois besoin de notre famille.
Encore une fois, la Terre avait besoin des descendants des grands révoltés et grands terroristes de l’Histoire, comme Ravaillac ou Charlotte Corday.
Encore une fois, les Hommes avaient besoins de leurs Eclaireurs pour leur montrer la voie du renouveau et du Bonheur.
Et nous ne devions pas fuir notre mission. L’Anarchie était un but pour mon arrière grand père. Pour ses descendants, et moi-même, elle est une épouse que je dois imposer à une famille récalcitrante et conservatrice…l’Humanité…
 
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