Auteur : Lex
Date de parution : Septembre 2008
Harry Stein fixait l’inspecteur Trayce, assise à son bureau, concentrée sur son travail administratif. Même si c’était une tâche ingrate, elle s’en acquittait du mieux qu’elle pouvait, en gardant la tête haute et en ignorant les sarcasmes de ses collègues. Pour son courage et sa fierté, il l’admirait secrètement. Elle était la seule dans l’équipe à lui tenir tête et il appréciait ce côté irréductible qu’elle lui laissait voir lors de ses coups de gueule ou de ses regards insondables qu’elle lui lançait de temps en temps. Elle lui faisait comprendre qu’elle ne craquerait jamais. Et Harry n’en doutait pas. Elle avait la force de caractère de son ancien équipier. Elle contrastait ainsi beaucoup avec le nouveau, un bleu-bite sans expérience du terrain et respectant les règles scrupuleusement. Harry aussi aimait respecter les règles du jeu et aimait également qu’on les respecte. Bien qu’il eut apprécié Chase et Trayce, il devait assurer le fonctionnement du poste de police et faire respecter la loi coûte que coûte. Un scandale aurait réduit à néant tout les efforts effectués par le nouveau commissaire, Grant Wilson.
Celui-ci, très affecté par la mort de son frère, s’était promis de poursuivre la politique qu’il avait prôné lors de la campagne pour la mairie. Le regretté Joey s’était découvert un frère alors que tout le monde pensait qu’il était orphelin. Les retrouvailles s’étaient d’ailleurs organisées sous les caméras de la télévision, avec son lot de larmes et d’émotion. Harry s’en souvenait très bien. L’étonnement général avait laissé place à un attendrissement et personne ne s’était étonné de voir Grant promu capitaine. Des reportages à la télé laissaient croire que Grant avait été GI en Irak et avait découvert sa fraternité avec le candidat à la mairie lorsqu’il était revenu du front. Par quels moyens ? Personne ne le savait. Mais Joey semblait avoir totalement accepté ce « frère » tombé du ciel et une belle amitié s’était nouée entre deux, comme si ils se connaissaient depuis toujours. « Un signe qui prouvait le lien fraternel entre les deux », pensa ironiquement Harry avec un sourire.
Quoiqu’il en soit, Joey était mort depuis un mois et ce choc violent avait fais la une de tout les quotidiens locaux. Ce décès s’était produit en parallèle avec la disparition des Titans, les jeunes coqueluches de l’opinion publique, héros de l’épisode sanglant de la guerre des gangs.
Immédiatement après la déclaration officielle du décès, l’adjoint au maire, William Wintergreen, avait pris ses nouvelles fonctions en attendant de nouvelles élections en août. Bien plus réactionnaire que le laissait croire son image de grand timide et d’éternel second, Wintergreen avait engagé une vraie purge dans la police, avec la bénédiction de Grant Wilson et de la population. Stein avait ainsi dû se séparer de trois des inspecteurs de la brigade : l’explosif Adrian Chase, le trop louche Steve Chuck et le vieux Barry Finder qui partit en retraite anticipée. Restaient maintenant Johnson et Pierce, Nash et O’neil, Trayce et le bleu Jeff Sanders ainsi que Jones et Thomas. Une bonne équipe que Stein devait conservé. Il avait prévu de confier à Trayce une nouvelle enquête d’ici deux jours. Rien à voir avec des meurtres. Un cas était justement parvenu jusqu’à son bureau il y avait une semaine de cela : le viol et l’assassinat d’une trisomique. Le soir-même, le capitaine Galtry l’avait appelé pour lui ordonner de bâcler l’affaire sans que ça fasse du bruit. Et c’était ce qu’il avait fais, au grand dam de Trayce. Elle était une bonne flic, oui, mais il lui restait encore pas mal de choses à apprendre. Et à accepter.
« Lieutenant ! Venez voir, vite ! »
Jeff Sanders, le pécore du Nebraska, avait son habituel excès de dynamisme qui tapé sur le système de son supérieur.
« Qu’est-ce qui se passe, Sanders ? Vous avez découvert comment vous torcher vous même ? »
Les rires gras de Jones et Thomas, les seuls inspecteurs au poste avec Trayce, suivirent la remarque. Sanders, habitué aux moqueries, secoua la tête.
« Non, mon lieutenant. Il y a une… euh un… Enfin un individu qui veut vous voir. Personnellement. Elle… enfin il…
- Holà, du calme. C’est une femme ou d’un homme dont vous parlez ? Cette personne souhaite porter plainte ?
- Justement. Le problème est là. »
Intrigué, Harry ordonna qu’on fasse entrer la source de l’euphorie du bleu. Grande et élancée, une jupe à mi cuisse et un décolleté impressionnant, une superbe plante fit son apparition dans le commissariat. Immédiatement, les yeux de Jones et de Thomas sur braquèrent sur l’arrivante. Trayce, ne quittant pas son dossier du regard, dit à voix haute à leur adresse :
« A votre place, les mâles, je me calmerai. »
En effet, une voix inhabituellement rauque pour une dame se fit entendre.
« Excusez-moi messieurs mais… une de mes amies a été agressée ce matin. »
Tandis que Thomas et Jones s’éclipsaient, Stein accueillit le transsexuel dans son bureau. Il semblait particulièrement chamboulé et des larmes avaient coulé le long de ses joues. D’ailleurs, il tremblait de tout son long. Après s’être assis, il se confia au lieutenant :
« Moi et Joan, on travaille de nuit dans un club privé à Portola. Cette nuit, on a rencontré toutes les deux un homme d’une quarantaine d’années qui n’a pas divulgué son identité. On a discuté toute la soirée puis il nous a payé et nous sommes monté dans une… une des chambres. Il était… oh mon Dieu, je ne sais plus… il devait être minuit ou une heure. Puis nous nous sommes occupés de lui jusqu’au matin, avant qu’il ne reparte. Vers sept heures, Joan s’est pleins de maux de tête et elle est sortie en ville. On devait passer la journée ensemble mais elle n’est pas revenue. A huit heures, Bobby, le propriétaire du club, mon patron, m’a appelé. A cette heure là, je me changeais dans ma loge. C’est lui qui m’a informé de ce qui était arrivé à Joan. Oh, Seigneur ! Elle a été agressé par un malade ! Ca s’est passé au McLaren Park, à deux rues d’ici. Il l’a violé et… Oh, Seigneur. Heureusement, un promeneur a fais fuir ce malade. Moi et Bobby on a foncé jusque là où ça s’est passé. Bobby ne voulait pas appeler la police alors j’ai décidé de venir au poste le plus proche, ici, à Bayview.
- Bien. »
Harry déposa son stylo et son calepin.
« Je vais envoyer deux inspecteurs et une patrouille, d’accord ? Calmez vous, mademoiselle. Je vais devoir vous poser quelques questions, maintenant. Ça vous va ? »
Le transsexuel acquiesça silencieusement puis Stein se leva. A son bureau, Trayce s’activait à feuilleter un manuel de comptabilité. Le bleu écoutait la fréquence des radios des voitures en patrouille.
« Vous deux ! Vous avez une enquête. L’agression d’un transsexuel à J. McLaren Park.
- Oui, lieutenant. »
Trayce bondit, Sanders à ses talons. Enfin une enquête se présentait à eux.
*
Un sergent de police accueillit Trayce et Sanders et les conduisit jusqu’à la victime, assise dans une ambulance, une couverture sur les épaules. Le visage baissé, elle sanglotait, tentant vainement de se contrôler devant les deux officiers de police. Sanders avait perdu de sa vergne et regardait bouche bée le transsexuel effondré. Trayce soupira en voyant l’attitude déplorable de son collègue puis s’agenouilla et saisit la main tremblante de la victime. Celle-ci leva la tête et sourit maigrement devant la bonté de la femme policière. C’était la première fois qu’on tentait de le réconforter ce matin, après ce qu’il avait subit. Pour les autres policiers, il n’était qu’un homosexuel travesti qui tapinait. Rien d’autre qu’un gigolo pour pédés.
« Ca va aller ? Nous sommes ici pour retrouver celui qui vous a fais ça. »
La voix de Trayce était douce et chaleureuse, sans une once de mépris à son égard. Le transsexuel eut immédiatement confiance en elle.
« Vous vous appelez Joan, c’est bien ça ? Une de vos amies est venu nous voir.
- Cindy ? Il ne fallait pas, je… ça va aller maintenant.
- Joan, vous avez besoin d’aide. Je ne peux pas me mettre à votre place, c’est certain. Mais je peux quand même faire le travail pour lequel je suis payé. Enquêter. Si vous nous aider, nous pourrons mettre la main sur le fou qui vous a fais du mal. Car il n’en a aucun droit, même si vous pensez le contraire. Personne n’a le droit de vous toucher parce que vous êtes différente. A mes yeux vous êtes une femme comme une autre, victime d’un viol. Et ça, c’est inacceptable. »
Joan pleura de nouveau.
« Est-ce que vous avez vu l’agresseur ?
- Non… il était… il était cagoulé.
- D’accord Joan. Vous pouvez me décrire son allure, sa carrure ?
- Il était… il était de corpulence moyenne… euh… il… avait un jogging de coureur, comme bon nombre de ces types qui font leur footing dans ce parc. Un jogging bleu. C’est tout ce dont je me souviens avant qu’il ne m’attrape et… »
Sa voix se déchira une nouvelle fois. Trayce n’hésita pas une seconde et pris le transsexuel dans ses bras.
« Ca va aller, maintenant. Vous êtes en sécurité. Personne ne vous ferra de mal. Je vous le promets.
- Merci, inspecteur. »
Trayce sourit puis se retira pour laisser la victime au soin des médecins qui allaient l’emmener à l’hôpital. Jeff se tenait à ses côté, penaud.
« Et bien. Je ne m’attendais pas à ça pour ma première enquête.
- Remets-toi, le bleu. On a un violeur à arrêter. »
Jeff acquiesça alors que son équipière interrogeait les gars du labo qui prélevaient des échantillons d’ADN sur le sol. Il avait une vraie admiration pour elle et le courage dont elle faisait preuve. Trayce était une femme bien et la police en manquait ces temps-ci. Lui-même n’aurait jamais pu soutenir le regard de ce transsexuel désespéré. Comment aurait-il pu trouvé les mots justes pour le réconforter ? Lui, le petit gars du Wyoming, fils de fermiers tout juste débarqué à San Francisco après un passage à l’école de police de Cheyenne. Il avait grandi dans une famille avec trois frères et deux sœurs. Il était le dernier des frères et avait trois ans de plus que la petite dernière : Rebecca. L’aîné, Greg, avait repris l’exploitation à la mort de son père. C’était un type bien, certes, mais il s’était marié l’été dernier avec la copine de Jeff, ce qui avait crée un différent familial. Cela s’était soldé par le départ de Jeff pour la côte Ouest avec son surf et ses jolies filles. L’envers du décor, Jeff l’avait eu sous les yeux aujourd’hui.
« Qu’est-ce que tu fous, Sanders ? Interroge les témoins. »
Jeff se précipita vers le coureur qui s’était interposé entre la victime et son bourreau. Les choses sérieuses commençaient.
*
« Grant, où est-elle ?
- Je… je ne sais pas.
- Tu ne voudrais pas finir comme ton frère, hein, Grant ?
- N…Non.
- Alors tâche de la retrouver. Fouille cette ville de fond en comble et trouve- là !
- Mais si elle a quitté l’état ou même le pays ?
- Elle ne l’a pas fais. Je le sais. Je le sens. Et je sais qu’elle t’attend.
- Mais où ?
- A toi de le savoir, imbécile ! Je ne peux pas tout faire. Tu es le commissaire de cette ville, toutes les brigades t’obéissent. Prends tes responsabilités en main !
- Bi… bien. »
*
« Ca vous ferra 30 $. »
Adrian Chase attrapa l’argent que lui tendait le conducteur du pick-up gris métallisé. C’était un hispanique d’une vingtaine d’années, en proie à une grande inquiétude. Sur le siège du mort, un revolver était posé. L’instinct du pompiste lui criait que cet homme était louche mais une voix plus forte, celle de la raison, lui intima l’ordre de s’occuper de ses affaires, à savoir son emploi et satisfaire son patron qui l’avait pris en grippe au bout de trois jours. Chase avait l’habitude de se faire crapahuter par la hiérarchie et il vivrait cette situation très bien, comme toujours. Du moment qu’il n’était pas une nouvelle fois licencier, ça lui allait très bien. Un grand gaillard comme lui supporterait les crises de son nerveux de boss et continuerait à fumer ses Marlboro dans cette station-service jusqu’à ce que ses finances retournent dans le vert. Ce n’était guère prêt d’arriver avant pas mal de temps, peut être, mais ça arriverait. Il était traité comme une merde par tout le monde, que ce soient les clients ou bien le patron, et même la caissière qu’il draguait occasionnellement. Mais ça changerait. La roue tournerait.
« Bonne journée. »
L’hispanique appuya sur l’accélérateur mais la voiture ne s’élança pas comme prévu vers la route. Il lança alors un regard inquiet à Chase, adossé contre la pompe à essence. Celui-ci haussa des épaules puis dit entre deux bouffées de cigarette :
« La courroie est peut être cassée. Je vais jeté un coup d’œil.
- No, ça va, ça va.
- Vous pouvez pas rouler, mon vieux. Je regarde juste et je vous laisse tranquille. »
L’hispanique n’était guère enchanté de ne pas pouvoir décamper mais il était forcé de reconnaître que l’assistance de Chase était indispensable.
« Laissez-moi une minute. Je vais chercher mes outils et je reviens. »
Chase se dirigea vers le garage à quelques mètres de là puis attrapa la boîte à outil qui traînait négligemment sur le sol, prêt d’une tâche d’huile. Alors qu’il se retournait vers la sortie, il aperçut une affiche placardée sur le mur bétonné.
« Et merde… »
C’était le portrait en noir et blanc du type de la voiture. Recherché pour vol à main armé et meurtre au premier degrés. Chouette programme. Cette fois, Adrian ne pouvait se dérober. Calmement, il se dirigea jusqu’à la voiture du fugitif qui avait saisi son arme à feu, jouant avec la détente nerveusement. Aucun doute que dans la panique, il n’hésiterait pas à le descendre. Aussi joua-t-il la carte de la prudence. Il ouvrit le capot et sortit une clef anglaise. Hop. Il fit sauter le ressort de rappel de l’accélérateur. Au moins, notre oiseau ne pourrait plus s’envoler. Puis il s’adressa au conducteur :
« Je crois que votre moteur est bousillé. Faudra peut-être amener la voiture au garage.
- Quoi ? Mais j’en ai besoin maintenant !
- Vous pouvez appeler quelqu’un pour qu’il vous ramène chez vous ?
- Non, ça c’est pas possible, je… oh putain…
- Du calme, vieux. Je sais que c’est chiant d’attendre mais c’est comme ça et…
- Ta gueule ! »
L’hispanique sortit de la voiture brusquement et pointa son flingue sur Chase qui venait de refermer le capot.
« Tu vas me filer ta bagnole ! Et vite ! »
Adrian sera la clef anglaise dans sa main droite. Il ne devait pas le rater.
« C’est bon. T’as gagné. Okay. Je vais te filer mes clefs. Pas la peine de t’énerver. »
Chase fit mine de se diriger vers le garage mais au dernier moment, bondit sur l’adversaire.
PANG.