Auteur : Lex
Date de parution : Octobre 2008
« Il a subit un lourd traumatisme crânien mais l’opération s’est bien passée. Il devrait se réveiller d’ici une heure. Mais je ne vous garantis pas qu’il sera capable de parler.
- Du moment qu’il m’entend, ça ira. »
Le docteur Wang hocha la tête puis invita Patricia Trayce à le suivre jusqu’au couloir d’hôpital. Les internes, externes et autres infirmiers s’affairaient dans les couloirs, obnubilés par leur travail. Ils ne faisaient que peu de cas des amis des victimes comme elle, venue seule, n’ayant que la maigre compassion explicative du chirurgien s’étant occupé d’Adrian. Ce dernier sommeillait encore en salle de repos, après une intervention nocturne de toute urgence. On avait annoncé deux blessés par balles : un pompiste et un garagiste. Le premier était Chase, qui avait voulu arrêter un fugitif armé d’un revolver. Il n’avait fais que lui casser le bras et s’était reçu une balle dans la tête illico presto. Le garagiste qui prenait une pause, avait surgit aux bruits des coups de feu, carabine à la main, et avait essuyé un tir avant d’abattre le tireur. Puis il avait averti la police et une ambulance. Chase et lui avaient amenés à l’hôpital le plus proche et avait subis les interventions des urgentistes. Le garagiste avait reçu un pruneau dans l’épaule et avait été soigné rapidement. Mais Adrian, lui, avait dû être opéré, ce qui avait pris trois heures.
Lorsqu’elle avait appris la nouvelle, Trayce avait prestement quitté son appartement et avait roulé à toute vitesse jusqu’à l’hôpital. Il était trois heures du matin, la route était déserte. Elle avait attendu la fin de l’opération derrière la vitre, priant pour que son ami s’en sorte. Elle était furieuse contre elle-même pour les propos qu’elle avait tenus il y avait une semaine. Elle était furieuse contre lui, qui lui avait caché sa situation précaire et ses dettes. Adrian était au bout du rouleau. Maintenant qu’elle se trouvait seule assise dans ce couloir aseptisé, elle sentait les larmes envahir son visage. Tout allait mal. Tout finirait mal. Peut être que son ami aurait des séquelles irrémédiables. Elle se sentait coupable.
« Vous pouvez y aller, madame. »
Une infirmière la tira de ses sombres pensées. Elle essuya d’un revers de la main les traces de son chagrin puis se dirigea vers la chambre de repos où se trouvait Adrian. Elle poussa une porte verte et le vit, allongé, le crâne enturbanné. Il dormait. C’est alors qu’elle pensa à son ex-femme et à ses deux enfants : Adam et Drew. Personne ne les avait prévenu. Tout le monde s’en foutait. Il était vraiment seul. On ne peut plus seul dans son pyjama blanc. Pat lui pris la main tandis que l’infirmière s’éclipsait.
« Salut, Adrian. »
Son visage restait impassible, fermé mais serein. L’angoisse qu’il ne se réveille la prise soudain au ventre. Mais elle se reprit et contempla sa barbe blonde qu’elle caressa du bout des doigts.
« Excuse-moi. Peut-être que tu m’entends pas mais je m’en fiche. Je veux te le dire. Pardonne-moi. Pardonne-leur. Pardonne-lui. La police, ce type qui t’a descendu, ton ex-femme. Pardonne-leur. Ils ne savent pas ce qu’ils t’ont fais. Mais ça va aller maintenant. Je vais m’occuper de toi. Tu verras, on va réussir à s’en sortir. Je te le promets. »
Puis elle déposa un baiser sur les lèvres de la belle au bois dormant barbue avant de s’asseoir sur une chaise. Elle attendrait qu’il se réveille, toute la nuit s’il le fallait.
*
Marcia King avait reçu un billet à une heure tardive de la nuit. On avait sonné à son appartement puis un mot avait été glissé sous la porte. Il indiquait un lieu de rendez-vous, une zone désaffectée du vieux Potrero, de l’autre côté de la ville, sur la côte Est de la pointe que formait l’agglomération de San Francisco. Griffonnée au dos, l’annonce d’un scoop pour la jeune journaliste. Ce mot de cinq lettres lui avait sauté aux yeux et avait crée chez elle un mélange d’excitation et d’orgasme. Quelque chose d’inexplicable biologiquement parlant, mais une chose était certaine, c’était fort. Marcia était une éternelle insatisfaite. Insatisfaite que sa carrière ne décolle pas. Insatisfaite que son patron ne la baise pas correctement et préfère sa femme. Insatisfaite de devoir coucher pour réussir, aussi. Mais si elle tenait dans cette promesse évasive le moyen de percer, ses problèmes seraient réglés. A elle la gloire et la célébrité. C’était ce dont elle rêvait depuis toute petite, lorsqu’elle regardait à la télévision les aventures de la famille Ingalls.
La rouquine s’était donc immédiatement précipitée sur sa garde-robe, avait enfilé une jupe et une chemisette en oubliant le soutien-gorge, puis avait dévalé les escaliers en talons hauts, manquant à plusieurs reprises de s’ouvrir le crâne sur les marches. Elle tuerait un jour le concierge si il n’appelait pas un réparateur pour l’ascenseur, éternellement en panne. Elle s’était ruée sur la portière de son 4x4 japonais, avait heurté la vitre plein fouet, avait donné un coup de pied contre la carrosserie noire, puis s’était jetée sur le volant. Le billet contre son sein droit, elle s’était élancée dans une rodéo routier, évitant avec une chance improbable un semi-remorque en grillant un feu rouge. Elle était arrivée sur place à l’heure juste, défonçant au passage deux poubelles et peut-être même un chien. Quoiqu’il en soit, elle s’extirpa du véhicule, en nage. Le lieu était désert. Pas même un toxicomane ou un clochard pour l’aborder. Si ça arrivait, ses cours de self défense serviraient peut être à quelque chose.
« Mademoiselle King ? »
Marcia sursauta. Une ombre se tenait devant elle. Sûrement son contact. Plissant les yeux, la jeune femme se mis en position de combat. Au cas où.
« Vous m’avez laissé un mot cette nuit ? »
Marcia crut voir un sourire sur le visage dissimulé.
« Oui.
- Vous avez ce que vous m’avez promis ?
- Le scoop ? Bien sûr. Tenez. »
L’ombre tendit à Marcia une liasse de papier. Sur les feuilles reliées était tamponné le sceau de la police de la ville : le SFPD. La première affaire concernait le viol et le meurtre sauvage d’une trisomique mineure. Franchement dégoûtant. Mais cela pouvait contenter des lecteurs pervers et donc, faire logiquement exploser les ventes. Marcia pourrait, qui plus est, insister sur le fait que la police avait caché cet événement peu commun au public. Sans doute avait-elle même classée l’affaire, ce que Marcia découvrit trois pages plus tard. Un dossier bien maigre pour un meurtre au premier degrés. Le dossier suivant évoquait l’agression sexuelle d’un jeune transsexuel à J. McLaren Park, trois nuits plus tôt. L’inspecteur Trayce, en charge de l’enquête, avait noté des ressemblances frappantes entre les deux affaires, ce que n’avait pas manqué de souligner au marqueur rouge le contact de Marcia. Trayce suspectait un homme d’affaire qui avait expérimenté l’amour à trois avec deux transsexuels, dont l’un était la personne violée. Son nom avait été inscrit mais immédiatement effacé par une main extérieure. Étrange.
« Ce n’est pas tout. J’ai une vidéo pour vous. »
Marcia attrapa la clef USB qu’on lui tendait.
« Qu’est-ce qui est filmé ?
- Les batifolages d’un homme d’affaire avec deux transsexuels. »
Les yeux de Marcia s’éclairèrent.
« L’homme d’affaire est le suspect de l’inspecteur… euh Trayce ?
- Exactement. »
L’ombre eut un nouveau sourire. Marcia, elle, jubilait intérieurement. C’était un gros coup qui lui ouvrirait beaucoup de portes. Sa carrière décollait enfin.
« Merci beaucoup. »
L’ombre salua la journaliste puis s’évapora comme un mirage. Marcia tenait son scoop.
*
Grant Wilson se réveilla en sursaut. La première sensation qu’il eut fut le goût aigre dans sa bouche. Puis il constata qu’il était nu et qu’une substance étrange couvrait ses avant bras et son torse. Qu’est-ce que ça pouvait être ? Un noir total régnait et il n’aimait pas ça. Où se trouvait-il ? Il ne se souvenait pas de s’être déplacé cette nuit et d’avoir dormi sans sous-vêtements. Non. Bien sûr que non. C’était une certitude, il avait un boxer quand il s’était allongé sur le lit de sa chambre. C’était hier soir. Il avait une migraine épouvantable et s’était couché de bonne heure après avoir discuté pendant une heure au téléphone avec le maire remplaçant, l’ancien adjoint de son frère. Wintergreen avait évoqué des problèmes d’ordre sanitaire dans les égouts de Bayview. Apparemment, quelque chose bloqué le système d’évacuation des eaux usées dans les galeries Sud du quartier, ce qui provoquait des inondations chez les usagers et des odeurs nauséabondes régnaient dans les ruelles. Grant était chargé de verrouiller le périmètre et de régler le problème très rapidement, avant que les plaintes des habitants ne deviennent trop virulentes. Le nouveau maire semblait s’accrocher au pouvoir, comme en témoignait ses récentes mesures pour la rénovation des quartiers pauvres de la ville, où se trouvaient majoritairement les minorités ethniques. Certaines mauvaises langues murmuraient même qu’il comptait se représenter en août face à Steve Dayton, un milliardaire démocrate se lançant dans la politique.
Grant, lui, détestait ce milieu politique, hypocrite, où tout les coups bas étaient permis. Il préférait largement son poste auquel il tenait plus que tout. Assurer la protection des habitants de San Francisco n’était pas une mince affaire et il y consacrait toute son énergie. Même si depuis quelques temps, il ressentait des maux de tête incessants et, bien sûr, cette voix. C’était sûrement le surmenage et la fatigue. Ça arrivait fréquemment lui avait dis son médecin. Mais c’était inquiétant quand même. Il s’endormait fatigué et se réveillait en l’étant encore plus, comme si il avait passé une nuit blanche. Il n’était quand même pas… schizophrène ? Non, ce n’était pas possible.
Cherchant à tâtons un mur sur lequel s’appuyer, Grant buta sur un objet dense, au sol. Ce dernier était humide, comme le prouvait l’eau qui s’écoulait sous ses pieds. C’est alors que Grant pris conscience de l’odeur. Ca puait atrocement. Une odeur nauséabonde qui le prenait à la gorge. Il eut un haut le cœur puis vomit. Paniqué, le commissaire chercha un quelconque interrupteur puis tenta de reculer et de fuir. Mais il heurta violemment un mur bétonné. Le choc le fit vaciller et il sombra dans l’inconscience.
Une goutte.
Une goutte d’eau venait de s’écraser sur son visage. Grant ouvrit les yeux et fut surpris par la soudaine luminosité. Le soleil s’était levé et éclaira son corps nu. Se frottant la tête, il parvint à se relever. Il se trouvait dans les égouts comme le prouvait l’odeur et les tunnels où s’écoulait l’eau usée de la ville. Quelle horreur ! Quant à la lumière, elle provenait d’une grille à un mètre au dessus de lui. Bien sûr, elle était parfaitement amarrée dans le ciment donc, impossible de la soulever. Soupirant, Grant décida de suivre le chemin qui s’offrait à lui en espérant trouver une sortie et ses vêtements en prime. Mais pas de trace de boxer ni de robe de chambre. Comment fichtre était-il arrivé là ?
Alors qu’il tentait de mobiliser son intellect, Grant remarqua une ombre qui se tenait adossée à la paroi, deux mètres plus loin. Un clochard ?
« Hey, vous ! Est-ce que vous savez où se trouve la sortie ? »
Il s’approcha.
« Je ne comprends pas, je me suis retrouvé ici sans que je sache pourquoi. C’est inexplicable. »
Il s’approcha encore.
« Vous m’entendez ? Je suis le… »
Il s’arrêta.
Un cadavre. C’était un cadavre qui l’observait de ses orbites vides et ensanglantées. C’était une femme aussi nue que lui, et ses lèvres avaient été déchiquetées. Ses seins avaient été labourés avec ce qui semblait être une patte d’ours ou quelque chose de ce genre. Seul un animal pouvait avoir fait une chose pareille ! Son ventre était également ouvert et ses tripes s’étaient déversées au sol. Ses jambes, désarticulées, montrait l’inimaginable : son vagin avait été pénétré avec sauvagerie. Un viol. Un massacre. Horrible. Grant sentit la respiration lui manquer. Il s’agenouilla.
C’est alors qu’il croisa son regard dans le filet d’eau écarlate qui coulait des plaies béantes. Lui-même était recouvert de sang ! Un sang séché qui lui collait à la peau ! Malgré lui, un sourire apparut sur son visage et il vit ses lèvres se mouvoir.
« Coucou, Grant. »
Oh non. Pas la voix ! C’était elle qui…
« Non. C’est toi qui l’a fais. Tout seul, comme un grand. Je t’y ai juste un peu aidé, c’est tout. Toutes ces pulsions animales étaient enfouies au fond de toi. Je n’ai fais que les exprimer. »
C’était un cauchemar. Et il allait se réveiller. Ce n’était pas possible. Pas lui. Il n’avait PAS commis ce meurtre !
« Oh, pas seulement CE meurtre, Grant. Tu as violé une trisomique de quinze ans et tu l’as massacré. Tu ne te rappelles pas ? Oh, comme c’était bon. Tu en as jouis, mon petit. Et cette petite chose… Cette femme avec un pénis. Tu n’as jamais pu supporter les homosexuels et les handicapés mentaux. Ta copine est devenue lesbienne en te larguant, tu te rappelles ? Et bien la voici, sous tes yeux. »
Oh, non ! C’était Anna ! La fille qu’il avait tué, c’était Anna !
« Je vais t’expliquer comment tu t’y ais pris. Tu l’as attiré dans ton piège en lui fixant un rendez-vous chez toi. Tu devez trouver une excuse bidon : quelque chose qui la ferrait accourir. Comme elle t’appréciait toujours malgré votre rupture, tu lui as dis que tu étais atteints d’un cancer et que tu n’en avais, vraisemblablement, plus pour très longtemps. Ca a fonctionné et elle s’est rendu chez toi. Pendant ce temps là, tu as revêtu un jogging bleu et préparé le chloroforme. Elle est arrivée à vingt-trois heures. Tu lui as ouvert et tu l’as immédiatement endormie. Ce fut un jeu d’enfant. Tu devais ensuite trouver un endroit calme pour la violer impunément pendant toute la nuit et la tuer ensuite. Tu as opté pour les égouts. L’odeur ne te dérangeait pas. Tu as ensuite pris un véhicule acheté le matin même sur un compte anonyme et tu t’es rendu à Bayview. Une fois cagoulé, tu es descendu dans les entrailles de l’enfer, ta jolie compagne sous le bras. Tu as attendu qu’elle se réveille, pour pouvoir la cogner alors qu’elle serait consciente. Elle a crié. Oh oui. Elle a hurlé même. Et tu as adoré ça. Tu as senti ton sexe se durcir dans ton pantalon, comme pour le transsexuel et la trisomique. Puis tu lui as arraché ses vêtements. Elle pleurait et ça ne faisait que t’exciter d’avantage. Tu t’es déshabillé et tu l’as violé. Au premier coup, elle a hurlé comme jamais. Tu étais si empressé. Après l’avoir cogné pour la faire taire, tu l’as pénétré une seconde fois. Puis une troisième. Et une quatrième. Et encore un millier de fois jusqu’à ce qu’elle saigne abondamment. En la baisant, tu lui as arraché les seins et les lèvres. Bon Dieu, qu’est ce qu’elle criait ! C’était impressionnant. A faire pâlir Céline Dion. Puis tu lui as retiré les yeux en continuant tes allers et retours. Enfin, tu as explosé en elle. Elle était déjà morte. Pour te venger du fait qu’elle n’est pas tenu plus longtemps, tu as enfoncé ta main dans son ventre et trifouillé là dedans. La pauvre. Si tu savais comme elle a souffert et…
- NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !!! »
Grant n’en pouvait plus de cette description morbide. Il était à genoux, en larmes, et prenait sa tête entre ses mains.
« Et si, Grant. Tu es un monstre. Comme ton frère. »
*
« Achetez le Titan News ! Découvrez en exclusivité le viol et le meurtre que dissimule la police de San Francisco à ses citoyens ! Qui est le mystérieux serial killer qui frappe la ville ?! Les hypothèses en première page ! Achetez le… »
Jeff Sanders arracha des mains du gamin un exemplaire du Titan News et lui donna un billet sans même le regarder. Ses yeux parcoururent les gros titres : « Qui se cache derrière le meurtre d’une jeune trisomique et le viol d’un transsexuel ? », « Pourquoi la police tente de masquer la vérité ? Corruption ou Incapacité à résoudre ces affaires ? ». Suivait un interview d’une éducatrice du centre pour handicapés mentaux et physiques de Seacliff, une certaine Sarah Simms. Elle était, semblait-il, très proche de l’handicapée mentale assassinée, Maria Brown. La deuxième page évoquait les preuves de lenteurs administratives dans ces deux affaires et d’une réelle tentative à masquer la réalité.
Bon sang, comment ce torchon avait eut entre les mains d’aussi précieuses informations quant aux deux dossiers ? Une chose était certaine, le lieutenant Stein allait tenter de le découvrir et celui qui avait offert à cette Marcia King le scoop de l’été n’allait jamais oublier l’erreur qu’il avait faite.
Jeff termina l’article sur l’hypothétique serial killer de San Francisco chez lui. Souhaitant en apprendre d’avantage sur les sources douteuses de ce journal, le jeune policier consulta leur site. Apparemment, l’hebdomadaire, qui s’appelait San Francisco Papers six mois plus tôt, avait été rebaptisé en l’honneur des justiciers aujourd’hui disparus : les Titans. Mais Jeff eut beau chercher et chercher encore, rien n’indiquait l’identité de la source du journal. Las, Jeff éteignit l’ordinateur et alluma la télé. Évidemment, toutes les chaînes locales ne parlaient que de ça. Sur San Francisco Channel, on parlait même du suspect identifié par Trayce, l’homme qui avait fréquenté le transsexuel agressé la veille. Il augmenta le son.
« …une vidéo qui témoigne de la possible implication de Trinidad Santiago, soupçonné à de nombreuses reprises de tremper dans des affaires de drogue… »