Auteur : Lex
Date de parution : Mars 2009
« Vous refusez toujours de m’aider ? »
Marcia, vêtue d’une simple nuisette, fixait le visage d’Adrian Chase. Celui-ci restait impassible, malgré la fatigue qui se lisait sur ses traits. Son regard bleu jouait d’ailleurs avec celui de la journaliste, comme pour mieux la narguer. Drôle de remerciement pour ce qu’elle avait fais pour lui. Ne l’avait-elle pas secourue alors qu’il était au plus mal, acculé au fond du trou par la perte de son travail et l’annonce de sa mort prochaine et inéluctable ? C’était elle qui l’avait consolé, qui s’était occupée de lui, qui l’avait prise dans ses bras lorsqu’il était au désespoir. Grâce à elle, l’ancien flic avait repris du poil de la bête et retrouvé un semblant d’allure et de classe. Tout ces efforts se solderaient donc par un échec ? Marcia en avait bien peur et, hélas, sentait le refus d’Adrian irréversible et éternel. Il n’était pas encore fou et tout n’était pas encore perdu pour lui. C’était ce qu’elle avait tenté de lui faire comprendre, par tout les moyens. Mais toujours, ce même visage froid lui répondait. Chase restait muet.
Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir mis du sien pour faire flancher cette tête de mule. Ils avaient tout deux partagé, pendant de longues nuits, des conversations pleines de sens et de franchise. En effet, la jeune femme s’était livrée à son invité comme jamais elle ne l’avait fais pour aucun autre homme. Elle lui avait confié ses problèmes, ses aspirations, son manque de foi et quelques uns de ses secrets les plus intimes. Bien sûr, Adrian s’était vu dans l’obligation naturelle de parler de sa propre vie, même si les souvenirs étaient douloureux à évoquer. Ainsi, elle avait appris qu’il avait été marié et était père de deux enfants, un fils et une fille. L’aîné s’appelé Adam. Un garçon plein de vigueur et épris de liberté qui ressemblait franchement à son père. La cadette était Drew, son « petit ange » comme Chase la surnommait. La petite famille avait fini par voler en éclat, dévorée par la vie professionnelle d’Adrian. Doris était parti avec les enfants, abandonnant son mari à ses démons : la bouteille et son boulot. L’ancien flic avait également évoqué les relations qui le liait avec son ex-coéquipière, l’inspecteur Trayce. Cette dernière était profondément encrée dans son cœur à en croire la passion avec laquelle il l’évoquait. Mais les révélations s’arrêtaient là. Il refusait de parler de ses parents, de son enfance et de ce qui se cachait derrière ses obsessions et ses souffrances. Et puis Adrian avait adopté un pessimisme et un pragmatisme qui brisait par sa froideur le lien entre Marcia et lui. Au grand dam de la journaliste.
Elle avait vraiment l’impression d’être la seule à s’investire. Lorsqu’elle faisait un pas vers Chase, celui-ci reculait de deux. C’était un automatisme défensif des plus effrayant. Même si Marcia comprenait parfaitement ses positions, la situation ne pouvait plus dure. Elle en avait assez fais pour solliciter une aide qui, de toute façon, s’avérerait un échec. Cette stupide relation qu’elle avait tenté d’établir avec lui demeurait toujours aussi stérile que le premier échange qu’ils avaient eu. Bien sûr, ils s’étaient liés d’une certaine amitié. D’ailleurs, Marcia n’avait jamais éprouvé autant de sentiments contradictoires envers quelqu’un. Mais son objectif n’avait jamais été servi. Et même si Marcia avait secouru Adrian plus par compassion que par soucis professionnel, ce dernier détail primait sur le reste. Son éditeur l’avait payé pour qu’elle résolve les sept meurtres du Jack l’éventreur local. Et même si, apparemment, un suspect avait été arrêté, son instinct lui criait de poursuivre ses investigations. Et son éditeur aussi. Les ficelles étaient trop grosses et le lieutenant Harry Stein, une marionnette bien peu crédible, pour tromper les citoyens de San Francisco. Et bien que les gros journaux aient approuvé l’arrestation du policier, c’était tout le contraire pour le Titans News. Le canard criait haut et fort à la manipulation de masse, même si peu de gens voulaient bien le croire. Tout le monde attendait des preuves pour contrer les analyses d’experts scientifiques hautement diplômés. Des preuves irréfutables. Si seulement Marcia les avait. Alors, tout deviendrait beaucoup plus simple, et avec son journal, et avec Adrian. Si bien sûr, il ne s’obstinait pas à garder le silence.
« Je ne dois rien attendre de vous, c’est ça ? »
Adrian approuva silencieusement. Marcia sentit alors son sang gallois bouillonner dans ses veines. Elle sera les poings et les dents pour se calmer, mais rien n’y fit. Elle explosa.
« Je vous ai aidé, bon Dieu ! Vous connaissez la signification du mot « reconnaissance », Adrian ?
- Vous ne me sauverez pas.
- Mais qu’est-ce que vous croyez, au juste ? Que vous êtes le seul à souffrir dans ce monde ? Que vous êtes un cas unique de désespoir ? Des millions de gens souffrent. Certains décident de tout arrêter, de s’enfermer dans leur bulle à jamais, en attendant la mort. Mais d’autres décident de vivre avec leur souffrance. Quel est le choix le plus courageux ? Celui de s’autodétruire en ne pensant qu’à soit-même, en oubliant les proches et les amis ? Avez-vous passé un seul coup de fil à votre ex-femme pour l’informer de ce qui vous arrive ?
- Elle ne comprendrait pas !
- Et qu’est-ce que vous en savez ? Vous n’essayez jamais de vous battre. Vous êtes un lâche. »
Adrian se leva d’un bond et saisit les poignets de Marcia. Ses yeux lui lançaient des éclairs. Comment cette petite opportuniste osait-elle lui dicter sa conduite ? Elle se prenait pour Trayce ou quoi ? Toujours à dire ce qui était bien ou pas pour lui. Elle ignorait l’envers de ses problèmes, et notamment avec Doris. Elle ignorait ce qu’il lui avait fais ! Bon sang, il avait levé la main sur elle alors qu’il sombrait dans l’alcool. Il l’avait battu. Comment pourrait-il lui imposer son propre sort alors qu’il était le seul fautif de leur divorce ? Jamais plus il ne pourrait la regarder en face. Alors, oui, il était un lâche. Mais ce n’était pas de gaieté de cœur qu’il avait fais le choix de l’autarcie. Il ne voulait plus entraîner d’autres personnes dans sa chute. Non, personne d’autres. Trop de gens avaient souffert à cause de lui. Lui, le type qui avait abattu un gosse de sang-froid. Lui, le salaud qui cognait son épouse parce qu’il avait perdu tout contrôle sur lui-même et ses démons. Lui, l’homme au bord du gouffre qui s’obstinait à refuser toute main tendue.
« Qu’est-ce que vous allez faire, Adrian ? Me cogner ? »
A ces mots, l’ancien policier lâcha Marcia et recula en chancelant.
« Je… non, je… »
Des larmes obscurcissaient le regard fier de Marcia. C’était la première fois qu’Adrian la voyait pleurer. Et son affliction n’était pas feinte.
« Vous croyez que vous êtes le seul à avoir fais des erreurs dans votre vie ? »
Elle s’approcha. Les cheveux défaits, les yeux humides et les muscles crispés, elle était d’une surprenante authenticité. Elle avait envoyé au diable les artifices. Elle brûlait de vérité. De la vérité qu’elle souhaitait révéler sur elle-même. Sur son passé. Son plus lourd secret.
« Il y a trois ans, j’ai… j’ai renversé un homme. C’était la nuit, j’étais au téléphone. Je traversais une forêt quelque part dans le Nebraska et c’est à ce moment que j’ai heurté… quelque chose. L’impact sur mon pare-brise était important mais j’ai tout d’abord crû qu’il s’agissait d’un animal. Je suis sorti et c’est… c’est là que j’ai vu cet homme…allongé sur la route, le corps… le… le corps disloqué… »
Elle ne put poursuivre plus loin. Elle s’effondra dans les bras d’un Adrian Chase muet de stupeur. Son rimmel coulait sur ses joues. Elle était belle dans la violence de sa tristesse. Si belle. Pris d’une pulsion extraordinaire, Adrian l’embrassa. Elle se dégagea, le regard courroucé, puis sa main atterrit sur la joue droite de l’ancien policier. Avant qu’il n’ai pût dire ou faire quoique ce soit, elle se jeta sur lui et lui rendit un baiser passionné où se mêlait à la colère et aux larmes, un irrésistible désir. La nuit fut le témoin d’un amour empressé, comme un dernier élan de vigueur avant la mort et le néant.
*
« Où est le Vigilante, baveux ?
- Ce que mon ami veut vous signifier par une trivialité quelque peu excessive est la chose suivante : où pourrions-nous trouvé un individu déguisé, ou costumé, appelé plus communément par la populace, lobotomisée soit-dit en passant par une chaîne de soumission à la société économico-totalitariste qui nous englobe, mais je m’égare, justicier, répondant au pseudonyme assez explicite pour qualifier son action et une idéologie légèrement rétrograde, de Vigilante. »
Bobby cligna plusieurs fois des yeux pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Devant lui se trouvait une sorte de colosse vêtu d’un jean sale et d’un pull souillé par des tâches noirâtres. De ses énormes mains, il lui avait attrapé le col et le serrait contre un mur. A côté de lui, un homme en T-shirt et en penta-court souriait aimablement.
« Euh… Je sais pas ? »
Les deux individus se regardèrent avant de se tourner vers un Bobby au visage décomposé.
« Mauvaise réponse. »
Le géant lui aplatit le nez de son poing. Le choc fut d’une violence rare et Bobby sentit son cerveau se retourner une bonne trentaine de fois sous sa boîte crânienne. Alors qu’il sirotait tranquillement une bière à une table, il avait vu surgir ce duo vaguement comique, terriblement terrifiant, qui s’était immédiatement rué vers lui. Il avait bondis comme un chamois jusqu’à la porte de derrière mais à peine avait-il fais un pas qu’il s’était vu propulser dans les airs et avait heurté le sol. Le barman, un écossais à moustache, s’était immédiatement saisi de sa carabine mais l’homme au penta-court l’avait allongé d’un coup de revolver. Le bar s’était alors vidé en un instant. S’ensuivit un interrogatoire musclé qui ne portait pas vraiment ses fruits.
« Robert. Je veux vous exposer une situation qui vous concerne au plus haut point puisqu’il s’agit de la votre. Actuellement et comme vous pouvez le constater sans peine, nous entretenons là une conversation fort courtoise et civilisée, dont l’intitulé est la recherche du personnage urbain nommé le Vigilante, puisque nous ne possédons, hélas, que ce peu d’informations à son sujet, son état civil ne nous ayant pas été indiqué. C’est pour cette même raison que nous interrogeons votre mémoire pour y déceler le moindre indice qui nous indiquerait un lieu, une date, et pourquoi pas une identité, dans le but plus qu’honorable d’éclairer notre lanterne dans le brouillard qui nous entoure.
- Mais, puisque je vous dis que je ne sais rien ! Je vous promets ! »
Le colosse soupira bruyamment, excédé, prêt à frapper. L’autre l’arrêta alors qu’il levait une main menaçante.
« Nous savons que vous êtes un indicateur des rues pour le Vigilante. La solution qui vous éviterait un trépas quelque peu prématuré serait de nous livrer votre patron, en nous fournissant certains détails qui trahirait sa civilité ou une quelconque adresse où nous pourrions le trouver. Vous comprenez que votre coopération nous sera franchement utile ?
- Je l’ai vu qu’une fois ce type ! Il me demande quelques renseignements sur la pègre et tout ça, et puis il part sans laisser de traces. J’ai jamais vu son visage !
- Où le rencontrez-vous ? Un toit d’immeuble ? Une usine désaffectée ? La cave d’une boîte gay peut-être ?
- Non, c’est… au cimetière.
- Joyeusement ingénieux, notre homme. Bien. En vous remerciant de votre bien aimable coopération, monsieur. »
Paul fit un nouveau sourire, tapota sur l’épaule de l’indic, puis lui logea une balle dans la tête. Puis il sortit une pilule rouge et la goba.
« Comment tu peux prendre ces machins, Gizmo ?
- Ce ne sont que des stimulants neuronales, mon cher Baran.
- Ca te détruit le cerveau aussi sûrement qu’une bombe A. Tu devrais savoir ça, toi qui connais tout sur tout.
- Je n’apprécie pas ton humour agressivement stupide ! C’est pesant ! »
Paul fit de grands gestes et entama un pas de danse.
« Whaou ! J’adore ce truc ! C’est à te flanquer une forme olympique ! Je suis prêt à déflorer une bonne trentaine de pucelles fraîches comme des boutons de rose. »
Paul eut un nouveau sourire et Baran soupira. Ils avaient encore du travail et les délires du junkie n’étaient pas la priorité sur la liste de Leonid Kovar. Il fallait retrouver le Vigilante et l’anéantir.
*
Le vigilante sauta du haut de son perchoir et atterrit dix mètres, plus bas, non sans mal. La ruelle était pouasseuse et le sol humide. Un endroit peu réjouissant, même pour une rencontre nocturne. Saisissant son revolver, le justicier suivit le chemin en longeant les murs défoncés, jusqu’à un cul de sac où régnait une forte odeur de pourriture. Comment des gens pouvaient-ils vivre ici ? C’était inhumain et déshonorant. Mais les gens qu’il venait voir étaient, il est vrai, un peu spéciaux. Et ils faisaient parti intégrante du plan, donc des alliés qu’on ne pouvait se permettre de négliger, ou pire, de s’en faire des ennemis. Même si il répugnait à traiter avec des mutants sans plus aucune socialisation et à peine humains, le Vigilante était sous la contrainte, et du temps, et des hommes qui voulaient l’abattre. Si il pouvait compter sur Victor Stone, l’ancien Titan, il n’en restait pas moins seul et dangereusement vulnérable. Et il savait que l’heure de l’affrontement approchait et que les rangs de ses partisans devaient se garnir au plus vite.
Un bruit dans l’ombre attira son attention. Se mettant en position de combat, il était prêt à faire feu si ce qui apparaîtrait à la lumière de la lune semblait belliqueux. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir une adolescente d’à peine douze ans, les cheveux roux et en guenilles. Ses yeux verts le scrutèrent pendant quelques secondes puis elle s’approcha. Bon sang, elle avait presque l’air d’une adulte dans son attitude. La pauvre gosse.
« Vous êtes le Vigilante.
- Oui. »
La petite hocha la tête d’un air entendu.
« Vous avez ce que je veux ?
- Oui. »
Le vigilante lui fournit un petit paquet marron dans lequel se trouvait pas moins de deux-mille dollars. Toute guerre avait son prix. Sans doute s’en servirait-elle pour acheter sa dope quotidienne mais le justicier ne voulait pas le savoir. Ca ne le regardait pas et y penser l’empêcherait de dormir.
« Comment tu t’appelles ? »
La question sembla la désappointer quelque peu. Puis elle murmura dans un souffle :
« Kole. Kole Weathers.
- Et où se trouve ton… ami ?
- Derrière vous. »
Le Vigilante se retourna pour découvrir un clochard encapuchonné, l’air sale mais puissant comme un taureau. Ces deux mutants allaient sans aucun doute l’aider mieux qu’il ne l’espérait dans son combat contre le crime.