Histoire : Cable
Date de parution : Mai 2005
Froid.
Tout est froid autour de lui, il ne sent plus que ça… le froid.
Ses yeux ne veulent pas s’ouvrir, et le peu qu’il puisse soulever ses paupières ce n’est que pour passer du noir au blanc.
Blanc.
Oui, tout est blanc autour de lui… et ce froid qui lui brûle la peau… Son esprit lutte pour sortir du brouillard dans lequel il est plongé depuis…
Seattle ?
… il ne sait pas depuis combien de temps, il ne se rappelle pas grand-chose à vrai dire. Seule cette impression de déjà vécu… ce froid, ce blanc… l’Alaska ! Non ! Ce n’est pas possible ! Il n’est pas retourné là-bas, ils ne l’ont pas eu… c’est impossible !
Il lutte à nouveau pour ouvrir ses yeux, tout en tentant quelques manœuvres pour se relever. En réponse, une douleur étreint immédiatement sa tête et la majeure partie gauche de son corps. Tout se brouille à nouveau.
Il lui semble ouvrir la bouche pour tenter un appel à l’aide… mais aucun son ne s’échappe de sa gorge… seul son esprit crie…
Ailleurs.
La naissance est un traumatisme pour l’être humain, aussi bien physique que psychologique. C’est d’abord une extraction douloureuse d’un endroit sécurisant et réconfortant, puis c’est le choc de la découverte d’un nouveau monde.
La mort est une angoisse pratiquement permanente dans la vie des hommes. Son arrivée est parfois une libération… un soulagement.
La renaissance est atroce ! Nathaniel Essex en fait la désagréable expérience. Loin de toutes ses croyances, son esprit a d’abord stagné des jours et des jours dans une espèce de confinement ténébreux, un sommeil éveillé au bord du néant. Puis il a ressentit de nouveau cette aspiration qui l’a ôté de son corps… il a goutté de nouveau à l’agréable sensation « d’être », jointe rapidement par la douleur d’avoir retrouvé un corps… un corps qui ne semble pas être naturel, un corps qui se fait modeler et remodeler sans cesse. A chaque transformation la souffrance s’intensifie, lui faisant regretter son habitacle post-mortem.
Son esprit scientifique ne comprend pas ce qui lui arrive, il ne comprend pas pourquoi il n’est pas dans le coma tout en n’ayant absolument aucune conscience de son environnement.
De quel fou, plus encore que lui, est-il le cobaye d’expériences sadiques ?
Est-ce que tout cela prendra fin un jour ?
Essex se perd entre ses réflexions et la torture qu’on lui inflige quand une lumière vient brûler tout cela. Il ne la voit pas avec ses yeux mais dans sa tête. Une forme se dessine au cœur du halo… un losange fort étiré sur la hauteur… Il se rapproche et grossit, tout en rougeoyant jusqu’à prendre l’éclat du rubis. Bientôt, l’esprit d’Essex est totalement submergé. Il pousse un cri de désespoir rapidement étouffé dans le cristal sanglant.
Nathan remonte à la surface de sa conscience. Quelque chose l’a tiré de sa torpeur. Il lui a semblé entendre quelqu’un crier… mais ce fût tellement bref et lointain… et ce froid, de plus en plus mordant… il perd espoir de s’en sortir cette fois…
La neige vient de crisser. Elle crisse encore… des pas… quelqu’un s’approche précipitamment de lui. Son appel à l’aide aurait-il été entendu ? Il essaye d’ouvrir les yeux quand il sent un visage au-dessus du sien. La blanche luminosité des lieux envahit à nouveau sa vision puis, peu à peu, il commence à distinguer une vague silhouette. Il voit des yeux verts rempli d’inquiétude, il entend vaguement une voix réconfortante. Il se sait sauvé mais replonge aussitôt dans l’inconscience…
Le crépitement et la chaleur d’un feu rallument son esprit. Son corps est encore douloureux mais sa tête ne résonne plus de son dernier combat. Combat !? Oui, il se souvient maintenant, les hommes en noirs qui ne sont pas humains… des Sentinelles d’après ce qu’il a pu trouver dans leur esprit de machine. Elles étaient venues le chercher pour le ramener au Docteur Hodge, en Alaska… Les souvenirs affluent de plus en plus vite, le tirant progressivement de sa torpeur. Son angoisse revient elle aussi. Où est-il ? Il s’est réveillé dans la neige tout à l’heure… Ses yeux s’ouvrent enfin, cherchant une réponse sur les murs qui l’ont accueilli.
Sa vision se remet petit à petit, le laissant d’abord dans un flou qui s’estompe progressivement pour laisser place à une imposante cheminée en pierres blanches, surmonté d’un massif chambranle en bois. Dans le foyer, un grand feu alimenté par trois grosses bûches. Son regard se balade ensuite vers une autre source de lumière… une grande baie vitrée entourée de murs en rondins de bois… il a déjà vu ça dans des pubs au café où il bossait… ça ressemble aux chalets pour friqués dans les stations au-dessus de Seattle. Il n’est donc pas dans le Yukon, mais où alors ? Ou plutôt, chez qui ?
Il essaye d’explorer les lieux avec sa télépathie mais à la première tentative il sent une envie de vomir monter en lui… il n’est pas en très grande forme, le combat a du être terrible ! Il ne se souvient pas encore de tout.
Un bruit de verre cassé retentit quelque part dans la maison, puis une voix… une voix de femme : « Meeeeeeerde ! Je vais me faire assassiner par Angela ! » Qui est-ce ? Et pourquoi se ferait-elle assassiner par cette… Angela ? Il veut savoir. Nathan essaye de se lever mais il ne réussit qu’à se renverser du sofa sur lequel il était allongé et à s’écraser le nez sur un épais tapis. « Ouch ! Bien joué… » La migraine rapplique au galop.
Attirée par le bruit, l’hôtesse de Nathan se pointe dans la pièce au pas de charge. « Non, non, non, il ne faut pas bouger ! T’es dans un fichu état et c’est pas le moment de retourner sur les pistes ! » Elle essaye de prendre un ton autoritaire et fâché mais Nathan devine sa sollicitude, ainsi que son amusement. Il ne comprend pas trop pourquoi jusqu’à ce qu’il réalise qu’il ne portait rien d’autre qu’une couverture sur lui.
« Vous… vous m’avez…
- …Trouvé dans la neige et je t’ai déshabillé, oui ! Je me suis aussi rincé l’œil… t’inquiète pas, je rigole, je fais des études de médecine et les mecs à poils je commence à être blasée… même si toi, t’as un beau p’tit cul ! »
Nathan est un peu perturbé par la tornade qui vient de le relever… cette jeune fille est perturbante ! Il ne sait comment réagir ni que dire…
« Au fait, Nate… je peux t’appeler Nate ? Nathan c’était mon grand-père, c’est un peu ringard, non ? enfin bref, je me présente… Madelyne, Madelyne Prior, mais tous mes amis m’appelle Maddie, c’est plus cool et j’ai moins l’impression de passer pour ma mère !
- Vous… vous connaissez mon prénom ?
- Oui, j’ai une boule de cristal dans ma cave avec mon chat noir et quelques ossements humains… Non, nigaud, j’ai fouillé dans ton porte-monnaie quand j’ai mis tes vêtements au sèche-linge. Bon, j’aurai peut-être dû faire la fouille avant de les mettre dans la machine à laver mais d’habitude c’est Angela qui s’occupe de tout ça…
- Pourquoi… pourquoi veut-elle vous tuer ?
- Hein ?! Oh… (elle part d’un bruyant fou rire) Non, Angela ne va pas me tuer… au pire j’aurai le droit à un bon sermon… j’ai cassé un des bols dans la cuisine, j’étais en train de te faire un bon chocolat chaud qui a terminé sa course sur le carrelage… Puis, arrête avec tes vous, j’ai le même âge que toi !
- Ok, je… euh… merci…
- Tu me remercieras plus tard, en attendant tu vas boire ce chocolat version 2 et tu vas te reposer… on reparlera de ton arrivée ici un peu plus tard. »
Nate ne pouvait pas s’empêcher de dévisager la jeune fille. Elle était pratiquement aussi grande que lui, joliment sculptée sous son pull à col roulé et son fuseau noir. De longs cheveux roux, bouclés, tombaient de chaque côté de son lumineux visage, orné de ces grands yeux verts qui l’avaient secouru dans la neige… un petit nez descendait jusqu’à une large mais fine bouche sur laquelle un sourire taquin semblait continuellement dessiné. Il ne sait pas ce que c’est l’amour, il ne l’a jamais éprouvé jusqu’à maintenant… aussi, Nate n’arrive pas à expliquer ce que… Maddie provoque en lui.
« Aller, cow-boy, au lit maintenant, on discutera demain. » Elle dépose un tendre baisé sur la joue de Nate qui sent son corps tout entier s’enflammer. Ce n’est pourtant pas le feu de la cheminée qui provoque cela, mais simplement son baiser… une autre partie de son corps réagit elle aussi à ce brasier, déformant la couverture d’une manière bizarre mais amusant beaucoup Maddie. « Pas vraiment gentleman tout ça ! » Et elle quitte la pièce en éclatant de rire. Nate ne sait quoi penser… à vrai dire, il se sent un peu honteux mais bizarrement heureux en même temps. Il aurait bien besoin de sa télépathie pour sonder les connaissances de Maddie, mais sa dernière tentative le dissuade de vouloir essayer à nouveau pour le moment. Se blottissant sous la couverture, il repense aux derniers jours de sa vie pour essayer de recoller les morceaux… puis sombre enfin dans un apaisant sommeil.
Threnody se souvient de l’amour que lui ont donné ses parents. Il était inconditionnel et sans limite… elle était heureuse à ce moment là. Puis son pouvoir est apparu… ses parents ne lui montraient plus qu’un visage effrayé, et leur peur ne faisait qu’empirer les choses pour elle. Mais, bien sûr, ils ne le savaient pas, Threnody non plus. Elle reste persuadé que c’est par amour pour elle qu’il l’ont mise dans cet asile… pour l’aider. Chaque semaine, ils venaient passer du temps avec elle dans la salle commune. Sa mère lui apportait des cookies et lui caressait les cheveux, comme quand elle était petite… et « normale ». Son père la prenait dans ses bras pour lui faire un câlin et l’embrassait sur le front. Ils semblaient l’aimer à nouveau… comme avant… jusqu’à ce qu’Il arrive et qu’Il lui affirme le contraire. Il lui a expliqué qu’elle était une mutante et que pour ça tout le monde la craignait et la détestait, ses parents les premiers. Elle ne voulait pas le croire. Quand Il l’a sorti de l’asile, elle s’est rendu chez elle pour montrer à ses parents que son problème était réglé. Elle n’était pas préparée à leurs regards quand ils ont ouvert la porte… un regard de terreur, une peur si profonde et si puissante que même ses implants ne l’ont pas stoppé. Sa tête a commencé à se remplir de leur peur puis elle a senti bouillir en elle l’énergie qu’elle en tirait. Son père s’est alors retourné pour se saisir du téléphone et appeler l’asile. Threnody a voulu lui dire qu’elle allait mieux et de ne pas les appeler… au lieu de ça, un puissant cri s’est échappé de sa gorge, libérant une formidable décharge tk qui rasa toute la maison, tuant ses parents sur le coup.
Résignée, se sentant coupable, elle n’a eu d’autres choix que de suivre son Maître et de lui obéir. Au fond d’elle, elle garde l’espoir de se libérer de Lui et de ses pêchés… elle espère trouver un jour le pardon… elle espère que Nathan lui procurera ce pardon.
Threnody se recroqueville sur le lit de sa petite chambre de motel. Dehors, la nuit tombe sur Seattle, tachée des multiples néons qui inondent la ville de leur froide lumière multicolore.
Au même moment, dans un endroit hors du monde, un nouvel être s’éveil à la vie. Son environnement lui est totalement étranger… il ne sait pas où il est. Il ne reconnaît pas ces mains blanches qu’il passe devant ses yeux… il ne reconnaît pas ce corps qu'il voit dans le miroir. Il se rappelle vaguement avoir été Nathaniel Essex, mais il ne se souvient pas de son ancienne vie. En revanche, ses connaissances, son savoir scientifique parait démultiplié… des centaines de questions qui lui étaient restées obscures jusqu’à présent lui apparaissent claires comme de l’eau de source… il sait tout ! Du moins, il se plait à le croire.
« Alors, comment te sens-tu, mon prélat ? » La voix, sombre et tonnante, s’était élevée d’un peu partout à la fois, toutefois, celui a qui elle appartenait se tenait derrière lui. Essex, en se retournant, voulait lui demander ce qu’il lui avait fait, mais la vue de son « recréateur » le laissa sans voix.
« Où est passé ton éloquence, Sinistre ? Je t’ai fais parfait, tu n’as pas à être impressionné par moi, mais seulement me craindre !
- Je vous dois donc tout, Maître !
- Continue d’exploiter ton génie machiavélique pour moi et tu seras libre de tes actes.
- Merci Maître. »
Sinistre sourit, il pourra continuer ses expériences… il fera plus même, grâce à ses nouveaux « dons ». Seul une chose le dérange : il est devenu un de ces monstres qu’il voulait détruire. Et bien soit, monstre il est, monstre il sera. Son œuvre laissera une marque indélébile dans l’humanité toute entière !