Urban Comics
  Eots #4
 

Histoire : Ben Wawe
Date de parution : Septembre 2005


Les minutes passaient. Longues. Fatigantes. Ennuyantes. Comme pour chaque adolescent qui était en cours dans la salle 37 de l’établissement privé de Washington, le cours d’histoire était une torture. Une torture qui allait bientôt, heureusement, prendre fin. Dans quinze minutes. Une éternité pour tout le monde. Une éternité pleine de questions et de doutes pour Chris, ce qui était encore pire.

C’était pendant les cours que c’était le pire. Autant, quand il était dehors, quand il avait quelque chose à faire, quelque chose pour occuper son cerveau, là ça allait et parfois il pouvait oublier toutes les questions qu’il se posait sur son héros, Eots. Mais là, en cours, alors qu’il n’arrivait pas à suivre des explications assommantes sur l’histoire du terrorisme, le jeune homme ne pouvait s’empêcher de se poser des questions. De douter. De se demander si Olsen n’avait pas eu raison. De se demander si Eots n’était pas un des plus grands menteurs de la Terre. De se demander si la seule chose stable et qui donnait confiance dans sa vie n’était en fait qu’un vaste mensonge, un gros écran de fumée pour cacher l’horrible.

Est-ce que Olsen lui avait dit la vérité ? Non, sûrement pas s’était dit Chris en sortant de son bureau. Le journaliste lui avait raconté des mensonges pour lui casser le moral et pour qu’il parte, pouvant ainsi être seul dans son bureau, sans un gamin dans les pattes…c’était logique que ce soit cela. C’était cela. Du moins, c’est ce que l’adolescent avait essayé de se convaincre de penser.
Mais il avait de plus en plus de mal à se faire à cette idée. D’affreux doutes l’assaillaient maintenant.

Olsen avait plus ou moins fait comprendre que Eots était devenu trop populaire pour les dirigeants de la ville et ceux qui étaient puissants. Ils avaient donc décidés qu’il devait tomber en disgrâce et avait chargés quelques journalistes de le traîner dans la boue. Et son père avait dû être là lors de cette décision. Chris s’était alors demandé si son père avait dit oui ou non à cette proposition, et comment il réagirait lorsqu’il apprendrait la vérité. Mais à ces doutes, d’autres apparurent. Pire que les précédents.

Et si Eots était trop pur ? Trop courageux ? Trop noble ? Après tout, on n’avait jamais rien entendu de mal sur lui, aucune sale affaire, aucun excès de sang ou de rage, aucun passé douteux…c’était impossible qu’un homme soit si bon ou si bien avec tout le monde. Surtout dans la société actuelle. Alors qu’avant Chris se demandait si son père était un homme bien ou mauvais, cela résultait de sa décision sur Eots, le jeune homme se demandait maintenant si son idole était vraiment quelqu’un de si bien, ou si toute cette bonté n’était pas suspecte…d’affreuses questions martelaient ainsi son esprit tandis qu’il dessinait de vagues monstres sur sa copie.

Soudain, la cloche sonna la libération des élèves et la fin du calvaire du professeur qui en avait aussi assez de rabâcher continuellement la même chose à des jeunes désintéressés. Chris se leva et bailla avant de ranger ses affaires et de sortir de la salle après fait un petit signe au professeur. Il passa ensuite dans les longs et stéréotypés couloirs de son lycée avant de sortir du bâtiment et de s’asseoir sur les marches qui menaient à l’entrée. Là, il soupira et ferma les yeux avant de se relaxer un peu en faisant le vide dans sa tête.

L’adolescent faisait souvent cela quand il était seul et qu’il voulait se déstresser ou tenter de se calmer dans des moments difficiles. Il avait passé des jours entiers à faire ça après la mort de sa mère, et ça l’avait en partie aidé à passer cette étape difficile. Mais maintenant, alors qu’il avait le plus besoin de cette sensation de douceur et de calme qui venait lorsque cette technique fonctionnait, rien n’arrivait.

Le jeune homme soupira. Il avait trop de questions, trop de doutes…pourquoi ? Pourquoi alors qu’il commençait à retrouver espoir et confiance, on lui enlevait soudainement la raison de ces changements ? Pourquoi pensait-on qu’Eots était trop populaire ? Pourquoi avait-il soudainement ces affreux doutes sur son héros ? Bien sûr, il aurait été facile de rejeter la faute sur Olsen et de tout oublier sur ce qu’il avait dit, mais le jeune homme ne fonctionnait pas ainsi…les mots et les sous-entendus du journaliste résonnaient en sa tête un terrible écho qui ne s’arrêtait jamais…l’adolescent n’en dormait plus la nuit tant le fait que ses questions restent sans réponses l’énervait et l’angoissait…

Et si Eots n’était pas un héros ? Et si il n’était qu’un imposteur ? Qu’un menteur ? Mais alors pourquoi faisait-il toutes ses choses ?
Pour l’argent ? Il refusait tous les cadeaux qu’on voulait lui faire.
Pour les femmes ? Il se disait fidèle et marié.
Pour la gloire ? Peut-être, mais il n’en profitait pas.

Chris ne comprenait pas pourquoi Eots mentirait. C’était illogique. A moins qu’il n’ait quelque plan pour contrôler la planète. A moins qu’il ne veuille prendre la confiance des gens pour les poignarder dans le dos alors qu’ils ne s’y attendent pas. A moins qu’il ne veuille être reconnu pour user de son pouvoir à des fins personnels. Mais c’était de la science fiction. Des trucs qu’on trouvait dans les vieux comics. Des l’imagination débridée d’un gosse. Cela ne pouvait être que cela…non ?
L’adolescent se dit alors qu’il ne voulait pas connaître la réponse, et cela le fit frémir…






Autre part. dans un bureau sombre et froid où ne régnait ni joie ni douceur, juste de l’austérité et une ambiance étrange et fascinante par son côté violent. Il n’y avait presque pas de meubles. Juste un bureau simple, deux chaises devant celui-ci. Une lumière au plafond. Un ordinateur. Et un fauteuil en cuir confortable, seule chose agréable qui tranchait avec le côté spartiate de l’endroit. Le bureau de Simon Stown n’était pas fait pour les réceptions en grande classe, apparemment.

Le propriétaire de l’immeuble était assit à son bureau, dans la nuit comme toujours. Il n’ouvrait jamais les rideaux et préférait réfléchir seul, dans l’obscurité. Ses différents employés le pensaient un peu fou, mais ils n’osaient pas en dire plus : des espions étaient placés dans le personnel et n’attendaient que quelques mots de trop pour faire licencier des personnes qui n’avaient rien d’autre à se reprocher que d’avoir dis ce qu’ils pensaient. La liberté d’expression était un droit fondamental aux Etats-Unis. Mais Stown Entreprises était une multinationale. C’était toute la différence.

Stown soupira tandis qu’il faisait bouger son stylo de grande marque dans ses mains. Un vieux réflexe qu’il avait hérité de l’enfance. Une vieille manie d’angoissé et de petit garçon mal dans sa peau. Une des dernières choses qui le rendaient encore humain, pensa-t-il en un sourire triste. Bien sûr, en apparence, il était toujours un être normal. Mais au fond de lui, il n’était plus que froideur et souffrance. Et cela, c’était depuis la mort de sa femme. De sa très chère femme.

Elle était morte dix ans auparavant d’une maladie rare. Malgré tout son argent, malgré tous les pouvoirs qu’il disposait, Stown n’avait rien pu faire pour la sauver. Elle était morte dans ses bras à l’hôpital. De ses mains, d’ailleurs. Il lui avait donné quelque chose pour abréger ses souffrances. Un dernier acte d’amour demander par celle qu’il aimait à celui qu’elle aimait. Ce jour-là, alors que le poison entrait doucement en Madame Stown et commençait à faire quitter la vie de son corps magnifique, le cœur et l’âme de Monsieur Stown mouraient aussi. Et quand, enfin, elle quitta le monde terrestre un sourire aux lèvres, il mourut aussi lui aussi. Pas physiquement. Mais au fond de lui, il était mort. A jamais.

Depuis, il ne vivait plus que comme un zombie, ne trouvant plus de bonheur et de réconfort autre part que dans un travail acharné et total où, parfois en de trop rares instants, il oubliait la douleur incommensurable qui s’emparait de son âme à chaque fois qu’il pensait à sa femme…bien sûr, il savait qu’il avait un fils et qu’il devrait s’en occuper, qu’il aurait dû prendre soin de lui…mais…mais il n’en avait pas trouvé la force. Il ressemblait tant à sa mère…c’était une torture que de le voir ou de lui parler…

Mais depuis quelques temps, Stown faisait des efforts. Il tentait de se rapprocher de son fils, de détruire la barrière presque infranchissable qui le séparait de Chris. Malheureusement, il s’y était prit trop tard. Malheureusement, l’adolescent avait trouvé une autre idole que son père : Eots. Eots le grand. Eots l’invincible. Eots le héros. Que pouvait un père absent contre une telle gloire ? Rien, rien du tout…

Pour la première fois depuis des années, Stown n’avait pas ce qu’il désirait et il était contrarié par sa création, Eots. Car oui, il avait créé Eots. Pas tout seul, bien sûr. Il avait créé le concept du super héros populaire qui occuperait les medias et les gens suffisamment longtemps pour que lui et ses collègues magnats des entreprises, politiques et autres puissent faire ce qu’ils désiraient en coulisse sans trop s’inquiéter des journalistes ou de la police, que de toutes façons ils payaient. L’idée avait été géniale, et tout s’était très bien passé jusqu’à ce qu’il découvre que son fils, sa chaire et son sang, lui préférait une marionnette dont il tirait les ficelles. Cela, il avait beaucoup de mal à l’accepter…

Craaack.
Le stylo venait de casser sous la pression de ses doigts. Stown se surprit de voir qu’il n’avait pas réussit à contrôler sa force. Cela ne lui était plus arrivé depuis des années…c’était très étrange, pensa-t-il tandis qu’il sortait un mouchoir pour essayer l’encre qui lui tâchait les mains. Etait-ce dû au stress ? Ou tout simplement au fait qu’il était jaloux d’Eots ?
Etrange sensation, pensa le chef d’entreprise, que d’émettre de la rancœur et de l’envie pour quelque chose qui n’existait pas vraiment, et qui était en fait un peu lui…






Le soir même. Chris dînait seul avec Erwin, le majordome et serviteur des Stown. Bien sûr, son père n’était pas là. Appelé pour une urgence à son bureau. Comme toujours. Le jeune homme ne s’en étonnait même plus. Soudain, alors qu’il allait finir son dessert, il entendit une gigantesque explosion qui fit presque vaciller la maison. Et une autre. Et encore une autre. L’on aurait dit des bruits de…guerre. Oui, exactement cela. L’adolescent se serait cru dans une guerre.

De suite, le jeune homme se leva pour aller à la fenêtre et voir ce qu’il se passait, mais il n’y avait rien d’inhabituel dans la rue et le quartier. Cela devait se passer en pleine ville, à l’intérieur de Washington. Une attaque terroriste ? Un accident ? Une attaque de super vilains contre Eots ? Chacune de ses hypothèses faisaient peur à Chris, qui étrangement n’avait pas peur que pour sa vie, mais aussi pour celle de son père…

Erwin arriva et ne dit rien, mais mit de suite la télévision. Comme si il se doutait de quelque chose. Comme si il savait quelque chose. Bien sûr, le flegme anglais du majordome avait déjà impressionné plusieurs fois Chris, mais il aurait pensé que le serviteur aurait quelque peu stressé avec ce qu’il se passait. Il n’en était rien. Les explosions se multipliaient, mais Erwin restait calme et s’informa alors de la situation, faisant ainsi profiter son jeune maître par la même occasion des informations délivrée par une jeune femme blonde dont l’angoisse et la peur étaient visibles.

« …interrompons notre programme pour vous faire part d’un flash spécial. De violentes explosions secouent le cimetière de Washington et les autorités de la ville demandent l’intervention de l’armée dans les plus brefs délais. Le Président a déjà été évacué et les quartiers environnants l’endroit ciblé par les attaques sont en passe de l’être. Le maire ne s’est pas encore exprimé mais le fera dans quelques instants. Nous n’avons toujours pas la confirmation qu’il s’agit d’une attaque terroriste, mais selon certaines sources, cela pourrait venir d’une nouvelle branche d’Al Quaïda, la fameuse organisation d’Oussama Ben Laden. La plus grande prudence est demandée aux habitants de la ville : ne sortez pas, munissez-vous de provisions et rester cachés. Et… »

Soudain, on donna un nouveau papier à la jeune femme qui semblait se radoucir.

« Et on vient de m’informer qu’une traînée rouge et bleu a été vue parcourir à grande vitesse la ville pour aller vers le lieu des explosions. Eots est donc sur l’affaire. »

Elle sourit et continua à parler, mais Chris ne l’écoutait déjà plus. Ses affreux doutes étaient de retour, et il oublia quelques instants son inquiétude pour son père pour se poser une affreuse question : et si Eots était responsable de cette attaque ? Et…et si toutes les crises dont il s’était occupé étaient faites par lui avant ? Et si il n’était pas un héros ?

 
 
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