Auteur : Zauriel
Date de parution :
Quand Johnny revint à lui, il était dans la petite voiture de Rachel. Elle regardait droit devant elle. Il s’étira et elle lui demanda, sans le regarder.
« C’était quoi ? »
Johnny se redressa sur son siège. Rachel était pâle, fatiguée. Elle tremblait.
« De quoi tu parles ? »
Rachel freina soudain et Johnny dut s’accrocher à son siège. Avec un freinage comme celui là, la ceinture de sécurité n’aurait pas suffi à lui éviter le pare-brise.
« La vieille dame t’a accompagné à la voiture. Mais ce n’était pas toi . Ta peau, elle était dorée. Et il n’avait pas ta voix. Dès que tu t’es assis, tu t’es endormi et tu as repris petit à petit ton aspect normal. C’est à cause de lui, tout ça ? »
Johnny hocha la tête. Il savait très bien de qui elle parlait. Zaratos avait accepté la réunion.
« Il t’a dit quelque chose ? »
« Il m’a dit que l’on devait aller chez les Henderbach pour que tu… que vous vous en occupiez. »
Johnny prit un air grave. Enfin. A travers lui, Zaratos soupirait d’aise. L’ultime vengeance. La libération de l’ange déchu et la résurrection de son amant. Enfin.
Le bureau de Wallace Hendrebach. Il est dix neuf heures, et le soleil se couche. Du haut de sa tour, Wallace l’observait partir dans sa sombre retraite. Mais il avait mieux à faire que de la poésie. Il se rassit dans son immense fauteuil et regarda le dossier dont les différentes feuilles étaient étalées sur le bureau. L’affaire de Abigail Mersh. La vieille toupie qui était l’épine dans son pied du moment. Le manoir dans lequel elle habitait était la propriété de sa famille, elle descendait de colons irlandais qui s’étaient installés dans la région au XVIIIe siècle. Le terrain était à elle, le manoir était à elle, et elle avait précisé dans son testament que, à sa mort, le manoir deviendrait un orphelinat. Wallace se passa la main sur le visage. Depuis combien de temps bataillait-il contre cette femme ? Un an. Un an à envoyer des appels juridiques, à plaider pour la construction d’un hypermarché dont la construction leur vaudrait, à lui l’agent immobilier et à elle la propriétaire du terrain, une véritable fortune. Mais non. Elle préférait crever dans ce trou plutôt que d’en lâcher une seule parcelle pour assurer des vacances à plein temps sur la côte d’azur. Il regarda le téléphone sur son bureau et réprima d’appeler Marsha. Il l’avait appelé pendant toute la journée, et elle ne répondait pas. Elle ne pensait qu’à sortir, et à s’acheter des tas de trucs inutiles. Et surtout, dès qu’elle le pouvait, elle devenait insolente. Mais il ne se laissait pas dicter sa conduite par une bonne femme, une ancienne fille de joie qu’il avait trouvé sur une route pourrie d’un bled paumé en plein milieu du Kentucky. Une petite trempe de temps en temps lui remettait les idées en place, et Dieu sait que les petites trempes, elles pleuvaient en ce moment. Il appuya sur le haut parleur.
« Mrs Arbogast ? »
Pas de réponse. Mais où était elle, elle aussi ? Partie chez le coiffeur se refaire cette horreur qu’elle appelait brushing ? Bon Dieu, mais pourquoi tout allait de travers ? Il regarda sa montre. 19h15. mais qu’est ce qu’il foutait encore là ? Il ne trouverait pas de solution au problème Mersh. Il n’en trouverait peut être jamais. Il valait mieux qu’il rentre chez lui. La seule solution qui s’imposait était de pénétrer par effraction chez elle, et de l’étrangler, mais ce moyen était tout, sauf recevable par un jury. Que devait-il faire ? Rentrer chez lui ? Pour attendre Marsha, assis devant la télé à regarder le retransmission d’un match de base-ball jusqu’à des heures impossibles ? Non, il avait besoin de parler. Il avait besoin d’être écouté, compris. Il saisit le combiné et composa le numéro de Théo. Occupé. Il raccrocha et balança l’appareil contre le mir. Bon. Il n’avait qu’à passer. Depuis combien de temps ne l’avait-il pas vu, d’ailleurs ? Un petit moment, déjà. Il sortit de son immeuble, de cette grande tour qui symbolisait sa puissance. Il ne savait pas que dans moins de deux heures, il serait mort.
Moins de dix minutes plus tard, il approchait de la résidence de Théo. Il sentait que
Quelque chose n’allait pas. Une tension dans l’air. Un pression sur sa nuque. Un
pressentiment. Mais qu’est ce qui clochait ? On s’était occupé du cas de Blaze, le mort vivant
était retourné à la tombe, dixit Stryker. Tout allait sur des roulettes, sauf Mersh. Mais ce
n’était pas l’idée de la vieille qui le forçait à serrer ses mains sur son volant à s’en faire
blanchir les jointures. Il transpirait à grosses gouttes. Il était malade. Il avait dû choper un
coup de froid, et avait beaucoup de sommeil en retard. Un peu logique quand on s’est fait
menacé par un macchabée habité par un démon. Il laissa sa voiture sur le trottoir, sortit, et
n’oublia pas de la fermer à clef. Il monta quelques marches pour arriver sur le perron et frappa
à trois reprises. Pas de réponses. Il était peut être encore au téléphone. Il appuya sur la
poignée, mais la porte était fermée. Théo lui avait fait un double de la clef, quand il avait
emménagé ici. Au cas où il aurait eu des soucis avec Marsha. Mais ce serait la première qu’il
s’en servirait. Il sortit le trousseau et mit la clef dorée dans la serrure. Il la fit tourner
jusqu’à entendre un clac, et entra. A l’intérieur, un silence de mort, rompu par un petit bruit
étrange, régulier, désagréable, comme celui d’une porte qui grince. Mais qu’est ce que c’était
que ce bordel ? Il se dirigea vers le salon en tâtonnant et chercha l’interrupteur. Et alluma. La
pièce était propre, rangée. Collées aux murs, des étagères de bibliothèque. Là, un bar, ici, une
table, et enfin, le corps de Théodore Henderbach, se balançant dans le vide, la langue sortant
sa bouche, les yeux révulsés, le visage tailladé, la chemise déchirée sur des blessures profondes de plusieurs centimètres, le jean aux chevilles, de la bouillie à la place de son appareil génital. Sur la table, une lettre. Après avoir vomi, Wallace s’en empara.
Il m’a dit qu’il reviendrait. Qu’il reviendrait toujours, où que je sois, et qu’il me ferait encore plus mal. Je ne peux pas lui échapper. Je ne peux que mourir.
Wallace, les larmes aux yeux, sortit son zippo et brûla cette lettre. Il ne voulait pas que le monde croie que Théo avait été pris d’une crise de folie avant de mettre fin à sa vie. Il ne s’était pas suicidé. On l’avait poussé à bout. Wallace savait très bien qui. Stryker avait mal fait son travail. Faites qu’il ne soit rien arrivé à Marsha.
Sept minutes et quarante trois secondes plus tard. Il est chez lui. Il a grillé un stop, deux feux rouges, et un sens unique. Il sortit de la voiture mais ne pensa pas à la fermer, cette fois. A l’intérieur de la maison, des lumières, des voix aussi. Marsha rit, ou chante. Il rentra et la lumière lui fit mal aux yeux. Marsha était dans la cuisine, elle écoutait la radio, chantant en duo avec Bruce Springsteen, en préparant le dîner. Wallace fut un peu soulagé. Mais il devait lui parler de la mort de Théo. Il posa son manteau sur le porte manteau, retira ses chaussures et enfila ses pantoufles. Il entra dans la cuisine. Elle lui tournait le dos.
« Ne fais pas un pas de plus. »
Wallace se figea. Depuis quand pensait-elle pouvoir lui parler de la sorte, sans même daigner le regarder dans les yeux ? elle se retourna, et il fut frappé par un changeùent. Oh, elle portait un tailleur et une longue jupe, comme à son habitude. Elle était maquillée avec sobriété, ses cheveux étaient retenus en arrière, rie n’avait changé, excepté ses yeux. A la place du respect craintif se trouvait désormais une froide détermination. Et sa main tenait un 45..
« Chérie, qu’est ce que tu fais ? »
Il n’osa pas s’avancer.
« Ce que je fais ? Je choisis. Je choisis d’arrêter d’être ta gentille boniche pour devenir un être humain à part entière. »
Mais qu’est ce que c’était que ces conneries ? Fallait pas pousser le bouchon trop loin non plus. On leur donne le droit de vote, et après elles nous menacent avec un flingue.
« Qui t’a parlé ? »
Il connaissait la réponse. Il savait que Blaze était passé. Il en était sûr. Blaze s’était occupé de Théo, et avait embobiné sa femme.
« Un homme. Un gentleman. Maintenant, pour toutes les humiliations que tu m’as fait subir, pour toutes les nanas que tu t’es tapé dans mon dos, tu vas mourir. »
Elle ne tira qu’une seule balle. Dans la tête. Un filet de sang vint éclabousser les murs au papier peint fleuri. Marsha, sans un regard pour son mari, sortit de la maison , se promit de ne plus jamais revenir, et alla vider le compte en banque.
Au bord de la route. Johnny sentit que ça avait marché. Il avait proposé ce plan à l’esprit qui l’habitait. Et ça avait marché. Il sentit Zaratos qui le quittait petit à petit.
Adieu, Johnny, et merci. Si jamais t’atterris en enfer, après ta mort, je m’arrangerai pour que tu sois bien traité.
Un filet argenté sortit du crâne de Blaze et partit telle une comète dans le ciel, à la rencontre d’une lueur terne. Sûrement une étoile nommée Anadriel.
L’Enfer.
Ainsi, il avait gagné. Après des millénaires à avoir écumé le monde à la recherche de son salut, Zaratos, le paria, avait gagné. Sans tristesse, Satan se leva de son trône de feu et s’agenouilla, sous le regard intrigué de ses serviteurs, devant ce trône qu’il occupait, et sur lequel apparaissait petit à petit Zaratos. Tous comprirent, alors. Tous s’agenouillèrent, et tous prêtèrent allégeance. Alors Zaratos fit le premier geste de son règne.
La Terre.
William Stryker, au volant de son 4x4, sentit que son corps ne lui appartenait plus. Il avait perçu le changement de pouvoir qui s’était opéré dans les limbes, et se résignait. Le 4x4 sortit de la route et alla percuter un arbre. Lors de ses derniers instants, le prêtre itinérant entendit une voix moqueuse à son oreille.
Je t’ai réservé une place de choix, en bas.