Auteur : Zauriel
Date de parution :
C’était marrant, la mort. Enfin, non. Pas marrant. Mais étrange. Johnny avait toujours pensé que la mort, c’était le vide, le retour au grand rien, au néant. Il ne s’était pas attendu à cela. La mort est quand même un concept subjectif. Certains croient à la réincarnation. Johnny avait un ami hindou, quand il était au collège, qui lui avait parlé de cette croyance. Johnny aurait voulu, si la réincarnation était une expérience véridique, vivre une vie de loup solitaire. Il y a des gens qui croient au Paradis et à l’Enfer, mais cela révèle un point de vue bien trop manichéen. Johnny avait entendu les rafales de mitraillettes, mais trop tard pour réagir. Il était tombé sur le sol, et son crâne s’était cassé. Il était mort. Pendant un temps, il sentit qu’il partait. Mais quelque chose, quelque chose de noir et d’effrayant, s’était accroché à lui. C’était une tête. Une tête enflammée. Non, pas une tête. Un crâne. Un crâne, comme il avait pu en admirer dans les cours de sciences naturelles. Un crâne qui s’était accroché à sa chaussure, et l’avait fait descendre dans une pièce aux murs violets, une toute petite pièce. Johnny avait eu peur. Il avait cru qu’il s’élèverait vers la paix. Après tout, toute sa vie n’avait été qu’une farce. Enfant délaissé, élève souffre douleur, junkie, voleur, rider, c’était pas très folichon. Alors il avait espéré avoir droit à mieux. Il avait espéré atteindre la paix éternelle, le repos. Mais le crâne en avait décidé autrement. Sa mâchoire s’était refermée sur sa chaussure. Et ne l’avait plus lâché. Depuis, il était prisonnier. De temps en temps, les murs violets se mettaient à trembler. Johnny tombait par terre, et se relevait. Puis, il s’était assis dans un coin, se disant qu’un ange ne devrait pas arder à venir le voir.
Clut tenait la casse de Kenston City depuis que son père avait clamsé. Il rachetait les pièces, en revendait, et en gardait certaines pour construire son « petit projet. » Ce projet consistait à créer un chopper maison, une moto qu’il aurait lui même fabriqué avec quelques pièces détachées. Et figurez vous, mesdames et messieurs, que Clut avait enfin accompli son rêve. Un grand type, que Clut avait déjà vu à la télé locale, Henderbach ou un nom comme ça, était venu en soirée, avec deux gros mecs, du genre armoire à glace débile qui fait office de sous fifres dans les films de gangsters. Ils avaient avec eux une Fazer 1100 jaune. Henderbach avait dit qu’il voulait s’en débarrasser. Son frère venait de mourir dessus, et voir cette moto en presque parfait état alors que son frangin mangeait les pissenlits par la racine le rendait malade. Clut avait présenté ses regrets à Henderbach. Ce dernier avait acquiescé, les larmes aux yeux. Puis la vente avait eu lieu. Clut avait racheté la bécane à pas cher, certainement la moitié de son prix d’origine, et s’en était frotté les mains. Mais Henderbach l’avait prévenu : s’il le voyait en ville sur « cet engin qui a causé a mort de mon pauvre frèèèèère, » il le tuerait. Clut avait bien compris. De toute façon, la moto en elle même ne l’intéressait pas. Non, ce qui l’intéressait, c’était les plaquettes de freinage. La Fazer, après tout, était réputée pour ça. Il avait donc démonté ses fameuses plaquettes, et les avait installés sur « son petit bijou. » Cela lui avait pris trois heures, et quand il rentra, il faisait déjà nuit. Il ramena le chopper dans son garage, juste à côté de la casse, et était parti se coucher après avoir englouti une assiette de pâtes. Vers deux heures du matin, il entendit du bruit. Comme un tournevis qui tombe sur le sol. Il attendit un moment. Un autre bruit. Il sortit de son lit, et ouvrit les portes de son armoire pour prendre sa Sally. Sally était un fusil de chasse, le meilleur ami que Clut avait depuis que son chien était mort écrasé par un camion. Il descendit les escaliers, Sally dans les mains. Le bruit venait du garage. On aurait dit que tous ses outils s’étaient donnés rendez vous pour danser la lambada. Un mince filet de lumière sortait de dessous la porte, et Clut entendit un petit rire. Il poussa doucement la porte, et ce qu’il vit le terrifia. Au dessus de son « petit bijou », un homme avec la tête enflammée s’affairait. Son masque était extraordinairement bien fait. Il avait recouvert sa tête d’une bande adhésive blanche et aucun cheveu apparaissait. Clut fut impressionné. Le mec avait de la recherche dans les idées. Mais il se demandait comment il faisait pour les flammes. Elle remontaient en pics le sur le somment du crâne et paraissaient bouger. Clut braqua Sally sur le mec et essaya de prendre la voix de Michael Caine dans « la Loi du Milieu »
« Eh toi, qu’est ce que tu fous là ? »
Le mec, sans se retourner, leva sa main gantée.
« Une minute, Clut. »
Il toucha le chopper et l’engin sembla s ‘embraser de lui même. Les phares disparurent pour laisser la place à deux orbites où brûlaient de petites flammèches. Le guidon s’était tordu sur les côtés. Les roues s’étaient dotés de petites pointes d’acier sur les pneus et des tiges de fer en sortaient. Bref, ce n’était plus la même moto que Clut avait monté la veille. Le garagiste s’était mis à flipper. Comment ce mec avait-il fait ça ?
« Eh, arrêtez ça. Et retournez vous. »
L’intrus se retourna. Il ne portait pas de masque. Ce qu’il avait pris pour de la bande adhésive, c’était de l’os. Et quant aux flammes, ce n’était pas un effet spécial. Ses orbites étaient vides, et sa mâchoire dessinait un rictus abominable.
« Quoi, Clut ? Tu as l’air gêné de me voir ? »
Le fusil tomba et Clut se mit à gémir.
« Oh, je te prends ta moto car tu m’as pris la mienne. Dis moi, Clut, depuis combien de temps te caches-tu ? »
Le monstre s’approcha et les gémissements de Clut se transformèrent en hurlements.
Dans la pièce aux murs violets, Johnny commençait à angoisser. Où était-il vraiment ? Que faisait-il ici ? Soudain, l’un des murs s’ouvrit. Pas entièrement, plutôt comme une fenêtre sur l’extérieur. Il vit une moto. Il était dans la tête de quelqu’un ! Il vit des mains grotesques s’approcher de la moto et la transformer. Puis il vit un homme qu’il connaissait bien, le dénommé Clut, celui qui s’occupait de la casse, pleurer, en écrivant une lettre .Il le suivit dans sa chambre et le vit mettre le canon de sa Winchester dans sa bouche, puis tirer. La tête explosa, et la cervelle vint décorer la tapisserie . Puis, Johnny ricana. Etait- ce lui qui avait émis ce rire ? Dans la chambre de Clut, il se tourna vers le miroir. Johnny fit un bond en arrière dans la pièce aux murs violets.
« Mon Dieu »
Il n’était plus lui même, c’était certain. A sa place se dressait un être démoniaque. Comment cela avait-il pu se produire ? Un ricanement fit de nouveau trembler la pièce dans laquelle il était enfermé. Il vit le démon s’asseoir sur le lit et se gratter le crâne.
« Enfin tu te décides de te réveiller, Johnny. »
Son autre n’avait pas esquissé un mouvement pour parler. C’est par la pensée qu’il communiquait.
« Qui es-tu?
- Je suis l’ange Zaratos.
- T’as une sale gueule, pour un ange.
- Tu crois que t’était mieux en macchabée ?
- Je ne pense pas. Comment… ?
- C’est un peu difficile comme question. Disons seulement que tu m’as offert une… opportunité.
- Je ne comprends pas.
- Ce n’est pas important. Je suis là pour faire le ménage. Pour te faire justice.
- Je ne devrais pas être là.
- Non, tu devrais être mort. Mais la vieille Abigaïl a réussi à effectuer le transfert juste à temps. On va pouvoir se venger. »
Se venger ? Mais de quoi ? De qui ?
« Voyons, Johnny, tu te demandes encore qui t’a buté ? Tu es un peu lent à comprendre non ? Je veux bien croire que tu n’aies pas vu l’hélico, mais de là à ne pas deviner qui t’a plombé… »
Henderbach. C’était lui qui l’avait eu. L’autre avait raison. Théodore lui avait dit que son frère s’occuperait de lui. Il n’avait pas menti.
« Pourquoi Clut ? , finit par demander Johnny »
Le démon regarda le corps écroulé par terre . La Winchester gisait sur le sol
« Oh, lui ? Disons que le sang de certains enfants criaient vengeance… »
Pourquoi Johnny avait-il l’impression de se faire manipuler ? Peut être était ce à cause du ton goguenard qu’employait le monstre. Qui était-il vraiment ? Et surtout, que voulait-il ? Johnny, toujours prisonnier, s’approcha du mur où s’était formée la fenêtre psychique. Il tendit le bras, et le démon s’écroula à terre en hurlant.
« Qu’est ce que tu fais ? Arrête ça tout de suite. »
Johnny sourit. Après tout, Tête d’allumette n’aurait pas toutes les bonnes cartes en main.
« Ca t’a plu ? »
Le démon siffla. Qui était ce mortel pour le défier ainsi ?
« Alors, tu vas m’écouter. Avant de zigouiller n’importe qui, on va aller voir une amie à moi, histoire de la rassurer. D’accord ?
- Comment oses –tu me donner des ordres ? On va aller s’occuper des frères Henderbach, un point c’est tout. »
Johnny passa carrément tout son bras à travers la fenêtre. L’autre hurla de souffrance. Sa rage ne pouvait en rien diminuer la douleur que lui infligeait cet humain.
« Ok, ok, on va aller voir ta copine. Mais après, on s’occupe des autres zigotos.
- Ca me va, mais on ne tue que sur mon ordre.
- T’inquiète pas, p’tit mec. T’as gagné la première bataille, mais tu perdras la guerre. Ca fait trop longtemps que j’attend d’avoir un corps pour le laisser à un minus comme toi. »
Johnny soupira. Au fond, cette situation était-elle pire que la mort ?
Dans un endroit où règne la souffrance ultime, un royaume de soufre et de cendres, le Maître avait fait appeler ses généraux. Ils étaient tous devant son trône, trône qu’ils convoitaient tous, et tous le savaient. Ils se jetaient donc des coups d’œil haineux, essayant de s’attacher les faveurs du Roi Pourpre pour mieux pouvoir le frapper dans le dos. Mais Satan était depuis bien trop longtemps sur le trône pour ne pas savoir les intrigues qui courraient dans sa Cour. Cependant, il ne les avait pas fait appeler pour discuter d’une éventuelle succession. Non, il les avait fait appeler pour trouver une solution à un problème qui ressurgissait du passé. Le dénommé Zaratos, qui ne faisait plus parti, ni du corps des anges, ni de celui des démons, était réapparu. Et à chaque fois qu’il réapparaissait, il faisait des dégats , que ce soit dans son camp, ou celui de son Ennemi. Il fallait donc prendre des mesures, et prévenir valait mieux que guérir. Méphistophélès le tentateur, habillé en gentilhomme, s’était approché de son monarque.
« Il est vrai, maître, que le dénommé Zaratos nous a causé pas mal d’ennuis. Mais il a aussi nui au royaume Céleste. Ne vaut-il pas mieux le laisser en activité ? »
Le rival du gentilhomme, une aberration à corps de mouche et à tête d’éléphant, intervint. Depuis trop longtemps, Méphistophélès s’avançait en tête des favoris, et cela ne lui plaisait guère.
« Il est hors de question de le laisser continuer. La dernière fois qu’il s’est incarné, nous avons frôlé la catastrophe, qui aurait pu détruire les relations que nous entretenions avec le Ciel, et annuler la trêve . Cela ne peut plus duré. Ce bâtard nous défie depuis trop longtemps. Nous devons nous en occuper. »
Le Maître acquiesça. Les paroles de Belzébuth étaient des plus sensées. Il pointa du doigt Belzébuth.
« C’est toi qui t’occuperas de cette exécution. Peu importe les moyens. Ramène moi la tête de Zaratos, sinon tu iras prendre sa place qui lui est réservée dans les geôles. »
Méphistophélès ricana. Le Seigneur des Mouches, rageur, s’inclina. Il lui fallait se débarrasser de cette tâche rapidement…