Urban Comics
  Episode 10 : Les mutants et moi
 
Histoire : Shala
Date de parution : Mai 2006

Je m'appelle Payne, Max Payne. Je bosse à la criminelle, 15è district. Si je suis venu vous parler, c'est parce que mon psy ne m'est plus d'aucune aide.
Depuis l'annonce officielle de l'existance des mutants, c'est tout leur métier qui est remis en cause. Et si ils avaient enfermé certains patients alors qu'ils disaient la vérité sur ce qu'ils ont vu, entendu, ou disent avoir fait? Résultat ils n'osent plus aider ceux qui ont vraiment des problèmes, comme moi par exemple.
Avant cette foutue déclaration du président, mon psy avait diagnostiqué chez moi une forme de schyzophrénie à tendance paranoïaque, mais à petite échelle. Rien qui pourrait mettre ma vie ou celle des autres en danger, disait-il. Moi ça m'allait bien, j'aurais pas supporté d'être enfermé en permanence. Déjà que dehors c'est dur, alors dedans... A mon avis je me serais tiré une balle. Je sais pas comment j'aurais fait, mais je l'aurais fait.
Enfin soit, le doc me préscivait des médicaments, et les voix dans ma tête se tenaient tranquilles.
Et devinez quoi? Le président a montré sa trombine à la télé pour annoncer vous savez quoi, et ça a été le début de l'enfer pour moi. Le doc ne voulait plus s'occuper de moi, de peur de faire une erreur. D'un côté je le comprends, mais voilà, à cause de ça les voix sont revenues. Putain, si seulement j'avais dit au doc que j'étais flic, peut être qu'il aurait considéré autrement le facteur danger... Parce qu'un schyzo qui ne prend plus ses médocs, c'est dangereux, mais un schyzo qui a une arme de service, ça l'est encore plus.
Mais j'ai trouvé une parade de fortune, l'auto-médication. Je me procure mes médocs par des moyens détournés, ça fait pas taire les voix en permanence, mais au moins j'arrive à rester lucide la plupart du temps. Enfin, ça marche pas toujours...


Depuis quelques jours dans les journaux, on arrête pas d'entendre parler de meurtres et autres actes abominables commis par des mutants. On a jamais dit à la presse que c'étaient les mutants les responsables, ils ont fait la conclusion tout seuls. Pourquoi? Parce que c'est facile. Le bouc émissaire est tout trouvé et ça permet de faire du blé sur son dos. Cependant, moi je suis flic, et comme je suis sur une de ces sordides affaires, j'ai un droit de regard que la presse n'a évidemment pas. Et je dois bien avouer qu'en voyant les victimes et en écoutant les témoignages, il est difficile d'écarter l'hypothèse mutante. Il y a malgré tout une chose qui me chiffone, Ce sont justement les témoignages des victimes rescapées. Malgrés que leurs agresseurs étaient apparement à chaque fois des personnes différentes, d'après les témoignages, ils avaient tous un point commun: une absence totale de contrôle.
Je ne sais pas si c'est ma paranoïa qui me joue des tours, mais mon instinct de flic me dit que c'est louche. Si tous les mutants seraient hors de contrôle, y aurait déjà longtemps que l'humanité aurait disparu non? Enfin moi je dis ça je dis rien...

Ah wai, en parlant de paranoïa, y a un truc bien chiant depuis l'annonce de leur existance. Je peux pas m'empêcher de me demander si chaque personne que je croise dans la rue n'en est pas un. Des fois je me questionne aussi sur mes collègues de travail. Me suis même mis à douter de mes propres gènes... Me demande si je suis le seul à penser comme ça.
Je suppose que non...

Bref, retour à mon afffaire. Avant-hier soir, nouvelle victime, vivante. Elle a été brûlée au troisième degré sur une bonne partie de son corps. A l'hôpital, elle a réussi à me dire quelques mots après son opération. Celui qui lui a fait ça est son frère, Mike, un junkie de 21 ans. Elle a dit qu'elle ne l'avait jamais vu comme ça, et que biensûr elle ignorait que c'était un mutant.
Je suis allé voir la maison de la victime, il ne restait pas grand chose. Retrouver le frangin n'allait surement pas être une promenade de santé.

J'allais devoir faire ce que je déteste le plus, fouiller dans mes souvenirs de flic aux stups. Parce que je vous ai pas dit, avant d'être à la crim j'étais aux stupéfiants. La belle époque où mes problèmes mentaux n'existaient pas encore. Mais ça c'est une autre histoire...
Donc, il fallait que je me souvienne des quartiers favoris des junkies et autres dealers. La photo de Mikey dans ma poche, je me suis mis en route pour le Queens.
J'avais beau tourner, pas moyen de trouver ce foutu junkie. J'avais pas le choix, il fallait que j'interroge les dealers. Mais ça n'allait pas être facile, j'ai beau ne plus être aux stups, les dealers connaissent quand même ma tronche. Quand j'en ai répéré un, me suis approché le plus prêt possible de lui avec ma caisse, et suis sorti en un éclair.
- Merde, Payne!
Pas d'bol pour lui, il était pas assez rapide. Un croche patte et il s'est mangé le trottoir. Je l'ai soulevé par la peau du cou et l'ai plaqué contre le mur.
- Salut White Joe...
- P'tain Payne, tu m'as niqué le nez salopard!
- Tu m'en vois désolé.
J'ai sorti la photo du p'tit et lui ai mis sous le nez.
- Tu l'as vu lui récemment?
- Connais pas.
- Mauvaise réponse.
Quand on a un interlocuteur avec un nez cassé, c'est toujours très tentant d'en profiter. Me suis pas gêné, ai commencé à le lui pincer...
- Aaaaargh! Ca va, ça va! Il est passé dans le coin y a bien une heure, il avait l'air grave en manque. Il s'est faufilé dans une ruelle et je l'ai plus revu depuis.
C'est à ce moment là que les sirènes se sont fait entendre. Plusieurs caisses de flic sont passées à toute allure devant nous. D'autres arrivaient encore au loin.
- Casse-toi.
- Faut pas me l'dire deux fois, tchao à jamais Payne!
White Joe parti, me suis mis en plein milieu de la rue. J'ai tendu mon insigne en espérant qu'au moins une des voitures de flic qui fonçait sur moi s'arrêterait sans me faucher au passage. Coup d'bol, c'est ce qui est arrivé.
- Inspecteur Payne, 15è. Qu'est ce qui se passe?
- On a un 187 à deux blocs d'ici. Un mutant incendiaire est en train de faire un carnage, il serait encore sur les lieux... Vous savez j'aurais pu vous chopper, c'est pas prudent ce que vous avez fait!
- Wai, m'en souviendrai la prochaine fois... Je viens avec vous.

Quelque chose me disait que le mutant en question était Mikey. Il aurait une nouvelle fois pété les plombs. En arrivant sur place on a été... comment dire... Surpris. On était pas encore à l'arrêt qu'un corps calciné sorti de nulle part est venu s'écraser sur le pare-brise. Ca a valu au flic qui conduisait de nous amener dans le mur. Une arcade surcillière ouverte, j'ai connu pire. En sortant de la voiture, on a remarqué que le corps venait d'en haut. Le p'tit s'était réfugié sur le toit d'un bâtiment et avait semble-t-il fait plus d'une victime.
- Vous êtes en état?
- Oui inspecteur, j'ai juste quelques égratinures, rien de grave.
- Bien, restez derrière moi.
On a rejoint le toit du bâtiment en question le plus vite possible. On aurait dit l'apocalypse là-haut. Plusieurs flics étaient gravement blessés, d'autres déjà morts. Mikey se tenait au milieu, les bras enflammés. Il était en plein trip, il était histérique et rigolait nerveusement. Le flic qui était avec moi pointait son flingue dans sa direction, et s'apprêtait à tirer.
- Ca suffit! Tu vas éteindre tes flammes et t'allonger sur le sol, maintenant!
- Hinhin... J'contrôle que dalle papy!
- Allonge-toi ou je tire!
Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, il était trop tard. Mikey avait cramé ce pauvre gars, le pire c'est qu'il devait surement prendre sa retraite dans pas longtemps.
Mike s'est tourné vers moi, et m'a regardé. Enfin, disons plutôt que son regard vide pointait vers moi. Il avait remarqué mon beretta dans ma main droite, et se mit à rire.
- Ecoute Mike, je m'appelle Max. J'ai vu ta soeur à l'hôpital, et elle m'a dit de te dire qu'elle ne t'en veut pas.
- Shirley? E... Elle est vivante?
- Oui Mikey. Elle se remet doucement. Tu veux la voir?
- O... oui, non... J'en sais rien. Qu'est ce que je dois faire?
- Si tu veux je peux t'emmener la voir...
Et devinez qui est venu me rendre visite à l'intérieur de ma boîte cranienne à ce moment-là? Les voix, bingo...

"Il va te frire Max..."
"Non, c'est en bonne voie, continue"
"Tu ferais mieux de courir Maxou"
"Tue-le Max, ou c'est lui qui le fera"
"Tu peux le raisonner Maxie"
"Va-t-en loin, laisse-le dans sa misère, les autres l'auront de toute façon"

Je devais me concentrer sur ce qui se passait, et ça se passait plutôt mal. Mike perdait de plus en plus le contrôle, c'est tout son corps qui commençait à s'enflammer.

"Tue-le"
"Non"
"Cours, Maxou"
"Tue-le"
"Tu peux encore le sauver"
"Il va imploser, cours pour ta vie!"

Les flammes se faisaient de plus en plus intenses, et moi je luttais pour garder ma lucidité. Mais le temps pressait, et je devais faire un choix.

"Tu peux en finir maintenant!"
"Cours!"
"TUE-LE!"

Trop tard. Le coup est parti, la balle est venue se loger entre ses deux yeux, mettant un terme à son calvaire. Je suis resté la main tendue, crispée sur la gachette pendant une bonne minute.
Après que l'équipe scientifique ait pris le relais, je suis rentré chez moi, à pied. Je me sentais pas en état pour prendre le volant.


Le lendemain matin, on ne parlait que de ça à la télé. Des critiques de la presse, des compte-rendus de soit disant analystes, des impressions du citoyen lambda, y avait de tout pour convaincre le New-yorkais moyen que la menace mutante est plus qu'omniprésente.
Moi évidemment je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit. Chaque fois que je ferme les yeux je revois Mikey se faire exploser le caisson. De plus, les voix n'ont pas arrêté de résonner, elles riaient. J'ai du prendre le double de pilules pour les faire taire.
Le téléphone a sonné, c'était le légiste. Il a dit qu'il avait un truc à me montrer. Quand j'ai enfilé ma veste, me suis rendu compte que je m'étais pas changé depuis hier, et que j'étais plus que crade. Aucune importance, je suis sorti quand même. En arrivant en bas, me suis rappelé que j'avais laissé ma caisse dans le Queens. J'ai eu un soupir, me suis allumé une clope et j'ai pris le métro...

Arrivé chez le légiste, j'en étais à ma troisième cigarette. Le légiste m'a regardé de travers et m'a indiqué le cendrier.
- Cette saloperie c'est pas bon pour vous, ni pour personne d'ailleurs.
- Wai, c'est ce qu'on dit. Bon alors, qu'est-ce que vous vouliez me montrer?
Lorsqu'il ôta le drap au dessus du corps de Mike, le coup de feu que j'avais tiré me revint comme un flash. Même pas besoin de fermer les yeux cette fois. Mais je ne voulais rien laisser transparaître.
- Le mutant que j'ai descendu hier. Et?
- Et bien accrochez vous bien... Ce n'est pas un mutant.
 
 
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