Histoire : P'tit Lu
Date de parution : Novembre 2005
Résumé : Alexander Steinberg a été arrêté il y a un mois pour le meurtre de son ex-femme Diana Forward et de ses deux enfants. S’étant filmé en train de commettre ces meurtres, la police l’a rapidement inculpé. Mais un vice de procédure a rendu la vidéo inutilisable au procès, et les inspecteurs Samantha Harris et Joshua Rockwell ont six jours pour réunir des preuves de la culpabilité de Steinberg, sous peine de le voir acquitté.
Commissariat du 14eme district de New York
Vendredi 20 mai
- Ce type n’a absolument pas le profil d’un meurtrier, résuma le jeune inspecteur blond Yoric Travis à son collègue Quentin West en posant lourdement sur son bureau tous les témoignages de la famille et des voisins d’Alexander Steinberg.
Il s’effondra dans son fauteuil tandis que son collègue noir haussait des épaules. Lui et son collègue avaient été mis en urgence sur le dossier pour soutenir leurs collègues Joshua Rockwell et Samantha Harris qui devaient, un mois après le meurtre, trouver des preuves de la culpabilité de l’ex-mari de la victime.
- Il a fait un massacre chez sa femme et il s’est filmé, lui rappela West. Il cachait bien son jeu, c’est tout, et le but c’est de le prouver.
- Et c’est pas avec ces témoignages qu’on y arrivera… Tout ce que j’ai sur Steinberg, c’est qu’il est « bizarre », « froid » ou au mieux « distant » d’après son entourage. Même son ex-copine a pas pu le traiter de monstre ! J’irai rendre visite au patron de Steinberg tout à l’heure.
Les inspecteurs Rockwell et Harris entrèrent dans le commissariat, revenant de leurs perquisitions. La mine était sombre.
- Quelle ambiance ! s’exclama Travis. Laissez-moi deviner : vous avez trouvé le couteau ensanglanté dans l’appart de Steinberg avec ses aveux écrits et signés, c’est ça ? Oh, Harris, ça fait plaisir de te voir ici. T’étais pas censée être en repos ?
- Ta gueule, lui lança-t-elle en ruminant. Chou blanc sur toute la ligne. Quand je pense que j’ai été obligée de laisser tomber mes vacances pour une affaire aussi foireuse…
- Rien chez Steinberg, expliqua Rockwell en s’installant à son bureau rempli de dossiers. Forcément, on avait déjà perquisitionné chez lui il y a un mois et il n’y est pas retourné depuis. On a quand même ramassé son service de couteaux de cuisine auquel il manque un couteau. Si la longueur de la lame correspond à celle de l’arme du crime, ça sera toujours ça de gagné. Même si ça risque d’être léger devant un jury…
- Et chez les victimes ? demanda West. Ça a donné quelque chose ? Il a dû laisser son ADN sur place, c’est obligé.
- Si seulement… sourit Harris de lassitude. Diana Forward et ses gamins vivaient dans un cent mètres carré en plein New York. Le propriétaire s’est empressé de confier l’appart à de nouveaux locataires une semaine après le meurtre. On peut laisser tomber de ce côté-là.
- Qui voudrait habiter dans un appart dans lequel une famille a été massacrée une semaine avant ? s’étonnait Travis. C’est ignoble !
- On est à New York, Yoric, lui rappela Harris. La moitié des habitants de cette ville tuerait pour posséder un appart comme celui-là, et crois-moi avec trois enfants j’en fais partie.
- Quand vous aurez fini de discuter, vous pourrez peut-être vous remettre au boulot, grinça Rockwell en décrochant son téléphone et en composant un numéro. Steinberg est libéré demain et son procès commence jeudi prochain ; si on ne trouve pas de preuve tangible de sa culpabilité, j’aimerais au moins un témoignage affirmant que c’est le plus gros pervers que cette terre ait jamais porté. Après tout, il s’est filmé en train de tuer sa femme et ses enfants…
West et Travis se levèrent lourdement et quittèrent le commissariat avec la liste des connaissances de Diana Forward et d’Alexander Steinberg, tandis que Sam Harris consultait le dossier psychologique des enfants Forward établi par le psychologue de leur école. Rockwell réussit à joindre la personne qu’il cherchait.
Il raccrocha quelques minutes plus tard, avec sa mine des mauvais jours. Harris comprit que les nouvelles étaient mauvaises :
- Pas bon ?
- Encore une impasse.
- On est maudit, analysa Harris. En plus, il n’a jamais été arrêté pour violence, ça ne joue pas en notre faveur…
- Et son psy ?
- Il est mécano, il a à peine de quoi payer son loyer, tu peux abandonner l’idée. Et puis tu sais, le sacro-saint secret médical…
Le commissaire Norman sortit de son bureau pour rejoindre les deux inspecteurs, la mine plus abattue qu’à l’habitude.
- On n’a toujours pas de réponse à notre demande de prélèvement ADN sur Steinberg, les enfants. Je crois que quelqu’un ne nous aime pas plus haut et fait traîner les choses.
Harris haussa les épaules face à un Rockwell gardant son sang froid :
- Je te l’ai dit, on est maudit.
Manhattan
Vendredi 20 mai
Harris frappa à la porte de l’appartement de Ronald Henrich tandis que Rockwell épluchait le dossier bien mince qu’ils avaient constitué dans cette affaire. Henrich lui-même ouvrit, d’un air étonné.
- Messieurs dames… vous êtes les inspecteurs de police, c’est ça ?
- Exact, monsieur Henrich, répondit Harris d’un ton compatissant. Nous sommes désolés de revenir vous ennuyer avec cette histoire, mais c’est au sujet du meurtre de votre ex-femme.
- Mais l’enquête est bouclée, c’est vous même qui me l’avez affirmé, répliqua-t-il en désignant Rockwell.
- Les choses ont évolué, sourit celui-ci en levant le nez de son dossier. On peut entrer ? Nous serons plus à l’aise à l’intérieur, je pense.
Henrich acquiesça, et les invita à pénétrer dans l’appartement spacieux. Chaque meuble était au top du design dernier cri, de la table jusqu’au cendrier, et la vue plongeante sur le reste de Manhattan était éblouissante. Rockwell nota chaque détail dans un coin de son esprit, pour le cas où il en aurait besoin.
Le propriétaire des lieux les invita à s’installer sur le canapé, et après s’être assis lui-même, leur demanda l’objet de leur présence.
- Vous savez sans doute que le procès d’Alexander Steinberg commence dans moins d’une semaine, lui expliqua Samantha Harris.
- Le meurtrier de Diana, oui, je sais.
- Auparavant, nous n’avions pas besoin de votre aide, mais comme vous l’a dit mon équipier, les choses ont évolué. Nous avons besoin de votre témoignage à la barre pour condamner Steinberg.
Henrich allait répondre, mais Rockwell l’en empêcha :
- Excusez-moi, je lis ici que vous avez une fille… Clarisse ? De votre mariage avec Diana Forward ?
- C’est exact, oui. Dieu merci, elle était ici la nuit où ce dingue a… enfin, vous comprenez.
- Tout à fait. Je ne l’ai jamais vue, jusqu’à présent…
- Après la mort de sa mère, j’ai jugé qu’elle serait mieux chez sa tante pendant quelques semaines, dans le Vermont. Comme vous n’aviez pas besoin d’elle…
Harris lança un regard étonné à son équipier : « où veux-tu en venir ? On n’est pas là pour ça ! »
- Est-elle revenue ? Elle pourrait témoigner, elle aussi. Le témoignage des mineurs a un impact plus important sur les jurés, elle pourrait nous être d’une grande aide.
Henrich acquiesça, puis appela sa fille à voix haute.
- Mais sachez que je ne la forcerai pas à témoigner si elle n’en a pas envie, ajouta rapidement Henrich. J’accepte de mon côté, mais ce n’est pas à cœur joie.
Clarisse Henrich apparut dans le salon. 15 ans, blonde aux yeux bleus, les derniers vêtements à la mode et un air hautain, elle avait tout d’une petite pimbêche, une gosse de riche comme les autres.
- Ces inspecteurs sont là pour… ce qui est arrivé à ta mère.
Les deux inspecteurs purent lire la douleur dans les yeux de l’adolescente, et Rockwell se leva pour la rejoindre.
- Ils veulent que tu témoignes dans un tribunal, lui expliqua son père. C’est pour le procès de Steinberg, des avocats te poseront tout un tas de…
- Merci, je sais ce ça veut dire, cracha-t-elle.
Son père se tut.
- Ça implique plus que tu ne sembles le penser, lui dit Rockwell. C’est quelque chose de très éprouvant… mais ma collègue doit discuter avec ton père, peut-être serait-il préférable que je t’explique tout ça ailleurs.
- Clarisse, emmène ce monsieur dans ta chambre, veux-tu.
Elle hocha de la tête, et Rockwell suivit Clarisse dans la chambre d’ado. Baie vitrée, posters de chanteurs propres sur eux, que Rockwell ne connaissait pas, garde robe grande comme la cuisine de l’inspecteur, cinq ou six miroirs… Elle n’était pas à plaindre et de cette chambre ressortait un certain culte de la personnalité.
- C’est très joli, chez toi, la flatta-t-il.
- Ouais… Je suis ici à plein temps maintenant, depuis que maman est morte.
- Ça a dû être très dur pour toi.
- Oui…
Rockwell sentit alors un malaise l’envahir, sans qu’il ne puisse l’expliquer. D’où cela venait-il ? Il n’était soudain plus du tout persuadé que Steinberg ait assassiné sa femme et ses enfants… C’était absurde… mais l’impression persistait. Il se secoua discrètement la tête et passa outre son impression.
Il posa alors à l’adolescente une série de questions, lui demandant de décrire l’environnement familial dans lequel elle vivait quand elle était chez sa mère, comment était Steinberg… Elle décrivit d’ailleurs Steinberg comme un homme colérique et violent par moment.
- Ton témoignage nous sera très utile, lui expliqua-t-il. Si tu acceptes de témoigner, bien sûr.
- Je le ferai, répondit-elle. Cette ordure ira en taule.
L’inspecteur de police jeta à nouveau un coup d’œil dans la chambre, puis en posant son regard sur la table de chevet, lui demanda nonchalamment :
- Tu te traites toi-même les cheveux, Clarisse ?
- Quoi ? Bien sûr que non ! Mon père m’emmène chez les plus grands coiffeurs, et de toute façon mes cheveux sont parfaits.
- Ah, fit Rockwell d’un ton détaché en souriant. Je demandais ça à cause des deux bouteilles de vinaigre vides sur ta table de chevet. Je sais que certaines jeunes femmes s’en servent pour rendre leurs cheveux plus brillants.
- Je… bafouilla l’ado en se retournant et en observant les deux bouteilles vides faisant tâches parmi ses outils de maquillage parfaitement rangés. C’est à une copine. Elle les a laissé ici.
- D’accord, simple curiosité. Dis-lui quand même que c’est dangereux, à cette dose.
Elle acquiesça, mal à l’aise, et l’impression de malaise se fit plus pressante chez Rockwell, sans qu’il ne puisse à nouveau se l’expliquer. Il lui dit qu’il n’avait plus de question, et il rejoignit sa collègue qui l’attendait dans le salon en compagnie de Henrich. Celui-ci les raccompagna jusqu’à la porte d’entrée et les mit poliment dehors.
- On a deux témoignages de plus, analysa Harris tandis qu’ils prenaient l’ascenseur. C’est bon signe, non ?
- La fille m’a décrit Steinberg comme un homme colérique et violent à l’occasion, ajouta Rockwell. On a exactement ce qu’on veut. Mais je ne sais pas si son témoignage tiendra devant un tribunal.
- Pourquoi ? Elle a vécu des années en compagnie de son beau-père, son témoignage tiendra la route.
- Elle est la seule à le décrire comme ça. Et tu as remarqué quand son père lui a rappelé la mort de sa mère ? Sa peine… Je ne sais comment l’exprimer, mais…
- Elle n’aimait peut-être pas sa mère, proposa Harris. C’est tout à fait possible, et ça n’en fait pas une criminelle.
- Oui, mais… Oui, tu as raison. On a deux témoignages de plus, c’est le plus important.
Yancy Street
Samedi 21 mai
Le jeune inspecteur Travis courrait à perdre haleine à la poursuite de ce dealer de bas étage que lui et son collègue West étaient partis interroger. Le dealer a pris peur quand les deux inspecteurs l’ont abordé en pleine rue et a préféré prendre la tangente à travers les rues de Yancy Street. Ce salopard connaissait le coin comme sa poche, mais les deux flics n’étaient pas nés de la dernière pluie et Travis gagnait de plus en plus de terrain tout en étant insulté par les habitants du coin, peu friands des flics.
Travis attrapa alors le jeune Noir par le col et ils tombèrent et roulèrent sur le sol, avant de s’immobiliser douloureusement. Travis constata les dégâts sur sa veste et sortit son arme à feu et mit en joue Roméo, le grand et costaud dealer noir au crâne rasé.
- A cause de toi ma nouvelle veste est foutue. T’as intérêt à répondre à nos questions si tu veux pas que je finisse de m’énerver et que je perde mon sang-froid !
West arriva alors en trottinant et calma les ardeurs de son collègue.
- Doucement, Yoric, baisse ton arme.
- Il a fui, il a quelque chose à cacher. Donc il est dangereux.
- Arrêtez, j’ai rien fait ! cria le fuyard. J’ai tout arrêté !
- T’as rien à cacher, hein connard ?! le poussait Travis. Alors réponds : qu’est-ce que tu fous sur la liste des témoins de l’avocat d’Alexander Steinberg ?!
- Quoi ? C’est ça ?!
- Réponds, lâcha West. On est pressé.
- C’est… c’est la femme de ce trouduc… je lui vendais de la coke à l’époque… c’était avant de débarquer ici, mais je vous jure j’ai tout arrêté depuis !
Travis baissa son arme de surprise, et lança un regard surpris à son collègue. Diana Forward était une junkie ? Il n’était pas un vieux de la vieille, mais il se doutait bien que ça compliquait les choses.
- J’y crois pas, lâcha West. Comme si on n’était pas assez dans la merde…