Histoire : Ben Wawe
Date de parution : Avril 2006
Résumé : Alexander Steinberg a été arrêté il y a un mois pour le meurtre de son ex-femme Diana Forward et de ses deux enfants. S’étant filmé en train de commettre ces meurtres, la police l’a rapidement inculpé. Mais un vice de procédure a rendu la vidéo inutilisable au procès, et les inspecteurs Samantha Harris et Joshua Rockwell ont six jours pour réunir des preuves de la culpabilité de Steinberg, sous peine de le voir acquitté.
Ils se font aider par les inspecteurs Yorik Travis et Quentin West, avant d'apprendre par Roméo, un dealer, que Diana Forward prenait de la drogue. En même temps, la police a réussit à avoir le témoignage de la fille du premier mariage de la morte, Clarisse Heinrich, après un passage dans l'appartement huppé de son père.
Salle de visionnage n°3, commissariat du XIVe District de New York.
Vendredi 20 mai.
« Pourquoi tu regardes ça, Sam ? T’en as pas marre ?
- Nan. Il faut qu’on sache ce qu’il s’est vraiment passé, et y a que ça pour le savoir… »
Samantha Harris soupira lourdement.
Pour la troisième fois de la journée, elle regardait la cassette du meurtre et du viol de Diana Forward par son ex mari, Alexander Steinberg. Environ une demi heure de temps virtuel avant, elle avait pu voir l’assassinat des deux enfants du couple. Avec horreur, la jeune femme avait assisté à la mise à mort brutale, prévue et presque scientifique de ces trois êtres innocents par un fou, dont on ne voyait jamais le visage…mais pourtant, tout concordait.
La coiffure, la musculature et la couleur de cheveux étaient exactement les mêmes…et tout se passait dans l’ancien appartement conjugal, dont il avait encore un double. Même si il était toujours de dos, toutes les preuves étaient réunies contre lui. Mais ils ne pouvaient les utiliser…ils ne le pouvaient plus.
« Je sais…Mais on connaît ces images par cœur. Si je ferme les yeux, je les revois…On arrête pas de les observer, de les analyser depuis qu’on a eu accès à une copie pirate…
- Ouais…mais on doit continuer, et tu le sais. Si on sait comment ce monstre a pu agir, on saura comment l’arrêter…comment utiliser chaque chose qu’il a faite contre lui, et le coffrer définitivement…
- Ouais… »
Joshua Rockwell n’était pas convaincu.
Ami de longue date de sa collègue, tous deux étaient choqués par ce qui avait été fait…par ce qu’on leur avait fait. Quelqu’un avait changé les dates du mandat, pour faire un vice de procédure, et permettre à ce monstre de s’en tirer…pourquoi ? Qui aurait intérêt à faire libérer un mécanicien sans trop d’argent, froid et porté sur la bouteille ? Qui voudrait que la ville se soulève pour lyncher un tel type ?
En plus, il n’y avait pas que ça qui puait dans cette histoire…
Alors que sa collègue continuait de regarder les images de la copie pirate avec une attitude de zombie, Rockwell s’asseyait tranquillement en face d’elle. Les mains sous le menton, il tenta de résumer intérieurement toutes les informations.
D’une part, Diana Forward avait été violée, et avait été tuée par son ex mari, avec une lame de couteau de douze centimètres…une demi heure après que ce fou ait tué leurs deux enfants par strangulation. Et Alexander Steinberg s’était filmé en faisant tout ça…pourquoi ? Archive personnelle ? Folie perverse ? Ou autre chose ? Quelque chose de plus glauque et de plus dangereux pour eux ?
Et puis, il y avait d’autres faits étranges…Tout semblait extrêmement lent, dans la procédure. Les analyses génétiques n’arrivaient toujours pas, et leurs mandats étaient régulièrement « oubliés », ou « égarés »…Il n’aimait pas ça. Pas du tout, même.
En plus, d’autres choses sentaient mauvais dans cette affaire…Entre la fille de Diana Forward et d’un autre de ses maris, Ronald Heinrich, qui ne vivait pas trop mal la mort de sa mère, la présence de deux bouteilles de vinaigre dans sa chambre, et le fait que la morte se droguait…ça n’était pas bon. Et cette affaire devenait à chaque heure plus complexe…
Soudain, la porte de la salle de visionnage s’ouvrit en grand.
Le commissaire Norman fit tranquillement son entrée. Homme impressionnant par sa carrure et son charisme, il était autant craint que respecté par ses subalternes. Son regard fatigué se posa doucement sur la vidéo qui passait sur l’écran, et il soupira lourdement avant de parler à ses deux inspecteurs.
« Harris, Rockwell…Où avez-vous trouvé ça ? »
Ils n’avaient pas prévenus leur patron qu’ils avaient trouvés une copie de la cassette qui aurait dû faire plonger l’assassin. Grâce à un des contacts de Yoric Travis, un des inspecteurs chargés de les épauler jusqu’à la fin de l’enquête, au bureau des preuves, ils avaient pu avoir accès à une copie de la vidéo.
Même si c’était illégal et qu’ils ne pourront jamais utiliser cette cassette, au moins pouvaient-ils avoir une idée de ce qu’il s’était passé…et pouvait tenter de trouver quelque chose contre l’assassin.
« Euh…je…
- Non, c’est bon, ça va…Je veux que ça ait disparu dans dix minutes, et que ça ne revienne plus jamais traîner ses fesses dans mon commissariat…C’est compris.
- Oui, patron…
- Bien…et au boulot. Vite. Je veux pas que cette fouine s’en tire, cette fois-ci. »
Les deux inspecteurs sourirent.
Leur patron ne leur passait pas de savon, et mieux encore, il les encourageait presque à continuer…Evidemment, il ne pouvait les laisser faire, mais au moins le commissaire Norman ne prenait pas la cassette. C’était déjà ça.
Alors que le patron du commissariat venait de sortir, la porte s’ouvrit encore une fois. Cette fois-ci, ce fut Quentin West qui passa sa tête pour faire un signe aux deux collègues.
« Rockwell ! Harris ! Venez ! Le dealer qu’on arrête cet après midi passe à table, ça peut être intéressant… »
Les deux inspecteurs se regardèrent quelques instants, avant de se lever d’un bond. La jeune femme récupéra la cassette, avant de suivre Rockwell vers la salle d’interrogatoire principale du commissariat, où, peut-être, tout allait se décanter…
Salle d’interrogatoire n°1, commissariat du XIVe District de New York.
Vendredi 20 mai.
Derrière une vitre sans teint, Samantha Harris et Joshua Rockwell avaient rejoints leur collègue Quentin West, qui regardait impatiemment son collègue Yoric Travis en train d’interroger Roméo. Ce jeune dealer black au crâne rasé avait vendu quelques mois auparavant de la drogue à Diana Forward, et son témoignage pouvait être une des clefs du procès à venir…
« Mais puisque j’te dis que j’sais rien, man ! Fous-moi la paix, et laisse-moi m’casser, j’ai rien à t’dire !
- Calme ton langage…man. Je pourrais t’arrêter pour outrage à agent.
- Mais…mais…putain de merde ! J’ai rien fais ! J’suis un honnête commerçant, man !
- Ouais…et les gosses qui meurent par ta faute ? Et le poison que tu fais circuler dans les rues ? Et la dope qu’on a trouvé sur toi ? C’est ça, être un honnête commerçant ?
- A Yancy Street, ouais man !
- Ok…Rappelle moi de jamais venir chez toi…
- T’en fais pas, man, tu seras jamais invité.
- Bon trêve d’usages…Parle moi maintenant de Diana Forward.
- Qui ? »
Yorik soupira doucement.
Il craqua lentement ses phalanges, avant de frapper violemment sur la table, et de regarder avec des yeux de fou le dealer menotté.
« Joue pas au con avec moi, Roméo. Ca fait une journée que je me coltine une affaire mal partie, et j’ai pas baisé depuis une semaine…Alors si tu veux pas qu’on se joue un remake de l’œuvre de Shakespeare version gay, va falloir parler fissa, sinon je vais t’envoyer gentiment à Sing Sing, avec la réputation d’une balance…Je suis sûr que tu passeras rapidement de Roméo à Juliette, là-bas, et que tu pourras t’asseoir sur une yaourt sans l’écraser après deux jours… »
Le black ouvrit grandement la bouche, de même que les personnes de l’autre côté de la vitre sans teint. Jamais ils n’auraient imaginés que ce jeune homme, fraîchement sortit de l’école de police, puisse tenir un tel langage avec si peu d’expérience…et être tellement efficace.
En effet, avec ce qu’il venait de dire, l’inspecteur avait stoppé le dealer dans son délire et son arrogance…et celui-ci baissa alors lentement la tête, vaincu. D’une voix fatiguée et presque enfantine, il déballa alors son sac.
« Nan, c’est bon, je vais parler…Je…Diana était venue me voir, ça allait pas…Elle avait eue une mauvaise passe avec son mari, et s’était mise à la dope…
- Steinberg ?
- Nan, l’autre…
- Heinrich ?
- Ouais…Ca allait pas, elle en pouvait plus…Un de ses amis lui en avait alors donné jusqu’à ce qu’elle devienne dépendante, mais il est mort…overdose.
- Elle s’est donc adressée à toi ?
- Ouais.
- Quand ?
- Y a trois…quatre ans, plutôt.
- Elle était déjà avec son nouveau mari, nan ?
- Ouais, mais elle était devenue dépendante…On avait parlé, un peu, et elle m’avait dit qu’elle avait prit de la dope au départ parce que son mari voulait qu’elle soit parfaite…et elle avait pas supporté. Mais après, elle était devenue dépendante…et avait besoin de doses de plus en plus grandes ;
- C’était une bonne cliente ?
- Excellente. Tout se passait bien, jusqu’à ce qu’elle vienne plus me voir…
- T’as fais quoi alors ? T’es allé la voir ? Pour la faire payer ?
- Hey nan, man ! Vas pas me foutre sa mort sur le dos ! Je lui aurais jamais fais de mal ! »
Roméo leva les bras et afficha une expression de surprise sincère sur le visage. Soit il était le plus grand comédien du monde, soit il ne mentait pas…Travis préféra la deuxième solution, et sourit doucement au dealer.
« Ok…Mais pourquoi elle a arrêté ? Et pourquoi tu l’as bien pris ? Les dealers sont pas contents quand leurs meilleurs clients arrêtent, en général…Tu veux devenir Pape, ou quoi ?
- Nan, man, mais…mais Diana était sympa’, et elle en avait vécue de dures dans sa vie. Après plusieurs années où elle m’avait grassement payée, et vu le bordel de sa vie, avec son divorce et ses gosses…je l’ai laissé partir. J’avais d’autres clients, alors bon…
- T’es humaniste, mec. Tu devrais lancer ta propre émission de télé « comment passer du côté du dealer à celui du bon samaritain »…Sans déconner, file la vraie raison. Ou bien mon offre pour Sing Sing tient toujours… »
Le dealer soupira, en baissant les yeux.
Apparemment, il savait quelque chose…mais n’osait pas le révéler. Ça semblait assez gros pour risquer de se faire exploser le derrière par des blacks encore plus gros que lui dans la pire prison de l’Est des Etats-Unis…et ça allait sûrement faire avancer leur enquête.
Ca tombait bien, ils avaient moins de 24 heures avant que Steinberg soit libéré…chaque minute comptait. Et ça, chaque inspecteur présent le savait, et retenait son souffle…
« Allez, Roméo…Tu sais qu’on va te protéger si tu nous racontes tout…
- Il me fera plomber, man…Il en est capable…
- Qui ça, il ? Et qu’est-ce que ça a à voir avec Diana ?
- C’est pas elle qui voulait plus de ma dope, man…
- Ah ? Qui alors ? Qui ne voulait plus que tu lui en vendes ?
- Je peux pas le dire…il va me plomber…
- Roméo, rappelles-toi ce que ton petit cul de black risque… »
Il hésitait.
Il voulait sauver sa vie et son intégrité physique, mais en même temps il craignait les représailles de ce « il »…Alors qu’il posait son front sur ses mains et que Yorik Travis tentait de le faire changer d’avis, les autres inspecteurs espéraient qu’il allait parler…et qu’ils pourraient enfin avancer dans leur enquête.
« Roméo…t’as pas le choix, mec…Et cette femme s’est fait tuée…violée…et ses gamins aussi… »
Le jeune inspecteur déposa l’une après l’autre les photos des corps sans vie de Diana Forward et de ses deux enfants. Roméo les regarda pendant de longs instants, avant de fermer les yeux en mettant ses mains sur son visage.
« Il voulait que j’arrête de lui vendre, car il trouvait qu’elle était trop supérieure pour ça…Il pensait qu’elle méritait mieux que de la dope d’un sale black de merde, selon ses mots…Heureusement qu’il m’a bien payé, sinon je lui aurais massacré sa tronche…
- Qui a dit ça ? Qui a payé, Roméo ?
- Son ex.
- Steinberg ?
- Nan. L’autre. Ronald Heinrich… »