Urban Comics
  X-Files #10 : Wild Child (1) : Les chiens
 
Auteur : Lex
Date de parution : Mars 2008

« Vas-y, Blind ! Tire ! »

Le vieux chien obéissait de son mieux aux ordres de son maître et grattait désespérément la neige sous ses pattes à la recherche d’un appui. Blind était le plus vieux chien de l’attelage, une belle bête élancée au pelage gris qui avait acquis son nom par la faute de cette balafre qui tailladait son museau de l’œil gauche jusqu’à la mâchoire, souvenir d’une sale bagarre.

A l’époque, il était encore jeune et sous les ordres de Yuki, la chef de la meute. C’était la nuit et les chiens s’étaient endormis, à l’abri du froid dans les terriers qu’ils s’étaient creusés. Lui, il tentait de trouver le sommeil mais l’endroit qu’il s’était aménagé était mal conçu et ne l’épargnait pas du vent glacial qui lui mordait les chairs. Trop fier pour aboyer et réveiller la troupe, il supportait la souffrance en silence, sachant pertinemment qu’il ne passerait pas la nuit. Mais une odeur étrange était venu caresser ces naseaux, une odeur assez forte pour qu’il a distingue sans mal malgré l’air ambiant.

Sortant de son trou, Blind avait alors repéré une ombre brune tapis dans la neige, dissimulée par le blizzard. L’odeur de l’ombre était forte et reconnaissable et le chien eut tôt fait de démasquer l’intrus. C’était un chien errant. Sans doute avait-il appartenu à un attelage mais c’était du passé et Blind ne considérait pas l’individu en face de lui comme un frère mais comme un ennemi à la recherche de viande fraîche. Qu’il tombe sur lui et ses compagnons était une aubaine à saisir.

Mais la créature devrait d’abord affronter le jeune et vigoureux chien qu’il était. Il allait protéger son clan et mettre en fuite l’intrus. Montrant les crocs, Blind avait fait face tandis que son adversaire sortait du brouillard. Les muscles saillants et les babines retroussées, le chien errant était effrayant. De la bave coulait le long de sa langue et son regard jaune lançait des éclairs. Dernier avertissement à celui qui osait lui barrer la route.

Sauf que Blind était déterminé et campa sur ses positions. Malgré la peur qui le tenaillait, il résistait aux yeux jaunes braqués sur lui tels deux phares et qui le détaillaient comme une proie sur le point d’être impitoyablement saignée et dévorée. Oui, le combat allait bel et bien avoir lieu et Blind ferrait preuve de courage. Il mourrait pour ses frères face à ce monstre spectral. Il mourrait en héros.

Ce fut le chien errant qui ouvrit les hostilités et s’élança tête baissée, percutant de plein fouet le flanc de son ennemi. Celui-ci, étourdi par le choc, réussit à se relever et à se mettre hors de portée à temps des crocs aiguisés de son adversaire. Se reprenant, Blind attaqua, visant la gorge. Mais sa mâchoire se referma sur du vent et cette faute permit à l’autre de lui asséner un coup de patte au museau. La manœuvre arracha à Blind un hurlement de douleur qui réveilla instantanément les autres chiens. Rapidement sortis de leurs caches, ces derniers se mirent rapidement en ordre de combat sous la direction de Yuki qui s’était jeté entre l’intrus et sa victime.

Face à huit chien bien nourris et en bonne santé, le chien errant n’avait aucune chance, d’autant plus que la femelle qui s’était interposée entre lui et son dîner semblait extrêmement menaçante, prête à bondir et à l’égorger. Finalement, il prit la sage décision de décamper au plus vite, sous les aboiements insistants de la troupe qu’il voulait dévorer. Blind, aveuglé par le sang, eut le temps de croiser le regard de Yuki et y lit un profond désarroi, lui faisant clairement comprendre qu’il avait fait une grave erreur en ne pas alertant ses congénères.

Depuis, sept ans étaient passés et Blind avait eu sept louveteaux avec Yuki et était à la tête d’un nouvel attelage où figuraient de jeunes chiens dont deux de ses fils. Meneur solide et efficace, il savait guider les autres chiens dans la tempête et déjouer les pièges des pistes. Qui plus est, une série de mauvaises rencontres l’avaient aguerris au combat et il était capable à lui seul de faire décamper n’importe quel intrus, rien qu’en montrant les crocs.

Et c’était fier de son passé et de son statut de chef qu’il continuait à tirer comme un forcené pour tirer le chariot du piège dans lequel il était tombé. Trop lourd, il s’était écroulé sur son flanc gauche et était resté bloqué. Et tout les efforts des chiens et de leur maître ne résoudrait guère le problème. Ils étaient bloqués. Finalement, Blind jeta un coup d’œil à son maître, signe qu’il ne pouvait faire mieux. Ce dernier acquiesça d’un signe de tête.

« Allez, ça suffit pour aujourd’hui. La nuit va tomber, on va camper ici. »

La décision était prise et le conducteur de l’attelage abandonna sa position pour aller détacher ses bêtes, épuisées par tant d’effort. Blind céda lui aussi à la fatigue et rejoignit sa meute pour se reposer. Une bonne nuit de sommeil l’aiderait à reprendre la route demain.

A peine les chiens endormis, la nuit tomba comme un roc et plongea l’immensité polaire dans les ténèbres glaciales. L’atteleur imita bientôt ses bêtes et se fourra dans ses couvertures, à l’abri du froid. Faire un feu était parfaitement inutile. Il ne voulait être la proie des bêtes errantes cette nuit et le blizzard aurait tôt fait de détruire le feu à peine celui-ci allumé. Il ne restait plus qu’à s’allonger dans l’épais sac de couchage et à attendre que Morphée fasse son office.

Néanmoins, le froid était tenace et lui mordait la peau. Parfois, Jean-paul Beaubier se demandait pourquoi il avait succédé à son père au lieu de travailler à la ville. Il était éleveur et conducteur de chiens de traîneau et reliait les points habités lorsque les motos neiges ne pouvait suivre les pistes. Peu à peu, son métier disparaissait et il était certain qu’il serait forcé un jour ou l’autre de se reconvertir. Au moins pourrait-il passer plus de temps auprès de son épouse et lui faire un bébé. Il rêvait de devenir un bon père de famille et de vieillir en compagnie de ses fidèles chiens, auprès de sa magnifique épouse.

Mais pour l’heure, il devait dormir et se reposer. Demain serait une journée difficile mais ils n’étaient plus très loin de la ville à présent. Bientôt il retrouverait son doux foyer. Home sweet home. Le visage de sa femme apparut dans sa tête tandis qu’il se sentait gagner par la chaleur. Peu à peu le froid disparaissait. Plus qu’une nuit. Plus qu’une nuit et il serrait de retour après un long mois d’absence. Oui, plus qu’une nuit.

Alors qu’il se sentait partir, un bruit étrange, comme un aboiement étouffé, lui vint aux oreilles. Décidément, il ne pourrait dormir en paix, cette nuit. Que se passait-il encore ? Est-ce qu’un de ses chiens s’était blessé lors du voyage ? Il l’aurait remarqué si c’était le cas. Peut être une bête féroce s’était aventurer jusqu’à ici. Si c’était le cas, Jean-Paul devait se dépêcher d’intervenir ou sa meute serrait décimée. Saisissant son fusil, le dresseur quitta la chaleur du sac de couchage et se mit debout. Sa carabine était chargée et s’il y avait un intrus, il aurait tôt fait de fuir à la première salve tirée.

Plissant les yeux, Jean-Paul se guida dans la nuit noire grâce à son attelage et aux trous creusés par les chiens. Les terriers formaient de petit tumulus de neige reconnaissables, même dans l’obscurité. Supposant que l’aboiement était venu de là-bas, il se dirigea vers l’endroit où nichaient ses chiens. A première vue, l’endroit semblait désert et seul le sifflement du vent perçait le silence glacial. Il avait donc rêvé. Oui, c’était ça. Le vent lui avait joué un tour et ce qu’il avait pris pour un aboiement n’était en réalité qu’une hallucinations auditive.

Se retournant pour regagner sa couche, Jean-Paul perçut un bruissement dans son dos. Faisant immédiatement volt face, le dresseur serra sa carabine, prêt à s’en servir. Il n’était pas un bon tireur mais il réussirait à faire fuir l’animal s’il y en avait un. Ses yeux percèrent l’obscurité intense où semblait se tapir une ombre.

Avançant prudemment, glacé par le vent qui hurlait à ses oreilles et redoublait d’intensité, il se dirigea vers la chose qu’il commençait à distinguer. C’est alors qu’à mi-chemin, son pied percuta un objet au sol, enfoui dans la neige épaisse. Baisant les yeux, Jean-Paul réprima un cri d’horreur lorsqu’il découvrit le cadavre de son fidèle Blind, la nuque brisée, à moitié dévoré.

Cette fois c’était certain, une bête s’était introduite dans le campement. Sur ses gardes, Jean-Paul balaya du regard l’étendue qui s’offrait à lui. Le doigt sur la gâchette, il était prêt à faire feu sur la saloperie qui venait de tuer son meilleur chien. Elle avait massacré le guide de la meute, le meneur qui devait les mener à bon port grâce à son expérience et à son intelligence. A présent que Blind était mort, qui le remplacerait ? Cette attaque sonnait le glas de la vie de l’attelage. Sans chef, les autres n’avanceraient plus. Plein de colère, Jean-Paul frapperait et ne raterait pas sa cible.

Aveuglé par la haine, il ne vit pas une ombre humaine apparaître derrière lui et n’eut même pas le temps de s’apercevoir qu’on lui brisait le cou. Il s’écroula dans la neige, mort, aux côtés de son fidèle Blind.

*

L’australien observa pendant quelques secondes l’avis de recherche placardé sur la porte du bureau du shérif avant de se tourner vers son compagnon, un bûcheron à la barbe épaisse d’une tête plus petit que lui.

« Tu penses que c’est lui ? »

Le bûcheron se frotta le menton avant de porter un œil à l’affiche. Elle signalait qu’une prime de dix mille dollars serait versé par le comté à celui qui mettrait la main sur un homme se faisant appelé Jason Wyre, recherché pour meurtre dans le coin.

« Possible. Il faudra interroger le shérif. »

L’australien acquiesça d’un hochement de tête puis fixa son chapeau sur sa tête. Approchant les un mètre quatre-vingt dix, il ne passait pas inaperçu avec sa dégaine de cow-boy, ses cheveux roux et ses santiags. L’Alaska n’était pas vraiment une contrée hospitalière pour lui comparé à son cher pays mais il s’accommodait du climat comme il le pouvait. C’est vrai que cet endroit n’avait pas grand chose à voir avec les étendues de sable ocre de sa Western Australia natale. Il passait d’un désert aride à un désert glacé. Au moins le peu d’habitations et les grands espaces ne le dépaysaient pas trop. Finalement, il se décida à pousser la porte du bureau de shérif.

L’intérieur était rustique et manquait sérieusement de confort. Seul un bureau grossièrement taillé, une vieille chaudière rouillée et une armoire déglinguée composaient le mobilier de l’endroit. Assis dans un fauteuil à bascule, un homme d’une cinquantaine d’années avec un embonpoint excessif le dévisagea sans retenue. Apparemment, les gens d’ici ne devaient pas beaucoup aimer les étrangers. Le quinquagénaire finit par s’adresser au nouvel arrivant avec un fort accent.

« Qu’est-ce que vous voulez ?
- Je passais dans le coin avec des amis. Jolie petite ville que vous protégez là, shérif.
- Vous n’avez pas répondu à ma question : Qu’est-ce que vous voulez ? »

Le ton du shérif était rude et peu enclin à la discussion. Comme tout les habitants de la bourgade, l’homme n’était pas amical et hospitalier. Cela n’étonnait l’australien qu’à moindre mesure car il connaissait la peur de l’étranger dans ce type de patelin mais ici, c’était particulièrement exacerbé. Sans doute c’était-il passé quelque chose d’inhabituel, rien à voir avec la fête des patates. Et il était bien décidé à tirer ça au clair.

« Le nom de Jason Wyre vous dit quelque chose, shérif ? »

Le shérif fut comme piqué au vif et plissa les yeux. Pour sûr que la remarque ne l’avait pas laissé de marbre.

« Vous avez lu l’avis de recherche, et après ?
- J’aimerai en savoir plus sur ce type. Qui il a buté ?
- Qu’est-ce que ça peut vous faire ?
- Croyez-moi, ça me fait quelque chose. Dix-mille dollars est une belle somme. »

Si avec ça, il n’avait pas compris sa démarche, ce shérif pouvait être couronné roi des abrutis. Mais il semblait avoir fais le lien et son visage rougeaud s’était illuminé tandis qu’un sourire y était apparu comme par enchantement.

« Vous êtes un chasseur de primes ?
- Pour sûr. Alors ?
- Il y a environ deux semaines, un drôle de gars est apparu en ville. Il se faisait appelé Jason Wyre. Il était plutôt discret et avait loué une chambre d’hôtel. Ce type, on le voyait jamais d’habitude. Mais un soir, une bande de mineurs l’a croisé.
- Et ?
- Et ce fut la troisième affaire de meurtres que connut la ville après l’assassinat de Bunny Gold et Bobby Gurk, à l’époque de la ruée vers l’or.
- La scène du crime ressemblait à quoi ?
- Un vrai carnage. Des bouts de chairs partout, des corps disloqués, des membres en moins. J’ai gerbé vingt fois avant de pouvoir appeler le légiste.
- Des témoins ?
- Un gamin qui a tout vu. Le pauv’ gosse est resté martyrisé. En tout cas, c’est pas un petit joueur ce Wyre. Vous êtes combien ?
- Trois.
- Hum. J’espère que vous savez ce que vous faîtes.
- On est des professionnels. »

L’australien eut un sourire. Il ne le précédait que de deux semaines ce qui voulait dire qu’il avait ralenti l’allure. Sans doute des types du coin l’avaient pourchassé et coupé dans sa fuite. Il salua le shérif avant de sortir. Son compagnon était occupé à observer une jeune femme qui passait, un sourire malsain lui barrant le visage.

« Pas de ça. On doit pas se faire repérer.
- T’as une piste ?
- J’ai mieux que ça. Wyre et lui ne font qu’un.
- Kane va être content.
- Où est-il d’ailleurs ?
- Parti au saloon collecter des informations.
- Plutôt se bourrer la gueule, ouais.
- C’est pas le genre du patron. »

L’australien hocha la tête pensivement.

« Tiens, le voilà de retour, justement. »

Les deux hommes se tournèrent vers l’homme qui approchait. Vêtu d’un épais manteau de fourrure, il ressemblait à s’y méprendre à l’un de ces villageois. Qui aurait imaginé que sous les épais vêtements se cachaient trois revolvers et une armées de couteaux ?

« Des résultats chez le shérif ?
- Je suis sûr que ce Wyre, c’est lui.
- Ce serra pas la première fois qui change de nom, patron.
- Vous avez raison. D’autant plus qu’un gars du saloon a repéré un type correspondant à sa description à la frontière canadienne. En se dépêchant, on peut diminuer l’écart. »

L’australien soupira.

« Pas de baise ce soir, on dirait. »
 
 
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