Urban Comics
  X-Files #11 : Wild Child (2) : L'étranger
 
Auteur : Lex
Date de parution : Avril 2008

Winter Hill.
Lily y était née, y avait grandi et y mourrait sans doute. Ce petit patelin de deux mille habitants avait été l’une de ces villes champignons qui avaient poussé dans le Grand Nord pendant la ruée vers l’or. De quelques cabanes construites par des chercheurs atteint de la fièvre de l’or, la ville s’était développée dans cette contrée inhospitalière et s’était forgée une réputation de trou à rats et de repère de vauriens de toutes espèces. Atteignant les cinq mille habitants à son apogée, la ville n’avait eu de cesse par la suite de décliner au fur et à mesure que les illusions des pauvres fous à la recherche du métal doré s’envolaient. Au début du siècle, la ville était passée sous autorité canadienne et la police montée canadienne en avaient fait une ville tranquille et sans histoires. Un bled comme on en trouvait partout au Canada, en sommes.

C’était dans cet atmosphère provincial que Lily avait vécu sa jeunesse, au côté de ses parents et de ses deux frères, isolée du monde. Car la petite ville se situait au beau milieu d’un océan de glace, un désert quasi inviolable qui rendait toute liaison avec l’extérieur quasi impossible. Aucune route ne parvenait jusqu’ici. Le seul chemin qui existait menait au puit. Le puit. Celui qui faisait vivre chacune des deux mille âmes de Winter Hill. Le puit qui les nourrissait. Le puit qui faisait jaillir une denrée bien plus précieuse que l’or. De l’or, elle n’en avait rien, en effet. Elle était liquide. Elle était noire comme l’encre. Noire comme la nuit. Noire comme les ténèbres. Mais elle les faisait vivre tous.

Depuis qu’on avait découvert du pétrole dans la région, tout près d’ici, la ville avait recouvré un peu de son importance d’antan. Des compagnies pétrolières avaient afflué en masse au début des années quatre-vingt dix et tenté de faire de Winter Hill un bastion de l’or noir Nord-canadien. Une lutte s’était alors organisée entre ces sociétés pour la suprématie sur le champ pétrolier régional. Une lutte dont une seul sortit vainqueur. Un outsider. A force d’intimidations et d’actions secrètes, il était parvenue à effacer ses concurrents et à s’installer durablement dans le coin. La Jaxon Company avait réussi son coup au delà des espérances et était la nouvelle maîtresse de Winter Hill.

C’était grâce à cette compagnie pétrolière que le pub dans lequel Lily travaillait était aussi fréquenté. C’était grâce à elle qu’elle disposait de cet emploi de barman-serveuse.

C’était une bien belle façade, en tout les cas.
La Jaxon pourvoyait à tous, oui. Mais tout n’était pas si rose. Le bar était, comme pour la plupart des bâtiments privés, la propriété de la Jaxon qui y imposait sa loi, comme partout. Ici, la seule police officielle était la milice privée de la Jaxon, composée d’une trentaine d’hommes chargés de jouer aux shérifs dans le patelin. Ensuite venaient les brigades non-officielles, à savoir des groupes de malfrats sous la tutelle de la compagnie chargés de faire régner l’ordre.

Un ordre très particulier bien sûr. La pègre de Winter était réapparue avec l’appui de la Jaxon, et disposait d’une certaine autonomie. Vols, menaces de mort et autres étaient devenus monnaie courante dans les quartiers mal famés de la ville. Cold Street. Nicholas Boulevard. Lincoln Street. Toutes ces artères étaient gangrenées par le crime local qui régnait dans une joyeuse anarchie. Et de ça, bien sûr, les autorités canadiennes ne connaissait rien.

Le bar de Lily se trouvait dans Nicholas Boulevard. Une rue enneigée qui coupait Winter en deux. C’était devenu un repère de fripouilles où chacun risquait de se faire voler ou agresser à tout instant. Nuit ou jour, les lieux n’étaient décidément pas sûr. Les honnêtes gens travaillaient tous pour la compagnie et les plus chanceux disposaient de jolies maisons et des salaires non négligeable. Les moins chanceux quant à eux survivaient comme ils le pouvaient. Lily en était réduite, grâce ou plutôt à cause de son jolie minois, à se prostituer occasionnellement. Des occasions qui commençaient à se faire régulière. Quand on avait le malheur d’être jeune, jolie et célibataire dans cette ville, la prostitution était une étape quasi naturelle. De serveuse à hôtesse, il n’y avait qu’un pas.

« Excusez-moi. »

Une voix rauque et brutale la tira de ses sombres pensées. Levant les yeux, Lily découvrit un homme ou ce qui semblait-être un homme, qui l’observait de ses yeux bleus délavés. De taille moyenne, il portait une sorte de poncho vert parsemé de larges tâches brunes, un jean déchiqueté et des bottines ayant connues des jours meilleurs. Des cheveux blonds et sales masquaient son visage, ce qui lui donnaient une allure inquiétante. Que lui voulait-il ? Peut être coucher. Bah, elle avait l’habitude de ce genre de zigotos. Resterait plus qu’à le persuader d’utiliser un préservatif.

« Oui ?
- Donnez-moi du whisky.
- Euh oui. D’accord. »

Quelle idiote. Elle était au comptoir et son client voulait boire, c’est tout. Un peu soulagée, Lily versa dans un petit verre une rasade de whisky, relevant plus du tord-boyaux que d’un alcool de qualité. A peine eut-elle fini de verser que le blond attrapa le verre et avala son contenue en quelques secondes.

« Un autre. »

Lily versa un autre verre. Puis le mécanisme se reproduisit une dizaine de fois, jusqu’à ce que trois bouteilles furent à sec. Chose étonnante, l’homme ne semblait pas être ivre ni même ressentir le moindre malaise. Il restait parfaitement lucide et continuait de scruter le visage de la serveuse. Lorsque le regard devint plus appuyé et qu’il descendit un peu plus bas, le cœur de Lily se mit à accélérer. Il allait vouloir coucher avec elle. Et si il avait de l’argent, elle serrait contrainte de le faire.

« Où est-ce qu’il y a un hôtel ? »

La question accentua son malaise et lui donna la réponse implicite à ses interrogations.

« Un hôtel ? Cet endroit fait hôtel. Vous… Vous voulez qu’on le fasse dans une chambre ? »

La question sembla surprendre le blond qui fronça les sourcils.

« Faire quoi ? Je veux juste réserver une chambre.
- Vous n’êtes pas d’ici ?
- Non. »

Un étranger. Ils étaient plutôt rares. Étrange. Finalement, Lily le conduisit jusqu’à un escalier qui menait à l’étage. Après avoir suivit un long couloir et passés quelques portes, la serveuse s’arrêta devant une porte sur laquelle était inscrite à la peinture noire le chiffre dix en lettre romaine.

« Voilà. C’est ici. Vous avez de quoi payer ?
- Oui.
- Bien. Si jamais vous souhaitez de la compagnie et que vous avez de quoi payer, descendez en bas pour demander. »

L’homme ne répondit pas à la suite du discours appris par cœur que Lily devait répéter à chaque client pour les forcer à coucher.

« A quel nom je mets votre réservation ?
- Wildheart. Buck Wildheart.
- Très bien monsieur Wildheart. Merci d’avoir pris une chambre dans notre établissement. »

Lily tourna les talons et se dépêcha d’emprunter l’escalier qui la ramènerait en bas. Ce Wildheart lui flanquait les foies.

*

Les marches craquèrent sous ses pas. Un couinement horrible semblable à une complainte. Celle du bois agonisant qui hurlait sa souffrance. Mais personne ne s’intéressa à son sort. Non. Personne. Arrivé à mi-chemin, Buck s’arrêta pour contempler les lieux. Vu d’en haut, le club n’était pas si petit qu’il l’avait imaginé en arrivant ici. Devant le comptoir aux pieds des escaliers massif se trouvait une salle où siégeaient quelques tables de saloon, juste devant la porte hermétiquement close, qui retenait le froid polaire dehors. La salle se prolongeait à gauche, le long d’un couloir de tables et de sièges entre lesquels serpentait une estrade. Un peu plus loin se cachaient les coulisses, à l’abri des regards. Finalement, Buck sauta les quelques marches restantes et termina en bas.

Débarrassé de son horrible poncho, il arborait un T-shirt noir et ses bottines qu’il avait nettoyé étaient masquées par les bas de son jean. Ainsi vêtu, il passerait inaperçu dans la foule attablée qui attendait un événement bien particulier. A la vue du grand nombre d’individus masculins, Buck avait sa petite idée sur la nature du spectacle qui allait avoir lieu dans quelques minutes.

Puis il se fraya un passage pour atteindre quelques sièges libre, près de personnes aux allures de truands. Peu à peu, le brouhaha faiblit tandis que l’éclairage commençait à disparaître. Enfin, la pénombre s’abattit dans le club alors que deux énormes projecteurs braquaient leurs lumières blanches et aveuglantes sur la scène. Joe Cooker jaillit des enceintes et une créature à peine vêtue fit son apparition sous les applaudissements sonores de la gente masculine, aux anges. Brune et élancée, elle dévoila tout ses charmes dans une danse dépourvue de pudeur où scintillait les paillettes argentées de sa tenue comme mille minuscules miroirs.

Parmi le public, seul un être restait sans voix, muet comme une carpe. Buck était totalement subjugué par l’apparition de cette céleste déesse aux allures angéliques. Son cœur tambourinait comme un beau diable dans sa poitrine et une vague de chaleur l’envahissait avec une soudaineté terrassante. C’était plus qu’un banal désir sexuel comme tous autour de lui en éprouvaient. C’était bien plus. Oui, bien plus. Jamais il n’avait éprouvé ce sentiment intense qui le submergeait comme ce soir. Il n’avait jamais connu pareille sensation. C’était divin, tout simplement. Bêtement, ses soucis s’envolaient alors qu’il ne pouvait détacher ses yeux bleus de cette femme magnifique qui frottait son corps superbe contre une barre de métal. Comme il aurait aimé être cette objet froid qui avait la chance d’effleurer cette peau merveilleusement belle et souple.

Les minutes passèrent alors que Buck était sous le charme, envoûté puis la danseuse disparut au profit d’une de ses collègues. La bulle explosa et le rêve fut brisé. Ne restait plus qu’une immense frustration et un désir animal qui l’envahissaient. Il voulait lui faire l’amour, la posséder à même le sol, la faire grimper au rideau. Il la voulait. Et maintenant. Secouant la tête pour faire sortir ces troubles pensées de son crâne, Buck alerta un de ses voisons.

« Ca va comme tu veux, vieux ?
- Comment s’appelle-t-elle ?
- Qui ?
- La danseuse. Celle d’avant.
- Ah ! Aurora ! Elle t’a tapé dans l’œil, on dirait. Jolie morceau, hein ? Moi aussi je me la ferrai bien. »

Buck avait une folle envie de tuer ce type qui riait à gorge déployé, lui faire exploser le crâne, lui arracher la peau et les yeux. Lui faire bouffer ses couilles. Comment osait-il parler d’elle ainsi ? Mais il fallait qu’il se calme au plus vite. Il devait se comporter comme un être civilisé, ne pas laisser place à ses instincts primaires et dévastateurs. Se contrôler. Se contrôler. Il devait se contrôler. Respirer. Expirer. Respirer. Expirer. Respirer. Expirer.

« Hé ! Tu m’écoutes ? T’as flashé sur la plus belle mais…
- Mais quoi ? »

La voix de Buck avait claqué comme un coup de fouet.

« Mais c’est la copine de James McDonald Hudson, l’un des cow-boys de Jaxon. T’as aucune chance, vieux. C’est lui, là. »

Le badaud désigna un groupe d’hommes attablés, vêtus de long manteaux beiges. Parmi eux, un type élégant âgé d’une quarantaine d’années, ses doigts gantés sur un revolver posé sur la table. Une rage folle commença à germer en Buck. Une rage qui le conduisait à des envies de meurtres sanglants qu’il serrait tout à fait capable d’exécuter s’il ne se maîtrisait pas. Mais avec cet ordure qu’il fusillait du regard, il était difficile de se concentrer et d’oublier. Très difficile.

« C’est un sacré boxeur aussi. Le meilleur de la ville.
- Un boxeur ?
- Ouais. Enfin ils appellent ça du free fight. Tout les coups sont permis. On peut même tuer le type ! C’est ce qui est arrivé à un gars de passage qui a défié Hudson. Il s’est fait réduire en bouillie. »

Un étrange sourire se dessina sur le visage de Buck. Il tenait là le moyen de laisser éclater sa rage contre cet homme qui l’empêchait toute liaison avec cette fille qu’il aimait comme un dément. Bientôt il pourrait taper dans cette pourriture sans aucune retenue et le tuer sans que personne ne fasse quoi que ce soit, dans « les règles de l’art ». Oui, bientôt, ce connard allait mourir et il ferrait durer le plaisir. Ensuite, personne ne lui barrerait la route jusqu’à elle. Aurora. Aurora. Aurora. Son nom commençait à l’obséder.

« T’es sûr que ça va ?
- Il y a des concours de free fight ?
- Oui, bien sûr. Tout le monde se réunit dans le gymnase lorsqu’il y en a un. C’est un gros événement. Chaque balaise du coin défit Hudson et trois de ses coyotes.
- Comment on s’inscrit ?
- Suffit d’aller voir Hudson et de lui prouver que tu en vaux la peine. Après seul lui déc… »

Mais le voisin de table n’eut pas le temps de terminer sa phrase que Buck se dirigeait vers Hudson et ses hommes, l’air visiblement déterminé, bousculant chaise et table pour se frayer un chemin.

Buck arriva finalement devant Hudson et les quatre hommes qui partageaient sa table et son repas. Son air furieux et son apparence firent sourire les miliciens de la Jaxon qui se regardèrent en pouffant. Hudson observa pendant quelques instants ce jeune loup comme on observe un bouffon puis prit la parole.

« Qu’est-ce que tu veux, mon gars ?
- Ta peau. »

A peine Buck eut-il terminé sa phrase qu’il fit valser la table et le repas contre le mur d’un geste ample de la main. La réaction fut immédiate et les hommes sortirent leurs armes cachés sous leurs vêtements. Mais Buck, d’une agilité et d’une rapidité incroyable désarma deux d’entre eux en quelques secondes puis leur asséna de violents coups qui les firent valser dans le décor.

La musique s’était tût et tout les regards convergeaient maintenant dans la même direction. Face à face, Hudson et Buck se lançaient des éclairs alors que les miliciens restants pointaient leurs armes sur le cinglé qui avait attaqué leur chef sans raison apparente.

« Je te conseille de te calmer et de me dire quel est ton problème. »

Le ton paternaliste qu’il employait mit Buck en rage et ses poings serrés menaçaient d’exploser. Un souvenir apparut furtivement dans son esprit. Le visage d’un homme qui ressemblait à Hudson. Une vision de son enfance, sans doute.

« Mon problème ? J’aime pas ta gueule. C’est ça mon problème. Je suis allergique aux enculés dans ton genre.
- Tu sais au moins à qui tu t’adresses ?
- A l’enculé qui dirige une troupe de mercenaires pour la compagnie pétrolière du coin.
- Hum. Je vais devoir te tuer pour ce que tu as dis. »

Lentement, Hudson saisit son pistolet et le pointa vers le visage de son interlocuteur. Chacun dans la salle était stupéfait par le coup d’éclat de cet inconnu et tous retenaient son souffle, attendant le tir qui clouerait le bec à ce fou. Mais le tir ne vint pas. Au contraire, Hudson lâcha son arme. Puis un sourire apparut sur son visage.

« Nous n’avons qu’à régler ce problème sur le ring. Un bon combat ne pourra que nous faire du bien. Tu acceptes ?
- Avec joie. »
 
 
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