Auteur : Lex
Date de parution : Juin 2008
« Ton nom ? »
Buck releva la tête pour découvrire une sorte de géant barbu aux mains et aux bras démesurément grands. La casquette vissée sur sa tête masquait ses yeux mais Buck sentait au ton employé par l’homme qu’il n’avait rien d‘un ami. Ayant patienté pendant près d’une heure dans une grange faisant office de salle d’attente, il avait croisé toutes sortes de zigotos aux muscles saillants et aux regards massacreurs mais celui-ci les surpassaient tous. Plus vieux qu’eux, il ressemblait à un de ces catcheurs déchus, anciennes gloires du sport qu’une blessure avait forcé à quitter le ring. Se levant pour faire face à son interlocuteur, Buck murmura en plissant les yeux :
« Buck Wildheart.
- T’as quel âge, Wildheart ?
- C’est important ?
- Obligatoire. C’est pour éviter que des mineurs montent sur le ring et se fassent dégommer la tronche.
- J’ai l’air d’un môme ?
- Écoute, vieux. C’est pas parce que t’as joué ton Clint Eastwood avec Hudson que tu vas m’impressionner. Sois tu réponds à mes questions tranquillement, sois j’te fous à la porte avec un bon coup de pied au cul. Clair ?
- …Okay.
- Et grince pas des dents, ça me donne mal à la tête. Bon. Reprenons. Ton âge ?
- Trente et un ans.
- Bien. Maintenant la vérité ?
- Je viens de le dire.
- Te fous pas de ma gueule. C’est pas parce que t’as de la barbe que tu vas me faire croire que t’as dépassé la trentaine.
- … Vingt-quatre.
- J’t’ai dis d’arrêter de grincer des dents. T’es sourd ou simplement con ?
- …
- Bon. Vu ta carrure, tu dois peser dans les soixante-dix kilos. C’est ça ?
- Si vous le dîtes.
- J’prends ça pour un oui. Ta taille ?
- Un mètre quatre-vingt.
- T’as un casier ?
- Putain, c’est un interrogatoire ou quoi ? »
Buck se fit soudain menaçant. Il n’hésiterait pas un seul instant, dans le climat anarchique qui régnait dans cette ville à massacrer ce musclor de pacotille. Ce serait d’une simplicité enfantine. D’abord il l’attraperait par les couilles puis presseraient extrêmement fort pour qu’un cri jaillisse de la gorge de ce porc. Puis il lui donnerait un puissant coup de tête dans la poitrine pour lui couper le souffle avant de lui enfoncer les talons de ses bottines dans les yeux. Et c’est seulement après qu’il l’achèverait en lui brisant la nuque.
Mais l’occasion de supprimer cet imbécile ne vint, hélas pas et une voix familière se fit entendre dans le dos du futur combattant. Une voix qu’il connaissait désormais très bien. Une voix dont le propriétaire était l’enflure qu’il haïssait le plus en ce moment. Celle de James McDonald Hudson.
« Allons, Willy, arrête de l’emmerder avec ces questions. C’est pas parce qu’il a joué les cow-boys avec moi y a deux jours qu’il mérite que tu lui infliges ces conneries.
- Okay, boss. C’est vous qui voyez même si à votre place, je l’aurais déjà envoyé six pieds sous terre.
- Mais tu n’es pas moi, Willy. »
Un rire sonore jaillit de la gorge du mercenaire de la Jaxon Company tandis qu’il s’approchait des deux hommes face à face. Après une tape amicale dans le dos du dénommé Willy, il se tourna vers Buck qui fulminait intérieurement. Il ne pouvait pas voir cet enculé en peinture et qu’il soit ainsi en face de lui, arrogant et tout-puissant, ça lui filait des boutons ainsi qu’une folle envie de lui arracher la tête. Mais il ne devait pas se laisser aller. Pas maintenant. Il savait ce qui se passait lorsqu’il ne se maîtrisait plus et le long sillage de cadavres qui juchait sa route pouvait en témoigner. Pour le moment, il ne devait pas céder à ses instincts brutaux. Il aurait tout le temps pour ça sur le ring, face à cet enflure. Il le ferrait atrocement souffrir, oui. Mais pour l’heure, il fallait garder son calme et paraître moins agressif que l’autre soir.
« Alors… Buck. Comment ça va, aujourd’hui ? Tu me détestes toujours ? »
Il partit dans un nouveau rire en observant la réaction de son interlocuteur. Il le prenait pour un pauvre abruti paumé ou un cinglé suicidaire. Mais il était à dix lieux d’imaginer quel adversaire il avait en face de lui.
« Tu réponds pas, Buck ? Bah, pas grave. Willy ? Tu peux nous laisser seul, moi et Buck ?
- Vous êtes sûr, boss ? La dernière fois il…
- Je sais pourquoi Buck m’a attaqué et j’ai besoin de discuter de ça avec lui. Alors casse-toi, vu ? »
Willy acquiesça maladroitement puis disparut de la grange après avoir invité les derniers à s’inscrire pour les combats à l’imiter. Enfin, les deux hommes se retrouvaient seuls à seuls. Buck tenait là son occasion de démolir cet enfoiré devant lui mais une chose l’en empêcha. Hudson avait dit connaître les raisons de son emportement d’il y a trois jours. Pouvait-il soupçonner l’attirance qu’il éprouvait pour sa petite-amie ? Possible. Le voisin de table de Buck s’était sûrement empressé d’aller tout raconter de leur conversation en espérant une récompense. Et si c’était le cas, Hudson avait dû prendre ses dispositions pour éliminer son adversaire. Peut être que ses hommes entouraient déjà la grange, prêt à y pénétrer pour l’abattre comme un chien. Pou l’instant, mieux valait rester prudent.
« De quoi veux-tu me parler ?
- Tiens, j’ai pas le droit à un flot d’insultes comme la dernière fois ? Mince. Tu n’as pas perdu tes convictions de justicier, j’espère ?
- Répond à ma question, Hudson.
- Bien sûr que je vais y répondre. Je sais qui tu es, tu sais.
- Il suffit de lire le formulaire que ton lèche-botte a rempli pour…
- Nan, nan. Moi je te parle de ta véritable identité… »
Buck tressaillit presque imperceptiblement. Ce pourrait-il qu’il sache…
« …Jason.
- Quoi ?
- C’est bien ça ton prénom ? Jason ? »
Un soulagement envahit Buck qui souffla silencieusement. Il le prenait pour Jason Wyre, l’une de ses nombreuses identités dont il avait usé durant sa longue cavale. Buck décida de jouer sur la crédulité de son ennemi personnel et soupira, comme s’il venait d’être démasqué.
« Ouais. C’est bien ça. Comment t’as su ?
- J’ai mes sources, Jason Wyre. J’ai mes sources.
- Et qu’est-ce que tu comptes faire ?
- Je pourrais te dénoncer aux flics mais ici, c’est moi la police. Alors j’hésite. Est-ce que j’applique la loi en débarrassant la Terre d’un criminel ?
- Ou ?
- Ou est-ce que je le laisse tranquille ?
- Pourquoi tu ferrais ça ?
- Allons, je connais les types dans ton genre. T’es un fugitif et t’en a sûrement marre de cavaler, je me trompes ? »
Sur ce point là, Hudson avait raison. Il en avait plus qu’assez de fuir d’états en états.
« Non.
- Bon. Vu que t’es un fugitif, je suppose que t’as besoin de fric et c’est la raison pour laquelle tu veux monter sur le ring et que tu m’as fais ton petit speech l’autre jour pour me taper dans l’œil et pouvoir être autoriser à t’y inscrire. C’est ça ?
- … Ouais.
- Et tu était au courant depuis longtemps de la récompense à la clef ?
- C’est beaucoup d’argent.
- Oui, cent-mille dollars, ce n’est pas rien. »
Buck blêmit. Tout ce fric en jeu pour un combat ? Hudson devait être bien sûr de lui.
« Et maintenant ?
- Maintenant quoi, Jason ?
- Maintenant, on fait quoi ? Tu sais qui je suis et moi j’ai besoin du fric de la récompense.
- Je te propose un petit deal. Ce combat, je vais le remporter et tu vas le perdre.
- Quoi ?
- Mais tu vas quand même toucher du fric. Assez de fric pour une nouvelle identité, de la chirurgie plastique et un vol pour le pays de ton choix en étant sûr d’être à l’abri des flics. »
Hudson se trompait. Les gens qui le poursuivait ne s’arrêteraient pas à la frontière de l’état voisin et ne se laisserait jamais berner par un changement physique et administratif. Ils étaient les meilleurs et rien ni personne ne les avaient arrêtés jusque là.
« T’en penses quoi ?
- Donc je perds et ensuite je touche le fric ?
- Voilà.
- Hum.
- Quoi ?
- Ca me convient pas. Qui me dit que tu vas me verser le fric une fois que je serrais à terre ?
- Question de confiance.
- Je n’ai confiance en personne. Je veux cinquante-mille dollars avant le combat et le reste après. Si tu veux pas perde ta crédibilité face à la vox populi et surtout, face à Jaxon.
- T’es plus intelligent que je le pensais, Jason. Va pour les cinquante-mille. Je te les donnerais avant le combat et…
- Non. Je les veux maintenant.
- Maintenant ? Hum. Tu me demandes beaucoup.
- Après je m’inclinerais et je me casserais de ce bled.
- C’est d’accord. Je vais aller chez moi et te ramener le fric.
- Non. Je t’accompagnes. Je veux pas que tu reviennes avec une poignée d’enfoirés près à me tirer comme un lapin.
- Okay. Okay. Aurora ne serra pas contre un invité de plus à notre table. »
*
« D’où venez-vous, Buck ? »
Buck, assis en bout de table, dans la vaste salle à manger des Hudson, tourna la tête pour faire face à son interlocutrice, la flamboyante Aurora. Vêtue d’une robe noire moulante, elle ressemblait à l’une de ces actrices d’un autre temps qui faisaient tourner les têtes et ensorcelaient une critique asservie, sous le charme. Croisant le regard bleuté de la jeune femme, Buck se sentit défaillir mais il se reprit et parvint à dire avec un calme qui ne lui ressemblait pas :
« Je suis né dans le New-jersey. »
Il avait déjà ressorti ce mensonge une centaine de fois, s’était construit une multitude de passés plausibles ainsi qu’une ribambelle d’identités dont celle de Wildheart, dernière en date. Ce bon vieux Buck serrait donc originaire du New-jersey où il y aurait grandi et à la suite de la mort de ses parents, aurait pris la direction de l’Alaska pour retrouver un oncle pour qui il aurait travailler bon nombre d’années avant de repartir à l’aventure.
« C’est loin. Ca a dut être difficile pour vous de vous rendre ici.
- Je vivais chez un oncle en Alaska. Ca fait une petite trotte mais ça a été.
- Intéressant. Et votre oncle est votre seule famille ?
- Était. Je n’ai plus personne, aujourd’hui.
- Oh je suis… désolée. »
Aurora détourna le regard tandis qu’un sourire compatissant apparaissait sur ses lèvres d’une douceur sans doute exquise.
« Allons. Ne remuons pas votre passé qui semble douloureux, Buck, et parlons affaire. »
Hudson brisa le lien qui venait de se créer entre l’amoureux transi et sa bien-aimée. Se doutait-il de quelque chose ? Non. Cet imbécile était persuadé de la véracité de l’histoire de Wyre. Il avait interrompu la conversation simplement pour éviter à Buck de nouveaux mensonges.
« Je vais vous laisser. »
Aurora disparut presque aussitôt après ces quelques mots, comme si la phrase de son petit-ami lui en avait intimé l’ordre.
« Elle ne reste pas ?
- Pourquoi faire ? Elle n’a pas à être au courant de notre arrangement. Mais peu importe Aurora. Je suppose que vous voulez votre argent, et ce dès maintenant ?
- Oui.
- Bien. Je vais aller vous le chercher, dans ce cas.
- Allez-y. »
Ce fut au tour de Hudson de s’évaporer comme par enchantement, le sourire aux lèvres. Cet enflure semblait bien sûr d’elle. C’était louche. Mais Buck, encore sous le charme de la sublime créature qui partageait la couche de son futur adversaire sur le ring, n’en avait cure. Qu’il tente quelque chose et il lui briserait le cou. Ensuite, Aurora lui appartiendrait. Mais voudrait-elle de lui ? Serrait-il assez bien pour elle ? Il était sans le sous et fugitif. Qu’avait-il de plus que Hudson ? Ce dernier était puissant, craint et respecté et avait les moyens de satisfaire une femme. Lui n’avait rien du tout. Si seulement il pouvait la revoir ne serrait-ce qu’un instant, seul à seule, pour lui déclarer sa flamme. Après tout, c’était possible. Hudson parti, il aurait tout à loisir de pénétrer dans sa chambre.
Le sourire aux lèvres, Buck quitta la pièce et prit la direction de l’escalier qui menait à l’étage, escalier qu’Aurora avait emprunté quelques minutes plus tôt. Veillant à ne faire aucun bruit, il monta quatre à quatre les marches en bois, jetant des coups d’œil derrière lui pour vérifier si Hudson ne revenait pas avec la somme promise. Puis il ouvrit la première porte qui lui apparut, priant pour qu’il y découvre la jeune femme qu’il désirait.
« Mais qu’est-ce que vous faîtes ici ? »
Elle était là. Une moue étonnée sur son minois d’ange.
« Il fallait que je vous vois.
- Mais pourquoi ?
- Vous connaissez la raison pour laquelle je vais me battre Samedi ?
- Pour la récompense, bien sûr.
- Pas que pour ça, non.
- Pour prouver votre virilité alors. Mais vous ne devriez pas être là. Vous savez, si James nous surprend il… il est très jaloux.
- Je me fiche de ce connard. »
Buck franchit les quelques pas qui les séparaient d’elle. Elle tressaillit tandis que ses yeux bleus magnifiques exprimaient une interrogation à laquelle s’ajoutait une profonde incompréhension. Lentement Buck la prit par la taille en plongeant son regard dans le sien.
« Je ne suis pas venu ici pour Hudson et je ne combattrai pas pour de l’argent.
- Pourquoi alors ? »
Buck ne répondit pas. Au lieu de cela, il déposa un baiser sur ces lèvres qui lui promettaient tendresse et douceur. Leur étreinte dura quelques secondes à peine. Une éternité pour les deux être en communion. Puis Aurora y mit un terme tandis qu’une larme roulait sur sa joue.
« Qui y a t’il ?
- Vous allez vous battre pour moi, alors ?
- Oui.
- Vous êtes fou. Personne ne survit à James Hudson. Si il vous a promit quelque chose et bien… ce quelque chose est faux. Je connais James et…
- Je m’en fiche. Je t’aime.
- Vous n’êtes pas obligé de faire ça.
- Il ne te partagera pas et moi non plus.
- Je ne suis qu’un jouet pour vous deux, alors ? Le prix du concours ?
- Je t’offrirais tout ce que tu voudras une fois que j’aurais ce fric et que Hudson sera éliminé.
- Vous êtes complètement fou.
- Oui. Fou de toi.
- Partez, James va revenir.
- Je t’aime. »