Urban Comics
  Episode 3 : Rencontre chez les anges dechus
 

Histoire : Zauriel
Date de parution : Avril 2007

Nigel Keane n’aimait pas New York. Il y avait beaucoup trop de bruit. Tous ces gens qui parlaient fort, ces taxis qui klaxonnaient, ça le rendait dingue. Il ne supportait pas le bruit des bus qui s’arrêtaient, le bruit du moteur en branle, les marteaux piqueurs des ouvriers qui aménageaient de nouveaux bureaux, ces sonneries qui retentissaient dans les magasins. Tout cela le fatiguait.
Ce n’était que prétexte, bien sûr. S’il râlait autant, c’était parce qu’il n’aimait pas la foule. Oh, il ne s’agissait pas de se sentir supérieur au type lambda, loin de là. Le problème, c’est que Nigel Keane attirait l’attention, et que ce n’était évident ni pour lui, ni pour les autres, de démêler certaines situations.
Lauren lui avait filé le dossier de Michael Cray, nom de code : Deathblow. Nigel en avait connu, des cinglés, mais Cray avait une réputation d’enfer. Peut être était-ce dû à sa mutation. Il se régénérait. Ca pouvait prendre du temps, ça pouvait lui faire un mal de chien, ce salopard, s’il encaissait, savait comment encaisser. Et gare à vous s’il vous chopait après coup. Ce malade arrachait les têtes à mains nues pour en orner les murs de son foyer. Nigel pensait aux gosses que ce fou furieux aurait pu avoir.
« Eh dis, papa, je peux aller tuer le voisin, il m’a regardé de travers ? »
Si McArest, Lynch et Slayton étaient spécialisés dans l’intervention précise, l’infiltration silencieuse, Cray faisait dans le bourrin. Il avait chargé une trentaine de militaires surentraînés en Yougoslavie, et devinez qui avait gagné ? Ces trente salopards, avec leurs putains de mitraillettes qui crachaient une centaine de balles à la minute ? Ou ce kamikaze, avec pour seules armes son Ruger et son couteau Bowie ? Je vois que vous avez deviné…
Nigel savait pour qui il bossait. Il savait de quoi Stormwatch dépendait, même si l’institut s’accordait de temps à autre des passes droits et s’arrangeait avec la morale et les lois. Stormwatch était un corps armé, dépendant de l’ONU, et n’avait aucun compte à rendre à l’armée américaine. Tous les agents de l’institut étaient déclarés à l’ONU, ainsi que leurs pouvoirs et leurs nom de code. Ils agissaient dans la légalité. Ce qui n’avait pas semblé être le cas, pour la première équipe. A l’époque, l’institut venait d’être crée. C’était au tout début des années 1980. Le gouvernement avait découvert l’existence d’individus à pouvoirs. La plupart étaient sans importance, mais certains… Au lieu de se battre contre eux, l’ONU a trouvé préférable de les approcher, de leur proposer un job, une pension. Beaucoup d’entre eux avaient accepté. Mais si tous avaient pénétré dans Stormwatch, les tests pour faire partie de l’équipe spéciale étaient rudes. Close Combat, épreuve de tir, meurtre à mains nues. Les agents de Team One avaient appris à ne pas compter que sur leurs pouvoirs. L’équipe a été formée aux alentours de 1982. Quatre membres : Slayton, Lynch, Cray, et McArest. Ils ont été envoyés dans tous les coins chauds de la planète, identifié comme un groupe terroriste parahumain, n’ayant aucun lien avec une quelconque armée ou une quelconque organisation militaire. Imaginez le péril que ç’aurait été. L’ONU, responsable de la paix dans le monde, avec du sang de dictateurs sur les mains. Tout aurait été foutu. Les quatre zigotos étaient des mecs réglos. Ils se la jouaient mercenaires avec leurs contacts, mais revenaient toujours à la niche la mission terminée. McArest butait les sentinelles avec ses rayons laser, Slayton s’infiltrait, Cray bousillait les gardes, et Lynch s’occupait de la cible, se dissimulant dans les ténèbres. Une équipe parfaite, sans point faible. Et puis il s’était passé quelque chose, au début du moins de mars 2000, durant une mission en Grèce. Le but était de trouver un agent de Stormwatch qui avait décidé de tenter sa chance en tant que consultant terroriste. Le salopard avait déjà sur les mains le sang de plusieurs équipes, à cause de pièges et d’embuscades. Team One l’aurait retrouvé, éliminé, mais des tensions dans le groupe l’aurait fait éclaté. Cela couvait-il depuis le départ de Lynch ? Ou bien n’était-ce que tout récent ? Quand on avait retrouvé McArest, il errait dans le Sahara, à moitié perdu et déshydraté. Quelques jours plus tôt, pendant un coup de folie, il avait essayé de tuer Cray en le projetant sur orbite. Cray s’était débattu, et ils s’étaient tous les deux écrasés dans le désert. Une fois les trois agents récupérés, on décida de dissoudre Team One, de masquer leurs souvenirs et leurs pouvoirs. Tout le monde avait trouvé cette réaction radicale, mais peu de gens connaissaient véritablement le groupe Team One, et personne ne prit leur défense. Personne ne prit leur succession, et durant cinq ans, Stormwatch redevint ce qu’elle était à sa création. Un institut de surveillance.
Nigel marchait sur le trottoir, évitant de bousculer qui que ce soit. Il portait un large chapeau et un long manteau de cuir. Il voulait passer à tout prix inaperçu. D’après le rapport, Cray vivait maintenant sous un autre nom, celui de Hugh Stevens, et il était barman dans une boite de nuit à la mode, à New York, le Fallen Angel. Stormwatch leur avait peut être détruit leur vie précédente, mais ils s’étaient quand même bien démerdés pour leur en créer une nouvelle. Cray, ou plutôt Stevens, vivait seul, dans un studio de moins de vingt mètres carrés, à côté de la station de métro JFK. Quand il ne travaillait pas, il jouait au bowling, dans des tournois. Un joueur émérite, plusieurs fois champion de la côte Est.
Nigel entendit quelqu’un lui parler, derrière lui.
« Eh, vous là. »
Il jeta un coup d’œil derrière son épaule, gardant bien son large chapeau vissé sur la tête, et son écharpe autour du bas de son visage. Il continua sa marche. D’après les indications qu’on lui avait fournies, le Fallen Angel n’était pas loin. Derrière lui, le flic s’était mis à courir pour le rattraper. Nigel se mit à marcher plus vite, bousculant plusieurs personnes au passage. Son chapeau tomba. Une femme hurla à son passage. Il n’était pas toujours évident de se retrouver face à un homme dont la peau était en fait l’énergie crée par son esprit.
« Un mutant, hurla-t-elle. »
La foule hystérique commença à se disperser sous l’effet de la terreur, mais certains passants s’approchèrent de lui pour le rouer de coups. Il reçut même un caillou dans la tête. Il ne pouvait pas utiliser son pouvoir pour rendre sa peau plus dense, sous peine de les blesser. Lui qui avait réussi à terroriser des milices armées, à réduire en cendre des canons et des armes à feu, voilà qu’il était à la merci de la foule qui le rossait. Il ne pouvait rien faire contre eux. Les mutants, appelées homo superior par la communauté scientifique. Certains pensaient qu’il s’agissait d’une espèce parallèle, d’autres affirmaient qu’il s’agissait de sous hommes. Mais la plupart étaient sûrs que les homos superior étaient l’avancée ultime de l’évolution, une nouvelle espèce prête à écraser avec sadisme l’homo sapiens. Et c’était surtout cette version là qu’avait retenue l’américain moyen. Nigel était couché sur le sol. Il essayait de protéger son visage de ses mains meurtries.
Mon Dieu, je vais mourir.
Il essaya de chasser cette pensée. Il n’avait pas à abandonner. Il pouvait très bien être suffisamment précis pour ne pas les blesser. Il ferma les yeux, essaya de faire abstraction de la douleur.
« Arrêtez, espèce de malades. »
La foule se dispersa rapidement, sans jeter un coup d’œil à Nigel, qui se tortillait sur le sol. Le flic se pencha sur Nigel.
« Ca va ?
- Vous trouvez que j’ai l’air bien ? »
Nigel s’assit sur le bitume. Il se concentra un peu, et le sang vert qu’il avait sur son visage fut absorbé par sa peau. Il ne s’inquiétait pas de ce que pouvait penser le policier à côté de lui. S’il avait voulu le blesser, ç’aurait déjà été fait depuis longtemps. Il tourna la tête vers le policier et haussa les sourcils, un sourire cynique aux lèvres.
« Vous venez m’achever, monsieur l’agent ? »
Le flic avait sorti de sa poche un paquet de Marlboro et en présenta une à Nigel, qui l’accepta volontiers.
« Je ne suis pas de ce genre là, monsieur Keane.
- Vous êtes télépathe ? »
Le flic lui tendit son portefeuille en cuir marron.
« Vous l’aviez fait tomber. Désolé, si j’ai attiré l’attention, monsieur Keane.
- Nigel, s’il vous plait. Il n’y a que mes supérieurs qui m’appellent monsieur Keane, et ce ne sont pas des personnes que j’apprécie.
- Vos supérieurs ? Ce n’est pas pour paraître grossier, mais je doute qu’un type comme vous, pardonnez l’expression, puisse entrer dans l’armée.
- C’est un corps spécial, monsieur l’agent. Mais dites moi, vous êtes entrés comment dans la police ? Ils n’ont pas détecté votre superforce, agent Walker ? »
L’inspecteur Christian Walker passa la main dans les cheveux, dévoilant sa poche revolver accrochée sous son bras gauche.
« C’est vous le télépathe ?
- Votre plaque est suffisamment mise en évidence pour que je sache votre nom »
Walker serra les bras contre sa poitrine.
« Et pour ma soi-disant superforce ?
- C’est un peu plus compliqué, et je n’ai pas vraiment le temps d’en parler. »
Il se remit debout et épousseta son manteau. Il posa son chapeau sur sa tête et mit son portefeuille dans sa poche. Il salua l’officier de police en touchant le rebord de son chapeau.
« Allez, dites moi comment vous avez fait. »
Décidément, ce jeune New-yorkais avait du mal à comprendre.
« Pas le temps, je vous dis. Tenez. »
Il glissa dans la main du jeune flic une carte, celle du bar où il devait trouver Hugh Stevens.
« Le Fallen Angel ? Vous manquez de vous faire lyncher en pleine rue et vous allez au Fallen Angel ?
- C’est mon genre d’endroit. La rue, non. J’y serai sur les coups de minuit, ce soir. Si vous voulez mon truc, ne traînez pas. »

Il laissa là le jeune flic. Walker le regarda partir avec un sourire amusé.
Foutu Irlandais.


23h37. Le Fallen Angel.
Nigel se déplaçait dans la boite de nuit en bousculant sans douceur ceux qui lui barraient le chemin pour aller au bar. Il avait besoin d’un verre. Il avait retiré son chapeau, et ici, personne ne lui avait fait de remarques désobligeantes. Ah si, une seule, qui l’avait appelé tête d’ampoule à cause de la lumière que dégageait son crâne. Mais quand la plupart des clients portent des cornes ou crachent du feu, ont des yeux sans paupières ou plusieurs bras, un mec qui dégage de la lumière passe inaperçu. Les basses derrière lui dégageaient des ondes qui le dérangeaient un peu, la techno n’était pas vraiment sa musique préférée, mais au diable. Il se pencha à l’oreille de la serveuse habillée en lapine et beugla dans ses oreilles.
« Je cherche Hugh Stevens. »
La serveuse se tourna vers lui et beugla à son tour
« Qui ?
- Hugh Stevens, reprit-il.
- Ah, fit la fille qui semblait avoir eu son illumination de la semaine. »
Elle se pencha vers lui et articula.
« Il est au bar, au bar. »
Nigel glissa un billet de vingt dollars dans la main de la demoiselle et se dirigea vers le bar. Derrière, un colosse préparait un cocktail dans un shaker. Il portait un tatouage en forme de I romain sur la main gauche. Il fit un signe de tête à Nigel.
« Vous voulez quoi ? »
Nigel exhiba une fausse carte de police et parla bien fort.
« Un mojito, pour commencer. »
Stevens sortit un verre et lui concocta la boisson. Derrière eux, sur la grande scène qui surplombait la salle, des filles à moitié nues dansaient langoureusement. Stevens lui servit son mojito sans un mot. Nigel but lentement son verre pendant que le barman s’occupait de ces autres clients. Il ne le quitta pas une seconde des yeux et parvint à une conclusion très intéressante. Les services avaient sous-estimé sa musculature et sa force. Stevens sentait très bien le regard que lui accordait tête d’ampoule. Une fois qu’il eût servi une jolie demoiselle, il posa ses mains gigantesques
« Vous vendez quoi ? »
Nigel, avant de passer au Fallen Angel, s’était arrêté à un bureau de tabac. Il se roula une cigarette devant les yeux de Stevens, qui semblait un peu s’impatienter.
« Rien du tout, mon pote. C’’est peut être toi qui a quelque chose à vendre. »
Nigel avait mis en évidence une fausse plaque de police sur le comptoir.
« Pas mon genre, grogna Stevens
- Ca va le devenir, mon grand.
- Depuis quand on embauche des monstres, dans la police ?
- Depuis un petit moment, mon pote. Tu n’étais pas au courant ? »
Stevens grogna à nouveau et servit une petite jeune qui réclamait un plateau de vodka.
« Suis en règle. Vous n’avez rien à me reprocher.
- Normal, tu n’as rien fait. Mais j’aimerais te poser deux ou trois questions. A l’extérieur.
- Désolé, je bosse. Et vos questions, vous pouvez vous les foutre au cul, sale irlandais de merde.
- De un, je te prierai de rester poli. T’es pas le premier bar que je me fais dans la soirée, et je commence à m’échauffer, là. Et on m’a demandé de me ramener, alors tu vas me suivre sans faire d’histoires. »
Mauvais plan. Le grand l’avait chopé par le col et l’avait soulevé du sol, en le menaçant de son poing énorme.
« T’as pas l’air d’avoir compris, Columbo. De un, je sais que t’es pas flic. T’en as ni le style, ni l’odeur. Alors tu vas me dire ce que tu veux tout de suite ce que tu veux, sinon je me fâche. »
Nigel se colla sa cigarette au coin des lèvres.
« Je cherche un certain Michael Cray. Dis moi où je peux le trouver.
- Je savais bien que cette odeur me disait quelque chose. »
Nigel vit le poing de Cray/Stevens fondre sur lui. Il ferma les yeux, essayant de concentrer sa masse, mais il ne sentit pas le choc. Il rouvrit les yeux, craintif. Sa cigarette était tombée par terre. La musique n’avait pas cessé. Cray avait tourné la tête vers le minus qui avait retenu son bras au dernier moment. L’inspecteur Walker regardait Nigel avec un sourire qui frisait l’arrogance.
« Vous me le dites, votre truc, oui ou non ? »

 
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