Histoire :Zauriel
Date de parution : Décembre 2007
Christine leur avait raconté ce qu’elle avait vu. Elle leur avait raconté la trahison dont avait été victime Nigel. Le kidnapping de Cray par une autre entité que Stormwatch, mais qui étrangement utilisait les mêmes méthodes que l’Organisation. Elle leur avait raconté le succès de Fahrenheit à Chicago, comment elle s’était jouée de Backlash avant de le faire prisonnier. Les trois hommes qui écoutaient son oracle se taisaient et fronçaient les sourcils. Ca ne tournait vraiment pas rond à Stormwatch. Tout d’abord, Backlash, comme l’avait prévu Lauren, ne semblait pas si dangereux que ça. Il s’était fait avoir comme un bleu, goûtant ses souvenirs comme Socrate a bu la ciguë. Il n’avait pas vérifié si ses pouvoirs étaient réellement entravés. Il avait perdu les notions de précautions qu’il avait appris à l’armée et plus tard à Stormwatch. Il s’était lui-même jeté dans la gueule du loup, en sautillant comme un ado avec sa première petite amie, en leur racontant leur première rencontre, chose dont Lauren ne se souvenait pas. Le récit de Christine avait arraché un ricanement à Nikolas, vite réprimé par un froncement de sourcils de son mentor et un coup de coude de McArest, cet ancien héros de la seconde guerre mondiale.
Et puis Christine avait raconté l’histoire de Nigel. Nigel qui rencontre, comme par hasard, un officier de police doué de superpouvoirs. Un officier de police qui le suivit pour sa protection au Fallen Angel, où travaillait Cray, sous le nom de Hugh Stevens. Durant cet épisode, les révélations ne s’étaient pas fait attendre. Tout comme McArest, Cray avait recouvré ses esprits depuis un petit moment déjà, mais il avait fait profil bas. Il s’était terré. Et pourquoi ? Parce qu’il avait les jetons. Il se savait traqué par quelqu’un de puissant, quelqu’un qui avait comme hommes de mains des métahumains comme l’officier Walker, quelqu’un qui effrayait suffisamment Cray pour qu’il accepte de venir se livrer à Stormwatch sans piper mot. Mais c’est Nigel qui a attiré l’attention sur lui. Les autres types n’attendaient que ça ; qu’un agent approche de Cray pour lui coller un sacré coup dans la cafetière et qu’il se rappelle ainsi qui il était vraiment.
« Y’a un truc qui me chiffonne »
Christine sortait de sa transe. Ses yeux tout à l’heure révulsés revinrent à la normale. Elle resta assise un bon moment avant de pouvoir comprendre ce qui se passait autour d’elle. Elle sentait la bile remonter le long de sa gorge, comme à chaque fois qu’elle avait des visions. Elle se leva mais retomba sur ses genoux dans la seconde qui suivit. Elle eut un haut le cœur et vomit brièvement. McArest lui tendit une serviette, et Nikolas eut une pincée de jalousie pour ce geste qu’il aurait dû faire lui-même. Fairchild s’était sorti sa boite à cigare de son sac et contempla longuement un cohiba avant de l’allumer.
« T’en veux un ? fit-il à Nikolas. »
Celui-ci leva les bras au ciel, pathétique. Il se sentait pathétique et totalement à côté de la plaque.
« Y’a un truc qui me chiffonne et tout le monde s’en fout. J’adore ce job. Super, le monde de l’espionnage, Alex. On a un soupçon, ça permettrait peut être de résoudre un problème. Et quand le problème en question se révèle être l’histoire occulte de la première organisation, et peut être même l’unique, je n’en sais rien, de contre-espionnage métahumain, je pensais que ça pouvait être intéressant de savoir ce qui me chiffonnait, non ?
-Eh, petit con, tu veux pas la fermer deux minutes ? »
Les yeux de Nikolas lançaient des éclairs. Il leva son poing vers McArest accroupi à côté de Christine qui se remettait.
« Ecoute, grand père. T’es plus dans le jeu depuis un petit moment. Alors si tu veux vraiment te battre homme à homme, sans pouvoirs, c’est quand tu veux. »
McArest ne broncha pas. Il serra l’épaule de Christine et se releva. Il se caressa la barbe en regardant le jeune homme, le sourcil levé, comme s’il étudiait un spécimen d’une espèce inconnue.
« De un, pour l’âge que j’ai, je n’ai pas l’air d’un vieillard. Tu viendras m’en reparler dans soixante ans. De deux, on n’a jamais dit qu’on en avait rien à foutre, mais tu vois la demoiselle ? Elle a peut être besoin de se reposer un peu avant d’écouter tes « révélations », mon pote. Et de trois, c’est quand tu veux pour que je te mette ta branlée. Tu crois que tu me fais peur, espèce de caïd à la manque ? J’ai pas besoin de mes pouvoirs pour t’exploser la gueule, mais j’ai d’autres priorités, là. Alors tu patientes. »
Ecarlate, Nikolas se tourna vers Fairchild, attendant que celui-ci réagisse aux propos de l’ancien soldat. Mais l’Irlandais s’en balançait comme de sa première Guinness. Il haussa les épaules et détourna le regard, son attention fixée sur son cigare.
Nikolas s’approcha de Christine et s’assit à côté d’elle.
« Ca va ?
- Si tu arrêtais un peu de crier comme un adolescent en mue, je pense que ça irait mieux. C’est dingue ce que j’ai mal au crâne.
- Attends. »
Nikolas s’assit sur ses talons et posa ses mains sur les tempes de son ex. Il ferma les yeux. Christine sentit une douce chaleur émaner des doigts de Nikolas. Elle avait l’impression que cette chaleur ciblait la douleur et la faisait renaître en énergie positive. Elle sourit une fois qu’il eût retiré ses mains.
« Un des rares trucs qui m’aient manqué, chez toi.
- Oui, mon côté aspirine géante est ce qui passe le mieux auprès des femmes, d’après ce que j’ai compris. Ca va mieux ?
- Oui, la douleur a disparu.
- Bien. Alors est ce que je peux raconter ce que j’ai à raconter ?
- De toute façon, fit Fairchild pour la première fois, on t’en empêchera pas. Allez, petit, raconte nous ce qui te trotte dans la tête. »
Nikolas a toujours aimé avoir le feu des projecteurs braqué sur lui. Un des effets secondaires de ses pouvoirs, certainement. Mais là, il se sentait mal à l’aise, sous les regards inquisiteurs de son ex, son mentor et l’un des premiers superhéros de l’Histoire. Il avait, une fois n’est pas coutume, du mal à trouver ses mots pour expliquer son malaise et ses interrogations. Il prit une longue inspiration, et s’assit. Il tenta de se forger un sourire de circonstance, mais il put voir sur les visages de ses acolytes que ça n’y prenait pas.
« Première chose, dit-il en levant le pouce. Comment le symbiote a-t-il réussi à quitter Stormwatch ?
- Peut être qu’il a tout bonnement réussi à s’enfuir, quand il a compris que son ancien hôte avait recouvert pouvoirs et souvenirs ? »
Nikolas la dévisagea, incrédule.
« Tu penses que cette chose, cette arme, pour être plus précis, a filé en douce d’un des immeubles les plus protégés au monde, après avoir cassé la super-caisse dans laquelle il était enfermé depuis cinq ans, sans n’alerter personne ? C’est un peu tiré par les cheveux, Christine. »
Alex balança le mégot de son cigare au loin. .
« Dis nous ce que t’en penses, au lieu de nous faire languir.
- C’est tout simple, fit Nikolas en croisant les doigts. On l’a délivré. »
Stupeur, surprise, horreur et incompréhension sur les trois visages. Bingo. Il avait enfin toute leur attention. McArest répondit précipitamment.
« Minute, c’est dingue, ton histoire. Ce symbiote est l’une des pires saloperies que je n’aie jamais rencontrée, et je suis presque centenaire. Faudrait être totalement fou pour faire ça. Ou avoir une sacrée bonne idée derrière la tête. »
Nikolas le pointa du doigt en clignant des yeux.
« Exactement, James. Ce quelqu’un qui a relâché le symbiote avait une sacrée bonne idée derrière la tête. Il voulait que Slayton retrouve tous ses pouvoirs. Tout comme il voulait que Cray et toi retrouviez vos souvenirs et ce qui va avec. Et cette personne vient de Stormwatch. »
Christine se releva, secouant la tête, la prenant entre ses mains.
« Tu délires, Nikolas. C’est tout bonnement du pur délire. »
Nikolas fit non, doucement, de la tête. Les deux autres hommes avaient l’air de comprendre son raisonnement.
« Non, Christine. Qui a pu libérer la bestiole ? Quelqu’un de l’intérieur ? Qui a pu prévoir que Nigel allait contacter Cray, à part les bigs boss de Stormwatch, Fahrenheit et moi ? Personne. Il y a quelque chose de pourri à Stormwatch, pour citer Shakespeare. »
Ils restèrent tous les quatre silencieux, abasourdis. Qu’allait-il faire, désormais ? Ils ne pouvaient plus en référer à leurs supérieurs, de crainte de tomber sur la, voire les taupes.
« T’as autre chose à demander, fit McArest. »
Nikolas sursauta. L’ancien superhéros souriait de toutes ses dents, d’un sourire de prédateur qui attends sa proie pour dîner, et non à dîner. Le jeune Ukrainien fit une légère moue.
« Je ne pense pas que ce soit vraiment indispensable, James.
- Ce n’est pas mon avis. Pose moi ta putain de question.
- Très bien. Je ne sais pas si c’est vraiment important…
- Accouche, nom de Dieu !
- Ok, ok. La taupe n’a envoyé des hommes de mains qu’à Cray. Pas à Slayton, ni à toi. Qu’est ce que ça veut dire ? »
McArest eut un petit rire, pas méprisant pour une fois. Mais plutôt comme s’il semblait se rappeler une très bonne blague. Ayant terminé de rire, il se mordit la lèvre inférieure et soupira, les yeux au ciel.
Il se leva et fit signe à Nikolas de le suivre. Les deux autres, intrigués par le sourire plein de mystère de l’ancien super héros, firent de même.
Ils marchèrent dans la jungle pendant près d’une demi heure. McArest se servait de son coupe-coupe pour leur ouvrir la voie. La chaleur commençait à tomber un petit peu, au grand soulagement de Nikolas qui pensait à un moment se sentir très mal. Ils débouchèrent sur une petite clairière au centre de laquelle se dressait une minuscule cabane. MacArest se dirigea vers la porte de l’abri tandis que les trois autres restaient en retrait. Il se retourna vers eux et leur lança un air faussement sévère.
« Mais venez, nom d’un chien. Y’a rien à l’intérieur qui puisse vous mordre. Plus maintenant en tout cas. »
Nikolas se sentait un peu mal à l’aise, mais ne savait pas d’où venait cette impression. Il suivit Christine et Alex dans la hutte de McArest, qui était plus grande, en fait, qu’elle ne le paraissait. On avait posé un lit dans un coin. Près de l’unique fenêtre se trouvait un bureau. Au fond, un réchaud et ce qui pouvait ressembler le plus à une cuisine sur ce coin du globe. Et dans un coin, à droite, une silhouette entravée, bâillonnée, qui se tordit violemment quand McArest franchit la porte. La forme se débattait contre le mur contre lequel elle était appuyée, entravée par de solides cordes et bâillonnée par les restes d’une serviette qui transformait ses vociférations en de vulgaires borborygmes.
« Qui c’est ? , fit Nikolas en s’agenouillant devant le prisonnier »
McArest allait répondre quand Fairchild envoya un surprenant coup de pied dans les parties du prisonnier qui eut un hurlement de douleur étouffée par la serviette serrée entre ses lèvres. Quelques larmes perlèrent aux coins de ses yeux, mais c’est surtout de la colère qui motivait sa respiration forte et rapide. Fairchild eut un petit rire satisfait à la limite du sadisme.
« Nikolas, Christine, j’ai le plaisir de vous présenter une des pires ordures de l’Histoire de l’espionnage moderne. »
Il se pencha en avant et retira le bâillon de la bouche du prisonnier.
« Espèce de sale fils de pute, Fairchild. »
Puis le lui remit rapidement, avant de commencer une petite biographie.
« Jonathan Pike. Un ancien de Stormwatch. Vous n’avez pas dû le connaître. Ce salopard s’est fait viré de très bonne heure, avec un bon gros coup de pied au cul au passage.
- Quel motif ?
- Tout simple. Il se considère comme un mercenaire. Ce qu’il apprenait auprès de Stormwatch et des huiles, il s’empressait d’aller le vendre aux mauvaises personnes.
- Du genre ?
- L’Hydra, CLT, Coda. J’en passe et des meilleurs. Pike a très vite pu accéder aux missions undercovers de Team One parce que son père arrosait tout ce qui bougeait avec son fric. Pike fils a eu la mauvaise idée de se lancer dans la contre information. Il a sur sa conscience, si tant est qu’il en ait une, près d’une centaine de morts, à cause d’une boulette logistique de la boîte, dont le CLT avait profité pour prendre quelques civils et la moitié des agents en opération dans le secteur en otages. Tous éliminés quand Team One et trois groupes d’interventions formés sur le tas se sont pointés. On ne savait pas d’où venait la fuite. Alors Craven et King ont trouvé un stratagème. De la désinformation. Lors de plusieurs réunions, ils nous ont racontés de fausses opérations, de faux comptes en banques, de fausses interventions à venir. Et bien sûr, c’est Pike qui est allé raconter tout ça.
- Pourquoi il n’est pas en taule ? »
Fairchild frotta son index et son majeur contre son pouce.
« Le fric, mon grand. Le fric de son père. Il a fait de la prison, mais ne s’y est pas éternisé, si tu vois ce que je veux dire. »
Nikolas s’assit sur un lourd tabouret de bois brut que McArest avait dû faire et croisa les bras.
« Et c’est lui qui devait attendre que tu recouvres la mémoire ? »
McArest acquiesça.
« Et tu lui as pas demandé qui était son employeur ?
- Je ne suis même pas sûr qu’il le sache.
- Essayons d’en être certain »
Nikolas retira le bâillon de Pike et lui demanda tout simplement.
« Qui t’envoie ? »
Pike partit d’un grand éclat de rire.
« Et je vais gentiment te lâcher le morceau ? Va te faire enculer. »
Nikolas ne broncha pas. Il posa ses mains sur les tempes du prisonnier. Ses pupilles disparurent, et il commença à hurler, secoué de convulsions. Nikolas arrêta sa brève mais intense torture. Il considéra son prisonnier, indifférent à la sueur qui coulait à flot sur son visage.
« Qui t’envoie ? répéta Nikolas de ce même ton monolithique. »
Pike se contenta de secouer doucement la tête de gauche à droite, serrant les dents, grognant de rage et de douleur. Devant son obstination, Nikolas soupira faussement.
« Ca me va. Je suis patient. »
Il reposa ses mains sur les cheveux roussis du prisonnier et lui administra une sévère secousse. La tête de Pike pencha sur la gauche. Il eut un hoquet de dégoût, proche du vomissement. Christine s’interposa entre Nikolas et lui.
« Mais t’es dingue. Tu vas le tuer.
- C’est le but, fit Fairchild.
- Mais Alex, tu ne peux pas cautionner ça !
- Oh que si. J’ai perdu de nombreux amis, lors d’un véritable fiasco, à la Valette. Et c’est lui qui en était responsable. »
Les décharges de Nikolas secouaient toujours le corps du prisonnier.
« Mais si vous le tuez, on n’aura jamais le nom de son commanditaire.
- Le voir mort sera mon lot de consolation »
Poings serrés, elle se retourna vers MacArest, suppliante. Mais celui-ci était plongé dans la fascination de ce spectacle morbide. Christine allait crier quand elle entendit avec soulagement Pike murmurer.
Pitié.
Nikolas s’arrêta net ses décharges électriques. Le corps du prisonnier fumait un peu. Il toussait. Il releva la tête. Et répéta le mot. Pitié. Nikolas déglutit de surprise.
« Koff, Koff. C’est bon. Je vais vous dire qui m’envoie. C’est…. »
Mais rien. Sa voix se perdit dans sa gorge. Son visage se tordit de douleur et il hurla à la mort, comme un loup à l’agonie.
« Arrête ça, cria Christine à Nikolas, tentant de couvrir les cris du prisonnier de sa voix.
-Mais ce n’est pas moi, répliqua-t-il. »
Une ombre gigantesque sortit de la bouche du prisonnier et prit forme humaine sur le mur de la cabane. Un son rauque sortit de sa gorge avant de se mettre à rire. Un masque d’effroi se peint sur les traits de Jonathan Pike.
« Oh mon Dieu. Il m’a retrouvé. »
L’ombre sur le mur se pencha en arrière, en éclatant de rire. Sa voix était chaude et agréable, mais dissimulait avec peine son agressivité.
« Oui, Pike. Et j’ai eu raison de vouloir savoir ce que tu fabriquais. Sinon, tu m’aurais trahi, n’est ce pas ?
- Non, je ne t’aurais jamais trahi. Tu le sais. McArest m’a capturé. Je n’ai pas dit qui tu étais.
- Et tu as bien fait, mon jeune ami. »
L’ombre ferma son poing et Pike s’arrêta net de crier, mort. Nikolas pointa sa main vers l’ombre, pleine d’énergie à revendre.
« On n’atomise pas une ombre, Nikolas. »
Perplexe, il baissa son bras.
« Salut, Jim. Alors, comme ça, tu as déjà retrouvé tes pouvoirs et tes souvenirs. »
McArest se rapprocha du mur, touchant l’ombre ricanante du bout des doigts.
« Mais tu ne te souviens pas encore de tout, n’est ce pas, Jim ? Il te manque encore quelques détails. Quelques trous noirs qui te font te réveiller en plein milieu de la nuit. Des fantômes sans visages qui hurlent ton nom en attendant de toi que tu les reconnaisses. Jim, je dois avouer que tu m’as manqué. Sous cette forme, je ne peux t’attaquer, et tu ne peux me toucher. Mais je pense que nous nous reverrons bien assez tôt. »
L’ombre disparut en un éclat de rire. McArest s’écroula et frappa contre le mur
« Je veux des réponses, cria-t-il. »