Urban Comics
  Wildstorm #8 : Trahisons
 

Histoire : Zauriel
Date de parution : Octobre 2007

Le Fallen Angel, New York. 23h38


Nigel Keane se demandait par quel coup de chance le mastodonte que l’on nommait Michael Cray, cette montagne de muscles sadique qui avait réduit en poussière de nombreux hommes durant sa vie en tant que Deathblow, agent de Team One, avait pu être arrêté par un homme aussi banal que Christian Walker. La scène semblait s’être figée. Autour des trois hommes, qui semblaient être partis dans un remake de ces batailles tragiques et sanglantes racontées dans la Bible ou dans d’autres épopées, la scène semblait s’être figée. Les gens dansaient au ralenti, sous des tromboscopes et des projecteurs qui balayaient la scène de couleurs et de formes variées. Pour autant qu’il s’en rappelle, Nigel avait toujours adoré ce genre d’endroits. Lugubres, dangereux et terriblement sulfureux. Assez tamisé pour ne pas passer pour un monstre, suffisamment éclairé pour y dévoiler sa vraie nature. Le genre d’ambiance où un personnage comme l’agent Hellstrike pouvait s’épanouir totalement. Combien de nuits avait-il passé à écumer les bars, que ce soit avec son frère ou, plus tard, avec ses collègues de l’Institut. Combien de fois était-il rentré ivre mort, à l’aube, à l’heure où les lampadaires s’éteignent, trébuchant sur chaque obstacle, aussi minime soit-il, qui se dressait sur son chemin ? Ou tentant de s’envoler pour mieux atterrir trois mètres plus loin ? Ce genre de virées faisait parti du personnage de Nigel Keane.

L’inspecteur Walker, dans un geste comique et désespéré à la fois, s’était accroché au bras du géant pour que celui-ci ne frappe pas l’agent de Stormwatch. Il y parvenait. Cray regardait l’homme accroché à son bras en haussant les sourcils. Puis, sa poitrine se mit à se soulever rapidement. Cray s’assit et éclata de rire. Le ridicule de la scène semblait l’avoir pris de court. Il resta plusieurs minutes à rire, à se taper les cuisses pendant que l’inspecteur Walker aidait Nigel Keane à se relever.
« Ca va ?
- Tout baigne. Bon, maintenant, essayons de savoir pourquoi ce gorille rigole comme un malade. »

A croire que les gens n’avaient pas l’habitude de voir quelqu’un rire aux éclats. La quasi-totalité de la clientèle du Fallen Angel était des mutants ou des métahumains. Nigel remarqua quelques humains classiques. Certains jouaient au billard, d’autres prenaient des verres avec des individus plutôt effrayants, mais ne semblaient guère s’en soucier. Ce bar était l’exemple même d’une cohabitation possible entre ce que Nigel appelait les classiques et les autres. Même si cette cohabitation résultait directement des litres d’alcool et des quelques quantités de substances illicites qui s’y installaient. Une paix quelque peu artificielle, troublée par quelques rixes, mais qui semblait tenir le coup. Cray semblait s’être clamé. Tel un prédateur tranquille et sûr de son coup, il matait méchamment les deux hommes, un sourire aux lèvres.
« Alors, monsieur Stormwatch, on vient m’arrêter ? »

Nigel fit un effort surhumain pour se contenir. Ce type était vraiment effrayant. C’était un reptile qui se repliait sur lui-même pour mieux frapper. Un reptile de deux mètres de haut qui avait des bras aussi gros que les cuisses du meilleur cycliste du coin. Nigel n’avait pas d’effort à faire pour se l’imaginer lors d’une mission de Team One, se précipitant sur une trentaine de mecs avec son fameux couteau Bowie. Mais le voir là, attendant patiemment que Nigel ou que l’inspecteur Christian Walker fasse une boulette, était particulièrement flippant. Ca ne ressemblait pas à la bête féroce et sans cervelle que Keane s’était attendu à rencontrer. Nigel feint de paraître plus décontracté. Il s’assit au bar face à Cray, sans jamais le quitter du regard. Il posa ses mains sur le comptoir. Les gens autour d’eux avaient recommencé à danser. L’inspecteur Christian Walker restait en retrait, la main prête à saisir son arme de service accrochée dans son holster.
« Comment t’as su que j’étais de Stormwatch ?
- Ton odeur. Ca pue la bureaucratie et les mutants qui ont peur de se salir les mains. Voilà comment je t’ai repéré. Ca m’a mis du temps avant de reconnaître, vu que la dernière fois que j’ai rencontré un agent de Stormwatch, j’allais être lobotomisé. Depuis, t’es le seul merdeux de la boite que je croise. »

Nigel serrait les dents, tentant de comprendre. Cray aurait du tout oublier. Il aurait du oublier sa lobotomie, sa vie en tant qu’espion et assassin, et aussi oublier l’odeur d’un agent de Stormwatch. Il y avait une inconnue dans l’équation. Une inconnue qui pouvait se révéler mortelle si Nigel ne désamorçait pas la situation. Il inspira profondément et fit signe à Cray de lui remplir un godet. Le sourcil levé, celui-ci s’exécuta et fit glisser le verre sur le comptoir. Nigel le stoppa quand il parvint à sa hauteur. Il prit le shooter entre ses doigts fluorescents et le vida d’un trait, en grimaçant.
« C’est quoi cette saloperie ?
-Cocktail maison, fit Cray en souriant. »
Nigel regarda le verre vide entre ses doigts et le reposa. il se redressa et ouvrit les bras, dans un geste d’amabilité et de prudence.
« Bon, écoute mon pote…
- Je suis pas ton pote. »
Nigel se frotta le menton.
- Ok, ok, t’es pas mon pote. Mais on va faire un bout de chemin ensemble, toi et moi. Je n’ai pas envie de te faire de mal, alors tu vas prendre tes affaires et tu vas me suivre gentiment. »

Cray se leva de sa chaise et la lumière d’un projecteur rouge balaya sa face couverte de cicatrices. Ce ton sanglant lui donna l’air d’un de ces guerriers Berserk qui faisaient des ravages sur les champs de batailles. Nigel ne s’était pas aperçu plus tôt que Michael Cray avait presque deux fois son âge. Il aurait pu être son père. Il regretta de lui avoir parlé comme un petit garçon. Cray n’avait rien d’un gamin. Un instant, Nigel avait oublié qu’il parlait à l’un des hommes les plus dangereux sur Terre.
« J’ai une meilleure idée. C’est toi qui vas venir avec moi. J’ai un tas de trucs à te montrer. »
Nigel ne savait pas quoi faire. Il s’était attendu à ce que Cray lui saute dessus et tente de lui arracher les boyaux. Mais le vieux renard cachait peut être un as dans sa manche. Prudemment, Nigel quitta son siège et attendit Cray devant le bar. Celui-ci disparut un instant derrière, et revint avec un grand blouson de cuir. Il passa de l’autre côté du bar. L’inspecteur Christian Walker s’approcha des deux hommes, soupçonneux. Il sortit sa plaque de police et déclama.
« Au nom de la police du comté de New York, je vous arrête pour agression. »
Nigel se frappa le front de la paume de la main droite. Cray eut un sourire ironique.
« Tu le sors d’où, celui là ?
- T’occupes. »
Nigel tendit sa main à l’inspecteur de police.
« Je vous remercie beaucoup, Christian, mais ceci n’est plus du ressort de la police d’Etat.
- Vous vous trompez, Nigel. Ce genre d’infractions se règle par la police d’Etat. »

Nigel s’approcha de l’inspecteur et leva sa main droite. Elle brilla plus qu’à l’accoutumée. L’inspecteur porta la main à sa gorge, en suffoquant. Toute couleur avait quitté son visage. Il tomba sur le sol, évanoui.
« Désolé, inspecteur. Mais je ne tiens pas à vous mêler à tout ça. »
Il fit signe à Cray qu’on pouvait y aller. Celui-ci le regardait d’un drôle d’air.
« J’aurais pu simplement l’assommer, au lieu que tu fasses ton Dark Vador.
- Trop compliqué, répondit Nigel quand ils furent sortis dans la rue, derrière le bar, dans une petite ruelle. L’inspecteur était invulnérable. Le priver d’oxygène était le seul moyen de lui fausser compagnie. »

Les mots qu’il fallait pas dire… Cray s’élança sur la route, tentant de semer Nigel. L’irlandais ne l’avait pas vu venir. Il s’envola et le rattrapa juste après que le géant monte dans sa bagnole, une petite Ford qui avait pris de l’âge. A sa grande surprise, Nigel vit Cray ouvrir la porte passager et lui hurler.
« Vite, monte. »
Nigel grimpa dans la voiture et tourna la tête vers la ruelle qu’ils venaient de quitter. Deux silhouettes avaient émergé de derrière les poubelles. Elles étaient armées, et ce n’était pas de simples kalachnikov qu’elles tenaient dans les mains, mais des fusils-laser que peu de monde peut s’offrir.
« Joli joujou. »
Les deux silhouettes chargèrent leurs armes et les braquèrent sur la voiture de Cray.
« C’est quand tu veux pour démarrer. »
Le moteur ronronnait, grincheux. Cray faisait tourner la clef, mais il ne voulait rien savoir. Nigel vit se former une boule d’énergie à l’extrémité des deux fusils. C’est à ce moment que la voiture accepta de démarrer. Cray partit en trombe. Les fusils tirèrent, mais leur seule cible fut trois poubelles qui se trouvaient sur la route.

La voiture de Cray filait à toute allure sur les routes des quartiers Ouest. Il ne cessait de jeter des coups d’œil dans son rétro, à l’affût du moindre événement suspect. Nigel ne savait pas trop quoi penser. Dans sa situation, les seules personnes que Cray pouvaient craindre étaient des agents de Stormwatch, et encore… Qui donc pouvait mettre dans cet état le célèbre Deathblow ? Cray tourna violemment à droite quand ils parvinrent près de Liberty Island. Il sauta de la voiture et invita Nigel à le suivre. Ils se trouvaient dans une résidence toute banale. Ils arrivèrent devant la porte de l’appartement de Cray. Celui-ci leva la tête, craignant être encore être suivi, puis sortit sa clef de sa poche. Il la fit tourner dans la serrure et poussa Nigel à l’intérieur. Celui-ci protesta un instant, mais s’arrêta net quand il vit la détresse de Cray. L’ancien assassin ferma la porte à double tour et appuya sur l’interrupteur. Contrairement à ce que s’attendait Nigel, Cray ne vivait pas dans une sorte de caverne dans laquelle il exposait, à la lueur de bougies noires, des crânes vides comme pintes de bières artisanales. Les murs ne présentaient pas non plus de détails macabres, tels que des peaux écorchées en guise de tapisseries. Pas de squelettes, ou d’os quelconque, ou autre trésors de guerre sanglants. Non, seulement un poster à l’effigie des Dire Straits, un autre pour Status Quo. Une peau de zèbre, vraisemblablement fausse, quelques meubles anciens, des statues africaines. Rien qui ne sorte de l’ordinaire. Rien qui n’ait un lien avec l’ancienne vie de baroudeur qu’il avait mené auparavant. Nigel se sentit un peu dessus par ce manque d’exotisme. Il s’assit dans un fauteuil en smili-cuir et attendit les explications de Cray.
« Tu flippes à mort, mec ».
Cray haussa les sourcils. Que ce freluquet soit composé d’énergie, qu’il soit agent de Stormwatch, rien de cela ne pouvait l’autoriser à lui ça.
« Je flippe pas, mec. Mais je tiens à ma peau, et ces gars là ne rigolent pas. Ca fait deux trois jours qu’ils m’observent. Ils devaient attendre que je recouvre la mémoire pour m’approcher.
- Ils veulent te capturer ?
- Je pense, oui.
-Ca ne colle pas. Pourquoi ne pas t’avoir capturé quand tu ne te doutais de rien ? C’aurait été plus facile pour eux.
- Plus facile, c’est certain. Mais je ne leur aurais servis à rien. Ils savaient que mes souvenirs déraillaient, à cause du virus Galactus. Mais pour que je me souvienne de ma vie antérieure, il fallait qu’un agent de Stormwatch me contacte. Les salopards, ils avaient tout prévu.
- Attends, je ne pige pas, là. J’ai voyagé incognito. Je sais que je ne passe pas inaperçu, mais j’ai nettoyé toutes les traces derrière moi. Même s’ils s’attendaient à ce que Stormwatch te tombe dessus, je vois mal comment ils auraient pu savoir que c’était moi. »

Cray le regarda d’un air incrédule, les yeux écarquillés.
« Mais t’es vraiment trop con, toi. A ton avis, comment ils pouvaient savoir qui t’es, à quel moment tu allais t’adresser à moi, et tout ce qui a suivi. Tu n’étais pas suivi, monsieur l’agent secret. Ces mecs là t’ont précédé. »

La fenêtre se brisa sous les balles. A l’extérieur, les deux tireurs qu’ils avaient croisés à la sortie du Fallen Angel canardaient tout azimut. Cray et Nigel se couchèrent sur le sol, se foutant totalement des bouts de verre qui tombaient sur leurs vêtements.
« Mais c’est qui ces mecs, nom de Dieu ? »
Cray ne répondit pas. Les autres avaient cessé de tirer. Le géant se releva, prit le revolver qu’il avait posé devant le micro ondes et visa les deux hommes, qui furent surpris par sa rapidité. Ils essayèrent de recharger plus rapidement leurs armes, mais les flingues électromagnétiques, ce n’est vraiment pas ça, quand on est dans des situations d’urgence. Cray tira deux fois et abattit d’une balle chacun les deux hommes. Sa poitrine se soulevait rapidement à cause de l’adrénaline qui commençait à faire marche arrière. Nigel se leva à son tour et regarda les deux corps dans la rue. Il sortit dans la rue pour aller voir quels uniformes ils portaient.
Les deux morts portaient une longue combinaison bleue et des masques gris et impersonnels. Nigel retourna un des corps sur le côté. Il se précipita en arrière, comme s’il avait vu quelque chose de plus terrifiant que le diable. Les pas de Cray résonnèrent sur le bitume.
« Ils ne m’ont pas laissé finir, tout à l’heure, dit-il en allumant une cigarette. Je disais donc que tu n’as pas été suivi. Ces mecs là étaient toujours dans les parages. Tout ce qu’ils attendaient, c’était qu’un mec de Stormwatch pointe le bout de son nez, me réactive en quelque sorte, pour mieux me pêcher ensuite. »

Nigel regardait l’écusson de Team One que les deux macchabées arboraient sur l’épaule. Cray exhala la fumée par les narines, s’agenouillant pour constater. Il tiqua.
« On se tire. »
Nigel perçut de la frayeur dans le ton de sa voix. Cray rentra rapidement chez lui et remplit rapidement un sac de sport de fringues et du minimum vital. Il regarda Nigel droit dans les yeux.
« Tu vas m’emmener tout de suite à Stormwatch. Si j’y retrouve les anciens de team One, et si les nouvelles têtes sont un peu moins débiles que toi, on a une chance de lui échapper.
- Lui échapper ? Mais de qui tu parles, bon sang ? »
Cray était ressorti dans la rue, hagard. Il n’avait pas pris le soin de fermer la porte de son appartement. Subitement, il s’écroula. Ses yeux se révulsèrent, il lâcha son sac et tomba sur le trottoir. Nigel se précipita à son secours, mais il entendit quelqu’un derrière lui.
« Je ne le toucherais pas, si j’étais vous, agent Keane. »
L’inspecteur Christian Walker sortit des ténèbres Il portait toujours sa chemise blanche, sa cravate, son pantalon et sa veste noirs, et son holster bien dissimulé sous son bras.
« Alors, c’était vous, siffla Nigel qui leva son poing luisant d’énergie vers l’inspecteur de police. »
Celui-ci ne se laissa pas démonter.
« Vos pitoyables efforts sont vains, agent Keane. Mais vous m’amusez. Tirez, si vous le pouvez. »
Nigel tenta de libérer la rafale d’énergie mais rien ne se produisit. Christian ouvrit sa veste et lui montra un petit objet métallique.
« Mon patron est d’un très grand recours. Le petit gadget que vous voyez là permet d’inhiber les pouvoirs des métahumains des environs. C’est grâce à cela que la fléchette paralysante a pu s’enfoncer dans la peau de votre nouvel ami. »
Christian claqua des doigts et des autres hommes de mains, qui portaient le I de Team One sur l’épaule, apparurent. Il fit signe au premier de prendre Cray avec lui. Le second homme de main, dont le visage était partiellement masqué par une écharpe noire, regarda son supérieur.
« Je te le laisse, fit Christian. Amuse toi, mais fais en sorte qu’on ne retrouve que très tard son corps. »
L’homme hocha plusieurs fois la tête. Nigel vit Cray partir. Il se sentait faible, très faible.

 
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