Histoire : Zauriel
Date de parution : Août 2007
Tour de Stormwatch, les appartements du directeur Miles Craven. 02H00
« Craaaaaaaaaveeeeeeeeeennnnnn ! »
Ce râle avait poursuivi Miles Craven tout le long de son cauchemar. Dans celui-ci, il était cloué à un mur en bois dressé au sommet d’une colline. Le ciel orageux et couvert se zébrait d’éclairs. De la pluie commençait à tomber après un énième grondement de tonnerre. Son bourreau venait de se matérialiser en sifflant son nom. Miles savait qui c’était. Il aurait voulu crier son nom. Peut être que le faire aurait fait disparaître l’apparition. Mais sa gorge était sèche. Seuls des borborygmes incompréhensibles en sortit. Son bourreau n’était qu’une ombre avec une cagoule rouge vif. Une cagoule avec deux trous percés au niveau des yeux. Des yeux qui n’en étaient pas, seulement deux gouffres sans fonds, sans éclats. Il tenait à la main une clef à molettes. Il cognait Miles de toutes ses forces, en riant comme un malade. Miles essuyait les coups en se mordant les lèvres. Puis, il remarqua une inscription sur le manche de l’outil de son tortionnaire.
Craven, je t’aime.
Son bourreau lui asséna un coup sur le crâne, et c’est à cet instant que Miles se réveilla.
Il ouvrit les yeux, fixant le plafond. Ses pieds étaient gelés par la peur. Son cauchemar l’avait plongé dans un passé qu’il aurait voulu détruire. Il pensa à la créature qui l’avait torturé dans ses rêves. Miles Craven, le directeur de Stormwatch, se réveilla en sursaut dans son lit. Il posa la main à sa tête. Il n’avait rien, juste une migraine carabinée. Il n’arrivait pas à bouger les jambes. Il tourna la tête vers son chevet et alluma sa lampe. La lumière fit surgir du néant des ombres déformées de ses meubles et du mobilier de la chambre. Il frissonna. Il déglutit. Il se força à bouger les jambes et s’assit sur son lit. Il respirait fort.
« Craaaaaaaaaveeeeeeeeeennnnnnnn ! »
Ce sifflement… Voilà qu’il se manifestait à nouveau. Hors de son sommeil. Craven se persuada que c’était des restes de son cauchemar, et se calma. Il se leva de son lit et traversa la pièce. Il passa sa robe de chambre. Il sentit quelque chose frotter contre sa cheville. Il hurla. On lui répondit par un miaulement. Craven regarda le chat avec agacement.
« Sale bête, fit-il. »
Il ouvrit la porte de sa chambre. Craven logeait dans le plus haut étage de la tour de Stormwatch. Ses appartements, en tant que directeur de l’établissement, étaient immenses. Des équipes de deux gardes se relayaient toutes les trois heures pour surveiller l’entrée. Craven mit ses chaussons qu’il avait laissés devant la porte de sa chambre. Il se dirigea vers la salle de bain, éclairée par la lumière de la lune qui passait à travers la baie vitrée. Un oiseau masqua l’astre le temps de son passage. C’est à cet instant, plein de ténèbres, que la créature reprit sa litanie.
« Craaaaaaaaaaaveeeeeeen. Pourquoi m’as-tu oubliééééééééééééé ? »
Craven ne répondit pas. Il toussa, plaquant la main à sa bouche. Il frissonna encore une fois, puis se ressaisit. Des cauchemars le dérangeaient depuis quelques nuits. Des cauchemars le perturbaient depuis qu’il savait que les anciens de Team One avaient recouverts leurs esprits. Des cauchemars le hantaient depuis que la créature qui l’avait forcé à les lobotomisé s’était réveillée avec eux. Mais ce n’était pour l’instant que des cauchemars, pas la réalité. Il pouvait encore stopper la créature. Craven se dirigea vers la salle de bains. Les lumières des lampes sur le marbre blanc dégageaient des lueurs qui n’avaient rien d’engageant. Il marcha vers les lavabos et ouvrit les robinets. De l’eau froide coula sur ses mains qu’il plaqua ensuite sur son visage. Il se frotta les paupières encore engourdies par le sommeil. La porte de la salle de bain grinça et claqua subitement. Craven ne sursauta même pas. Il retira ses doigts de devant ses yeux et fixa le miroir au dessus des lavabos. Dans le reflet, il pouvait voir une ombre derrière lui. La même ombre que son cauchemar. Craven posa ses mains sur le rebord du lavabo tout en fixant le reflet de l’apparition. L’étranger était vêtu d’un blue jean, d’un Tshirt blanc et d’un blouson en cuir. Un accoutrement tout ce qu’il y avait de plus normal. Mais le fait est que l’étranger portait une cagoule qui lui masquait entièrement la tête. Une cagoule rouge qui symbolisait chez Craven sa plus grande peur. L’étranger approcha sa tête de l’oreille de Craven, qui serra plus fort le rebord du robinet. La voix était sombre, grave. Elle venait du passé, elle venait de la mort.
« C’est la fiiiiiiiin Craaaaaaaaaveeeeeeeeen. Ton monde s’écroooouuuuuuuuuule. »
Craven se retourna pour faire face à son invité non désiré. Mais celui-ci avait disparu. Craven se frotta la tête, se massa les tempes. Il allait contacter Jackson King dès la première heure demain pour savoir où en étaient les opérations.
Tour de Stormwatch. Les bureaux du colonel Jackson King. 07h00
Le colonel Jackson avait envoyé ses trois meilleurs agents appréhender trois des méta humains les plus dangereux de l’histoire du super espionnage. Peut être les plus dangereux de l’Histoire, tout simplement. Voici plus de vingt quatre heures. Et il n’avait de nouvelles d’aucun d’eux. D’après les relevés des labos de traçage, Nigel était à New York, dans les quartiers chauds de la cité, là où s’élevaient et tombaient chaque jours des bars pour les clients dits « spéciaux ». Il s’était rendu au Fallen Angel, chercher Cray. Tout aurait dû bien se dérouler, mais les types du labo avaient détecté une troisième présence supra humaine, inconnu des systèmes de la boite. Sa signature biologique n’était pas enregistrée dans les données de Stormwatch. Les trois individus avaient ensuite quitté le Fallen Angel. Quelques heures plus tard, ils s’étaient rendus dans un lieu qui semblait imperméable au radar de l’Agence.
Winter était en Amérique du Sud, en Bolivie, plus exactement. Même scénario que pour le cas de l’agent Keane. L’agent Kamarov avait fini par trouver McArest. Mais avait déboulé un troisième larron, qui, contrairement au nouveau joueur du Fallen Angel, était connu de Stormwatch. Une grande gueule irlandaise, une saloperie opportuniste qui avait fini par se tirer de l’Agence sans prévenir personne. C’était son droit. Personne n’avait reproché à Alexander Fairchild son départ. Mais simuler sa mort pour pouvoir partir avait été considéré comme un geste plutôt désinvolte et inexcusable. Les trois hommes avaient eux aussi disparu du système de surveillance, mais beaucoup plus rapidement que Keane et Cray. Ils n’avaient pas bougé de Puente Verde. Il y avait eu un énorme flash sur le radar, avant que les trois points rouges ne se volatilisent. Cela pouvait être dû à l’exercice de pouvoirs, mais Jackson ne se rappelait pas que l’un des trois hommes eut développé ce genre d’aptitude. Certes, Winter pouvait influer sur la lumière sous toutes ses formes, mais il n’était pas suffisamment puissant pour pouvoir bloquer un radar qui se situait à des milliers de kilomètres de sa position. A moins qu’il n’ait reçu l’aide de quelqu’un qui ait boosté ses pouvoirs.
Lauren était à la Nouvelle Orléans. Elle pensait pouvoir appréhender Marc Slayton sans trop de difficultés, mais celui-ci en avait décidé autrement. A la vue de la pyrokinésiste, les derniers implants mémoriels qui lui restaient avaient fini par sauter. Il avait tout de suite récupéré ses pouvoirs et avait fait preuve d’un grand contrôle. Il livrait actuellement combat contre l’agent codexé Fahrenheit.
On frappa à la porte du bureau. Jackson releva la tête de son ordinateur. Sa secrétaire personnelle, qu’il avait dû se taper une bonne douzaine de fois, apparut dans l’encadrement de la porte.
« Colonel, le Directeur Supérieur est là.
- Faites le entrer tout de suite. »
Elle laissa la porte ouverte. Moins de quinze secondes plus tard, Craven se trouvait dans le bureau. Jackson fut surpris de son visage tiré et de ses cernes. Inquiétant de la part d’un homme sûr de lui qui voulait que son visage ne trahisse aucune marque d’angoisse.
« Asseyez vous, Monsieur. »
Craven remercia d’un signe de la tête quasi indistinct le colonel. Il prit une chaise.
« Comment va le département scientifique, Monsieur ?
- Bien, très bien. Nous finissons dès la semaine prochaine les prochains aéroglisseurs.
- Très bonne nouvelle. Puis je vous demander pourquoi vous êtes venus me voir ? »
Le Directeur Supérieur Miles Craven était le dernier survivant du trio qui avait fondé Stormwatch il y avait quarante ans. Après l’affaire Team One, au début du siècle, il s’était retiré de la branche administrative et militaire de l’organisme. Il s’était investi dans le département scientifique, ses premiers amours, avec un enthousiasme à toute épreuve. Mais il restait tout de même le grand manitou, par qui passait toutes les crises graves. Y compris celle du réveil des unités Team One.
Craven, à la question de King, se frotta la barbe, perplexe. Savait-il vraiment pourquoi il était venu voir le colonel King ? Pensait-il réellement que ses cauchemars étaient suffisants pour expliquer sa venue ? Craven déglutit avec difficulté. Parce qu’elle avait été effacée des systèmes de l’Agence, peu de personnes étaient au courant de l’existence du cinquième membre de Team One. Seul un cercle restreint et sûr de conseillers et d’administrateurs gardait ce secret. Et Jackson King n’en faisait pas parti. Pouvait-il se permettre d’évoquer ici quelque chose de si contraignant ?
« Je voulais savoir où en était l’opération que je vous ai confiée. »
Jackson tiqua. Il n’était plus un gosse. Il n’était plus un de ces jeunes soldats recrutés par l’Agence, qui subissaient tests et entraînements à longueur de journée. Il était le responsable de l’activité militaire et juridique de Stormwatch, bon Dieu. Il n’avait pas besoin d’être fliqué, quand bien même c’était le Directeur Supérieur qui le faisait.
« Tout va très bien, Monsieur. Les trois suspects sont sur le point d’être appréhendés, vous pouvez dormir tranquille. »
Le Directeur Supérieur secoua la tête.
« Bien, bien. Pas d’imprévus ? »
Jackson ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt. Bizarrement, il n’avait plus trop confiance en la personne de son supérieur direct. Il préféra taire la présence de Fairchild en Bolivie, et celle de l’inconnu au Fallen Angel.
« Absolument aucun, Monsieur Je sais que mes agents tardent un peu, mais c’est normal. Comme vous me l’avez fait remarqué il y a quelques jours, les anciens de Team One ne sont pas des anges. »
Un sourire nerveux vint dérider le visage de Miles Craven. Il se détendit un peu. Il devait faire confiance à King. Il ne devait en aucun cas céder à la paranoïa. Sinon, l’autre gagnerait, et même les anciens de Team One ne pourraient l’arrêter. Il se leva et tendit sa main au responsable.
« Je m’excuse de vous avoir dérangé, Jackson. Un vieillard comme moi a besoin de se sentir rassuré, vous comprenez ?
- Tout à fait, Monsieur. Vous n’avez pas à vous excuser. »
Craven quitta le bureau. Avait-il bien fait de venir voir Jackson King et de s’enquérir de l’opération ? N’allait-il pas avoir des soupçons à propos de sa conduite ? Trop de questions se bousculaient dans la tête du Directeur Supérieur. Il fallait que Team One soit neutralisé le plus vite possible.