Histoire : Firdediablo
Date de parution : Janvier 2005
-Banner, pause déjeuner.
-Non, c’est bon, je me ferais un plateau repas plus tard.
Encore en train de bosser, comme dirait ma mère. Mais j’ai commencé, je dois finir. Ce déjeuner attendra, je suis sur le point de trouver la solution. Ce produit semble être capable de formidables choses. Le tout étant de les découvrir. Et mon employeur est pressé.
Mon employeur, c’est Winston Frakster. Un « grand » de ce monde, parmi les vingt hommes les plus riches. Il est devenu très ambitieux et il touche à tout. En ce moment, sa lubie, c’est la radioactivité. Il a déjà construit la centrale de Geestant, Californie. On dit qu’elle est dangereuse, on n'y respecte pas les règles de sécurité. Pas de chance, c’est là où je bosse.
Bruce est le nom que m’a donné ma chère mère. Banner étant celui légué par mon père. Ils vivent tous les deux à New York en banlieue. Une petite retraite sympa après leur vie de travail. Moi, je vis dans un petit appartement, le moins cher que j’ai pu trouver, et j’essaie de vivre le mieux possible. Mais ce job ne m’aide pas.
Sur mon badge, on peut lire « Biologiste » et en dessous que je suis spécialiste de la radioactivité. Il m’a fallu pas mal d’années pour avoir ces études, mais ce ne sont pas les plus belles années de ma vie… Maintenant, je dois bosser sur un projet top secret. On se croirait chez James Bond, sauf que mon nom de code serait 000. Mon surnom à l’école était le « pauvre paumé ». Mais j’ai tourné cette page sombre de passé. Même si la réaction des autres envers moi est la même.
-Bruce, vous savez où est le fichier qui était sur mon bureau ? dit une voix féminine derrière mon dos.
Je sursaute. Cette voix, je la connais et j’ai peur de me retourner.
-Bruce ? insiste-t-elle.
Je n’ai plus le choix. Je me tourne vers la jeune femme brune attendant sur le palier. Emma Grant, la fille qui bosse au labo d’à coté. La fille que je connais depuis quelques mois. Celle que j’aime.
-Euh… Le fichier…Oui… Sur le bureau du docteur Derkins…
-Hum. « Docteur » est un bien grand nom pour cet imbécile.
Sacrée Emma. Toujours directe et Derkins et elle ne semblent pas bien s’entendre. Je la comprends. Georges Derkins refuse de créer le moindre système de sûreté.
-Il paraît que vous avez parlé avec lui des problèmes que nous avons ? demanda-t-elle.
Je sens que je deviens rouge. Apparemment, la discussion que j’avais eu avec mon supérieur avait été entendue.
-Je… Je lui avais parlé de ce produit révolutionnaire que l’on doit étudier et à quel point il pouvait être instable. Mais il m’a superbement jeté…
-C’est vrai qu’il n’écoute personne, dit elle.
-De toute façon, personne ne m’écoute, moi.
Là, j’en dis trop. Je baisse la tête de dépit. Elle doit penser que je vais me mettre à pleurer sur son épaule. Elle doit être gênée parce que j’ai dis. Pourquoi faut-il que je parle ? D’habitude, je ferme toujours ma gueule et là, je me plaint devant celle que j’aime.
-C’est vrai, on ne vous accepte pas beaucoup.
Une vague de plaisir monte en moi.
-Pourquoi est ce qu’on vous rejette, ici ? demande-telle de sa voix douce. Depuis que je suis ici, je vous vois tout le temps enfermé dans votre labo seul avec vos éprouvettes. Que leur avez vous fait ? Que vous ont-ils fait à vous ?
-C’est… très compliqué… je suis tout le temps seul… depuis toujours…
Elle s’approche de moi. Je reculerais presque. Parler avec elle si librement me fait plaisir, je pensais que ce serait plus dur. Mais je ne voudrais pas qu’elle ait pitié de moi. Elle me prend par les épaules et me les serre doucement, affectueusement. Je rêve, c’est sûr. Ces moments là je ne les vis qu’en rêve. Elle se penche sur moi. Mon Dieu, elle ne va pas tout de même m’embrasser. Non pas que je n’aimerais pas ça, au contraire, mais il paraît que j’embrasse affreusement mal. Elle me murmure.
-Vous voulez bien qu’on déjeune ensemble ?
-Banner ! Grant ! Que faites-vous ?
Derkins a le chic pour venir aux moments cruciaux. Comme d’habitude, habillé d’une blouse blanche de scientifique qui ne reflète en rien son quotient intellectuel, le visage autoritaire et la quarantaine dépassée, son regard noir sans clignements est fixé sur nous. Sur le coup, je ressens de la déception et de la colère, presque de la haine. Un des meilleurs moments de ma vie, gâché à cause de Derkins. Si je pouvais, je répondrais avec une réplique bien cinglante, mais je ne peux pas. Les chaînes de la timidité. Mais Emma, elle, c’est différent.
-Que voulez-vous, Monsieur Derkins ? demande-telle, le regard plein de défi, ce qui me surprend et m’effraye aussi.
-Comment ? répond Derkins, qui commençait à virer au rouge. Mademoiselle Grant, vous n’avez pas à ma répondre ainsi. Ensuite, à cette heure, vous devez être aux labos. Au travail !
Et voilà, je retourne dans ma cellule. Derkins doit être dans le couloir pour vérifier qu’on travaille. Cet imbécile, si seulement… Non, ça m’est impossible. Je dois travailler. Mais travailler après ce qui s’est passé, c’est dur. Ma concentration en prend un coup. Je dois me ressaisir.
Sur mon bureau, des notes. Trois mois sur papier. Trois mois où je tourne en rond. Ce produit ne m’a donné que des échecs. H.U.L.K. C’est le nom qu’on lui a trouvé. Une contraction étrange. Je ne trouve aucun composants possédant ces initiales et se trouvant dans le produit, composé de plusieurs éléments, presque tous radioactifs. La fiole contenant la solution me permet de voir que sa couleur est verte transparente et légèrement luminescent. Je crois qu’il contient un peu de cette algue brillant même avec une faible lumière.
Mais mon travail n’est pas de déterminer ce qui la compose. Je dois trouver ses possibilités. De préférence sur des êtres vivants. Pour l’instant, les sujets sont tous morts. Pourtant, aucune raison qu’ils rejettent le produit. Je leur donne un tranquillisant pour les détendre, le stress permet un rejet plus rapide. Mais je ne pensais pas que ça marcherait si vite.
Un nouvel essai. Une grenouille. Je n’aime pas faire de mal aux bêtes. Elle est endormie. Je relis mes notes. J’avais prévu de la disséquer, de lui injecter de faibles doses dans le cœur et de refermer ensuite. Elle va peut être mieux accepter le produit étrange. Mais je ne pense pas que c produit sois capable de quoi ce que ce soit.
Je prends mon scalpel. Malheureusement, aucune serre de protection pour m’éviter un quelconque contact avec l’H.U.L.K n’a été installée. Je préfère d’abord approcher tout le matériel, afin d’éviter les accidents. De plus, j’éloigne d’un bon mètre toute source de chaleur. Même une bougie pourrait causer du dégât. Le matériel pour opérer l’animal, la seringue avec du produit à l’intérieur. Tout est mis. Je commence l’opération. C’est assez banal. Voire ennuyant. La grenouille, inanimée, est allongée sur un linge. Je repense malgré tout à la conversation de tout à l’heure. Elle était si proche. J’aurais dû l’embrasser. Je prends le scalpel dans ma main. Mais comment aurait-elle réagi ? Je l’approche de la poitrine de l’animal. S’il faut, elle aurait au contraire voulu que ça se passe. Peut être qu’elle m’aime.
-AIE !
Du sang. Sur ma main gauche. Apparemment, je me suis ouvert sur toute la longueur de la paume de ma main. Il a beaucoup de sang, la blessure semble profonde. Tant pis pour la grenouille. Je sors de mon bureau pour me diriger vers les toilettes, où il y a un lavabo. Et ensuite je me ferais un bandage. Je ne peux pas laisser cette grenouille, si elle se réanimait, elle pourrait causer du dégât. Je passe devant le bureau d’Emma. Et je m’arrête. Sidéré, je vois à travers le mur vitré qu’elle manipule elle aussi le produit H.U.L.K. Mais juste à coté, sa lampe éclaire de plein feu une des éprouvettes qui commence dangereusement à bouillir. Je me précipite dans la salle en appelant la jeune femme. Elle me voit, paniqué et comprends instantanément qu’il se passe quelque chose. Elle se rue vers la porte, tandis que j’essaie de retirer la fiole de la chaleur. Elle a fermé la porte, bon réflexe. Mais à vingt centimètres, mes mains allaient prendre le tube qui explosa, projetant des éclats de verre et le produit vert radioactif dans toutes les directions. Il touche ma peau, je ne ressens qu’une légère brûlure. Mais non, j’ai affreusement mal. Le produit a déversé la plus grande partie de son contenu sur ma plaie, encore ouverte, et il s’est mélangé à mon sang. J’ai instantanément ressentit une douleur horrible dans tout mon corps. J’avais l’impression de brûler de l’intérieur. Tous mes nerfs étaient stimulés par la souffrance. A terre, pris de convulsions, je hurlais de douleur. Mais le bruit, je m’en fichais. J’avais mal, incroyablement mal. Je voulais que ça s’arrête. D’épuisement, endolorit par une douleur continuelle, je m’évanouis après avoir entendu une sirène de pompiers au loin.