Urban Comics
  La Ligue #13 : La fin d'un monde (6) : We Lost, They Won (1)
 
Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Mars 2009
Note : La suite de La Fin d'un Monde se trouve dans l'Annual des Urban X-Men, les trois épisodes de Steelman écrits par Ben Wawe et l'Annual des Urban Fantastic Four. La lecture de ces cinq épisodes est essentielle, surtout pour tout comprendre et tout saisir ; la lecture des trois chapitres de Steelman peut être faite maintenant ou avant la sixième partie de La Fin d'un Monde, mais il est conseillé de ne pas les lire après l'Annual des Urban Fantastic Four à titre de cohérence future.


« Ici Victor Sage, en direct de Miami. Je…je ne sais pas où je me trouve, en fait. Je ne sais même pas si ce reportage arrivera à la chaîne. Steve, mon caméraman, et moi-même sommes venus pour comprendre comment une grande plate-forme d’émeraude était apparue au-dessus de la ville il y a de cela six heures. Et…et malheureusement, nous avons compris. »

Victor se baisse instinctivement quand un bâtiment explose, une dizaine de mètres derrière lui. Des gravats volent autour de lui et de son collègue, avant que la poussière ne les recouvre encore plus. Sage a des plaies au visage et son épaule le tire. Steve lui-même ne sent plus vraiment son bras gauche à cause du poids de la caméra, qu’il portait non-stop depuis bientôt deux heures. Autour d’eux, une guerre se déroule ; et ça ne se présente pas bien.

« Apparemment, la plate-forme est le… « quartier général » de plusieurs êtres surhumains ayant le don de faire apparaître ce qu’ils désirent sous la forme de constructions d’émeraude. Nous avons déjà eu plusieurs reportages sur ce genre de phénomène, comme le raz-de-marée évité en Asie il y a quelques semaines. Cette force, avec qui nous n’avons pu entrer en contact, semble donc œuvrer pour le grand nombre mais…mais elle est actuellement attaquée. »

Une autre explosion, loin cette fois-ci. Mais la distance n’empêche pas l’appréhension, la peur. De ce qui arrive, de ce qu’ils connaissent.

« Je ne sais pas ce que c’est, je crois que personne ne peut le savoir…je ne sais même pas si nous sommes les derniers survivants ou non. Miami est durement frappée depuis à peu près deux heures, et c’est le seul moment où nous n’avons pas à courir pour essayer d’éviter les retombées de l’attaque. La plate-forme fume par endroits et au peu que j’ai vu, une armée aussi forte est en train de mener le combat. »

Victor lève les yeux après l’apparition d’une énorme lueur dans le ciel, mélange d’émeraude et d’or. Il ouvre la bouche et recule, et Steve ne comprend pas ce qu’il se passe – ou ne veut pas comprendre. Prudemment, il bouge la caméra pour savoir et regrette immédiatement.

« Mon dieu… »

La plate-forme tombe. Lentement, elle entame sa descente, rongée par explosions de plus en plus fréquentes. Des pans entiers sont expulsés et viennent lézarder un peu plus Miami, elle aussi mise à mal par un tel combat. Et les deux journalistes, au milieu, ne savent plus quoi faire et vers quel dieu se tourner.

« Steve, faut qu’on… »

Mais Sage ne put finir sa phrase. Derrière lui, à cinq mètres à peine, une explosion retentit et les couche sur le sol, touchés par de la poussière et des gravats. Le soufflé est si fort, si exceptionnel qu’ils ne peuvent rouvrir les yeux qu’après de trop longues secondes ; ils ont mal, leurs corps sont devenus des souffrances pures. Ils donneraient tout pour faire cesser la douleur mais savent que ça ne sert à rien : ils sont condamnés à avoir mal, condamnés à être le jouet de dieux devenus fous. Car face à eux, ils ne sont rien d’autre que ça…rien d’autre que des pantins désarticulés qu’ils jettent quand ils en ont assez.

« Aaaah, ça fait mal ! »

Ce n’est pas Victor qui a parlé…ni Steve. C’est quelqu’un, quelque chose au centre du cratère. Quelqu’un, quelque chose qui s’élève lentement du sol, l’uniforme d’émeraude rapiécé par les combats, l’anneau brillant au poing, les yeux rougis par la colère. Son sourire est mauvais, sadique ; il a été propulsé au sol et il ne s’y attendait pas, mais ça n’est pas si grave. Il va s’occuper de ce Quill, personnellement…et ça sera long.

« Au…au secours… »

La voix de Steve s’élève lentement du sol. Il ne sent plus ses jambes et il voit sa main droite reposer à quelques mètres de lui, sectionnée. L’impact a été plus fort qu’il ne le pensait et il ne voit même pas le corps de Victor. Son corps hurle pour lui demander de mourir mais il ne peut rien faire : il est autant prisonnier que lui.

« Au secours ? »

Quelqu’un, quelque chose s’approche de Steve. Celui-ci ne le voit pas, son œil gauche ne voulant plus s’ouvrir depuis que la caméra a explosé quelques minutes plus tôt ; et son œil droit ne lui renvoie que des images floues. Il ne voit que de vagues formes, mais il distingue quand même un corps sculpté dans la pierre, un charisme au-delà de toute limite, exemple magnifique de la perfection semi-divine qui rabaisse chaque personne osant lever les yeux dessus, que l’Homme n’atteindra jamais.
Steve ne le voit pas, ne sait pas qui il est mais il sent sa puissance – émanant à la fois de son corps et de son anneau. Victor lui a expliqué le principe de ces bagues, et il sait que cet être est invincible avec ça.

« Personne ne viendra t’aider, petit. Personne ne viendra aider ce monde maintenant que nous sommes sortis de notre trou. »

Et après, Steve n’entend, ne voit ou ne sent plus rien. Tout s’arrête, tout disparaît – et il est soulagé. Il préfère partir maintenant plutôt que de voir ce qu’ils vont faire du monde.



« Seigneur, Hunter…qu’est-ce qu’on peut faire ?
- Pourquoi ?
- Pour Barry.
- Je crois qu’on ne peut plus rien faire. »

Nora Allen soupira, en reposant sa tasse de thé chaude sur la table basse de son salon. L’ami de son fils, Hunter Zolomon, se trouvait juste à côté de là, recouvert de pansements. Il avait été frappé quelques jours plus tôt, simplement parce qu’il avait pris position en faveur de Flash lors d’un débat houleux à l’université sur les mesures gouvernementales. Il avait été des rares à avancer les bienfaits de l’existence du justicier dans leur ville, mais certains extrémistes n’avaient pas apprécié son intervention.
Heureusement, il n’avait été blessé que partiellement mais ça n’empêchait pas son moral d’être bien bas ; il n’avait pas pensé que cette folie irait aussi loin, et Nora était morte de peur pour Barry, absent depuis le début de la chasse aux surhumains.

« On n’a pas de nouvelles, on ne sait pas où il est…il est blessé et perdu quelque part dans ce pays qui préfère faire brûler ses héros plutôt que de les protéger. C’est n’importe quoi.
- Oui…je suis sûr qu’il lui est arrivé quelque chose…
- Je ne sais pas…je ne sais même pas ce que penserait Barry de tout ça.
- Comment ça ? »

Nora tourna un visage las vers le jeune homme. Elle savait qu’ils étaient amis mais se voyaient de moins en moins depuis quelques semaines ; son fils était devenu distant, absent et elle-même ne savait pas pourquoi. Il avait été blessé en Louisiane, et elle ne savait pas comment ; son fils était devenu un étranger pour elle, et elle avait caché sa douleur pour ne pas le faire souffrir lui. Il avait l’air assez désespéré lui-même, mais peut-être aurait-elle due insister…peut-être saurait-elle maintenant où le centre de son monde était.

« Barry…Barry est devenu bizarre, depuis quelques semaines. Il a un nouveau copain, sort beaucoup mais refuse toujours de me montrer là où il va…je ne sais plus qui il est, madame Allen. Ca a toujours été mon ami mais je suis perdu, face à lui. Il y a un an, j’aurais pu vous dire exactement où il se trouvait : on était comme frères, mais là…
- Je sais. »

Sa voix fut plus cassante qu’elle ne l’aurait voulu. Elle comprenait ce que disait Hunter mais ne voulait pas qu’il aille plus loin. Le jeune homme était déçu et blessé d’avoir été mis au ban de la vie de son fils, et elle sentait que ses paroles pouvaient dépasser ses pensées.

« On devrait peut-être contacter son copain…Rathaway, je crois…
- Hartley ne doit pas être mêlé à ça. »

Barry, debout devant la porte de la cuisine ouverte, comme l’entrée de derrière. Se tenant toujours sur sa canne, il semblait souffrir encore plus qu’avant son départ. Ses habits étaient rapiécés, il avait quelques bandages sur les côtes mais surtout sur son genou, qui avait l’air d’avoir gonflé. Mais ce qui était le plus troublant, c’était que le jeune homme s’était entièrement rasé : ni barbe, ni cheveu. L’effet en est d’autant plus cadavérique.

« Barry ! »

Nora Allen se précipita sur son fils pour le prendre dans ses bras. Les heures d’attente, d’angoisse, de colère envers son enfant dont l’attitude lui rappelait les folies de son père étaient oubliées devant la joie de le revoir entier. Elle n’aurait pu survivre sans lui et préférait prendre soin de lui avant d’exiger les réponses qu’elle méritait d’avoir. De longs moments passèrent ici, dans la tendresse, la douceur et le relâchement d’une mère simplement heureuse de revoir le centre de son univers une nouvelle fois.
Néanmoins, ce n’était pas le cas d’Hunter.

« Tu m’as manqué…tu m’as tellement manqué…ne pars plus…
- Où étais-tu ? »

La voix du jeune Zolomon était d’une froideur déconcertante. Barry, qui avait accueilli avec un soulagement extrême les bras de sa mère, se dégagea légèrement pour poser ses yeux bleus sur son ami. Il comprit de suite que quelque chose s’était brisé entre eux.

« Tu n’es pas content de me voir, Hunter ?
- Je serais content de revoir mon meilleur ami. Mais j’ai l’impression qu’il a disparu depuis longtemps.
- Qu’est-ce que tu racontes ?
- Où étais-tu ?
- Pourquoi est-ce que tu veux le savoir dès maintenant ? »

Nora ne savait pas comment réagir. Les larmes aux yeux, elle était tiraillée entre son envie de coller contre elle son enfant, le seul être pour qui elle vivait encore après la disparition de son mari, mais aussi sa compréhension de la légitime colère d’Hunter. Elle savait ce qu’il ressentait car elle vivait les mêmes choses au fond de son cœur ; même si Barry était tout pour elle, même si elle était prête à tout pour elle, comment lui pardonner ce départ ? Ces mystères ? Elle méritait, comme Hunter, de savoir ; elle souffrait trop de ses silences.

« Parce que nous méritons de le savoir. »

Sa voix fut plus froide qu’elle ne l’aurait voulu, et elle eut mal au cœur de voir son fils instinctivement se retirer de son étreinte. Celui-ci lui lança un regard emplit de douleur et de compréhension, et il laissa passer un long silence avant de parler d’une voix plus faible qu’auparavant.

« Oui…je sais. Vous devez avoir dû souffrir énormément de…de tout ça, mais…ce n’est pas facile, il s’est passé tellement de choses que…
- Quand est-ce que tu vas le dire ?
- Quoi ?
- Quand est-ce que tu vas le dire ?! »

Peu à peu, le visage d’Hunter devenait plus tendu, plus froid. Ses phalanges blanchissaient sous son énervement, ses dents grinçaient presque sous la tension et Barry fronça les sourcils : il ne l’avait jamais vu ainsi et n’aimait pas ce genre de découverte – surtout après plusieurs heures d’un tel voyage depuis la capitale.

« Dire quoi ?
- Que tu es Flash ! »

Nora recula sous le poids de l’émotion, Barry ouvrit la bouche de surprise et Hunter fouilla dans sa poche pour en sortir un petit tas de tissu qu’il lança sur le sol. Immédiatement, Allen reconnut un de ses essais de costume…un de ceux les plus proches de son actuel. Il baissa instinctivement la tête et sut que les choses allaient de mal en pis.
Sa mère commença à hurler mais il ne comprenait pas ce qu’il disait. Il fixait le sol, incapable de pouvoir répondre à Hunter ou de se défendre ; il avait dû rentrer par ses propres moyens, de manière illégale bien souvent et avec la peur au ventre. Il avait brûlé son uniforme et était rentré pour reprendre sa vie, mener les quelques années qui lui restaient auprès de ses proches en paix ; malheureusement, il ne le méritait apparemment pas encore.



« Dane, c’est de la folie.
- Je sais mais on n’a pas le choix. »

Dane Whitman se trouvait dans un avion privé, en direction de New York. Il était parti de Washington une heure plus tôt, après avoir vainement tenté d’approcher le Président Bush pour le raisonner – mais personne n’avait voulu l’écouter. W utilisait ses derniers jours de puissance et l’état de crise pour montrer qu’il ne serait pas uniquement le Président du plus grand échec militaire depuis le Vietnam, mais plutôt le Sauveur qu’il avait toujours voulu être. Il n’était pas le meilleur analyste politique, mais il savait très bien que ce type voulait juste être admiré pour quelque chose de grand, qu’il n’y était pas parvenu jusqu’à maintenant et qu’il voulait utiliser ça pour y parvenir enfin.
Malheureusement, cette croisade risquait bien d’entraîner tout le pays dans une descente aux enfers qu’il fallait absolument empêcher.

« Ca va vous empêcher tout avenir politique.
- Est-ce que Kerry en a eu un après 2004 ?
- Il était toujours un élu important au Parti.
- Tu sais bien que je ne suis pas un grand adepte du Parti, alors si on m’y refuse l’accès, je n’en serais pas le plus attristé.
- Dane…c’est de la folie.
- Qu’est-ce que je peux faire d’autre ? »

Cliff Seccord secoua la tête, désespéré par l’attitude de son jeune collègue. Il l’avait pris en sympathie depuis quelques jours, et ils avaient passé du temps ensemble pour essayer de gérer la crise qui menaçait le pays. En tant qu’anciens « justiciers », ils avaient jadis été écoutés avec respect et avaient su tirer parti de leurs expériences au niveau électoral ; maintenant que la chasse était donnée à leurs camarades, ils étaient regardés avec autant d’animosité que ceux qui avaient été en vacances un peu trop près du Rideau de Fer dans les années 50.

« Je ne sais pas, Dane, mais je sais qu’aller à New York n’est pas une bonne idée.
- Je vous respecte et vous apprécie, Cliff : vous êtes depuis le début de tout ça un conseiller et un ami précieux.
- Merci.
- Mais ce n’est pas pour ça que je vais vous écouter.
- Je m’en doutais.
- Pourquoi ?
- Vous foncez tête baissée à New York, vous voulez changer les choses ou au moins essayer d’empêcher que les autres « justiciers » soient mis dans des camps ou utilisés par Junior. Vous pensez que votre présence là-bas pourra calmer le jeu, alors même que rien ne dit que New York est pire que d’autres villes.
- C’est New York : il y a eu l’homme araignée, le diable de Hell’s Kitchen…
- …vos exploits à Manhattan, la Guerre Urbaine comme certains l’appellent maintenant que certaines choses se savent et là où l’Anarchiste a disparu. Sans parler de l’attaque contre les Architectes avortée. Je sais tout ça, Dane, et je sais pourquoi vous faites ça : parce qu’au fond, vous vous prenez toujours pour un héros, vous pensez encore que le destin du « monde » repose sur vos épaules.
- Je ne veux pas jouer mon héros : je n’ai plus le physique pour.
- Mais vous avez la harangue, l’audace : vous pensez pouvoir réussir là-bas ce qui n’était pas possible à Washington. Vous voulez lever un débat sur la conduite de Junior en espérant que ça retiendra assez l’attention des médias – et donc de nos concitoyens – sur leur Président de remplacement plutôt que sur le danger qu’incarne les « justiciers ». C’est de la folie.
- Pourquoi ? A vous entendre dire tout ça, ça paraît presque censé.
- Presque uniquement : vous ne pouvez pas réussir, Dane. Vous vous lancez dans une arène dont vous ne ressortirez pas vivant.
- Politiquement.
- Pas seulement. »

Whitman fronça les sourcils : il n’aimait pas le ton de Seccord…parce qu’il y lisait beaucoup trop de vérité. Il se lançait là-dedans sans certitude, sans une once de connaissance de la situation sur place et avec pour seule arme son envie de stopper tout ça. C’était un suicide mais c’était la seule chose qu’il pouvait faire.

« Pourquoi ?
- Le pays vit des heures sombres : on murmure dans certains mieux que l’économie va bientôt flancher, les mouvements écologiques prennent de plus en plus de poids et donc notre politique est décriée, les inégalités n’ont de cesse d’augmenter et nous ne pouvons pas décemment dire que le peuple est rassuré par des exploits militaires. Auparavant, nous donnions le change en gagnant dans des contrées lointaines contre des peuples diabolisés au maximum : ça n’a pas fonctionné au Vietnam mais nous nous sommes rattrapés jadis dans le Golfe et nous pensions avoir assez assuré notre prise en Amérique du Sud pour créer autant de conflits que nous voulions.
- Mais tout ça a finalement mal tourné.
- Evidemment : la bête que nous avions créé en étant les maîtres du monde s’est retournée contre nous, et nous naviguons depuis à vue. Junior a utilisé les « justiciers » d’une manière très intelligente en…
- Ce fut d’ailleurs étonnant.
- Ses conseillers ont fait leur travail, c’est tout. Le gouvernement a utilisé vos camarades et vous-mêmes pour rassurer la population : l’Amérique se perdait dans des guerres perdues d’avance face à un ennemi que nous ne pouvons comprendre, mais heureusement nous étions protégés sur nos terres par de bons américains, fiers et purs, incarnant parfaitement ce bon vieux Rêve et surtout l’amendement nous permettant de nous défendre nous-mêmes.
- Nous avons été utilisés : je le savais.
- Oui. Mais comprenez-vous pourquoi nous allons vous poursuivre et vous exterminer jusqu'au dernier ?
- Pourquoi vous inclure dans cette bande de chacals ?
- Parce que j’en suis un depuis que j’ai arrêté de sortir avec un casque sur le crâne. Les « justiciers » vont être persécutés et massacrés parce que l’Amérique a été trahie par sa planche de salut : nos concitoyens avaient besoin de vous et vous n’avez pas été à la hauteur.
- Nous n’avons rien fait ! Nous avons fait ce que nous avons pu !
- Oui, mais ce n’est jamais assez. Le peuple acceptait votre présence, celle des « justiciers » parce qu’il était conscient que c’était un… « mal nécessaire », quelque chose dont il avait besoin en espérant des lendemains meilleurs. Et ils allaient arriver, Dane : même si nous ne sommes pas d’accords avec nos concitoyens, ceux-ci étaient sûrs que Ste Croix pouvait les mener vers un horizon plus pur…plus sûr. Ca aurait été sûrement le cas : elle aurait donné un grand coup de balai dans le pays, nous serions certainement partis à cause de ça mais le peuple aurait été content. Une surhumaine et sa bande leur ont enlevé ça : le peuple veut la peau de tous ceux qui leur ressemblent.
- Pourquoi ?
- La loi du Talion : œil pour œil, dent pour dent. A l’échelle nationale.
- Donc aller à New York est à la fois une folie et inutile.
- Oui.
- Ce n’est pas pour ça que je ne vais pas y aller.
- Je sais.
- Pourquoi ?
- Parce que je ferais pareil à votre place. »

Le vieux visage ridé se fendit d’un sourire, un des rares qui lui passait dessus depuis le décès de sa femme. Il avait eu du mal avec Whitman jadis, mais au fil de leurs discussions, il se trouvait de plus en plus de points communs avec lui ; il lui ressemblait terriblement à son âge et il espérait qu’il aurait la chance de vieillir autant pour pouvoir rencontrer quelqu’un comme lui. Malheureusement, il commençait à en douter.

« Vous êtes un homme étonnant, Cliff.
- Comme vous, Dane. Comme vous.
- Vous venez avec moi ?
- Il ne peut en être autrement.
- Nous allons mener une guerre médiatique et politique perdue d’avance.
- Je sais.
- Ça ne vous fait pas peur ? Vous allez tout perdre.
- Dane, j’ai affronté des Messerschmitt avec une fusée sur le dos et un casque sur le crâne avant l’avènement de la télévision pour tous…plus rien ne peut me faire peur, surtout pas les causes perdues d’avance et le ridicule. »



« Allo ?
- Norman ?
- Oui. Je ne pensais pas entendre à nouveau ta voix, Lex. Pas après tout ce qui est arrivé.
- A ton avis, qui t’avait fait parvenir ce téléphone ?
- Je ne sais pas…un fan ?
- Ben Reilly ?
- Pas. Ce. Nom.
- Hum, tendu ? Enervé ? Je m’en doutais. L’emprisonnement, ça se passe bien ?
- La ferme. Qu’est-ce que tu veux ? Me charger pour ta Guerre Urbaine ? Tu sais que les journaux en parlent comme ça ? Tous nos petits secrets sont éventés, maintenant…tout ce qu’il s’est passé est analysé pour lancer un nouveau scandale.
- Je sais, ça ne m’inquiète pas.
- Jolie nouveauté.
- Nous avons d’autres soucis, et j’ai besoin de toi pour les régler.
- Nous ? Qui nous ? Et qui te dit que je veux t’aider ? Si je suis là, c’est à cause de toi !
- Et si tu vas en sortir, c’est grâce à moi.
- Quoi ?!
- Dans deux minutes, la porte de ta cellule va s’ouvrir automatiquement, sans aucun garde autour ou devant les écrans de sécurité. Tu auras quelques secondes pour sortir, monter sur le toit et attraper une échelle que t’auras lancé un hélicoptère. Après, nous discuterons.
- Tu veux me tuer toi-même, c’est ça ? Tu veux achever le tableau par une humiliation ?
- Si je voulais te tuer, Norman, je t’aurais fait assassiner dans la prison, je t’aurais fait sodomiser par quelques blacks et tu serais mort en agonisant avec le cul défoncé. Ou alors, je serais venu moi-même pour te torturer, nuit après nuit. Je ne veux pas te tuer, mon vieux : j’ai besoin de toi.
- Pourquoi ?
- Pour faire ce que tu sais le mieux faire : faire disparaître des gens et mener une équipe. J’ai des associés, j’ai une armée, j’ai un plan : il me manque un général. Toi.
- Qui te dit que je veux bosser pour toi ?
- En dehors du fait que tu n’as pas le choix, je suis la seule personne à pouvoir te faire sortir de cette taule – vivant, j’entends.
- Je ne te fais pas confiance.
- Personne ne te le demande. A tout de suite. »

Une minute et vingt secondes plus tard, la porte s’ouvrit. Et Norman sortit, sans une once d’hésitation.



Sa forteresse s’ébranle et flanche sous le poids des attaques de ses ennemis. Ses troupes se font déchiqueter par un adversaire qu’ils ne peuvent vaincre. Ses meilleurs amis ne répondent plus à ses appels – morts ou désespérés de son attitude. Il est seul, face à l’anéantissement de ses rêves et de ses espoirs ; seul, face à ses responsabilités. Seul face à la bouteille.

Hal Jordan voudrait la prendre, ouvrir son bouchon et sentir le liquide chaud couler dans sa gorge ; ça serait la solution de facilité, la fuite pour éviter de regarder dehors et voir Phylla et Richard être touchés par ces saletés de « zombies ». Bordel, il ne sait même pas ce que sont ces choses…elles peuvent toucher les Lanterns, aspirer leurs pouvoirs et leur vie pour les transformer en leurs semblables. Sinestro les a formés, jadis, et elles ont fait des trucs pour le faire revenir lui, mais le reste…le reste, il n’en sait rien.
Etre ignorant équivaut à être impuissant. Face à ces monstres, il n’a aucune idée de comment faire et des Lanterns meurent. A cause de lui.

Et il n’arrive pas à le supporter.

Hal a reformé le Corps pour protéger la Terre, pour essayer d’être digne des responsabilités qui lui incombaient ; il avait vaincu Sinestro, il avait stoppé Parallax, il avait fait la paix avec lui-même : il pensait avoir suffisamment vécu pour se considérer comme un homme et agir comme tel. Il avait rassemblé des amis, des gens de confiance et s’était lancé dans la plus grande aventure de sa vie. Il pensait que tout se passerait bien, qu’il ramènerait le calme à un monde qui en avait tant besoin et qu’il pourrait ainsi être digne de tous ceux qui avaient soufferts pour lui. Il se rend maintenant compte qu’il se trompait.

Bougeant sa chaise d’émeraude, il se lève et passe à côté de la bouteille ; pas maintenant, pas encore. Il regarde par la fenêtre et voit ses hommes…se battre. Avec férocité, avec courage…avec désespoir. Miami est sous eux, la forteresse se précipite peu à peu vers la ville et lui-même ne saurait l’arrêter, il le sait très bien. Malgré son immense pouvoir, elle a été trop touchée : Thomas vient de le lui dire quelques minutes plus tôt ; il faut évacuer, paraît-il. Pour reconstruire, former une nouvelle tactique, revenir sur le champ de bataille.
Thomas a raison : il est en train de tout organiser, de donner les bons ordres. Il est compétent, sûr et déterminé ; avec Guy, ils sont ses meilleurs lieutenants. Il sait qu’ils peuvent gérer le Corps, qu’ils pourront le mener après. Après son départ.

Lourdement, il soupire et ferme les yeux, entrant dans le plan commun des Lanterns. Il a intensifié la connexion des membres de son Corps, a formé une véritable communauté ; tous liés par l’énergie verte, par cette batterie dont le pouvoir coule dans ses veines. Finalement, la Batterie, c’est lui : s’il flanche, tout le Corps flanchera ; s’il meurt, tout le Corps disparaîtra. C’est pour ça qu’il ne doit rien lui arriver…qu’il doit sauver le monde. Encore une fois.

Il n’est plus dans son centre de commandes, il n’est plus dans sa citadelle. Il est dans les yeux de Richard Rider, qui combat plusieurs « zombies » agglutinés autour de lui. Ils essayent de le toucher, ils essayent de le dévorer pour gagner une nouvelle recrue mais il les repousse, encore et encore. Sous son uniforme rapiécé de Lantern, Hal sait que se trouve sa vieille combinaison de Nova ; même si son Corps a disparu, Rider continuait d’y croire, d’être fier d’appartenir aux premiers « protecteurs de la planète ». Ils avaient été là avant les Lanterns, avaient fait le boulot avant d’être définitivement stoppés. Leur fin avait été moche, mais heureusement certains avaient pu être récupérés par les Lanterns.
En créant d’énormes pinces, Richard coupe les bras des « zombies », ces êtres à moitié nus et teintés d’un halo jaunâtre ; ils sont dotés du même pouvoir que Sinestro et ils sont autant difficiles à arrêter que lui. Dépourvus de bras, ils tentent de s’approcher encore mais son Lantern parvient facilement à les dégager. Immédiatement, il regarde autour de lui et voit un collègue en danger ; immédiatement, il se précipite pour le sauver.
Immédiatement, Hal est fier de lui.

La seconde d’après, il n’est plus chez Richard mais chez Peter Quill, et ça se passe beaucoup moins bien. Il ne voit que d’un œil et saigne de bien trop d’endroits du corps. Il détruit plusieurs « zombies » autour de lui, mais son énergie faiblit – comme ses signes vitaux. Thomas et Guy s’approchent de lui, et il voit bien à leurs visages que son ami doit être dans un sale état. Ils lui parlent et lui disent qu’il devrait évacuer, mais il refuse logiquement ; Peter n’est pas comme ça : jusqu’au bout, il continuera le combat. A la fois parce qu’il a la rage de vaincre que pour se faire pardonner.
Apparemment, il a affronté un ennemi invincible. En quelques mots à peine, nous comprenons de qui il parle alors que l’identité de son agresseur lui est toujours inconnue ; aucun Lantern, en dehors de mes lieutenants, ne sait que Clark a perdu l’esprit et qu’il est désormais notre pire ennemi. Doté d’un anneau vert, sûrement aussi boosté à l’énergie de Sinestro, il est invincible : trop de pouvoir, trop de puissance en un seul homme. Si Quill l’a affronté, c’est un miracle qu’il vive encore.

Il soupire à nouveau et rouvre les yeux, ayant fermé sa connexion avec les autres ; il a merdé, tout simplement. Il a fait conscience à Clark, lui a confié un anneau pour en faire son « Super Lantern », son meilleur soldat…peut-être même son successeur. Il était trop pressé d’être remplacé, trop pressé de vivre enfin ; même s’il a fait la paix avec lui-même, il est quand même en manque de certaines petites choses comme une vie sociale, une vie normale…sa vie lui manque, en fait. Une vie lui manque.

Il pensait que Kent serait assez fort pour le remplacer, pour usurper ses responsabilités mais il a foiré. Sa forteresse tombe et il ne peut l’arrêter ; ses Lanterns meurent et il ne peut les sauver. Même en déchaînant toute sa puissance, il n’y parviendrait pas. Il n’a pas agi quand il en avait l’opportunité, il en paye maintenant le prix.
Mais ça va changer.

Des « zombies » explosent la fenêtre et tentent de l’enfermer dans une prison dorée, mais un seul geste détruit leur structure. Ils sont cinq et tentent de l’encercler, mais n’en a cure : ils ne sont pas importants. Hal est encore un adolescent au fond, un gamin qui a grandi trop vite et qui, s’il a su prendre ses responsabilités, n’arrive pas à les assumer. Mais ça va changer.
Ils essayent de l’arrêter par des créations mentales mais les siennes sont plus rapides : ses vélociraptors dévorent les bras de ses adversaires, puis leurs visages et enfin leurs cages thoraciques. Ils sont morts depuis longtemps, il ne fait qu’un acte d’humanité en abrégeant ainsi leur souffrance.

Il place ses mains devant lui, à quelques centimètres l’une de l’autre. Il sait que Thomas et Guy ne comprendront pas ce qu’il fait : il sait qu’ils feront tout pour détruire ce qu’il va créer ; mais il n’a pas le choix. Il a laissé la situation s’envenimer, se détériorer parce qu’il n’a pas osé intervenir : il pensait à la Ligue, à sa vie, à Emy qui repose dans un bocal dans la pièce d’à côté, à son père qui a disparu et qui lui en veut toujours…à la dette qu’il a envers lui.

Il a merdé parce qu’il n’a pas été assez fort pour gérer le Corps, et parce qu’il n’a pas assez de puissance pour le sauver maintenant. Ca n’a que trop duré : même si c’est une connerie, même si c’est une folie, il doit le faire…il doit aller au bout. Sous ses doigts palpite une énergie d’émeraude et il retient sa respiration : c’est plus facile qu’il ne le pensait ; mais bon, ce n’est pas une surprise : c’est en lui, comme en chaque Lantern. C’est ce que chacun a en soi, ce que chacun tente de cacher en espérant ne jamais avoir à la rencontrer. C’est la face noire de l’Humanité, son côté obscur.
Il doit l’accepter pour devenir plus fort, pour devenir digne du Corps et de son rôle de chef. Il doit fusionner avec sa part d’ombre, celle qui guette chaque Lantern, celle qui dicte chacune de ses émotions. Il doit la prendre et l’accepter, la faire gagner.

L’énergie grandit et s’approche de lui. A K’Un L’Un, on appelle ça la Thyphoïd ; chez les Nova, on appelle ça le Void. Chez les Lanterns…chez les Lanterns, ça n’a jamais eu de nom, c’est devenu tabou quand leurs maîtres ont compris que l’un d’entre eux s’était laissé aller à ça, avant accepté sa part sombre pour devenir entier, pour devenir plus fort.
Il avait été banni et était considéré comme un traître – et Hal le serait aussi bientôt. Mais il n’a pas le choix : la Terre a besoin de lui, et une fois encore il doit faire face à ses responsabilités. Une fois encore, il doit combattre et vaincre…même si pour ça il doit suivre la voie de Parallax. Même si pour ça il doit devenir comme lui.
 
 
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