Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Juin 2008
« C’est une infection. »
Hal Jordan soupira : il était las, fatigué par tout ce qu’il se passait au Green Lantern Corps et surtout par son activité en Louisiane pour stopper ceux qu’on appelait désormais « les Lézards ». La majorité de l’Etat était touché, et rares étaient ceux qui n’avaient pas encore subi la terrible transformation due à Curt Connors. Si il avait été devant lui, Hal lui aurait appris le sens du mot « douleur » grâce à ses petites techniques, mais il n’avait que des éprouvettes et sa scientifique préférée sous son regard, Martha Jones.
« Je sais, mais on ne peut rien faire ?
- Non, c’est comme le SIDA ou la majorité des cancers : c’est incurable. Le produit modifie totalement l’ADN de celui qui entre en contact avec, que ça soit par morsure, sang, salive, injection ou tout autre moyen : peu à peu, l’homme fait place au lézard, et les deux ADN fusionnent pour laisser la part belle au nouvel arrivant. Je n’ai jamais vu ça : le code génétique est entièrement réécrit. C’est à la fois fabuleux et terrifiant.
- Sais-tu comment Connors a pu faire ça ?
- Aucune idée : c’était un savant intelligent et brillant, mais à ce point, ça me semble un peu trop : je ne suis même pas sûre de pouvoir faire ça moi-même. Quelqu’un l’a peut-être aidé, ou peut-être a-t-il eu une inspiration géniale…
- Ouais…on en sait rien, quoi. On est exactement au même stade.
- Je suis désolée, Hal, mais je ne peux rien faire : aucun remède actuel ne peut stopper ces êtres ou au moins les faire revenir à la normale, et toutes nos tentatives pour les calmer avec des produits se sont révélées inutiles. Leur nature est trop brutale, trop agressive : toute la rage intérieure est lâchée par cette transformation, et le corps est trop actif pour être stoppé par ce que nous lui donnons. Et le problème, c’est que ça entraîne une mort rapide.
- Tu veux dire que ces « Lézards » n’en ont plus pour longtemps ?
- Je ne pense pas : leur organisme a été entièrement modifié, et ils usent de leurs nouvelles capacités pour lâcher tout ce qu’ils ont de mauvais en eux par la perte de leurs barrières mentales au niveau de la conscience. Leur corps ne peut pas tenir : c’est comme une voiture qui roule, roule au maximum de sa vitesse sur une ligne droite. Au bout d’un moment, elle lâche.
- Oui, mais pas tout de suite…
- Non, pas tout de suite, et c’est là certainement votre plus grand problème : les Lézards vont mourir, mais ça prendra certainement des mois, et il se peut qu’ils copulent entre temps. Ainsi, même si les originaux ne seront plus là, de nouvelles générations pourraient apparaître, encore plus mutées qu’avant…encore plus dangereuses.
- Que faut-il faire, alors ?
- Si je le savais, Hal, je ne serais pas une simple Green Lantern : je serais toi. »
Jordan sourit, mais ce fut plus pour la forme que par réelle envie. Il salua la jeune femme et sortit de son laboratoire, dans leur base volante qui flottait au-dessus des nuages. Même si il l’avait construit lui-même et qu’il en tirait une fierté énorme, il n’avait plus le temps de se poser et de contempler le monde qu’il était censé protéger : les crises s’éteignaient simplement pour être remplacées par d’autres, et il n’arrivait plus à suivre. Toutes ses troupes étaient en opération, et la formation des nouveaux étaient malheureusement limitée au strict minimum : aussitôt remplis d’énergie et conscients de ce qu’ils devaient faire et comment, ils étaient lancés dans le grand bain.
Avec Sinestro lâché dehors et des phénomènes naturels extrêmement violents partout sur Terre, le Green Lantern Corps était débordé, et il se demandait clairement si il ne devrait pas arrêter quelques unes de ses activités pour lui prêter encore plus secours.
Après quelques instants de marche, il parvint à une porte dérobée au pont inférieur, près des réacteurs. Presque personne ne venait ici, l’accès étant strictement interdit, et c’était bien pour ça qu’il avait installé ses invités ici : ils n’avaient pas à interférer avec ses affaires, et les Green Lanterns n’avaient pas à leur parler. Leurs mondes étaient trop différents, et Hal ne voulait pas qu’ils se mélangent. Les effets en seraient catastrophiques.
Il ouvrit la porte d’un battement de paupière et pénétra dans le quartier général provisoire de la Ligue, composée actuellement de John Jones, Flash, Donna Troy, Steelman et d’un type qu’on appelait parfois « Superman ». Celui-ci semblait être le plus puissant de tous, mais il avait tellement peu confiance en lui qu’il se collait toujours contre un mur et parlait très peu. Tout ce potentiel gâché énervait quelque peu Jordan, mais jamais il ne le força : il savait qu’il valait mieux se découvrir tout seul plutôt que d’avoir le nez mis de force dans ce qu’on pouvait faire.
Tous les regards convergèrent vers lui quand il entra, et il parla d’une voix froide pour leur apporter la mauvaise nouvelle.
« Toujours rien : Martha est une des meilleures scientifiques au monde, et si elle dit qu’elle ne sait pas quoi faire, c’est qu’il n’y a rien à faire.
- Et merde.
- Pff… »
Ils avaient espéré que la jeune femme puisse leur apporter ses lumières, mais il brisait leurs espoirs comme elle avait fait de même pour les siens quelques secondes plus tôt. Cela faisait maintenant une semaine que les Lézards étaient devenus tant dangereux, et même si ils avaient fait ce qu’ils pouvaient, ça n’était pas assez : ils continuaient de gagner du terrain, et c’était désormais les militaires qui géraient la chose, ou plutôt perdaient des hommes et tiraient sur tout ce qui bougeait. Plusieurs bataillons avaient été rappelés d’Irak, mais c’était malheureusement pour mourir trop rapidement. Certains disaient qu’au moins ils le faisaient pour défendre leur pays sur son sol au lieu d’un autre à plusieurs milliers de kilomètres de là, mais ils se faisaient de plus en plus rares au fil des reportages apocalyptiques venant du front.
La Garde Nationale et l’armée contribuaient donc à protéger l’Amérique d’un de ses Etats, mais le Président était disait-on prêt à user de l’arme nucléaire si une solution n’était pas rapidement trouvée. George W. Bush savait que ça serait une folie et que personne ne le lui pardonnerait, mais il avait depuis longtemps accepté d’être considéré comme un bourreau par certains. Au crépuscule de son mandat, alors que les nouveaux candidats étaient déjà choisis, il voulait encore montrer son pouvoir, et tous tremblaient devant la folie d’un tel homme.
Pour la plus grande partie de la population, l’espoir résidait dans les actions de la Ligue, mais aucun ne savait vraiment quoi faire face à ça : Flash n’était pas assez rapide pour tous les arrêter, Steelman et Superman ne pouvaient les combattre sans les blesser gravement dans le feu de l’action, Donna n’avait que ses armes et ne voulait apparemment pas les tuer, et John…John restait silencieux, lui. Il était le plus grand télépathe de la Terre, mais avait un certain a priori à user de ses pouvoirs pour calmer ces monstres. Tous lui faisaient confiance suite à leur première mission, mais Hal commençait à se demander si son vieil ami n’avait pas d’autres idées derrière la tête…des idées que lui seul devait connaître, et qui n’étaient peut-être pas réjouissantes.
« Et on fait quoi, maintenant ? »
Donna, franche et directe à son habitude, ne voulait pas d’un silence pesant suivi de longs soupirs. Elle avait passée sa vie à se battre et à être digne de son fardeau, et ne pouvait pas laisser des gens souffrir alors qu’elle faisait partie d’un groupe qui avait le pouvoir d’intervenir. Debout, les bras croisés, elle posa son regard sur chaque membre de l’équipe, bien décidée à les faire réagir pour qu’ils fassent enfin leur boulot.
« Qu’est-ce que tu veux qu’on dise, Donna ? On est tous dépassés par ça : aucun d’entre nous n’a jamais eu à gérer quelque chose comme ça…
- C’est pour ça qu’on s’est réunis, James : pour s’occuper des menaces que nous ne pouvions stopper seuls. Nous devons faire quelque chose, des gens souffrent alors que nous restons ici à soupirer et à pleurer sur des résultats négatifs !
- Et tu veux faire quoi, alors ? Aller les éradiquer ? Aller les tuer ? »
Le ton froid et cassant de Steelman contrastait avec sa voix habituellement calme et enjouée, mais il avait lui-même ses problèmes personnels et ne dormait plus beaucoup depuis le début de la crise et ses propres affaires à régler. Ses pouvoirs lui permettaient de tenir encore debout, mais il était évident qu’il était sur les rotules et qu’il n’en supporterait pas énormément plus.
« Des gens meurent, James, et on vient de nous dire qu’on ne peut pas les ramener à l’état normal : que veux-tu faire ? Je réprouve le meurtre, mais à choisir entre laisser contaminer tout un pays ou stopper la maladie à son point de départ, j’ai décidé quelle voie prendre.
- Maladie ? Mais on parle de gens, là ! De personnes vivantes !
- Non. »
La voix de John Jones avait claquée dans l’air : jusque là, il avait été encore une fois très discret et secret, observant avant de réagir, mais il n’avait apparemment pas pu s’empêcher d’intervenir. Hal se demandait ce que voulait dire son vieil ami, et au vu de son visage grave et dur, il n’était pas sûr d’apprécier la réponse à venir.
« Ce ne sont plus des personnes, James : c’est une maladie, comme l’a dit Donna et comme l’a annoncé le Docteur Martha Jones, n’est-ce pas Hal ? »
Jordan fronça les sourcils : Jones avait lu dans son esprit sans son accord, alors qu’il avait été trop faible pour lever sa protection télépathique faite avec son énergie verte. Il détestait quand il faisait ça, et supportait de moins en moins les permissions que se donnait le fondateur de la Ligue. Il serra les poings, mais resta silencieux, acquiesçant juste pour voir où il voulait en venir.
« Ils n’ont plus la conscience de ce qu’ils font, ils se comportent comme des animaux et tuent comme eux : si ils ont encore un peu de ce qu’ils étaient avant, c’est leur rage d’assouvir leurs désirs secrets et de se venger de ce qu’ils ont subi sans rien dire. Ils sont devenus des horreurs, des monstres qui veulent tuer et conquérir pour le simple plaisir de le faire. Nous les avons combattu, et nous avons vu ce dont ils étaient capables : c’est terrifiant. »
Il laissa quelques secondes à chacun pour qu’ils se remémorent les moments où ils avaient été choqués par les attitudes des Lézards : massacres, cannibalisme, destruction de lieux sacrés ou autres événements qui les avaient assez troublés dans leur for intérieur pour qu’ils s’arrêtent quelques instants et se demandent dans quel enfer ils étaient tombés. Tous avaient subi ça au moins une fois, et Barry serra même les poings de rage en se rappelant du souvenir d’une mère déchiquetée par ses propres enfants transformés.
« Vous savez ce dont ils sont capables, et rien pour le moment ne peut les arrêter : nous devons passer à l’étape supérieure.
- Comment ça ?
- Pour l’instant, le pays les contient mais le Président ne laissera pas cette situation à son successeur : il a trop de fierté et d’orgueil pour ça. Il sera prêt à tout pour arranger la situation, au moins de manière détournée, avant la fin de son mandat, et je crois qu’il est même proche de la solution nucléaire, qui fait peur à temps de monde.
- Tu…tu crois ?
- Oui, Barry : George W. Bush n’est pas stupide ou fou comme on le dit, il croit juste fermement à certaines choses et est suffisamment puissant et intrépide pour se lancer dans une telle campagne. Si on observe ses deux mandats, on se rendra compte qu’ils ont été marqués à la fois par son intégrisme religieux, et à la fois par une envie de démontrer que les Etats-Unis d’Amérique n’ont besoin de personne pour se protéger et sauver le monde. Ici, nous sommes dans une crise pire que celle du 11 septembre, et il n’est pas homme à fuir devant les responsabilités…même si il les voit sous un mauvais jour.
- C’est…c’est monstrueux…
- Oui, et c’est pour ça que nous devons intervenir avant ça.
- Comment ?
- Nous devons tuer la majorité des Lézards, et après je contrôlerai le reste le temps qu’on trouve une solution : ça sera difficile, mais en les maintenant dans une zone de quarantaine, je pense pouvoir les empêcher de faire du mal. Ils seront dans un état catatonique, mais ça sera déjà mieux que rien.
- Tu…tu veux les tuer ?
- Pas tous, seulement trois quart. »
Hal n’en revenait pas. Jamais il n’aurait imaginé que celui à qui il devait tant pouvait imaginer une solution aussi inhumaine : même si les Lézards étaient terrifiants, même si Martha n’avait rien trouvé, même si Bush risquait d’être le plus grand dingue de l’Histoire, il n’aurait pu songer un seul instant à cette possibilité. Pour lui, la Vie était simplement sacrée, et il avait fait vœu de protéger tous les habitants de la Terre de n’importe quelle menace…même les monstres. Même eux avaient droit à la Justice, pas à la vengeance comme le proposait John.
Il se tourna vers les autres, espérant trouver aussi des mines d’incompréhension et d’indignation suite au discours de Jones, mais seuls la fatalité et la lassitude se lisaient sur leurs faces. Même pour un non télépathe, il était évident qu’ils acceptaient ce que disait son vieil ami : ils n’étaient pas d’accords, mais semblaient conscients que c’était la seule solution pour endiguer ça. Il n’en croyait pas ses yeux.
« John, tu n’es pas sérieux là…dis-moi que tu n’es pas sérieux ! Et vous, dites quelque chose ! Son plan est impossible ! On ne peut pas faire ça ! »
Hurlant presque, il s’approcha de leur petit comité réuni autour d’une table, et Barry et « Superman » baissèrent les yeux, alors que Steelman regardait sur le côté. Seuls Donna et John avaient le courage de lui faire face, mais ça ne voulait pas dire qu’il les estimait pour autant.
« Hal, il faut que tu comprennes que…
- Rien du tout : on ne tue pas des gens, même transformés. La Ligue s’est réunie pour empêcher un massacre au centre de Manhattan, pourquoi on deviendrait maintenant ce qu’on voulait stopper ?
- La situation est différente : la crise est trop grande pour faire des sentiments. Ces êtres ne sont pas des gens : ils sont une menace, une maladie. Rien ne peut les stopper à part la solution létale, et même si je réprouve ça c’est la seule chose à faire. Hal, fais-moi confiance, je…
- Non. Je ne te fais plus confiance, John, ni à aucun de ceux qui accepteront de faire ça. Comment pouvez-vous accepter ça ? Comment pouvez-vous ne rien dire ? Ce…ce type propose de tuer de sang froid des êtres vivants qui souffrent ! Des victimes ! Nous sommes la Ligue, nous protégeons les innocents ! Ils n’ont rien demandé à personne ! Ils ont besoin de soins, pas d’une balle en pleine tête !
- Mais quels soins ? Ta chercheuse dit que rien n’est encore possible, et l’armée ne parviendra pas à les tenir longtemps ! En ce moment même, des soldats innocents meurent, les lignes reculent et des gens sont déplacés par crainte des Lézards ! Bien sûr que ce n’est pas bien, mais est-ce que c’est mieux de transformer ce pays en zone de guerre ? Les Lézards vont gagner si on ne les arrête pas : ils sont plus forts, plus rapides et ne craignent pas la douleur. C’est mathématique : dans un long conflit, l’Humanité ne peut que perdre. Que faire alors, Hal ? Attendre un traitement qui ne viendra peut-être jamais à temps ?
- C’est plus compliqué que ça, Donna… »
Même si il réprouvait leurs méthodes, Hal ne pouvait s’empêcher de penser que ses arguments avaient du poids : dans un contexte de guerre, il aurait certainement raisonné comme elle et serait arrivé aux mêmes conclusions, la mort dans l’âme. Néanmoins, pour lui, la situation n’était pas encore aussi critique et il se refusait à tuer de sang froid des êtres qui avaient besoin d’aide. C’était contre le code de déontologie du Corps, mais aussi contre tout ce en quoi il croyait.
« Hal, tu ne peux pas user de ton pouvoir et de ceux du Corps pour nous aider : vous êtes demandé ailleurs, et avec le retour de Sinestro, le monde a besoin d’un Corps actif et pas concentré sur de tels monstres. Il n’y a pas d’autre issue.
- Il doit y en avoir une : il y en a toujours une autre. Si nous avons ces pouvoirs merveilleux, si nous avons ces capacités, c’est que le monde n’est pas aussi sombre qu’on le croit. Il doit y avoir une solution car les gens attendent de nous désormais l’impossible. Nous sommes arrivés dans leur vie comme si nous sortions de BD ou de romans, et ils nous voient enfin comme une réalité. Nous sommes des héros, et nous n’avons pas à nous conduire comme ça. C’est tout. »
Il soupira, et regarda les réactions des autres personnes présentes. Ce fut Barry qui prit la parole le premier, lui qui était d’habitude si discret dans les réunions de groupe.
« Je…je comprends qu’on doive les…tuer. Je n’aime pas ça, mais je comprends : on n’a pas le choix, mais Hal a raison : on est des héros, et…enfin, j’essaye d’en être un. Je ne veux pas tuer. John, je sais que tu aurais besoin de moi, et je t’aiderai autant que je peux, mais je ne tuerai pas. Je ne pourrais pas me regarder en face après.
- Moi non plus. »
Si la voix de Flash avait été déterminée malgré ses hésitations, celle de James Baxton avait été tranchante. Il était resté silencieux globalement jusque là, mais ses propres appréhensions et le discours de Jordan ne pouvaient le laisser faire une telle chose.
« J’ai aussi fait des erreurs…de lourdes erreurs. Et je ne veux pas en refaire. Je t’aiderai aussi, John, mais ne t’attends pas à ce que je tue de sang froid : toi, Donna et notre ami devrez vous en occuper. Ca sera sans moi.
- Je…euh… »
Clark Kent voulait parler, mais comme toujours sa timidité le désarmait. Il avait été choqué de voir l’équipe se comporter ainsi, mais il n’avait pas osé interagir auparavant, ayant peur de ne pas trouver les mots et de ne pas avoir le poids suffisant pour cela ; après tout, il n’en était pas membre à part entière, il n’était venu que pour aider. Et il avait ses propres problèmes, en plus de toute cette horreur.
« Je…je ne me sens pas prêt…non plus…pour ça…et la Ligue…c’est trop pour moi… »
Il avait dû se faire violence pour dire cela, et baissait les yeux par crainte de voir les visages déçus de ceux qu’il devait aider. Néanmoins, il n’avait aucune envie de faire cela : il ne contrôlait pas sa force, il ne savait pas comment user de ses pouvoirs, mais il ne voulait aucunement avoir du sang sur les mains. Sa seule envie était de se débarrasser de ses capacités généralement, et ce n’était pas pour devenir une sorte de vengeur qui prendrait la vie d’êtres qui étaient autant prisonniers que lui de leurs apparences. Il ne connaissait que trop leur souffrance pour faire ça.
« Bien. »
John Jones n’était pas content, et ça se voyait : pour la première fois pour la majorité de la Ligue, il montrait une émotion sur son visage, et ce n’était pas très réjouissant. Les sourcils froncés, la bouche formant un rictus rageur, il semblait contrôler sa rage au fond de lui, mais avec beaucoup de mal. Néanmoins, il inspira un grand bol d’air et repris la parole d’une voix très froide, avec néanmoins le retour de son masque de neutralité.
« Hal, il va falloir que tu t’organises pour nous apporter les Lézards que les autres auront arrêté et…
- Non.
- Quoi ?! »
Pendant une demi-seconde, Jones fut surpris, et le connaissant, Jordan savait qu’il détestait que les autres sachent ce qu’il ressentait. Il profita intérieurement de cette souffrance faite à son ancien ami.
« Laisse tomber, John : tu ne peux pas lire mes pensées, j’ai dressé un écran énergétique autour de mon cerveau, et aussi autour de celui de Clark. Je ne veux pas continuer la Ligue si tu considères devoir faire de telles choses : je quitte le groupe, et je garde Kent avec moi. Je ne veux pas que tu ais quelqu’un d’aussi fort sous ta coupe.
- Tu ne sais pas ce que tu fais, Hal…le destin du monde est entre mes mains, et tu es en train de tirer la balle qui achèvera l’Humanité…
- Peut-être, John, mais au moins je ne me trahis pas. Si les Lézards sortent de leurs limites, le Corps interviendra. En attendant, je vous laisse faire, mais sachez une chose : si vous tuez, vous serez considéré comme ennemis du Corps. Tous. »
Il planta un regard froid dans les yeux de John Jones : eux qui avaient été tant amis se retrouvaient désormais adversaires et peut-être même pires parce qu’ils différaient sur les moyens de sauver l’Humanité. Il était touchant de voir comment un alien voulait tant protéger sa planète d’adoption, mais Hal ne pouvait accepter un tel comportement, même avec des buts aussi nobles. Pour lui, la fin ne nécessiterait jamais tous les moyens, quitte à le regretter plus tard. C’était au moins ça qu’il avait hérité de ses affrontements avec Parallax.
« Hal, tu sais que nous…
- Tais-toi Donna : je suis on ne peut plus sérieux. D’ailleurs, la discussion est terminée.
- Hal, ça ne peut pas se finir comme ça… »
Aucun n’arrivait à le croire : comment Jordan, comment leur ami pouvait-il leur faire ça ? Bien sûr, tous comprenaient qu’il avait un point de vue différent, et la majorité le suivait même, mais il était évident qu’il fallait faire quelque chose et que son attitude attentiste était tout sauf la bonne. Surtout, ils avaient mal de voir un de leur camarade, un ami, un frère de bataille leur annoncer qu’il les quittait et qu’il prenait l’un d’entre eux.
D’un côté, ils étaient énervés qu’il réagisse ainsi, mais ils avaient surtout peur de vraiment le perdre. En dehors de toute considération tactique, il était un des leurs et aucun ne pouvait supporter de le voir partir. Chacun avait subi assez de perte personnellement pour ça.
Néanmoins, alors que Steelman et Donna s’approchaient pour essayer de le raisonner, les yeux du chef du Green Lantern Corps se mirent à briller d’émeraude, et le sol fait de la même couleur disparut soudainement ! En une seconde à peine, Donna, James, Barry et John tombaient vers le sol, alors que Clark Kent s’était soulevé dans les airs dès le changement de ton de Jordan, et sa propre lévitation discrète quelques centimètres à peine au-dessus du sol. Avec un claquement de doigts, celui-ci fit revenir le sol vert, et ouvrit la porte. Son invité le suivait.
« Tu…tu crois qu’ils vont mourir ?
- Non. Jones sait voler, comme Steelman : ils se rattraperont, mais auront eu une sacrée peur.
- Ils…ils seront bien seuls…
- Je sais. »
Il posa ses mains sur la barrière qui protégeait ceux qui marchaient sur sa construction d’émeraude du vide. Il n’aimait pas ce qu’il venait de faire, et se sentait mal : il avait cru en la Ligue. Il avait adoré cette idée de rassemblement des plus grands héros du monde pour le rendre meilleur, et il s’était senti très bien quand ils avaient travaillé ensemble pour stopper les monstres de Luthor et Osborn. Mais il ne pouvait pas continuer à travailler dans une équipe qui n’hésitait pas à tuer de sang froid.
Bien sûr, il avait tué Parallax…deux fois. Mais ça n’était pas pareil : ils avaient combattu l’un face à l’autre, et il n’y avait vraiment eu aucune solution. Là…là, les gens n’étaient pas conscients de ce qu’ils faisaient, alors que Parallax suintait le Mal à chaque fois qu’il respirait. Ce monstre ne pouvait continuer à vivre, et il n’avait aucun regret. Ce n’était pas pareil avec les Lézards : c’était des victimes, et ils devaient être traités comme tel le temps de trouver un remède…si il y en aurait un.
Il doutait, évidemment, mais il sentait au fond de lui qu’il avait pris la décision qui lui permettrait de se regarder dans la glace. Le Corps serait prêt à intervenir en cas de problème, même si il avait ses propres soucis et qu’il avait d’autres priorités. Seulement, il avait désormais perdu la Ligue, et Hal sentait une blessure après ça : ils allaient lui manquer. Il devrait maintenant être seul et ne plus avoir de vrais amis, de vraies personnes qu’il ne dirigerait pas. Ca allait être dur.
Néanmoins, il avait choisi ça quand il avait reformé le Corps, et savait que sa vie ne serait jamais faite de joie et de bonheur. Son destin était fait de sang et de souffrance, mais quelqu’un devait faire ce boulot. Et autant que ça soit lui, qui avait le pouvoir et les tripes pour ça.
Il se tourna vers Kent et sourit tristement.
« Je sais que tu veux rentrer chez toi : vas-y. Jones ne te retrouvera pas, tu es sous ma protection et il sait qu’il ne peut rien contre moi. Va vivre ta vie et tente d’être heureux : saisis cette chance. »
L’homme en costume cravate fit un très léger sourire, et répondit d’une voix faible. Il était évident qu’il avait dû rassembler tout son courage pour parvenir à dire ça.
« Je…je voudrais rester, si je peux…peut-être t’aider…avec le Corps… »
Cette fois-ci, le sourire de Jordan fut vrai et sincère. Il posa sa main sur l’épaule du grand homme devant lui, et lui envoya un regard d’espoir. C’était tout ce qu’il avait à lui donner à ce moment-là, mais il savait que ça ferait son effet.
« Très bien, Clark : c’est d’accord. Nous ferons de toi quelque chose, alors : plus qu’un surhumain, plus qu’un Green Lantern. Et Jones verra alors qui avait raison. »
Louisiane. Une ville jadis forte mais détruite par les attaques, plus qu’une ruine maintenant. Seule une petite famille avait survécue en se cachant dans sa cave, et aucun Lézard n’avait jamais trouvé leur trace…jusqu’à maintenant. Par malheur, le père avait été repéré en allant chercher du secours, et avait révélé le nom de leur cachette sous les tortures. Désormais, les Lézards martelaient la porte blindée qui les séparait de la mère et des deux jeunes enfants. L’issue était certaine : sous peu, ces derniers feraient partie des victimes de l’épidémie. Seulement, quelqu’un n’était pas d’accord avec ça.
Il était accroupi sur le toit de la maison, à quelques mètres de là, observant en silence la demi douzaine de Lézards s’acharner contre la porte qui séparait la cave de l’extérieur. Ca faisait longtemps qu’il n’avait plus d’odeur et qu’il savait comment cacher ses traces, mais il devait avouer que les Lézards étaient bien plus forts que la majorité des pisteurs : ils étaient devenus des maîtres dans le jeu de retrouver quelqu’un, mais il était encore leur supérieur. Pour l’instant.
Néanmoins, ce n’était pas son futur qui l’intéressait à ce moment-là, mais plutôt celui de la petite famille. Lentement, il sortit une petite fiole de sa ceinture qui en contenait une vingtaine d’autres, et la regarda longuement pour vérifier que c’était bien la bonne : toute erreur serait dramatique.
Il avait bien analysé la situation et savait exactement quoi faire. Il avait eu du mal au départ à appréhender les Lézards comme des créatures de la Science et non d’autre chose, mais ça allait bien mieux maintenant et connaissait presque toujours le moyen de s’en débarrasser. C’était souvent violent et brutal, mais si il était venu en Louisiane pour sauver ce qui pouvait encore l’être, il s’était vite rendu compte que certaines méthodes devaient être employées. Son vieux maître n’aurait pas fait autrement.
Lentement, il se releva et jeta un regard noir à ses ennemis. La porte ne tiendrait pas longtemps, et il devait se hâter : d’un geste ample et calculé, il lança alors la petite fiole contenant un liquide jaunâtre vers eux. Elle s’écrasa à quelques centimètres de la patte d’un de ceux du milieu, et tous s’arrêtèrent pour voir ce que c’était et d’où ça provenait. Il ne prit même pas la peine de se cacher ou de fuir : il savait que ça agirait avant le moindre de ses gestes et qu’ils ne pourraient rien contre lui.
Les Lézards restèrent silencieux et surpris quelques secondes, ils n’avaient évidemment pas l’habitude de voir un humain les toiser ainsi, mais cela ne dura pas et ils se mirent alors à avancer vers lui. Malheureusement pour eux, le contenu de la fiole arriva à maturité en étant exposé à l’air, et d’énormes tentacules jaunes sortirent du liquide reposant sur le sol pour engloutir tous les Lézards. En un instant, ils furent tous prisonniers de ces horribles choses, et il ne fallut qu’une seconde pour que les pores du tentacule n’aspire toute vie à ses victimes. Leurs corps retombèrent lourdement sur le sol, vidés.
Il descendit alors sur le sol et s’approcha, attendant que les tentacules aient bien disparues pour éviter toute mauvaise. Quand ce fut le cas et que tout danger était écarté, il s’accorda un sourire : même si il avait sacrifié une bonne arme, il avait sauvé des innocents. Ca n’était pas grand-chose, mais ça lui permettrait de continuer, et peut-être de mériter son titre de Sorcier Suprême un jour. Peut-être.