Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Juin 2009
« Vous n’allez pas le droit d’entrer ici ! Vous n’allez pas le droit !
- Dégage.
- Vous n’avez pas le droit ! C’est un hôpital ! C’est…Aaah ! »
La crosse d’un fusil frappa Barbara si fort à la mâchoire que cette dernière explosa. Le sang de la jeune infirmière la précéda sur le carrelage froid et blanc, et elle fut très rapidement piétinée par une douzaine de militaires, l’arme au poing. Ses collègues se collèrent contre les murs, incapables de se défendre et surtout atterrés par ce qu’il se passait. Jamais ils n’auraient songé que le Wayne Hospital soit ainsi envahi par l’US Army.
« C’est là ! En position ! »
Deux hommes se placèrent autour de la porte, avant qu’un autre ne la défonce avec un bélier. Quatre de leurs collègues se précipitèrent à l’intérieur, tandis que cinq autres protégeaient la zone. Les militaires à l’intérieur se positionnèrent autour du lit, avant que le capitaine chargé de la manœuvre fasse aussi irruption à l’intérieur, le fusil en bandoulière.
« Daniel ShanLi ? »
Pas de réponse. L’homme était juste devant le lit de l’ancien policier désormais inanimé, alors que tous ses hommes fixaient le patient en le visant avec leurs armes, le doigt sur la gâchette. Ils semblaient vraiment prêts à tirer, tandis que Danny ShanLi était dans le coma depuis un mois déjà.
« Daniel ShanLi ? Plusieurs témoignages affirment que vous êtes connu sous l’identité de « Question », personnage masqué sévissant sur Internet, ayant enlevé, torturé et assassiné John Lynch, ayant été convaincu de crimes et délits passibles des plus hautes peines de l’Etat. Confirmez-vous cela ? »
Pas de réponse. Un sourire fugace se dessina sur le visage du capitaine.
« Vous êtes désormais arrêté suite à l’ordre présidentiel instaurant la participation de l’US Army aux mesures de sécurité nationale envers les individus masqués considérés comme des terroristes.
- Gné…rrorichtes ?! »
Barbara s’était levée, le visage en sang. Sa mâchoire la faisait affreusement souffrir et elle savait que ses séquelles seraient terribles, mais elle devait voir, de ses propres yeux, ce que l’armée de son pays, de son propre gouvernement était désormais autorisée à faire. Elle n’était pas sûre de vraiment comprendre pourquoi les hommes masqués agissaient ainsi, mais elle était de Chicago, elle avait été l’employée de Bruce Wayne : elle savait ce que les « justiciers » pouvaient faire. Et elle était convaincue qu’ils avaient besoin d’eux.
« Faites évacuer ShanLi. Je veux qu’on soit partis dans quinze minutes, avec débriefing trente minutes après le retour à la base. On a encore d’autres visites à faire. »
La jeune infirmière voulut encore dire quelque chose, mais un de ses collègues la fit reculer pour laisser les militaires entrer et pousser le lit vers la sortie. Elle ne parvenait pas à croire que tout ça était vrai, mais elle avait compris quelque chose : ce pays avait changé. Et elle ne voulait pas continuer à y vivre.
« Cliff…dites-moi que ce n’est pas vrai.
- Je crains que si, Dane. Les premières arrestations ont commencé cette nuit.
- Et l’armée participe ?
- Oui. Ce sont des opérations militaires, contre des « terroristes ».
- Seigneur…
- Oui. A ce que je sais, une demi-douzaine de vos « collègues » sont désormais aux mains des maîtres de Guantanamo.
- Ils sont aussi vos collègues, Cliff. Est-ce qu’ils vont être envoyés à Cuba ?
- Non, non. Apparemment, ils doivent être confinés dans un endroit secret où ils pourront être interrogés en toute tranquillité et dans les meilleures conditions.
- C’est pire que Guantanamo ?
- Bien pire.
- Oh non…vous savez qui a déjà été pris ?
- Pas vraiment. Apparemment des mutants d’abord, des lycanthropes…je n’en sais pas plus. Ah si, la Question a aussi été pris.
- La Question ?!
- Oui, ça m’a aussi étonné. Je ne pensais pas qu’ils y parviendraient, surtout sans blessé.
- Sans blessé ?! Mais il était quoi, endormi ?
- Dans le coma.
- Dans le coma ?!
- Oui, à Chicago. Apparemment, c’est un ancien flic émigré au Canada.
- Oula…ça me semble bizarre. Je ne pensais pas que la Question soit un flic : vu ce qu’il disait et ce qu’il faisait, ça me faisait plus penser à un rebelle, à un antisocial incapable d’être accepté par toute structure, surtout celle de la police. Je ne le voyais pas capable de feinter sa vraie nature pour s’intégrer.
- C’est pertinent, nous devrons y songer après.
- Après ?
- Après quoi ?
- Bush utilise ses pouvoirs pour étirer au maximum son champ d’action, et il use de la situation critique pour améliorer son bilan. Il a toujours eu le complexe du héros, et je crois qu’il veut vraiment laisser une bonne image de marque. Les « justiciers » sont montrés du doigt depuis l’agression de Ste Croix : cette fange de la population est considérée comme coupable de tous les maux du pays, et Bush veut appuyer dessus. Personne n’est à l’abri, pas même nous.
- Vous pensez qu’on va venir nous arrêter ?
- Oui, ou en tout cas c’est très possible. Nous sommes Démocrates, Dane : l’ennemi. L’ennemi de ceux qui ont été responsables du Watergate, et qui conseillent encore Bush. Nous pouvons tomber, mais nous devons agir avant.
- Comment ?
- Nous devons avertir la population, faire quelque chose pour les informer de ce qu’il se passe.
- Vous l’avez dis vous-mêmes : les gens sont tristes, apeurés…terrifiés. Ils ont besoin d’un coupable : il y a quelques années, c’étaient les barbus orientaux, il y a encore plus longtemps c’étaient les Juifs en Europe…c’est l’Humanité, le peuple. Le peuple ne nous aidera pas.
- Vous ne savez pas tout, Dane.
- Vous jouez trop les mystérieux charismatiques, Cliff. Vous n’étiez pas le Shadow, vous savez.
- Ah ! Elle est jolie, Whitman. Mais restons sérieux : ce n’est pas la chasse aux sorcières qui nous fera aider par le peuple. Vous avez raison, ils apprécieront ça, ils aiment le goût du sang. Ce qu’ils doivent savoir, c’est quelle est la prochaine étape de Bush et de son équipe.
- Comment savez-vous ça ?
- Nous avons tous nos secrets, Dane. J’ai bientôt quatre-vingt ans, et ça fait des années que je suis dans ce métier : j’ai quand même eu quelques contacts et quelques dettes à faire payer.
- Je vois. Quelle est cette étape, alors ? Il va nous envoyer une bombe sur notre propre sol ?
- Je crains que ça ne soit pire. L’équipe de Bush est, comme d’habitude, composée de membres importants d’un groupuscule d’idées, d’une organisation faite pour imaginer les politiques à venir, bref un think tank américain. Seulement, ce think tank, dont je ne parlerai pas plus tant elle est classique et sans grand intérêt, a besoin d’argent pour fonctionner, et pour faire taire les scandales nés de certaines réunions. Et c’est là qu’intervient Lex Luthor.
- Luthor ?!
- Oui. Il a une entreprise florissante, trempe dans pas mal de sales affaires…et a beaucoup d’argent et de contacts. Il a appris tout ça, le besoin d’argent, le besoin de contacts de ce think tank pourtant d’apparence si puissant mais aux pieds d’argile. Et il a offert son financement, ses liens, et il a peu à peu acquis une importance capitale dans ce regroupement.
- Il a une certaine réputation auprès de l’équipe de Bush, et donc auprès de lui.
- Oui. Et cette équipe sait que l’armée ne parviendra pas à trouver tous les « justiciers », ni la police d’ailleurs.
- Et Bush a besoin de résultats pour sa réputation, et pour besoin dans les prochaines élections.
- Exact. Donc il va suivre les conseils de son équipe, qui va lui proposer d’engager Lex Luthor pour régler ce problème.
- Engager Luthor ?
- Lex Luthor est en train de mettre sur pied un pan de son entreprise chargée de la sécurité : il engage tous les surhumains qu’il peut trouver. Bush va bientôt donner tout pouvoir pour assurer la « sécurité » du pays à quelqu’un qui trempe dans les plus sales affaires de New York et de Boston, et qui est en train de rassembler des escadrons de la mort. Bush va bientôt autoriser de mettre le pays à feu et à sang. »
« Deux à gauche, deux à droite. Je peux les avoir. »
Connor était accroupi sur le toit d’un immeuble à deux cent mètres environ de l’hôpital de Washington où était traitée Monet Ste Croix. Son état était catastrophique, ce qui expliquait qu’elle n’ait pas été transférée aux structures gouvernementales habituelles. Ses jumelles étaient fixées sur son visage obscurci volontairement pour se fondre dans l’ombre, et il communiquait par radio avec Donna Troy, qui se trouvait de l’autre côté de l’hôpital, prête elle aussi à intervenir.
« L’entrée principale est impossible à pénétrer. Toi seul pourras passer par cette porte de secours.
- Oui. Tu me rejoins ?
- Je vais essayer, mais je ne pense pas être là à temps.
- J’y vais alors. »
Lentement, le jeune homme se releva, essayant d’être le plus discret possible. Refaisant tomber son masque sur tout son visage, il sortit son arc dépliable de son carquois et se mit en place. Accroupi à nouveau, désormais à l’extrémité du toit, il attendait, se posait dans l’ombre pour l’absorber. Ça n’allait pas être facile : il devait toucher les quatre gardes en moins d’une minute, ne pas se faire repérer avant, se dépêcher pour pénétrer dans l’hôpital et trouver la future Président des Etats-Unis. Autant se rendre tout de suite, pensa-t-il, ça accélérerait les choses.
Connor ne bougeait pas, laissant l’atmosphère l’entourer. Il n’était pas le plus grand pisteur ou chasseur, mais il apprenait vite : depuis qu’il était devenu l’Ombre, depuis qu’il avait enterré sa vie des Titans et ses erreurs, il devenait un autre homme. Il voulait se racheter de ce qu’il avait fait ou de ce qu’il n’avait pas fait, et parvenir jusqu’à Ste Croix devrait participer à ce retour en grâce.
Avec Donna, ils avaient décidé de joindre la future Présidente pour voir ce qui lui était vraiment arrivé et comment la faire aller mieux. Maintenant que Bush avait lancé la chasse aux sorcières et que l’armée s’en donnait à cœur joie, le pays avait besoin d’un symbole d’espoir, et Connor voulait être sûr que Ste Croix pouvait l’être. Il n’appréciait pas sa politique, n’aimait pas ce qu’elle voulait faire mais elle pourrait au moins stabiliser la situation. Il fallait qu’elle vive, et il voulait savoir si elle en était encore capable.
Il inspira lourdement, avant de sortir quatre flèches de son carquois, les plaçant entre chacune de ses phalanges, la dernière se plaçant entre l’index et le pouce. Il expira plus doucement, posant son regard sur sa première cible, le garde à l’extrême droite. Il allait devoir faire vite et bien, et l’environnement n’était pas le plus sain : il faisait nuit, il était tendu…et il avait peur, il l’avouait. Il savait que la Question avait été attaqué et arrêté, il savait que des mutants avaient subi le même sort et qu’il suivrait bientôt. Il était terrifié par ce qui allait arriver, et il devait tout faire pour empêcher ça.
La première flèche partit, et il ne regarda même pas son résultat, enchaînant directement en bougeant ses bras pour décocher son deuxième projectile, puis le troisième et enfin le quatrième. Il avait observé les gardes et espérait que son talent ne le lâcherait pas, mais déjà il sautait du toit pour se précipiter vers la sortie de secours…et vers un des militaires encore debout.
Il en avait manqué un : son projectile était planté dans le sol, et l’homme levait déjà son arme vers lui. Il n’avait plus de flèche dans les mains, et roula sur le côté en sortant une nouvelle de son carquois. Une volée de balles vola là où il se trouvait avant, et il savait maintenant que la situation allait être encore plus tendue. A quelques mètres maintenant de sa cible, Connor lâche son projectile, qui vint se ficher au milieu du front de son adversaire ; il s’écroula, mort. L’Ombre n’avait aucun remords.
« Les gardes sont tombés, mais il y a eu des balles tirées.
- Evacuation ?
- Non, je tente encore. »
Quatre hommes étaient morts, et Connor se dépêchait de forcer la porte de secours pour pénétrer dans l’hôpital. Il avait déjà tué, et ça ne lui plaisait pas – mais il n’avait pas le choix. Le monde, ce monde était devenu bien plus sombre depuis quelques jours, et il était conscient que Tim Hunter n’avait pas eu tort en l’appelant pour lui demander de commencer la guerre. Oui, ils étaient en guerre, en guerre les nouvelles mesures gouvernementales mais aussi ceux qui les menaient. Luthor, Farouk, la bande de Richards, ceux qui avaient fait tomber le Corps…quelque chose tramait dans l’ombre, il en était conscient. Et par son nom, par son envie de se faire pardonner, il devait empêcher ça – ou au moins mourir pour.
Le verrou sauta, et la première partie de la mission était donc remplie. Connor n’avait plus qu’à rentrer dans l’hôpital, ne pas se faire voir, se dépêcher, trouver la Présidente, voir si elle était vivante et intervenir au cas où. Facile.
Il ouvrit donc la porte, l’arc encore en main. Il pouvait se dépêcher, courir : il avait les plans en tête, il savait comment faire pour arriver aux départements les plus sécurisés, il pouvait…
« Ne bouge pas. »
Une structure verte apparut juste devant Connor, bouchant l’entrée de la porte, comme un mur. Il avait déjà vu ça, il savait ce que ça voulait dire. Il savait qui était là…et il savait que la mission était finie, maintenant. Et sa lutte aussi, sûrement.
« Clark ?
- Non. »
Sa voix était froide, rauque…irréelle. Il crispa ses doigts sur son arc, et la sueur commença à apparaître sur son front.
« Amahl ?
- Bien joué. »
Une énorme main d’émeraude vint le frapper au visage, avec une telle force que l’Ombre en tomba lourdement sur le sol. Du sang commença à couler à l’intérieur de son masque, et son arc était déjà au sol. En relevant les yeux, il pouvait voir les bottes sombres de son adversaire – ou plutôt de la saloperie qui partageait le corps d’un être qu’il avait appris à respecter. Il avait bien entendu que Clark avait rejoint Hal et qu’il avait été possédé par Amahl Farouk, mais…mais il avait toujours pensé que ça pouvait être faux, que Clark s’était libéré ; c’était un secret espoir, totalement fou mais il avait voulu le garder, comme une petite flamme dans la nuit. Et voilà qu’un vent violent venait de l’éteindre, irrémédiablement.
« Tu vas me tuer ?
- Non.
- Pourquoi ? »
Lentement, Connor se releva et put enfin voir la créature devant lui : c’était bien Clark, mais ce n’était pas Clark. Cet être grand, charismatique, d’une superbe prestance en imposait : habillé d’une longue combinaison sombre, dénuée de symbole, avec simplement des bottes et des gants noirs, il irradiait de puissance – et faisait peur. Son crâne rasé n’arrangeait rien, mais c’était surtout son regard rougeoyant, aussi profond et terrifiant qu’une rivière de sang, qui donnait la chair de poule.
Amahl Farouk, une bête profonde sautant de corps en corps, était désormais le maître de l’être le plus puissant du monde. Et il avait un anneau du Corps.
Apparemment, Clark avait été choisi par Hal Jordan pour le seconder et éventuellement lui succéder, mais ça avait mal tourné dès que Farouk l’avait choisi. Maintenant, ce monstre pouvait absolument tout faire ; comment un pauvre humain vaguement doué pour l’arc espérait-il avoir une chance contre lui ?
« Parce que nous avons des projets pour votre Ligue.
- Vous ? Toi et Luthor, c’est ça ? »
Un sourire mauvais apparut sur le visage de Clark Kent : lui qui avait été le symbole de la naïveté, de l’innocence et de la timidité affichait désormais l’expression de la haine la plus féroce. C’était autant terrifiant que désespérant de le voir ainsi.
« Oh non, nous sommes un peu plus que ça, Connor.
- Plus ? »
Il n’aimait pas cette discussion, il avait l’impression que Farouk était comme ces gamins qui jouaient avec la nourriture, ou avec les mouches dont ils arrachaient les ailes. C’était de la cruauté : il jouait avec lui, le torturait. Connor était conscient qu’il se ferait tuer dans les minutes à venir, mais Amahl semblait vouloir faire durer le plaisir. Il le haïssait encore plus pour ce peu d’égard.
« Bien sûr. Le Corps est tombé, le gouvernement va s’amuser avec vous, et nous allons bientôt rentrer dans la danse. Ce monde va devenir de plus en plus drôle, Connor. Dommage que tu ne puisses pas le voir. »
Le jeune homme serra les poings ; il n’aurait pas le temps pour se précipiter sur son arc, et même s’il y parvenait, il n’aurait jamais l’occasion de se défendre contre Farouk. Ce dernier était si puissant qu’il pouvait détruire cette ville en moins d’une heure, et même Steelman ne pourrait pas faire grand-chose contre lui. La Ligue allait succomber contre une telle force de la nature, et il était presque content de ne pas avoir à voir ça.
« Fais vite.
- Vite ? Oh non, Connor : ça n’ira pas vite. »
« L’opération fut un succès, Lex.
- Je n’en doutais pas.
- Tu reconnais logiquement ma valeur.
- Non, Amahl : je savais que si tu échouais, tu mourrais. »
Le bras du fauteuil de Farouk fut réduit en poussière sous la crispation de ses doigts. Un masque de fureur passa sur son visage, alors qu’il posait ses lourdes et puissantes mains sur le long bureau de son interlocuteur. Ce dernier restait tranquille, à le fixer alors que derrière lui ses trois écrans d’ordinateur faisaient défiler les taux de la Bourse, le positionnement des membres de l’organigramme de son entreprise et les liaisons directes avec ses collaborateurs plus « spéciaux ». Apparemment, il n’avait cure de l’énervement de son « collègue ».
« N’oublies pas à qui tu t’adresses, Luthor : je puis te réduire en poussière aussi vite que tu penses.
- Je sais : je connais tes capacités mieux que toi. N’oublie pas que j’ai étudié Kent avant même que tu n’apprennes son existence.
- Mais c’est moi qui le contrôle.
- Je suis Lex Luthor, Farouk : crois-tu vraiment que je n’ai pas prévu un moyen de me débarrasser de toi au cas où tu me parlerais ainsi ?
- Tu n’es pas télépathe, tu ne peux rien contre moi.
- Mais je peux tout contre lui. »
Les yeux du monstre s’amincirent : il semblait comprendre ce que voulait vraiment dire Luthor, et il n’aimait pas ça. Il était évident que Lex était un homme tellement mystérieux, tellement manipulateur et prévenant qu’il était loin d’être impossible qu’il ait bien une arme contre Clark Kent. Soudain, il se rendit compte que son nouveau joujou pouvait être moins magnifique qu’il ne le pensait – et il n’aimait pas ça.
« Tu veux donc agir contre moi ?
- Tu n’as pas échoué. Donc non. »
Le sourire de Luthor était aussi celui d’un requin, et Farouk détruisit l’autre bras de son fauteuil. Il n’appréciait pas leur association : autant il était d’accord pour travailler avec Victor, autant Lex et Sinestro…ça n’allait pas. Ils lui donnaient l’impression d’être arrogants, supérieurs ; Luthor n’avait aucun pouvoir mais il agissait comme s’il était le meilleur d’entre tous, comme s’il était le maître. Et Sinestro était un monstre à moitié vivant, qui menait des êtres horribles qui terrifiaient tout le monde – même lui.
« On passe à quoi, après ?
- Victor devrait me contacter pour qu’on organise tout ça, mais je pense que nous pourrions manipuler l’opinion publique en créant un faux attentat contre le gouvernement fédéral, en nous faisant passer pour des « justiciers » bien ciblés.
- Comment ?
- Tu peux te faire passer pour Steelman, Sinestro peut user de son énergie pour faire croire qu’il vient du Corps, notre nouvel allié peut courir aussi vite que Flash…ça peut très bien fonctionner.
- Je vois. Et où est-ce que ça devrait se passer ?
- Pourquoi pas l’Ouest, pour une fois ? Ca te ferait voir du pays. »
Farouk acquiesça, mais encore une fois il n’aimait pas le ton et l’attitude de Luthor. Ce dernier se détourna de lui pour vaquer à ses occupations sur ses ordinateurs, et il se sentait délaissé, comme une arme que Lex venait d’utiliser et qu’il laissait de côté le temps de s’amuser avec d’autres ; il était considéré par le chauve comme un objet vaguement usuel, et il ne pouvait le supporter. Il était Amahl Farouk, considéré comme le Mal à l’état pur par des milliers de personnes dans le monde. Comment pouvait-on oser le traiter ainsi ? Comment pouvait-on même songer à le traiter ainsi ?
Depuis qu’il avait abandonné son vrai corps au Caire, quand il avait été assassiné après avoir massacré sa famille, il sautait de corps en corps, profitant de chacun pour tuer, profiter de ses tendances destructrices. Il était un monstre, il le savait et il l’assumait ; il aimait tuer, il aimait prendre la vie et en profiter. Luthor ne pourrait jamais comprendre, et il faudrait qu’il impose sa force et son autorité. Et ça viendrait vite.
Amahl Farouk était l’être le plus puissant de l’univers : Luthor n’était qu’un insecte face à lui. Un insecte qu’il se ferait un plaisir d’écraser après en avoir profité jusqu’à la moelle. Lui, Victor, Sinestro et Zoom feraient ce qu’ils voudraient, s’amuseraient à modifier l’économie et la politique américaine pour prendre le contrôle du pays, mais finalement c’est lui qui les tuerait tous et profiterait de leurs efforts.
Ce sera lui le maître des Etats-Unis d’Amérique. Le maître du monde.
Thomas Blake a mal. Son corps est recouvert d’ecchymoses, de brûlures, de cicatrices ; il a même une main en moins. Il git, à moitié enseveli, dans ce qui semble être les restes d’un rocher qu’il aurait détruit en s’écrasant dedans. Il ne sait plus vraiment ce qu’il s’est passé, comment il s’est retrouvé là mais il sait pourquoi : le Corps est tombé. Sinestro a gagné.
Il va mourir, il le sent. Lui et les autres ont perdu la bataille qu’ils n’avaient pas le droit de perdre mais qu’ils ne pouvaient gagner. Ils ont eu tort de faire confiance à Kent, de croire qu’il parviendrait à dépasser sa toute-puissance pour les aider. Il a eu tort de faire confiance à Hal, de croire en son jugement et dans son envie de laisser plus d’indépendance au Corps et à ses membres. Il a mené le combat, a détruit autant d’adversaires que possible mais ça n’a pas suffit ; Hal n’était pas là, il n’a pas supporté les siens et maintenant tout est fini. Quel gâchis.
Il n’a aucune idée d’où peuvent être des gens comme Guy ou encore Peter, ou Richard…mais il sait qu’ils sont morts. Ils ne peuvent être que morts. Depuis que leur base a été attaquée par les hordes de Sinestro, il a vu les siens tomber. Leur ennemi de toujours a levé une armée de zombies, qui se nourrissent de chair et qui transforment comme eux ceux qui tombent dans leurs mains. A chaque adversaire détruit, deux Lanterns étaient pourris par ces horreurs ; ils ne pouvaient pas gagner. Et pourtant, ils se sont battus.
Autour de lui, les braves atomisaient tout ce qui tombait sous leurs anneaux ou leurs bras, l’énergie d’émeraude fusant dans tous les sens. La lutte était épique, légendaire : le combat était certes perdu d’avance, mais il devait être mené. Pour l’honneur, pour la gloire…pour l’espoir.
Richard Rider dépassait son héritage de Nova, Phylla parvenait à user de tous ses pouvoirs et tant d’autres se battaient comme jamais personne ne s’était battu en ce monde. Quill luttait aussi vaillamment que Hal lui-même, mais le grand absent leur avait manqué terriblement : il était l’emblème, le symbole du Corps – le plus puissant, aussi. Celui qui avait vaincu Sinestro, Parallax, qui avait reconstruit le Corps, qui avait conquis les étoiles et s’était adjugé la confiance de ceux qui étaient à l’origine de leurs capacités. Et il n’avait pas été là.
Blake sait combien son ami était perturbé, combien il était bien moins mature qu’on ne le pensait et il avait énormément accepté et enduré pour lui – parce qu’il avait foi en lui. Parce qu’il savait qu’à chaque épreuve, qu’à chaque vraie crise, Jordan serait là, assurerait ou au moins tenterait d’assurer. Mais là…là, il l’avait déçu. Il n’avait pas été à la hauteur, et des vies avaient été gâchées à cause de lui.
Sa poitrine se leva difficilement, son corps étant parcouru de spasmes de douleurs et il pleura, non pas à cause de la souffrance mais parce qu’il vient de comprendre que son ami ne viendra pas le sauver. Qu’Hal Jordan ne parviendra pas à remonter la pente et à arranger les choses. Le Corps est détruit, ou au moins ses membres massacrés ou transformés. Ils avaient été la dernière chance de la Terre, la dernière ligne de défense et ils avaient merdés, tout simplement.
Il meurt, et il ne parvient plus à se rappeler comment toute la bataille s’était terminée. Tout ce qu’il sait, c’est le résultat : ils ont perdu. Et plus personne ne peut gagner pour eux, maintenant.