Urban Comics
  Le Gorille #1 : Renaissance (1)
 

Histoire : P'tit Lu
Date de parution : Mai 2005

Paris.
Paris, ville des Lumières, célèbre dans le monde entier pour sa Tour Eiffel, son Arc de Triomphe, son Moulin Rouge, ses super-héros...
Quoi ? demande le lecteur qui serait resté dans une grotte ses dernières semaines. Oui, ses super-héros, au nombre de deux à ce jour. Il y a l'Archer, un type qui peut balancer avec son arc quelque chose comme cent flèches à la minute, si précis qu'il peut couper un cheveu avec une flèche en visant à trois cent mètres de là. Il n'a jamais caché son identité, il prétend ne pas avoir peur de ses choix. Sur Internet, la rumeur prétend qu'il travaille en collaboration avec le gouvernement, mais je n'y crois pas. Il se balade la nuit en ville et fait mordre la poussière aux brutes en tout genre, mais il ne va pas plus loin.
Et enfin, le deuxième super-héros : le Gorille. Moi, en somme. Pas encore reconnu de façon officielle, mais ça ne saurait tarder. Mes pouvoirs ? Mon costume ? Je vais vous raconter tout ça plus loin, mais avant je vais me présenter.
Je m'appelle Matthieu Sylvestre, j'ai 19 ans, et je suis étudiant à la faculté de Lettres de Paris-Sorbonne, dans le quatrième arrondissement. Un type normal, quoi. Du moins, j'en étais un jusqu'à ce lundi de Février, où ma vie a été bouleversée à jamais...


* * * * * * * * *

Appartement 12, 4 rue Thibaud
Mercredi 16 février 2005
23 h 32

D’une main qui me semblait lourde, j’ai attrapé le « France Soir » d’aujourd’hui. La Une était des plus troublantes : une photo floue d’une silhouette soulevant une voiture, faisant face à un barrage de police insuffisant à contrôler l’ennemi. En titre : « La menace échappe encore à la police ».
Annabelle entra précipitamment dans notre appartement, et alluma la télévision : une caméra d’un flash spécial filmait d’en haut cette chose réapparue et malmenant les forces censées l’arrêter.
- Montmartre, dis-je, déterminé. Je sais où aller.
Annabelle fit la grimace en voyant que je portais le pantalon de mon costume de Gorille, un simple jogging noir pour l’instant, je trouverai plus approprié plus tard. Mon pull épais était dans mes bras, prêt à être enfilé.
- Fais pas ça, merde… me lança-t-elle. T’es complètement fou, tu vas te faire tuer !
Je lui ai souri tristement :
- Il faut que je le fasse. L’armée n’arrive à rien, l’Archer n’est pas là… Et il m’écoutera peut-être, moi. Tu sais, le lien qui nous rapproche…
J’ai enfilé mon pull noir censé être un costume de super-héros. Assez pathétique, à vrai dire, mais sur le moment je ne me préoccupais pas de savoir si les gens reconnaîtraient ce que je suis censé représenter.
Annabelle se précipita vers moi et m’attrapa le bras en me fixant du regard.
- Matthieu, t’as toujours été le gars raisonnable du groupe. De n’importe quel groupe. Je n’arrive pas à croire que tu sois assez bête pour te lancer là-dedans. Merde, t’es pas Superman, c’est la vraie vie, pas une BD ! Tu vas te faire tuer là-bas, c’est tout ce que tu vas gagner !
J’ai secoué de la tête.
- Je sais très bien ce que je fais. On est ami depuis combien de temps ? Dix ans ? Et ça fait six mois qu’on est en colocation. Fais-moi un peu confiance, pour une fois.
J’ai attrapé mes gants, des gants très spéciaux, et j’ai glissé mes mains à l’intérieur. Mon masque de gorille était sur la table basse. Je l’avais acheté dans une boutique de farces et attrapes, le genre d’endroit où personne de censé n’irait chercher une partie d’un costume de super-héros. Bref, il représentait vraiment un visage de gorille. Je l’ai délicatement attrapé, sous l’œil désapprobateur d’Annabelle.
- Ça ne rime à rien, tout ça… soupira-t-elle.
Elle détourna son regard quand j’ai enfilé le masque. J’ai regardé une dernière fois l’écran de la télé montrant les dégâts causés par la créature que je devais arrêter, puis j’ai ouvert la fenêtre.
- Je suis désolé, lui ai-je lancé.
- Va-t-en…
Puis j’ai sauté par la fenêtre, prêt à en découdre.


* * * * * * * * *

Rue Bezout, Paris XIV
Deux jours plus tôt
12 h 25

Annabelle et moi marchions d’un pas tranquille dans la rue, je l’accompagnais à sa première journée de boulot. Elle était nerveuse, et elle avait de quoi : elle allait vraiment entrer dans le monde du travail, elle avait obtenu un poste de secrétaire dans une agence de sécurité.
Ou alors elle était nerveuse parce que je lui avais fais la veille l’étalage de mes nouveaux pouvoirs. Question de point de vue.
- Et tu… Woh, j’arrive pas à croire que je vais dire ça, mais… Tu comptes faire quoi maintenant ? De tes… tu sais… tes machins, là…
- J’en sais rien.
Nous étions en pleine rue, on pouvait parler librement sans craindre les oreilles qui traînaient. Ici, personne ne fait attention à ce que peuvent se raconter deux jeunes, ou même deux personnes en général. Paris était bien différente de Montherbe ! Là-bas, je connaissais au moins de vue les personnes que je croisais tous les jours dans la rue…
- Je suis le résultat d’une expérience illégale menée par un complexe qui a fermé boutique il y a une semaine. Si je raconte à tout le monde ce qui m’est arrivé, les anciens dirigeants de Techno Lab vont tout faire pour me retrouver et me disséquer pour voir à quel point leur machine peut transformer un être humain. Et si ce n’est pas eux, d’autres s’en chargeront, alors… dans tous les cas, je finis éventré dans un labo, Hi-Tech ou non.
Nous sommes passés devant un kiosque à journaux, la plupart des Une faisait état d’un scandale politico financier.
- Eh, c’est le monstre de la télé, maman ! s’exclama un gamin à sa mère alors que celle-ci venait d’acheter un magazine.
Annabelle et moi avons tourné la tête vers le journal que pointait l’enfant du doigt. La Une n’était pas vraiment différente des autres, sauf peut-être… Je me suis approché et j’ai attrapé le journal. « France Soir ». « Un homme s’attaque à des touristes » page 9. Et une photo, floue, prise par un touriste japonais pendant l’agression : une forme humaine de plus de deux mètres de haut, musculature très développée, s’enfuyant des lieux du crime.
Cette créature… Je l’avais déjà croisée… dans le labo, je l’avais aperçue dans le labo juste après l’explosion ! J’avais cru à une hallucination, mais je devais me rendre à l’évidence : elle était belle et bien réelle.
- Annabelle, elle est réelle.
- Quoi ? Ce truc ? C’est vieux comme le monstre du Lock Ness, ça ! Laisse tomber, je vais être en retard au bou…
- Je l’ai vue, Annabelle !
- La nuit où tu t’es évadé de l’hôpital ?
- Non. Juste après l’accident. Oh, merde, elle est… Elle est comme moi. Comme moi !
Le vendeur ne nous regardait pas feuilleter le journal d’un air aimable.
- Ça fera soixante-quinze centimes, messieurs dame.
J’ai regardé Annabelle d’un air troublé. Cette chose avait acquis ses pouvoirs au même endroit que moi, est-ce que ça voulait dire que… que j’aurais pu devenir « ça » ? Pourquoi avais-je gardé un aspect humain et pas cette chose ? Et pourquoi avions-nous survécu et pas… et pas tous les autres ?
Oh, merde.
J’eux une brusque montée de larmes en repensant aux autres, à Fred. Morts d’une façon abominable, la pire des façons de mourir qu’il m’ait été donné d’imaginer. Annabelle s’inquiéta en me voyant replonger à vitesse grand V dans mes cauchemars et me posa une main réconfortante sur mon épaule.
- Ça va, Matthieu ? me demanda-t-elle d’un ton compatissant.
- Ouais, ouais, ça va. D’après le psy, ça risque d’arriver souvent, sans doute le reste de ma vie. Dis, tu peux payer ce monsieur, parce que j’ai pas mon portefeuille et qu’il va finir par…
Annabelle sortit un peu de monnaie de sa poche et acheta le journal.
- Il faut que je l’aide. Il est comme moi, je dois l’aider, c’est mon devoir. J’aurais très bien pu devenir comme lui…
- T’es dingue, me lança Annabelle. T’as vu ce qu’il a fait à ces Japonais ?! Il y en a un qui est mort et trois autres gravement blessés. Tu vas te faire tuer ! Et comment tu vas faire pour le trouver ? Te balader comme l’autre nuit ? Et si quelqu’un te voit, cette fois-ci ? Dire que tu m’as toujours traitée d’immature, là tu me surpasses et je passe pour une fille raisonnable !
Mon regard s’est porté sur la couverture d’un magazine, et ce fut le déclic. A partir de ce moment, j’ai su exactement ce que j’allais faire de mes pouvoirs.
- Je sais comment je vais faire, lui ai-je rétorqué sans quitter mon regard de cette couverture.
- Oh ouais ? répliqua-t-elle, cynique. Et comment ? Tu ne seras pas vraiment discret, je te signale que tu seras le seul à te balader de toit en…
- Regarde, la coupai-je. Regarde, tu comprendras.
J’ai pointé du doigt un magazine sur lequel un personnage en costume bleu et rouge semblait se contorsionner dans les airs. « De retour après huit mois d’absence ! » Ouais, c’était ça que j’allais faire, j’avais enfin trouvé ma voie.
Annabelle fut stupéfaite, puis se tourna vivement vers moi.
- Tu rigoles, espèce de taré ?! Tu veux devenir Spider-Man ?! Non mais t’es dingue ou quoi ? Je pensais que tu avais passé l’âge de croire que tu pouvais porter un masque et te balader la nuit en pleine ville…
- C’était le cas, très chère colocataire. Mais c’était avant ce qui m’est arrivé, et ça a tout changé.
Annabelle m’attrapa par la main et m’éloigna du marchand de journaux qui avait de toute façon d’autres chats à fouetter. Elle me jeta un regard désespéré.
- Je vais en retard à mon premier jour de boulot à cause de tes conneries. Tu peux revenir sur Terre deux secondes ? Je crois que ton accident a eu des conséquences sur ton mental, en fin de compte…
- Non, je suis lucide, on ne peut plus lucide. J’ai des pouvoirs, et je vais m’en servir. D’abord pour aider cette chose, ensuite on verra.
- Et tu te déguiseras en quoi ? En Spider-Man ?
- Nan, mes pouvoirs sont différents…
J’ai frappé du poing dans ma paume, et j’ai ressenti ma force physique qui s’était considérablement accrue depuis l’accident. Non, je n’avais rien d’une araignée.
- Je crois que je sais… Ouais, tu as devant toi le nouveau super-héros de Paris : le Gorille.

* * * * * * * * *

Rue Montmartre, Paris II
Mercredi 16 février
23 h 56

La créature ne semblait pas impressionnée par le rempart de militaires qui se dressait devant elle, tout au plus se méfia-t-elle un instant de leurs armes automatiques. Et puis le soldat au lance-roquette l’irritait sérieusement. Elle savait qu’une vingtaine d’autres militaires se trouvaient dans la même position derrière elle, prêts à faire feu maintenant que le quartier avait été évacué.
Eh bien, qu’ils tirent, sa colère n’en sera que plus grande et elle aura une excuse pour foncer dans le tas et se défouler. Elle examina le quartier un instant, constatant ses dégâts dans un moment de lucidité : il lui semblait qu’il s’agissait de Montmartre, mais elle n’en était pas sûre à cause des voitures civiles et de police encastrées dans les murs de la rue. Trois hommes étaient à terre, deux policiers et un homme qui avait eu le malheur de ne pas courir assez vite quand elle avait débarqué de nulle part.
La créature ressentit comme de la tristesse face à ce spectacle, et une partie d’elle-même se dit qu’elle n’aurait jamais fait ça dix jours seulement auparavant, quand elle était… quand elle était quoi ? Elle ne s’en souvenait plus, tout était trop confus.
- Lève tes grosses pattes et ne fais plus un geste ! lui ordonna un des militaires devant elle, sûrement le plus gradé. Au moindre geste, le sergent Pointcarré ici présent te balance une roquette qui t’enverra au tapis !
La créature, dans un geste lent, leva sa main gauche au niveau de son visage et l’examina : grosse patte ? Comment cet homme misérable osait-il qualifier sa main de « grosse patte » ?! Certes, sa main avait triplé de volume depuis… depuis avant, mais elle restait une main !
- UNE MAIN !! hurla-t-elle de rage.
Elle attrapa un réverbère qu’elle arracha du sol, et se jeta à l’assaut du rang de militaires en face d’elle. Les soldats n’attendirent pas l’ordre de tirer et firent feu, la peur au ventre. Ou peut-être le colonel leur donna-t-il cet ordre, mais de toute façon ils ne l’entendirent et obéirent à leur instinct de survie. Seul le sergent Renaud ne tira pas, paralysé. On l’avait préparé à se battre contre d’autres militaires, des civils dangereux, des terroristes ou des preneurs d’otage… mais ça ?! On ne lui avait jamais dit qu’il devrait faire face à un monstre, un homme de trois mètres de haut tellement musclé qu’il en était méconnaissable, défiguré ! Un homme nu aux yeux exorbités et ensanglantés, à la musculature poussée à l’extrême.
Il ne prit conscience des coups de feu autour de lui que lorsque la créature fut stoppée dans son élan par la masse de balles qui lui rentraient dans la peau. Elle hurla de plus belle et bondit vers eux, elle n’était maintenant qu’à deux mètres d’eux et ne faisait plus de cas des balles qui fusaient vers elle. D’un geste vif, elle attrapa fermement le coup du sergent Renaud et le tira brusquement vers lui.
Il ne put même pas hurler, la créature serrait son cou trop fort pour que l’air circule dans sa gorge. Les tirs cessèrent brutalement pour ne pas faire du sergent une victime de plus, et puis les balles ne servaient à rien, alors… Renaud aurait voulu réfléchir à un moyen de se sortir de là, comme sortir son cran d’arrêt et poignarder cette chose, mais la vérité c’est qu’il n’arrivait même pas à réfléchir, son cerveau tournait dans le vide à une vitesse folle. La seule chose qu’il savait, c’est qu’il ne serait qu’une victime de plus de cette créature dont personne ne savait rien.
De petits motifs colorés et mobiles commençaient à se dessiner devant lui, apparaissant de nulle part et sans doute dus au manque d’air.
- TOI ET TOUS LES AUTRES, VOUS M’AVEZ TRANSFORMES EN MONSTRE !! TU VAS MOURIR, MOURIR, MOURIR, MOURIR !!
Les faibles coups de poing que le sergent balançait maladroitement sur les bras énormes de la créature étaient inefficaces, et de plus en plus lents. Il entendait vaguement son colonel hurler des ordres à tout va, mais n’arrivait pas à se concentrer suffisamment pour les comprendre.
- LE LNK-2 ! VOUS PENSIEZ QU’IL ETAIT PRET, HEIN ! VOUS AVEZ CRU QUE JE NE DIRAIS RIEN MAIS JE VAIS VOUS DENONCER ET LE MONDE ENTIER SAURA CE QUE VOUS M’AVEZ FAIT ! TU SERAS LE PREMIER A MOURIR POUR CA !
A quelques mètres de là, le colonel Thévenin ne savait plus quoi faire et son supérieur direct était injoignable. Son talkie-walkie grésilla et il l’attrapa, espérant avoir de ses nouvelles.
- Colonel Thévenin ?
- Affirmatif !
- Ici le lieutenant Marrand, du blocage sud. Un homme vient de passer nos barrages, mon colonel. Il a été trop rapide pour que nous l’arrêtions.
- L’Archer ?
- Négatif, mon colonel, l’Archer n’a pas donné signe de vie. Cet individu est habillé de noir de la tête au pied. J’ai envoyé une équipe le poursuivre.
- Tenez moi au courant. Terminé.
Un homme se balade derrière les barrages de sécurité ? Comme s’il n’avait pas assez de soucis, un civil se met en danger dans une zone non sécurisée. Putain de nuit. Il entendit un de ses hommes le héler.
- Mon colonel ! Regardez ! Un civil, là-haut !
Le sergent Renaud sentait qu’il était au bord de l’inconscience et commençait à délirer. Tout était flou autour de lui, il n’entendait plus rien en dehors de la voix de sa fille qui l’appelait pour jouer avec elle. Comment… ? Que faisait-elle là, c’était bien trop dangereux pour une fillette de quatre ans… Trop dangereux…
Il était dans un tel état qu’il ne sentit même pas la pression de la créature se relâcher, il ne sentit pas non plus son corps s’écraser par terre après une chute de près de trois mètres de haut. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il ne vit que la créature qui se tenait face à un homme habillé d’un survêtement noir, un pull sombre qui avait connu des jours meilleurs, de gants noir et d’un masque de primate. Il se demanda vaguement comment un homme sensé pouvait sortir avec cet accoutrement.
- TU M’AS FRAPPE ! TU VAS MOURIR POUR CA !
- Arrête tes conneries, je ne suis pas là pour te faire du mal, répondit l’homme au costume de singe. Je sais ce que tu es, je suis là pour t’aider.
- PERSONNE NE PEUT M’AIDER ! ILS PENSAIENT QU’ILS POURRAIENT ME FAIRE TAIRE MAIS ILS SE SONT TROMPES !
- Ils sont morts ! Qui pourrait vouloir te faire taire, ceux qui t’ont fait ça sont TOUS morts !
La créature semblait hésiter. Le sergent Renaud, dans un bref moment de lucidité, remarqua même qu’elle vacillait. Mais en l’espace d’une fraction de seconde, tous ses muscles se bandèrent et elle projeta son poing, puissant comme un semi-remorque à pleine vitesse, en direction du primate…

 
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