Histoire : P'tit Lu
Date de parution : Février 2007
Je me présente, je m’appelle Marie. Marie Tourin, étudiante en 2eme année de Lettres à Paris VII, parisienne pure souche et fière de l’être par dessus le marché. Vous vous demandez peut-être pourquoi je suis la narratrice de cet extrait de la vie de cet enfoiré de Gorille ? Parce que, ce que je vais vous raconter, personne ne pourra jamais le faire à ma place.
Pour tout replacer dans son contexte, j’ai 20 ans, je sors avec le beau et grand Franck depuis un an environ. Parmi mes potes de fac figure Matthieu, un gus sympa qui gagnerait à être un peu plus sérieux. Sa colocataire, Annabelle, doit vraiment péter un câble par moment… mais bon, ça n’est pas le sujet.
Franck et moi rentrions d’un dîner chez ses parents un samedi soir, le genre de dîners bien chiants auxquels nous avions droit tous les mois environ. Vous pensez qu’après une semaine de merde, remplie de cours de merde, de TD de merde, j’aurais droit à un samedi soir de détente ? Bien sûr que non, ça serait trop beau, trop sympa. Si je m’éclatais le samedi soir, je serais trop en forme pour la semaine suivante, ce qui serait une aberration. L’ambiance dans la voiture était donc tendue, et le chemin du retour incroyablement long, nous roulions sur le périphérique.
- Ta mère est une salope.
- Arrête, dis pas ça.
- C’est une salope. Salope, salope !
- Je t’ai dis d’arrêter ça !
- « Et tu crois que ça va te mener où, tes études ? », la mimai-je avec son air pimbêche. « Franck, lui, sait qu’il aura du travail au bout ». « Oh, non, excuse-moi ma puce, j’avais oublié que tu étais végétarienne ! ». Salope.
- Tu crois que tes parents sont meilleurs, peut-être ?!
- Ta mère me déteste ! C’est sa ménopause qui la travaille, c’est ça ?! Et sa teinture débile, tu crois pas que c’est ridicule ?!
- T’es vraiment une pétasse quand t’as tes règles…
- Une quoi ?! Répète ?!
- T’as très bien en… Oh, merde !!
Je ne l’ai pas vu, mais je sais que trois hommes tombèrent d’on ne sait où pour s’écraser à quelques mètres devant notre voiture lancée à pleine vitesse. Franck freina pour éviter une collision inévitable. Trop tard.
Trop près…
Nous en percutâmes un qui vint se fracasser sur le pare-brise avant d’être éjecté sur le côté. Les deux autres hommes eurent le temps – je ne sais par quel miracle - de bondir hors de notre course et là, je vous jure que dans le millionième de seconde durant lequel je vis dehors, j’eus la certitude de reconnaître dans l’un des deux hommes survivants ce mec qui se déguise en gorille, dont tout le monde parle.
Mais ce ne fut très vite plus ma priorité car la pluie de la journée avait suffisamment humidifié la route pour provoquer la perte de contrôle de notre voiture.
Je ne me souviens plus de ce qui s’est passé dans les secondes qui suivirent, je me souviens juste des crissements de pneus de notre voiture et d’un choc violent, sûrement contre la rambarde droite du périphérique. Quand j’ai repris connaissance, une profonde douleur à la poitrine me fit pousser un gémissement. Ma vue était brouillée et mes oreilles bourdonnaient, même s’il me sembla entendre la sirène des pompiers au loin.
- Franck ? Franck ? T’es là ?
Je le vis assis à sa place, inconscient, du sang sur le visage. J’ai crié son nom à plusieurs reprises et l’ai secoué sans aucun résultat. Je gémis une fois de plus de ma douleur à la poitrine et compris qu’elle avait été provoquée par ma ceinture de sécurité, que j’essayai d’enlever.
- Détache-toi, putain de ceinture, merde, Franck réveille-toi je t’en supplie ! Franck !!
Je ne pus retenir des sanglots qui me semblèrent pourtant inopportuns dans cette situation. Comme si c’était le moment de pleurer ! Quelqu’un ouvrit ma portière avec violence.
- Mademoiselle, ça va ? Ça va ?!
- Je… Je…
- Je vais vous sortir de là.
- Ma ceinture est bloquée… Mon copain s’est évanoui, faites quelque chose, s’il vous plaît…
Je ne me souviens plus de l’homme qui m’a sorti de la voiture, si ce n’est qu’il devait avoir dans les 40 ans. Je sais qu’il coupa ma ceinture à l’aide de son couteau et me transporta hors de la voiture, me laissant entrevoir l’ampleur de l’accident : notre voiture en contresens – elle avait fait un demi-tour lors de la perte de contrôle - ayant percuté de plein fouet une voiture venant de face, d’autres voitures embouties plus loin derrière, des pleurs d’enfants et des cris de parents affolés. Les pompiers arrivèrent sur les lieux, me prenant tout de suite en charge.
- L’assurance ne va jamais tout rembourser, me lamentais-je. Je n’ai pas le permis, que va-t-il se passer si on lui retire le sien ? Il est dans la merde s’il est reconnu responsable de l’accident.
On m’avait donné une couverture et laissé comme ça pendant que l’on s’occupait des autres blessés et de sortir Franck de la voiture.
- D’après la police, entendis-je deux pompiers parler, le Gorille se serait battu dans le coin avec le mec qui a été percuté et un autre type.
- Il était là, il a assisté à l’accident il n’a rien fait pour aider ?! Il a préféré continuer de se battre ! Quel genre d’enfoiré on peut être pour laisser ces gens crever ?!
Un ambulancier s’approcha de moi.
- Mademoiselle, votre ami a été sorti du véhicule, nous l’emmenons tout de suite. Voulez-vous venir avec nous ?
L’aide soignante pianota sur les touches du téléphone pour me permettre de passer un appel à l’extérieur de l’hôpital. Je la remerciai et la regardai sortir de la salle de repos, puis je composai machinalement un numéro de téléphone.
- Allo, maman ? Oui, c’est moi… Je… non, ça ne va pas. On a eu un accident. Non, calme-toi, s’il te plaît… de voiture, oui. Je n’ai quasiment rien, mais… Franck, il… oh, merde…
Je réussis à contenir mes larmes à temps à renfort de grandes bouffées d’air.
- Il est en salle d’opération. On ne m’a rien dit mais je crois que c’est sa colonne vertébrale. J’ai peur… c’est terrible… Non, je ne… je ne sais même pas dans quel hôpital on est ! Je te rappelle très vite, promis. Mon portable est… je ne sais pas. Avec mon sac, sûrement ! Dans la… la voiture. Je te rappelle.
Je raccrochai très vite le combiné avant de quitter la salle de repos du personnel. Je me suis machinalement retrouvée devant la porte bleue à double battant menant à la salle d’opération dans laquelle le garçon que j’aimais se faisait charcuter pour qu’on puisse le sauver, sauver ce qui pouvait l’être. Et s’il mourait ? Pire, et s’il ne marchait plus jamais ? Est-ce que je serais capable d’aimer un homme en fauteuil roulant ? Je… je ne voulais pas y penser, et pourtant c’était plus fort que moi, à chaque fois que je fermais les yeux c’était pour voir le pire se produire.
Merde ! Franck ne roulait pas trop vite, il n’avait pas bu ! Pourquoi ça nous tombait dessus ?! Pourquoi nous, qu’avions-nous fait de mal ?!
A bout de force, je me suis écroulée sur une chaise installée à côté de la porte et pris mon visage dans mes mains. Quelqu’un s’arrêta alors près de moi.
- Tenez, me proposa une voix douce et rassurante.
Il s’agissait d’une aide soignante qui m’offrait un thé, que j’acceptai sans trop y prêter attention.
- Merci.
- Vous devriez vous reposer, vous êtes épuisée.
- Je n’ai pas sommeil.
- Je sais que c’est dur, mademoiselle. Vous êtes la petite amie de l’AVP, n’est-ce pas ? L’accident sur le périph… Votre ami est entre de bonnes mains, et je comprends que c’est difficile, mais…
- Qu’est-ce que ça peut vous foutre ?! Vous n’avez pas du boulot, là ?!
Ça la refroidit, cette madame-la-leçon. Néanmoins, elle persista.
- Le soleil se lève et vous n’avez pas fermé l’œil de la nuit. Vous ne pouvez rien faire pour votre ami, rentrez chez vous reprendre des forces, nous vous contacterons dès que nous aurons du nouveau.
Je pouffai de rire.
- Tout ça à cause de ces putains de dîner chez ses parents. Attendez, je me souviens… Le Gorille et un autre mec étaient là au moment de l’accident…
- C’est à la police qu’il faudra dire ça, elle ne va pas tarder à vous interroger.
D’un geste, je me levai et, après un dernier coup d’œil à la porte bleue à double battant, je murmurai :
- Vous me préviendrez ?
- A la seconde où nous saurons quelque chose.
- Mon portable est sûrement mort… celui de Franck aussi. Vous pourrez me joindre au numéro de Matthieu Sylvestre. Vous avez son numéro, il a déjà été admis ici.
L’aide-soignante hocha de la tête.
Ligne 7, jusqu’à Place d’Italie, puis ligne 6, arrêt Edgar Quinet. L’appartement de Mat n’était plus très loin. J’allais sonner chez eux en bas, quand quelqu’un ouvrit la porte, me laissant passer en même temps.
« Oui ? » lança Annabelle d’une voix enjouée quand je frappai à leur porte.
Elle ouvrit la porte et, passée la surprise de ma vue, s’inquiéta de ma mine. Je devais avoir l’air affreuse…
- Je peux entrer ?
- Oui, bien sûr, vas-y. Mat n’est pas là, si c’est lui que tu es venue voir.
- Je… tant pis. Il est déjà parti en cours ?
- Sans doute. Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Franck et moi, on a eu un accident cette nuit.
- Merde… ça va ? Et Franck ?
Tout ce que je pus lui répondre fut une secousse de la tête. Elle me prit dans ses bras et m’apporta un peu de réconfort. Si peu…
- Merci d’être là, fis-je après lui avoir raconté.
- C’est la moindre des choses. Je vais appeler le boulot pour leur dire que je ne pourrai pas venir.
- Merci.
- Je vais te préparer du café, je reviens.
Elle rejoignit le coin cuisine pendant que je m’emparai de son téléphone portable qui traînait sur la table basse.
- Je peux appeler ma mère ? Le mien est…
- Oui, vas-y.
J’allais m’exécuter quand je changeai d’avis pour décider d’appeler Mat. Je devais savoir où il était, c’était important. J’eus alors la surprise d’entendre une sonnerie de téléphone près de nous… dans la pièce à côté… la chambre de Mat ! Je croyais qu’il n’était pas là ?!
Je me suis précipitée dans sa chambre au grand dam d’Annabelle qui m’interpella quand elle vit ce que je faisais. Il était là, pourquoi m’avait-elle menti ? Alors… j’en suis restée sans voix.
- Marie, non… souffla Annabelle en posant sa main sur mon bras. Je t’avais dit « non »…
Nous étions sur le pas de la porte de sa chambre, avec une vue plongeante sur Mat en train de dormir comme un bébé. Un masque de gorille qui avait été arraché et traînait négligemment au pied du lit, tandis que Matthieu portait encore le reste du costume du Gorille en dormant sur sa couette…
C’est bête, mais je n’arrivais pas à réaliser ce que ça voulait dire. Je n’arrivais plus à réfléchir, trop de choses se passaient dans ma tête à ce moment-là et mon cerveau refusait de traiter cette nouvelle information. Je restai donc de marbre durant quelques secondes qui me parurent durer une éternité, à penser à Franck, à ce masque de Gorille par terre, à ma mère qui ne savait pas où j’étais ou encore à ce putain de dîner de la veille.
Puis le choc.
- Matthieu… soufflai-je.
- Marie, promets-moi de ne rien dire à personne.
- C’est le Gorille ! criai-je, et ma voix tira cet enfoiré de son sommeil.
- Que… ?! bafouilla-t-il.
- Mat, regarde-toi ! lui lança Annabelle.
- Non ! criai-je encore plus fort. Non, c’est pas possible !! Non !
Je repoussai violemment Annabelle dans le salon.
- Tu le savais, hein ?! Tu le savais, bien sûr !
- Marie, qu’est-ce que tu fais là, bordel ?! me demanda Matthieu, apparemment contrarié.
Il venait de se lever mais d’une tape sur la poitrine je le fis retomber dans son lit.
- C’est tout ce que t’as à me dire, connard ?! Je découvre que t’as laissé mourir Franck et tu me demandes ce que je fous là ?! T’es un enculé, le roi des enculés !!
- Calme-toi… tenta-t-il en m’immobilisant.
- Non, certainement pas ! Je vais te dénoncer, t’iras en taule pour ce que tu as fait…
Je me suis dégagée de son étreinte et me suis réfugiée dans le salon où Annabelle se tenait debout, sans trop savoir quoi faire. Et elle avait raison de ne rien faire, ou quoi je l’aurais giflée. Il fallait que je quitte cet appartement avant de devenir complètement folle, et c’est ce que je décidai de faire en retournant dans la chambre de Mat et en prenant son portable sur sa table de chevet. Lui avait toujours l’air aussi atterré.
- Je te prends ça, j’attends un coup de fil. N’essaie pas de me suivre.
Puis au moment où j’allais quitter sa chambre :
- Je te croyais pas capable de nous faire un truc comme ça, Mat. Pas toi. T’auras de mes nouvelles.
Puis je sortis de chez eux en vitesse.
J’ai marché, beaucoup marché. J’ai également pleuré, tout me tombait dessus au même moment. Haïr Mat m’aidait à ne pas penser à ce qui arrivait à Franck… depuis quand faisait-il ça ? Comment avait-on été assez bête pour ne pas le voir ? Mettons les points sur les « i », je n’avais rien à foutre des super-héros, pour moi l’Archer n’était rien d’autre qu’un guignol qui se pavanait en attendant qu’on fasse un film sur lui. J’étais à peine au courant de l’existence du Gorille, pour tout vous dire.
Mais Matthieu était un criminel qui mettait en danger la vie des gens pour poursuivre des bandits, comment pouvais-je laisser ça ? J’ai donc fait mon devoir de citoyenne en entrant dans le commissariat du 4eme arrondissement. L’agitation semblait être à son comble dans un local plus petit qu’il n’y paraissait.
Je me suis renseignée à l’accueil, où l’on m’indiqua un escalier qui menait à l’étage. Je m’y rendais quand trois hommes sortirent rapidement de l’escalier en se dirigeant vers moi.
- Excusez-moi, m’adressai-je à l’homme d’origine arabe. Vous êtes l’inspecteur El-Hamar ?
- Commandant de police, rectifia-t-il d’un air pressé. C’est pour quoi ?
- C’est à propos du Gorille.
- On va s’occuper de vous.
Il s’adressa à un jeune homme qui quittait son bureau :
- Gigi ! Tu prends la demoiselle.
- Quoi ?! Mais l’homicide du… !
- Fais pas chier, Gigi, tu prends ! T’auras d’autres occases.
Le commandant quitta alors rapidement le commissariat en compagnie des deux hommes, me laissant avec le garçon qui me fit m’assoire face à son bureau.
- C’est pour quoi ? me demanda-t-il d’un air contrarié.
- J’aurais voulu parler au commandant El-Hamar. Je l’ai vu à la télé l’autre fois, je sais qu’il lutte contre les super-héros.
- Il n’est pas disponible. C’est pour quoi ?
- Je viens dénoncer le Gorille.
- Une plainte. Qu’est-ce qu’il vous a fait ?
- Non, vous ne comprenez pas…
- Alors expliquez-moi…
- Je sais qui est le Gorille, merde ! Je connais son nom, je sais où il habite, quel âge il a et avec qui il couche !
Il ne sembla pas faire de cas de ce que je venais de lui révéler. J’aurais dû m’en douter : des personnes qui venaient leur balancer un nom en guise d’identité secrète du Gorille, ils devaient en voir passer tous les jours.
- Qu’est-ce qu’il vous a fait ? me demanda-t-il.
- Je ne comprends pas.
- Ce mec vous a larguée, il vous a fait du mal, vous ne pouvez pas le sentir… bref vous voulez lui faire peur, vous nous racontez que c’est un criminel et nous on va le chercher chez lui ou à son boulot pour qu’il nous suive au poste. Ça impressionne, c’est sûr. C’est humiliant, aussi. Et nous, on perd notre temps parce qu’on voit très vite qu’on s’est fait entuber.
- Ecoutez, je sais que gens qui racontent savoir qui est le Gorille, vous en avez à la pelle, des types qui jurent sur la tête de leur mère que c’est vrai, j’en ai conscience. Et en plus, j’ai pas de preuve. Mais regardez moi dans les yeux et demandez-moi si je dis la vérité, et vous comprendrez. Le Gorille a provoqué un accident cette nuit en se battant sur le périphérique, j’y étais et mon copain est encore à l’hôpital en train de se faire… j’en veux à mort à ce type qui a provoqué cet accident sans prendre la peine de se retourner pour comprendre les dégâts qu’il a provoqué. Vous pensez vraiment que j’accuserais le premier venu ? Que je prendrais le risque que le véritable fils de salopard qui est responsable s’en tire ?
J’ai fait une pause, lui laissant le temps de réfléchir. Je n’étais pas certaine d’avoir réussi à le convaincre, mais j’avais fait de mon mieux. Il se pencha en avant et, les mains jointes, s’accouda au bureau.
- Qui est-ce ?
- Vous me croyez ?
- On s’en fout si je vous crois. Qui c’est ?
- Matthieu Sylvestre. Il étudie à Paris VII.
- Il a fait beaucoup de bien, vous savez… Ça n’a pas fait baisser les chiffres de la criminalité, mais à son échelle il a aidé des gens.
- Vous êtes avec lui ? Je savais que j’aurais dû parler à El-Hamar…
- Vous emballez pas, je suis avec personne. Croyez-moi, l’arrestation du Gorille m’aiderait à gravir les échelons et je ne cracherais pas dessus. Je dis juste les choses telles qu’elles sont. Personne ici ne l’admettra, mais il a aidé à stopper un tueur à la faux qui terrorisait tout le monde, il était là quand l’Archer a tué ce géant qui fracassait tout sur son passage il y a quelques mois… L’homme électrique, c’est lui qui lui a mis sa pâtée… Tout ce que je dis, c’est que ç’aurait été dommage qu’il n’ait pas été là, non ?
- Enfoiré.
- On se calme, pas d’outrage s’il vous plait. Rentrez chez vous, reposez-vous, allez voir votre ami à l’hôpital.
- Ça vous fait rien qu’il prenne Paris pour un terrain de jeu ?!
Un homme s’approcha de nous.
- Et bien ? C’est quoi ce boucan ?
- Rien, capitaine, lui assura l’autre. Madame est venue dénoncer le Gorille.
- D’accord, répondit le capitaine avec un sourire et un clin d’œil à l’intention de son subordonné.
Il s’éloigna, me laissant seule avec ce fils de pute.
- Les bavures, ça arrive, c’est pas ici qu’on vous dira le contraire. Personne n’est infaillible.
- Allez vous faire foutre, lançai-je en me levant et en quittant rapidement le commissariat.
C’est une fois que je fus dehors que le portable de Matthieu sonna. C’était l’hôpital.
- Votre ami est actuellement en réanimation, sa colonne vertébrale est sauvée, m’annonça le chirurgien dans le couloir de l’hôpital. Ça a été difficile, mais la rééducation devrait le remettre debout d’ici à quelques mois.
- Merci… soupirai-je autant pour lui que pour une quelconque instance supérieure qui avait permis ça.
- Par contre… m’annonça-t-il avec regret.
- Quoi ?
Ça me semblait impossible qu’il puisse m’annoncer une mauvaise nouvelle à ce moment-là !
- Sa colonne vertébrale n’était pas seule en danger. La jambe droite de votre ami a été écrasée dans l’accident… nous avons fait ce que nous avons pu, et croyez-moi c’est déjà beaucoup, mais… il boitera toute sa vie.
- Mais je m’en fous ! m’exclamai-je en me mettant à rire bêtement. Si vous saviez comme je m’en fous ! Il va marcher !
Rassuré de ma réaction, le chirurgien me laissa seule dans le couloir savourer ma joie. C’est alors qu’Annabelle arriva, me faisant retrouver mon regard noir.
- Comment va-t-il ? me demanda-t-elle poliment.
- Il remarchera. Ça va prendre du temps, mais les médecins ont réussi à lui éviter le fauteuil roulant. Matthieu n’est pas là ?
- Il s’est dit que tu ne voudrais pas de sa présence.
- Il a bien pensé.
- Tu as raconté son secret à quelqu’un ?
J’ai haussé des épaules.
- Tu es directe, au moins. Qui me croirait ?
- C’est un mec bien. Je dis pas que j’approuve ce qu’il fait, c’est pas vrai, j’ai toujours essayé de le dissuader de faire ces conneries, mais… tu le connais, tu penses vraiment qu’il pourrait être un terroriste ?
Je n’avais plus la force de trouver quoi que ce soit à répondre, alors j’ai laissé sa question en suspens.
- Tu peux me laisser seule, s’il te plaît ? T’inquiète pas, ma mère va bientôt arriver.
Elle acquiesça et me glissa quelques mots d’encouragement sincères avant de partir. Malgré tout, elle restait une fille bien et Matthieu ne la méritait pas, d’ailleurs je n’en avais pas encore fini avec lui, mais ça attendrait un peu. C’est fou la vitesse à laquelle une vie peut basculer, à quel point un événement peut remettre en question les fondements même d’une existence.
C’est alors que, libérée d’un poids énorme, je me suis dirigée vers le service de réanimation.