Histoire : P'tit Lu
Date de parution : Juin 2005
Rue Montmartre, Paris II
Jeudi 17 février
00 h 06
Vous savez ce qu’il y a de pire que de voir un énorme type archi-musclé énervé ? Et bien c’est de voir un énorme type archi musclé énervé qui balance son poing épais comme un gros jambon vers votre nez si délicat. Ça, ça fout vraiment les boules.
C’est pour cette raison que je ne suis pas près d’oublier cette nuit-là.
- CREVE ! hurla la créature en dirigeant son poing vers moi.
Je me suis jeté sur le côté, mais pas suffisamment vite pour esquiver le semi remorque qui fonçait vers moi.
- Aaaaah ! ai-je hurlé quand son poing heurta violemment mon épaule droite.
Ce type que j’étais venu aider venait de me broyer l’épaule ! J’ai roulé sur moi-même sur quelques mètres avant de m’immobiliser au sol, le visage collé à mon masque de gorille à cause de la transpiration. La douleur était horrible ! Je sais que je suis de nature un peu douillette, mais là j’avais vraiment une raison de me plaindre.
« Allez, merde, Matthieu, relève-toi. Ce type est malade et va te tuer, alors lève-toi ! »
Alors que je me relevais, j’ai vu les militaires à quelques mètres de moi : ils étaient tous plus éberlués les uns que les autres, se demandant ce que j’étais, et ce que j’espérais pouvoir faire contre cette chose. D’ailleurs, j’aurais peut-être du me poser cette dernière question avant de me jeter sur ce pauvre type de trois mètres de haut. J’ai horreur quand Annabelle a raison !
La créature se jeta sur moi, m’attrapa par le bras (gauche, Dieu merci…) et me balança contre la façade d’un immeuble déjà pas mal abîmé par une carcasse de voiture.
Quelques mètres plus loin, un militaire apporta un téléphone au colonel Thévenin.
- Allô ?
- Ici le sergent Ratier, au labo. Les résultats ne sont pas bons, mon colonel. Les scientifiques disent qu’ils ont de besoin de deux ou trois heures de plus pour mettre le sédatif au point.
- Trois heures ?! Mais à quoi ils pensent ?! Ils croient que je peux retenir cette créature ici éternellement ?!
- Désolé, mon colonel.
- Terminé.
Il rendit le téléphone au soldat et s’adressa au sergent Pointcarré.
- Leur sédatif ne sera pas prêt avant deux bonnes heures. On ne peux pas attendre jusque là, on passe au plan B. Vous attendrez que je vous fasse signe.
Le sergent hocha de la tête, et prépara son lance-roquette.
Pendant ce temps, je me battais contre cette créature, balançant à l’occasion des coups de poing vains tout en essayant d’éviter les siens. Mais c’était de plus en plus difficile, ce type était bigrement rapide, et moi bigrement fatigué. Mais qu’est-ce que j’avais été me foutre dans cette galère ?! D’accord, j’avais une force surhumaine, mais à quoi ça me servait contre un mec trois fois plus fort que moi ?
J’ai plongé entre ses jambes pour éviter un poing qui s’écrasa contre le sol jusque derrière moi, essayant d’ignorer la douleur de mon épaule droite, et regrettant amèrement que cet homme ne porte pas de caleçon. Tous les types transformés en géants et en proie à des accès de destruction devraient porter des caleçons !
- Feu à mon signal ! entendis-je venant du rempart militaire derrière moi.
- Quoi ?! m’écriai-je.
- Feu !
* * * * * * * * *
Appartement 12 du 4, rue Thibaud, Paris XIV
Quatre jours plus tôt
17 : 18
Annabelle rentra dans notre appartement, découragée. Elle posa son sac à main sur la table de notre cuisine, puis s’affaissa dans le canapé, morose. Voyant que la télé n’était pas allumé, elle leva les yeux au ciel : ou bien je n’avait pas regardé la télé avant son arrivée, ou bien on nous avait coupé l’électricité parce que je n’avais pas payé le loyer comme j’avais promis de le faire. Elle pencha pour la deuxième solution, beaucoup plus probable.
- C’est pas vrai, Matthieu, je vais te tuer ! fit-elle en se levant et en se dirigeant vers ma chambre. C’est quand même pas difficile de… !
Elle se tut en voyant que je n’étais pas dans ma chambre. Ma fenêtre était ouverte, mais elle n’y fit pas attention.
- Bouh.
- Ah ! fit-elle de surprise. Mais où es… Aaaaah !
Je suppose que ça a du la surprendre de voir ma tête à l’envers, dehors, juste en haut de ma fenêtre.
- Mais reviens ici, abruti ! Tu vas te tuer ! Mais qu’est-ce que tu fous dehors ?!
Gracieusement, je me suis laissé tomber sur le rebord de la fenêtre de ma chambre, et me suis réceptionné à l’endroit, accroupi. J’avais toujours mes gants aux mains, heureusement sinon je me serais écrasé au sol.
Annabelle m’attrapa par le bras et me tira à l’intérieur de ma chambre avant de fermer la fenêtre.
- Mais comment tu… ?! Enfin, t’es incapable de faire ça, t’as toujours été nul en gym !
Je me suis rapidement approché d’elle et je l’ai regardé dans les yeux, je suis sûr que j’avais cette étincelle dans les yeux, celle d’un enfant qui découvre le nouveau Bioman Laser.
- L’accident, lui dis-je simplement.
- L’accident ? répéta-t-elle. Il t’a sorti du coma et de ton lit en moins d’une semaine, et il a fait de toi un acrobate ?
- Un acrobate ? Tu crois qu’un acrobate sait faire ça ?
Je l’ai lâchée, et j’ai bondi vers le mur de ma chambre. D’un coup de rein, je me suis retourné en vol et j’ai plié mes genoux, ce qui m’a permis d’avoir une poussée suffisante en les dépliant une fois arrivé contre le mur pour me propulser vers le mur opposé, avec lequel j’ai effectué la même opération avant d’atterrir sur mon lit.
Annabelle n’en croyait pas ses yeux.
- Et c’est pas tout, lui dis-je. Regarde ces gants : la paume est composée de… j’en sais rien, mais elle me permet de m’accrocher à n’importe quelle prise. Je ne peux pas rester collé à une surface lisse, mais s’il y a une petite prise, n’importe laquelle, alors là les gants adhèrent un maximum. Je les ai essayé l’autre nuit, ils marchent d’enfer !
- L’autre nuit ? Attends, tu veux parler de la nuit où tu as disparu de l’hôpital ?
- Ouais. Je me suis baladé. Oh, et cet après-midi je me suis rendu dans cette salle de musculation, tu sais, ton copain Gaël en avait parlé… J’ai battu le record du soulever de poids ! J’ai explosé leur sac de sable ! Ils n’en revenaient pas !
Annabelle semblait cependant beaucoup moins enthousiaste que moi.
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Je ne sais pas, tout ça m’a l’air si… irréaliste. T’es sûr que c’est l’accident ?
- Evidemment ! D’où tu veux que ça me vienne, tout ça ?
Elle semblait plus sombre qu’elle ne l’avait jamais été. Elle se rendit dans le salon d’un pas lent.
- Eh ! Tu pourrais te montrer un peu plus contente pour moi ! lui lançais-je en la suivant.
Elle s’installa sur le canapé, ce que je fis moi aussi. Elle paraissait soucieuse. J’ai enlevé mes gants, puis j’ai passé le dos de ma main sur sa joue en lui demandant ce qui n’allait pas.
- Il y a des bruits qui courent, me répondit-elle. Il existerait des gens qui… tu sais, t’en as entendu parlé. Des gens qui se retrouvent dotés de pouvoirs. Un truc génétique.
- Un mutant ? explosai-je de rire. Tu crois que je suis un mutant ? Mais c’est des histoires, ça ! Une légende urbaine, comme celle de la grand-mère qui fait sécher son chat au micro-onde ! Les mutants n’existent pas. Tu ne crois pas qu’on en aurait entendu parler à la télé ou dans les journaux, sinon ?
- Arrête de dire ça, me lança-t-elle. Changeons de sujet. Je crois que j’ai loupé mon entretien d’embauche. Ça te dirait de me remonter le moral et de fêter tes pouvoirs en me payant un McDo ?
* * * * * * * * *
Rue Montmartre, Paris II
Jeudi 17 février
00 h 12
Les automatiques crachèrent leurs balles mortelles d’un côté comme de l’autre de la rue, impossible de se cacher ; d’un bond plus ou moins maîtrisé, je me suis retrouvé à la fenêtre d’un appartement du côté pair de la rue. Bilan ? Une épaule déboîtée, et… oh merde, une balle m’avait éraflée la cuisse droite ! Ça saignait, mais pas trop. Je me suis aperçu que le mot « bilan » avait été un peu prématuré quand j’ai vu la créature foncer vers moi d’un saut assez peu gracieux. Il s’écrasa à l’étage en dessous du mien et tenta de m’attraper la jambe mais j’avais déjà filé un étage plus haut, ce qui ne servit à rien puisqu’il s’agrippait fermement au mur et grimpait à ma poursuite.
Merde.
J’ai escaladé le mur aisément grâce à mes gants adhérents, mais je compris rapidement qu’il était plus rapide que moi à ce petit jeu. Deux solutions : soit je me laissais tomber au milieu de la rue en risquant de me prendre une ou deux balles perdues des militaires au passage, soit… j’entrais dans un appartement.
Deuxième solution ! J’ai brisé une fenêtre avec mon coude, et je me suis faufilé à l’intérieur de l’appartement, espérant de tout mon être que le quartier avait bien été évacué. Personne dans ce qui semblait être une cuisine. Comme je l’espérais, il me suivit dans la cuisine et fut tout de suite handicapé par l’étroitesse de la pièce ; profitant de son handicap, je me suis lancé sur lui en frappant du plus fort que je le pouvais avec mon poing gauche. Il hurla de frustration et j’en profitai pour lui balancer mon poing dans la mâchoire, ce qui eut pour effet de l’étourdir une seconde.
Il se remit suffisamment vite de sa surprise pour attraper au vol la table que je lui lançai, puis la porte. A court de gros projectiles, je me suis réfugié dans le couloir pour sortir de l’appartement par la porte, et je me suis retrouvé dans le couloir désert de cet étage, soulagé qu’il ne puisse pas me suivre à cause de l’étroitesse du couloir de l’appartement.
- T’es encore là ? lançai-je quand je retrouvai mon souffle. J’étais là pour t’aider, merde ! Je sais qui tu es, je sais que tu n’as rien d’un monstre alors arrête !
Pour toute réponse, j’obtins un cri de colère.
- Eh bien vas-y, crie si ça peut te faire plaisir. Tu ne crois pas que tu es déjà assez dans la merde ?! Ils veulent te buter, dehors, alors rends-toi si tu veux vivre ! A moins que ça te branche de…
Un craquement menaçant se fit entendre et me coupa la chique. Pitié, pitié, pitié, pitié, pitié, pitié, faites qu’il ne s’agisse pas de ce à quoi je pense… Peine perdue. J’entrevis l’énorme corps du scientifique dans le couloir, en train d’écarter les murs avec ses poings pour se frayer un chemin. De rage, il donna quelques coups de poing dans les murs et sur le sol, provoquant des fissures assez méchantes.
- Arrête ça tout de suite, tu vas tout… !
Mais il passa à travers le sol et l’onde de choc provoqua d’autres fissures sur le sol à mon étage.
- C’est pas ma nuit… maugréai-je en courant dans le couloir vers une fenêtre tandis que le sol sous mes pieds s’effondrait à mesure que je posais le pied dessus.
Je n’eus pas le temps d’atteindre la sortie et fus aspiré à travers le sol de mauvaise fabrication…