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  Le Gorille #10:La Faux(5)
 

Histoire : P'tit Lu
Date de parution : Octobre 2005

Résumé : L’enquête de Matthieu – alias le Gorille – sur un tueur en série appelé la Faux l’a amené à croiser la route d’un enfant, en réalité un être de nature visiblement magique, qui l’a envoyé sur la piste d’un mystérieux et introuvable Temple. Après un affrontement contre la Faux qui s’est soldé par un échec pour le héros parisien, Matthieu retrouve la trace du Temple, qui lui demande alors de l’aide pour vaincre cet étrange ennemi.

« La Faux… Qui c’est ? Ou plutôt qu’est-ce que c’est ? » avais-je demandé.
Nous étions sorti du vieux bâtiment délabré et avions rejoins un vieux cabriolet.
« Une créature d’un autre plan dimensionnel », m’avait répondu l’homme du Temple en toge rouge.
« Il vient de la quatrième dimension, un truc dans le genre ? »
« Nous ne savons pas exactement. Il a été invoqué par accident, ou plutôt par… inexpérience. »


19h30

Annabelle était partie manger avec une copine, j’étais seul dans l’appartement. Je ne lui ai rien dis de ma rencontre avec le Temple, et bien entendu elle ne savait rien de ce qui allait se produire ce soir. Autant éviter de me disputer avec elle, surtout si je devais ne plus jamais la revoir…
J’ai attrapé mon téléphone et je suis allé chercher « Emily » dans mon répertoire. J’ai voulu appuyer sur la touche « appeler », mais je n’ai pas pu. Je n’ai pas eu le courage de lui dire tout ce que j’avais à lui dire avant qu’il ne soit trop tard, lui dire à quel point je regrettais que les sentiments qui commençaient à naître entre nous n’aient pas eu le temps d’aller plus loin…
Le cœur lourd, j’ai déposé mon portable après l’avoir éteint, puis j’ai attrapé mon masque de Gorille posé sur la table basse : comme je pouvais le maudire ! J’allais sûrement mourir ce soir à cause de lui. Puis je l’ai fourré dans mon sac avec mes gants et le reste de mon costume, avant de me lever et de quitter l’appartement.


« Invoqué ? Par qui ? » avais-je demandé alors que je venais d’entrer dans une bâtisse vieillissante du 14eme arrondissement en compagnie de l’homme en toge rouge et de ses deux costauds.
« Trois de nos apprentis. Ils l’ont pris comme un jeu. »
« Des apprentis ? C’est quoi, le Temple ? »
« Nous manipulons la faible barrière qui sépare la science de la magie, nous apprenons à la contrôler. Invocations, rites, artefacts… tout cela est une réalité pour nous. Les premiers d’entre nous étaient de grands scientifiques qui ont compris que science et magie n’étaient pas fondamentalement incompatible. Après tout, pourquoi la masse volumique d’un ingrédient n’influerait-elle pas le résultat d’une incantation ? Pourquoi l’apparition d’un fantôme ne pourrait-elle pas être le résultat indirect d’une différenciation matricielle ? Nous transmettons nos connaissances depuis près d’une cinquantaine d’années. Quand trois de nos élèves ont voulu s’amuser à jouer aux grands en pratiquant des invocations délicates, ils ont réussi à mener la Faux dans notre monde. »


20h00

Mon bus arrivait en vue du parc sportif André Valois, toute lumière allumée, expliquant au reste de la ville que se tenait entre ses murs l’événement sportif de l’année. Il faisait nuit et frais mais les gens étaient tassés à l’entrée pour pouvoir assister à ce match de basket. Je m’en voulais d’impliquer tous ces gens, des hommes, des femmes, des enfants, de les mettre en danger, mais les circonstances m’y obligeaient.
J’aurais pu m’y rendre en Gorille, j’aurais sans doute gagné du temps, mais je n’étais pas spécialement pressé de me rendre à l’abattoir. Et puis j’aurais bien assez tôt l’occasion d’enfiler mon costume.


« Wooh » avais-je soufflé après avoir descendu de vieux et longs escaliers de pierre et avoir débouché sur une grande pièce aux allures d’église. Des bancs de bois, un autel au fond pour les cérémonies… Une quarantaine d’hommes et femmes en toge rouge à la romaine, de tous âges, était réunie dans cette « église », et leurs visages minés et tendus en disaient long sur la portée des évènements.
« Voilà l’ensemble du Temple », m’avait expliqué l’homme d’âge mur, qui m’a avoué plus tard s’appeler Kober Marat. « Nous sommes tous prêts à sacrifier nos vies pour que la Faux disparaisse ce soir. La vie de centaines de personnes en dépend. »
« Attendez, pourquoi des centaines ? La Faux s’attaque à une personne de temps en temps, ce n’est qu’une question de temps avant que l’armée ne l’explose avec une méga bombe. »
« Que sais-tu de ses méthodes de chasse ? »
« Rien. Il a l’air de choisir ses proies au hasard. »
« Il n’en est rien. »


20h20

Serrant mon sac – qui contenait mon costume – jalousement contre moi, à peu près autant effrayé à l’idée que quelqu’un ne découvre ce qu’il contenait qu’à l’idée qu’il soit loin de moi quand tout commencerait. Après un quart d’heure d’attente, j’ai payé mon entrée au parc et je suis entré dans le hall menant au terrain vers lequel tous les regards étaient tournés. En entrant dans ce grand espace, la chose qui m’a frappé fut l’ambiance joviale qui se dégageait de la foule, chantant ou riant en attendant le début du match des deux plus grandes équipes de basket françaises – et j’étais bien incapable de dire desquelles il s’agissait. Ils étaient complètement inconscients de ce qui les attendait ! N’étaient-ils pas capables de sentir l’ombre de la mort que la Faux traînait autour d’elle ?!
C’est alors que mon cœur a fait un bond : là, parmi la foule, un regard que j’aurais reconnu entre mille ! Emily se tourna vers l’entrée, me vit et se leva en souriant pour me rejoindre. Elle courut jusqu’à moi – complètement hébété – et me fit un grand sourire.
- Mat ! Ça me fait vraiment plaisir de te voir, ça fait un moment qu’on ne…
- Qu’est-ce que tu fais là ?! ai-je crié un peu fort, stupéfait.
Elle haussa ses épaules, un peu gênée :
- Okay, j’avoue tout, ce n’est pas un hasard. J’avais envie de te revoir, alors j’ai appelé Annabelle qui m’a dit où tu serais ce soir…
- Annabelle ! ai-je craché.
Ne pouvait-elle pas s’occuper de ses affaires, celle-là ?! Elle me croyait encore dépressif et m’envoyait Emily pour me remonter le moral !
- Tu dois t’en aller tout de suite ! lui ai-je lancé. Oui, maintenant !
Le regard d’Emily devint brusquement plus méfiant.
- Quoi ? Mais de quoi tu parles ? Et t’as quoi dans ton sac ?
- Fais ce que je te dis, merde ! Ça va bientôt être la fin du monde ici, alors je t’en supplie, va-t-en…
Rien qu’à l’idée qu’elle puisse être la dernière victime de la Faux, j’en étais malade. Je crois que jusqu’à ce jour, je n’avais pas réalisé toutes les responsabilités qu’impliquait mon job de super-héros… Risquer la vie de milliers d’inconnus m’était encore supportable, mais Emily…


« C’est un chasseur, et il pourrait tuer qui il veut mais il est soumis à certaines… règles. »
« Règles ? »
« Oui, c’est ce qu’il croit. Il a été invoqué et d’après certains… « écrits », il doit offrir en sacrifice quatre personnes à ceux qui l’ont invoqué pour être libre de ses actes. Ces quatre personnes à tuer sont soumises à des critères très sélectifs que nous n’avons pas réussi à déchiffrer, mais ils sont extrêmement précis, et la Faux a l’air de les respecter au pied de la lettre. »
« Attendez… il « croit » ? »
« Il a dû grandir en apprenant qu’il devait respecter cette règle. Mais franchement, rien ne nous permet de penser qu’il ne peut pas passer au travers. Nous serions bien incapable de l’arrêter ! »
« Il peut faire un carnage mais ne le sait pas ? Croyez-moi, il va le découvrir, et là on aura l’air bien malin… »
« Il n’en aura peut-être pas le temps », tenta de me rassurer le vieil homme. « Il a déjà sacrifié trois victimes, et nous sommes sûrs qu’il s’attaquera à sa quatrième proie demain soir. C’est à ce moment précis que vous entrez en scène »
« Je dois… quoi ? L’affronter ? »
« L’empêcher de tuer sa quatrième victime, tout en servant d’appât. Il vous l’a dit, il attaquera près de vous »
« Mais s’il n’y a pas de victime sacrifiable près de moi demain soir ?! »
« Réfléchissez un peu, faites en sorte de vous trouver dans un endroit très fréquenté »
J’ai cherché un endroit suffisamment fréquenté, avant de lâcher dans un souffle :
« Le parc André Valois. Le plus important match de basket de l’année s’y joue demain… »


20h30

La foule poussa des cris de joie et des acclamations lors de l’entrée sur le terrain des deux équipes de basket adverses. Emily, quant à elle, m’adressait un regard profondément déçu.
Elle fit un pas en arrière, puis se retourna pour rejoindre sa place.
- J’ai pas besoin de tes explications, me lança-t-elle. Laisse tomber.
- Non !
J’ai attrapé son bras pour la forcer à se retourner et à me suivre, mais d’un geste elle se dégagea de mon étreinte :
- Mais ça va pas ?! T’as pas à me dicter ma loi, j’ai envie de mater ce match, et finalement sans toi c’est pas plus mal.
Le coup de sifflet du début de match résonna jusqu’à nous, aussitôt couvert par un énorme bruit de verre brisé. J’ai juste eu le temps de tourner ma tête vers le terrain que la Faux touchait gracieusement le sol, suivi d’innombrables débris de verre de la voûte brisée surplombant le terrain.
Il était là ! Déjà là !
Emily allait dire quelque chose, stupéfaite, mais je ne lui en ai pas laissé le temps et l’ai poussée brusquement vers la sortie en lui ordonnant de quitter les lieux le plus vite possible sans poser de questions. Après quoi, dans le hall, j’ai enfilé mon costume de Gorille en dehors du masque et d’un coup d’œil vers l’intérieur du stade j’ai pu voir la Faux postée au milieu du terrain, cherchant son gibier.


« Je ne pourrai jamais lutter contre cette… chose. Vous êtes dingues de penser ça ; je me suis déjà battu contre lui, ça n’a pas vraiment tourné en ma faveur. »
« Tu n’étais pas équipé pour lui faire face » me répondit Kober Marat. « En tout cas pas pour résister plus d’une dizaine de secondes. »
« Ça s’est passé à peu près comme ça, ouais… »
Il appela un Templier qui s’empressa d’accourir auprès de nous, à priori peu à l’aise dans sa toge rouge trop grande pour lui. Chauve, brun, plutôt petit, il était le stéréotype même du type qu’on croise dans la rue sans s’en rendre compte. Il ouvrit sa main et sur sa paume trônait une gélule jaune et rouge.
« Vous me donnez des vitamines ? »
« Plus que ça, Gorille. Bien plus que ça… Bien, maintenant fais ce que tu as à faire, et n’échoue pas : notre vie est entre tes mains. »


20h33

A toute vitesse, j’ai sorti la gélule de ma poche et l’ai faite éclater dans ma bouche. L’effet fut instantanée : j’ai cru que ma langue s’enflammait et que mes yeux me sortaient de la tête, alors qu’une douleur aigue me transperçait la poitrine ! Je me suis effondré sous la douleur, alors que mon cœur s’emballait, prêt à lâcher à tout moment ; chaque extrémité de mon corps me faisait souffrir de façon indescriptible.
Puis la douleur s’est atténuée – sans disparaître totalement – et j’ai pu me relever pour observer la Faux au milieu du terrain de basket, cherchant la proie idéale ; et c’est là que j’ai pu constater que la gélule produisait son effet : alors qu’aux yeux de toute l’assemblée il semblait totalement immobile, moi je le voyais bouger. Pas beaucoup, et très vite, mais mes yeux étaient maintenant capables de suivre le moindre de ses mouvements ! Elle venait de diminuer mon espérance de vie d’un an, mais cette foutue gélule – cadeau du Temple – m’avait offert le moyen de combattre la Faux…
Non ! Il avait trouvé sa proie ! Un infime mouvement avait trahi sa pensée ; j’avais très peu de temps pour réagir ! J’ai enfilé mon masque et, d’un bond, j’ai rejoins le centre du terrain, faisant maintenant face à la Faux dans une position de défi. Et ce que je vis dans ses yeux l’espace d’un millième de seconde me fit intérieurement ricaner : de la surprise. Il ne pensait pas que je l’affronterais… Malgré tout, sa surprise disparut bien vite pour laisser place à la plus grande des indifférences, avant de se tourner vers un des joueurs de basket qui courait comme les autres pour échapper au tueur, et celui-ci allait abattre sa faux quand un choc dans le dos le prit par surprise et l’empêcha de commettre son sacrifice.
Il se tourna rapidement vers moi, ivre de rage, et je pus admirer à loisir chaque ridule de colère se creuser sur son visage.
- Notre précédente escarmouche ne t’a donc pas suffi, homme ?!
- Désolé de t’avoir frappé dans le dos, la Faux – tu permets que je t’appelle la Faux ? – mais j’ai récemment appris que courage et témérité étaient deux choses vraiment bien distinctes.
Si rapidement que personne ne put voir ses gestes, il attrapa son arme à pleines mains et projeta la lame vers moi. Personne… à part moi. Ma vue ultra-rapide eut le temps de percevoir chacun de ses gestes, ce qui me permit de faire à temps un saut en arrière qui me sauva la vie.
Quelques personnes dans les tribunes poussèrent un cri d’horreur quand la Faux balança son arme vers moi avant de réaliser que je m’en étais sorti, et instinctivement j’ai tourné ma tête vers eux… grave erreur ! Toutes ces personnes, chacun de leurs gestes, du plus infime au plus voyant, le mouvement de chaque cheveu sur la tête de chaque personne, le plissement de tissu de chacun de leur vêtement, l’écoulement de la moindre goutte de salive sur chaque lèvre de chaque personne… Je ne savais plus où donner de la tête ! Les spectateurs impuissants remuaient dans tous les sens, certains avaient reconnu le chasseur dont le portrait robot était passé à la télé et voulaient fuir l’endroit.
« La Faux ! Il va en profiter pour te tuer, ferme les yeux et concentre-toi sur lui ! Ferme les yeux, ne les rouvre que pour voir la Faux ! C’est le seul être suffisamment immobile pour que l’ensemble de ses gestes ne fasse pas saturer ton cerveau, alors fixe-toi sur lui ! »
J’ai fermé les yeux pour les rouvrir face à mon ennemi mais celui-ci balançait déjà son arme sur moi. Il s’en est fallu de peu, mais j’ai réussi à l’esquiver et je lui ai balancé un coup de poing dans la mâchoire qui faillit le faire vaciller, juste de quoi l’énerver et le distraire de toutes les proies potentielles qui se trouvaient autour de lui.
- Et si tu laissais tomber ces gens, la Faux, et que tu t’attaquais directement à moi, hein ? Et tiens, pendant qu’on y est, si on réglait ça au scrabble, histoire de changer un peu ?
C’était un chasseur, l’occasion était trop belle pour lui de prendre en chasse une proie plus forte et plus rapide que ce qu’il chassait d’habitude. En effet, il me poursuivit quand d’un bond j’ai rejoins le mur intérieur du stade et que j’en suis sorti par une lucarne…


« Quinze minutes », m’avait dis le vieil homme du Temple. « Vingt, peut-être. Mais au-delà, de toute façon, la gélule ne fera plus effet, alors faites vite. Quinze minutes après que vous ayez avalé la gélule, la Faux devra être là où nous l’avons prévu. »


Notre combat nous avait entraîné dans les rues parisiennes, dans lesquelles les passants hurlaient de terreur, étaient pétrifiés ou couraient pour échapper à notre spectacle. Certains prenaient des photos mais je doutais que leur appareil soit suffisamment rapide pour prendre un cliché correct de la Faux.
Notre combat n’était qu’une succession de bonds, de coups parés et de feintes sans aucune logique apparente. A quatre reprises j’ai dû écarter d’un geste violent des innocents qui n’avaient pas eu le temps – ou l’idée – de s’écarter de notre chemin, et à chaque fois je perdais plus de terrain, d’avance sur ses gestes, et d’ici peu de temps, même avec les effets de la gélule du Temple, je n’aurai pas le temps de parer un coup ou d’esquiver un coup de lame de la Faux…
Nous étions en vue de l’immeuble du Temple, plus que quelques mètres à tenir et je pourrais espérer m’en sortir vivant ! C’est alors que… la douleur dans ma poitrine, puis dans le reste de mon corps… elle disparaissait ! Non, pas maintenant ! Si la douleur qui me donnait envie de hurler disparaissait, ça ne pouvait dire qu’une chose…
« Quinze minutes », m’avait dit le vieil homme du Temple…
J’avais eu tort d’espérer, c’était la fin du monde… enfin, de ma vie… Effectivement, les gestes du tueur me semblaient plus rapides, soudain. En réalité, c’est mon cerveau qui n’arrivait pas à suivre, j’en suis conscient, mais sur le moment ça n’avait pas la moindre importance…
- Aaaah ! ai-je crié quand sa lame déchira mon costume au niveau de mon torse et érafla méchamment ma poitrine.
Génial, le début de la fin.
- Aaah !
Il venait de m’exploser l’avant-bras gauche comme qui rigole et se serait occupé de l’autre si je n’avais pas esquivé l’assaut d’un bond en arrière… Il me restait vingt mètres à parcourir avant de rejoindre l’immeuble, autant dire qu’à ce rythme c’était infaisable, je devais changer de tactique… et j’ai opté pour la fuite ! J’ai gracieusement tourné les talons d’un bond arrière et j’ai couru vers la porte massive de l’immeuble, espérant pouvoir atteindre au moins la façade avant qu’il ne me rattrape et ne me découpe en morceaux pour le plaisir. J’ai craint un instant pour la vie des passants mais j’ai vu avec soulagement que les Templiers avaient suivi mes consignes et évacué le quartier…
Plus que cinq mètres à parcourir… Je crois bien qu’il avait compris que je n’étais plus une menace, parce que la Faux m’a laissé courir comme un chat jouant avec une souris. J’ai atteint sans mal la façade de l’immeuble et je me suis jeté à travers une fenêtre du rez-de-chaussée en la faisant exploser, pour me retrouver aux pieds de Kober Marat et de tous les autres Templiers habillés de leur plus belle toge rouge, prêts à en découdre avec le chasseur d’une autre dimension…
Le hall d’immeuble, d’allure moyenâgeux, était rempli de cierges et de fioles posées indifféremment par terre ou sur des tables en bois, prêtes à servir dans l’urgence, et l’ambiance était des plus lourde parmi les Templiers, hommes, femmes et adolescent qui s’apprêtaient à remplir la mission la plus dangereuse de toute leur vie…
La Faux apparut à la fenêtre, accroupi sur le rebord, peu impressionné par le rassemblement de la quarantaine de Templiers prêts à sacrifier leur vie pour le voir disparaître.
- N’oubliez pas ! leur dit Kober Marat. Il ne peut pas nous tuer tant qu’il n’a pas sacrifié sa quatrième victime et rapporté son sang à nos trois apprentis !
Une espèce de sourire se dessina sur le visage de la Faux – du moins une espèce de rictus, mais ça ressemblait à peu près à ça – qui murmura :
- Ça n’est pas un problème, amas de viande… Je sens que l’un de vous est une proie potentielle… Finalement je serai bien libre dès ce soir…
- Gorille ! me hurla Kober Marat. Nous allons lancer le sort, tu dois le distraire le plus longtemps possible !
Décidément, je l’ai toujours trouvé très drôle, ce Kober Marat. Je me pointe ici à l’état de steak haché ambulant et il me demande de jouer avec le hachoir. Ne pense pas à Annabelle qui se fait un restau avec ses copines, ne pense pas à Frank et Marie qui passent le week-end en amoureux, ne pense pas à Emily qui est en sécurité au stade, ne pense pas à…
Je me suis relevé, étouffant à moitié sous mon masque de Gorille, et je me suis jeté de toutes mes forces sur la Faux qui m’esquiva sans problème, mais qui dut pour ça descendre de la fenêtre pour se retrouver sur le trottoir, à l’écart des Templiers. Moi aussi dans la rue, face à lui, j’étais prêt à me jeter à nouveau sur lui, quand j’ai senti tous les poils de mon corps se dresser d’un coup d’un seul, comme si l’air s’était soudain chargé d’électricité statique à un point inégalé…
- Tu sais quoi, ai-je lancé à mon ennemi, en fin de compte je vais aller voir ailleurs si j’y suis.
D’un bond, je me suis retrouvé accroché à la façade de l’immeuble, puis j’ai sauté jusqu’à l’immeuble en face, et j’allais m’éloigner encore quand les Templiers ont lancé leur sort.
BOOOOOOOOM !
Je crois que toute la ville l’a entendu et vu, une énorme sphère bleuâtre qui est partie de l’intérieur de l’immeuble qui abritait le Temple, puis qui a explosé d’un coup, ravageant tout sur son passage ! L’immeuble s’est effondré dans un éclat bleuâtre, le macadam s’est soulevé et des fissures sont apparus sur tous les bâtiments environnants, dont le mur sur lequel j’étais accroché, qui ne résista pas et s’effondra sur le macadam tordu et fissuré…
J’ai pu sauter et échapper de peu à la mort sous une tonne de pierre, mais l’onde de choc m’a suffisamment sonné pour me jeter dans le coaltar…




Ce sont les sirènes de pompier qui m’ont tiré de mon inconscience, et mon premier réflexe a été de retiré mon masque pour vomir sur la chaussée. Mon corps avait été soumis à de rudes épreuves et déclarait forfait… J’ai pu voir l’étendue des dégâts matériels et je me suis senti mal à l’idée d’avoir participé à une telle catastrophe : un immeuble et quelques murs effondrés, la chaussée ressemblant à des montagnes russes (la police mettrait du temps à arriver jusqu’ici), des fissures dans le sol mettant à nue le système d’égouts parisien… des millions d’euros de dégât…
J’ai eu le hoquet en repensant à la Faux : était-il mort ? J’ai remis mon masque et j’ai rejoins l’endroit où il se trouvait avant l’explosion, espérant le retrouver en petits morceaux… mais ç’aurait été trop beau : il gisait sur le sol, inanimé mais respirant encore. L’explosion lui était destinée, l’énergie spéciale utilisée devait lui être fatale ! Le Temple avait échoué… et s’était sacrifié : l’immeuble abritant les Templiers s’était effondré sur leurs têtes, aucun d’entre eux n’avait pu survivre…
Mais la Faux était neutralisé, il n’allait pas reprendre conscience avant quelques heures, suffisamment pour que la police l’enferme dans une cage inviolable… Dire qu’il était si vulnérable à ce moment-là, que je pouvais en finir avec lui…
Les pompiers arrivèrent à ce moment-là, et je leur ai expliqué rapidement la situation et l’identité du type allongé par terre, avant de disparaître : le quartier avait été évacué avant l’explosion, il n’y avait pas eu de victime et il valait mieux pour moi ne pas me trouver sur les lieux lors de l’arrivée de la police.




C’était fini.
Le Temple avait échoué, mais son sacrifice n’avait pas été complètement vain : la Faux était enfermé dans la prison la plus sécurisée du pays, dixit le porte-parole de la police lui-même.
- Tu as échoué, entendis-je d’une voix neutre derrière moi.
J’étais assis sur le toit de mon immeuble, les yeux perdus dans le vague, de fatigue. Pas la peine de me retourner pour comprendre qu’il s’agissait du gamin qui m’avait balancé la Faux et le Temple. Je me demandais quand il referait surface…
- La Faux est neutralisé, répondis-je. Il est enfermé à double tour.
- Idiot ! répliqua-t-il d’une voix toujours aussi neutre. Crois-tu vraiment que ça l’arrêtera ? Je l’ai vu de nombreuses fois à l’œuvre… Le seul moyen de sauver cette ville était de le tuer, et tu as laissé passer la seule occasion qui te sera jamais présentée. Comment le stopperas-tu quand il sortira de sa prison de paille, sans les gélules du Temple ? Ça sera un massacre, crois-moi, cela fait bien des années déjà que je suis chargé de l’observer, rien ne lui résiste longtemps. Tu n’es pas de taille contre lui, personne ne l’est en dehors du sorcier Strange.
- Pourquoi ne pas avoir fait appel à lui, dans ce cas ?
Il sembla hésiter un instant, puis répondit :
- Il était… introuvable.
Le gosse n’était donc pas tout puissant. Quelque part, ça me rassurait, je n’étais pas le seul à être dépassé à l’occasion.
- Si tu as encore des trucs à m’apprendre, balance, sinon j’aimerais être seul.
Une seconde plus tard, il avait disparu comme lors de notre première rencontre. Etait-ce vrai ? Avais-je pris la mauvaise décision ? Avais-je condamné Paris à devenir le terrain de jeu de la Faux ? J’aurais pu rester sur ce toit longtemps à me morfondre et m’interroger sur ma possible culpabilité, mais la vérité c’est que j’étais mort de fatigue et que la seule chose dont j’avais envie à ce moment-là, c’était dormir. Et, à 4h00 du matin, sur le toit de mon immeuble, c’est ce que je fis.

 
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