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  Le Gorille #6:La Faux(1)
 

Histoire : P'tit Lu
Date de parution : Juillet 2005

Stéphanie se réveilla douloureusement, les cloches de la cathédrale Notre-Dame ayant décidé de se mettre à sonner dans sa tête. Il était 8h00, samedi matin, elle était chez elle, mais… Ah oui, elle était sortie la veille avec des copines en boîte et avait rencontré ce garçon qu’elle apercevait souvent à la fac, et ils étaient rentrés ensemble. Elle regarda à côté d’elle, dans le lit, vide. Il était parti sans demander son reste.
- Connard.
Trois rues plus loin, une silhouette se faufilait lourdement d’immeuble en immeuble aux premières lueurs du jour, habillé d’un vieux jogging noir, d’un pull de la même couleur et des gants et du masque de gorille inhérents au costume. Il fallait vraiment que j’améliore mon costume si je voulais atteindre la renommée de l’Archer, voire même si je voulais que les flics arrêtent de me tirer dessus dès qu’ils me voyaient. J’étais désolé de quitter cette fille si tôt sans explication, mais j’avais rendez-vous avec un prof à la fac une demi-heure plus tard. J’avais juste le temps de passer chez moi manger un peu, me changer et filer jusqu’à l’université.
J’ai débarqué dans ma chambre par la fenêtre ouverte, puis j’ai rejoint la cuisine en enlevant mon masque. J’y ai trouvé une Annabelle en sous-vêtements en train de préparer un plateau petit-déjeuner, elle poussa un cri de surprise en me voyant.
- Mais t’es dingue ! me lança-t-elle à voix basse. Tu peux pas entrer dans l’appart comme ça sans prévenir !
- Je suis encore chez moi, lui fis-je remarquer en ouvrant un grand paquet de chips et en en avalant une bonne poignée.
- Je ne suis pas seule, crétin des Alpes. Marc est dans ma chambre, et s’il se lève et te voit dans ton costume, tu peux dire adieu à ta carrière de super-héros. Et arrête de manger comme ça, c’est dégueu.
- Pas ma faute, j’ai une faim de loup. Et t’inquiète, je repars tout de suite.
J’ai jeté le paquet de chips vide à la poubelle et j’en ai ouvert un autre. Annabelle resta bouche bée en me voyant avaler la totalité des chips en trois poignées. Elle bégaya, puis se reprit :
- Merde, t’as vu ce que t’as fait ?
- Je laverai.
- Je te parle pas de ça ! Ouvre les yeux, tu viens de t’enfiler deux paquets de chips en moins d’une minute ! Tu t’entraînes pour un concours ou quoi ?
- Ah, ça… en fait, ça date de l’accident. Je ne dors plus que deux heures par nuit et je bouffe quatre fois plus d’avant. D’ailleurs, le frigo est vide, faudrait faire les courses. Okay, je les ferai, me regarde pas comme ça. Tu te rappelles que Marie et Franck viennent dîner ce soir ? Tu sais, des copains de la fac ; bref ça serait bien que tu sois là pour les rencontrer.
Elle leva les yeux au ciel.
- Ok, ok, tu peux te tirer, maintenant ? Mon copain va finir par se lever si je ne le rejoins pas vite avec le plateau.
J’ai rapidement prit un sac à dos avec des affaires propres, j’ai enfilé mon masque et j’ai bondi par la fenêtre de ma chambre après m’être assuré que personne ne regardait.

**********

Elle savait qu’elle n’aurait jamais dû prendre ce raccourci ; pourtant, la journée, cette ruelle était plutôt tranquille, il n’y avait que la nuit que c’était mal fréquenté, mais elle avait eu ce pressentiment… ah, si elle l’avait écouté ! Elle aurait échappé à ce spectacle. Cette femme laissa tomber son sac de fruits, qui s’écrasèrent sur le sol, puis poussa un cri d’horreur. Elle n’arrivait à faire aucun mouvement, son regard était fixé à ce qu’elle avait trouvé effondré dans l’amoncellement de sacs poubelle ; le seul organe qui lui obéissait encore était sa gorge, d’où s’échappait ce cri.
A l’aide, il fallait qu’on l’aide ! Comment une telle chose pouvait-elle arriver dans sa ville ?! Seuls les tueurs en série américains étaient capables d’un acte pareil ! Elle réussit à fermer les yeux, mais l’image la poursuivait tout autant que s’ils étaient ouverts : elle voyait encore distinctement le contour du cadavre de l’homme allongé dans les ordures, elle voyait encore ses vêtements de récupération, ceux d’un clochard, elle ne pouvait se défaire de l’expression d’horreur dans les yeux de cette homme, l’expression qu’il avait eue juste avant de mourir et qui l’avait suivi dans la mort. Ses doigts crispés. Mais surtout… le bas de son corps à un mètre du haut. Ce mec avait été tranché au niveau du bassin, la blessure était tellement nette qu’elle semblait impossible, comme si elle avait été faite avec un rayon laser de ces films américains, même ses vêtements avaient été coupés avec la même précision.
Impossible ! C’était impossible. Elle s’y connaissait en armes blanches, son père en avait eu toute une collection, et aucune n’était capable de couper avec une telle netteté. Aucune.
Une main lourde s’abattit sur son épaule, et elle sursauta en poussant un cri de surprise (cette fois). Elle se retourna et se retrouva face à un homme habillé en noir et portant un masque de singe. Elle le reconnut tout de suite, elle l’avait vu dans le journal : le Gorille !
- Vous… c’est vous qui avez fait ça… C’est vous !
Il ne répondit pas, et ne sembla avoir aucune réaction quand il aperçut le cadavre du clochard coupé en deux.
- Quittez la ruelle et appelez la police, lui dit-il. Faites vite.
Au bord de la crise de nerf, elle obéit sans se poser de question.

**********

Je vis les légistes emmener les deux parties du corps dans un brancard. Un crime affreux, d’ailleurs un flic avait gerbé en voyant la scène et un magistrat s’était même déplacé pour constater le meurtre. La police avait bloqué l’accès à la scène du crime, mais je voyais tout du haut de l’immeuble et j’étais à deux doigts de faire un malaise. Ce meurtre… il n’avait rien de normal. J’en étais persuadé, je le savais sans pouvoir m’expliquer pourquoi, et j’étais bien décidé à mettre hors d’état de nuire le malade qui était capable de faire ça, même si pour ça je devais empiéter sur le boulot de la police.

**********

- Un truc dégueu, je te jure, soufflai-je à Annabelle dans la cuisine, plus tard dans la soirée, tandis qu’elle me tendait le plat de pâtes. Coupé en deux au niveau du bassin, j’ai failli rendre mon petit-déjeuner.
- Merci de me raconter ça avant de passer à table ! grimaça-t-elle.
Marie, une copine de la fac, entra dans la cuisine en courant, poursuivie par Franck, son copain. Ils éclatèrent de rire puis s’embrassèrent.
- J’ai l’impression qu’ils nous cachent des trucs, dit Marie à haute voix en glissant d’un geste de la main une mèche de ses longs cheveux blonds derrière son oreille.
Annabelle éclata de rire et me jeta un clin d’œil :
- On leur dit pour la date de péremption des pâtes ?
Franck, fort de sa stature d’athlète – le genre grand blond, les cheveux courts et les yeux bleus – souleva sa copine, et l’emmena de force dans le salon où la table était dressée. On s’est installé dans la bonne humeur, causant de choses et d’autres. Marie était à la fac avec moi, alors que Franck était en troisième année de prépa, je-ne-sais-plus-quelle section scientifique.
Franck sembla se rappeler de quelque chose d’important, et plongea son regard noir dans le mien. Le problème, c’est qu’il fait généralement ça quand il veut persuader son interlocuteur que la connerie qu’il a faite est une bonne chose.
- Tu te rappelles de la fois où tu m’as parlé de cette fille, là… Emily ?
- Ne va pas plus loin, je sens que t’as fait une connerie plus grosse que toi. Et arrête de me regarder comme ça, j’ai l’impression que tu me dragues !
- Qui c’est ? demanda Marie, pas au courant.
- Emily ? répéta Annabelle. Elle était au collège avec nous, non ? T’étais raide dingue d’elle, je m’en souviens. Tu t’es pris un râteau une bonne dizaine de fois.
- Hé ! On est finalement sorti ensemble en Seconde. Ça a duré deux mois. Et puis, pourquoi on parle de ça ?!
- Bah… poursuivit Franck. Je me suis dis que ça te ferait plaisir de la revoir, alors… Enfin, je suis tombé par hasard sur son nom en feuilletant la liste des étudiants de je ne sais plus quelle prépa à Paris.
- Par hasard ? Mon cul, oui. Attends, elle est ici ? A Paris ?
Il sourit, son sourire était triomphant, il avait enfin réussi à capter mon attention dans le bon sens du terme. J’avais couru des années après cette fille avant qu’elle ne s’intéresse à moi, mais c’était fini depuis des années. N’empêche que ça serait sympa de la revoir, Emily Briant.

**********

La montre du jeune homme indiquait 22h35, mais il savait qu’elle retardait un peu. Il y avait du monde dans ce parc, l’air était suffisamment chaud pour permettre aux gens de se promener même à cette heure, les passants étaient donc nombreux. Le jeune homme commençait à s’impatienter, sur son banc : la fille avec qui il avait rendez-vous aurait dû arriver depuis vingt bonnes minutes, mais ça c’était les femmes, non ?
Mais son impatience se transforma en léger malaise, sans qu’il ne puisse se l’expliquer. L’air était-il trop lourd ? Ces enfants jouant bruyamment pas loin l’énervaient-il ? Non. Peut-être cet homme, plus loin, immobile sous un arbre vingt mètres plus loin était-il l’origine de son malaise. Le jeune homme posa ses yeux sur lui et son cœur s’emballa.
Un mètre quatre-vingt dix, les cheveux d’un noir profond longs jusqu’aux épaules, le visage caché dans l’ombre. Il portait un long imperméable noir, large. Et son regard… Le jeune homme ne voyait pas ses yeux, cachés dans l’ombre, mais il savait que l’autre le regardait. Lui et personne d’autre.
Le jeune homme avait posé un regard sur cet individu seulement l’espace d’une fraction de seconde, mais il pensait en avoir vu suffisamment pour toute une vie. Sans comprendre, il frôlait la panique et s’agitait sur son banc. Pourquoi n’arrivait-elle pas, cette fille ?!
Apeuré mais tentant de se contenir (il savait que cette peur n’avait rien de rationnel), il se leva brusquement du banc et se dirigea rapidement vers la sortie, où il serait en sécurité. Il y a plus de monde à la sortie du parc.
Mais il n’avait pas fait trois pas qu’il s’immobilisa brusquement, incapable de faire un pas de plus. Ses jambes ne lui obéissaient plus.
- Que… ? fit-t-il, le souffle coupé.
Devant lui se tenait cet homme, immobile, légèrement penché en avant et les mains tenant un long bâton dirigé à 45° vers le bas. Comment avait-il fait pour le rejoindre aussi vite ?! C’était impossible ! Mais ses interrogations en restèrent là car la plus profonde douleur qu’il a jamais ressentie de sa vie le prit aux tripes et ne le lâcha pas durant les cinq secondes qui suivirent, les dernières de sa courte vie. Il s’effondra, coupé en deux au niveau du bassin.
Un homme cria d’horreur, suivi d’une femme puis d’une autre devant ce spectacle, et ils virent ce que le jeune homme n’avait pas eu le temps de remarquer : l’homme aux cheveux noirs ne tenait pas un bâton dans ses mains, mais un vieil outil agricole abandonné depuis belle lurette.
Une faux. Une longue lame à l’extrémité d’un long bâton, la Mort est constamment représentée avec cet engin. Le meurtrier se redressa et porta la lame de son arme au niveau de son visage, apparemment satisfait du sang qui en coulait. Les cris n’avaient pas cessé quand l’homme qui venait de trancher le jeune homme en deux avec son arme quitta tranquillement le parc en rangeant sa faux ensanglantée sous son imperméable.

 
 
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