Histoire : P'tit Lu
Date de parution : Novembre 2006
Résumé : Lors d’une journée porte ouverte d’un laboratoire, un accident provoque la mort d’un groupe de visiteurs, en dehors de Frédéric – tombé dans le coma – et de Matthieu Sylvestre, qui s’est vu doté grâce à cet accident de pouvoirs faisant de lui le Gorille. Mais après deux mois et demi de sommeil, Frédéric se réveille doté des mêmes pouvoirs que Matthieu. Quand des mercenaires ont pour mission de capturer Fred, Matthieu tente de le protéger, en vain. Le commanditaire de cet enlèvement ne serait autre que le Maréchal…
Paris XIV
Vendredi, 22h00
D’un bond, j’ai sauté du toit de l’immeuble pour m’accrocher de l’autre côté de la rue à la fenêtre de ma chambre, que j’ai ouverte. Après m’être débarrassé de mon costume de Gorille que j’ai posé sur mon lit, je me suis précipité dans le salon où j’ai trouvé Annabelle embrassant un garçon sur le canapé. Sûrement le fameux Thibaut dont elle me rebat les oreilles depuis quelques semaines.
J’ai hoché de la tête en signe de salut, et j’ai marché d’un pas rapide jusque dans la cuisinette, où Annabelle m’a rejoint très vite. Elle n’avait pas l’air spécialement de bon poil.
- Contente de voir que tu n’es pas mort, colocataire.
- Pas de cynisme, Annabelle, il est bien trop tôt pour ça.
- T’as disparu pendant une semaine ! C’est quoi cette histoire de mercenaires ?!
- Doucement, ton copain est à côté. C’est Thibaut, au fait ? Je le pensais plus grand.
- Laisse-le en dehors de tout ça. Alors ?
- Un type qui se fait appeler le Maréchal a apparemment fait enlever Fred. Ça a peut-être un rapport avec le fait que la presse a expliqué avec moult détails comment Fred s’était réveillé d’un coma d’un seul coup, truc normalement impossible. Je me suis renseigné, le Maréchal s’appelle François Leconte, il est riche comme Crésus et mouillé dans toutes les affaires louches possibles, même si personne n’a jamais réussi à rien prouver. Chantage, assassinat, corruption… Les médias évitent de parler de lui parce que ça signifie devoir s’expliquer devant lui si jamais le portrait dressé n’est pas à son goût. Il est virtuellement intouchable. J’arrive pas à croire que des types comme lui puissent encore exister aujourd’hui… Bref, je vais à sa tour perso pour lui arracher Fred des griffes et m’expliquer avec lui.
- Et qu’est-ce que tu fais là, alors ?
- J’avais faim.
- Ah. Tu devrais prendre une douche en passant, ça ne te ferait pas de mal.
- Tu… m’en veux toujours ? Pour l’autre jour ?
- Bien sûr. Tu m’a à moitié traitée de pétasse, j’oublie pas ça comme ça.
- Ce n’était…
- Tais-toi. Tu es mon meilleur ami, tu sais que je vais te pardonner, mais n’espère pas qu’on fasse la fête ensemble demain soir. Au fait, je te rappelle que Fred a été kidnappé.
J’ai hoché de la tête et je suis reparti dans ma chambre enfiler mon costume.
* * * * * * * * * * * *
Paris VII
Ciel
Vendredi, 22h30
Grâce à Fred et au Maréchal, je pourrai désormais me vanter avoir déjà pris l’hélicoptère une fois dans ma vie. Après, c’est sûr : agrippé sur le côté à la paroi extérieure grâce mes gants qui me permettent de m’accrocher n’importe où, c’est pas comme ça je m’imaginais le faire. Mais je ne pouvais pas demander à ces policiers de me faire monter à bord de leur hélicoptère…
Le souffle énorme des pales me poussait vers le vide et le bruit me rendait fou, mais heureusement l’engin se dirigeait vers la tour Leconte. Une fois au dessus de l’édifice qui comptait parmi les plus haut de la ville, j’ai relâché la pression de mes doigts et j’ai laissé le souffle me projeter vers le sol. La réception sur le gravier du toit me fit pousser un gémissement de douleur, puis un soupir de soulagement : j’y étais arrivé. Escalader l’immeuble se serait révélé impossible, les parois étaient de verre ou étaient extrêmement lisses, or mes gants avaient besoin d’un minimum d’aspérités pour s’y agripper, même infimes.
J’ai machinalement épousseté mon costume, ce qui réveilla la douleur de mon poignet brisé quelques heures plus tôt et me rappela que j’avais plus qu’intérêt à éviter l’affrontement direct pour quelques jours. Tout en contenant un râle de douleur, je me suis dirigé vers l’escalier de service dans l’intention de fouiller cet immeuble étage par étage…
- Aarh ! poussa mon prisonnier alors que je lui brisai un doigt.
Il s’agissait d’un membre du commando qui avait enlevé Fred, j’étais tombé sur lui en fouillant le dernier étage ; « tombé » au sens propre, accidentellement… je vous raconterai un jour. Et comme le hasard fait quand même bien les choses, il avait eu la stupide idée de se vanter d’être celui qui m’avait brisé le poignet. Depuis, on causait dans une petite pièce.
- Sous-sol 3… ton pote est au sous-sol 3… ils vont te retrouver… te crever…
J’allais répliquer, quand son talkie-walkie grésilla :
- Alpha 3, ici Alpha 1. On a eu la prime, on quitte le secteur. Réponds, Alpha 3.
J’ai décroché le talkie-walkie de la ceinture qui traînait par terre (elle était tombée quand j’avais installé mon nouvel ami de force sur sa chaise) et j’ai parlé :
- Alpha 1, c’est le Gorille qui te parle. Alpha 3 n’est malheureusement pas en état de te répondre, il va tomber dans les pommes d’ici quelques secondes… Je le comprends, avec sept doigts brisés j’aurais moi aussi un peu le vertige.
- Bouge pas, salopard. On arrive.- Je n’en attends pas moins. Je vous laisse.
Puis j’ai explosé l’engin contre le mur de la pièce, avant de la quitter et de me précipiter vers l’ascenseur dont j’ai ouvert les portes à la force de mon bras droit (mon poignet cassé m’empêchant d’utiliser l’autre). J’estimai le vide à mes pieds à trente étages environ, puis me laissai tomber dans le vide la tête la première.
Les étages défilaient à une vitesse folle et mon cœur battait plus vite encore si c’était possible. Le toit de l’ascenseur en dessous se rapprochait de plus en plus vite et j’allais attraper le câble de cet ascenseur pour stopper ma chute quand je réalisai que si l’ascenseur avait l’air de se rapprocher dangereusement vite, c’était parce qu’il était en marche et fonçai vers moi !
Non ! Ils étaient censés prendre le monte-charge pour rejoindre le dernier étage, pas l’ascenseur ! J’ai attrapé le câble, ce qui me permit grâce à mes gants ultra adhérents de m’y accrocher brutalement, la tête la première. J’ai sauté contre le mur près d’une porte d’ascenseur pour ne pas prendre le même chemin que l’ascenseur et revenir au dernier étage, et j’arrachai la porte pour me précipiter sur un sol ferme. L’ascenseur passa rapidement devant moi et continua sa course.
Ou comment se faire avoir comme un bleu. Okay, d’après ce que je pouvais lire à la lumière des veilleuses des bureaux, j’étais au cinquième étage. Après un rapide calcul mental je me suis à nouveau laissé tomber dans le vide…
Abominable.
Ce qui se présentait à moi à la lumière pâle des néons du troisième sous-sol était abominable. Inhumain. Le long couloir propre comme dans un hôpital donnait sur des pièces où les expériences scientifiques semblaient avoir repoussé l’idée de l’abomination. Des animaux, morts ou encore en vie, aux apparences parfois monstrueuses, enfermés dans des cages ou sur des tables d’autopsie… Des hommes, des femmes, morts, alignés nus les uns à côtés des autres sur des tables d’autopsie. J’aurais été incapable de dire de quoi ils étaient morts.
- Le vieux monsieur aime bien les pouvoirs, entendis-je derrière moi.
Surpris, je me suis retourné pour apercevoir derrière une vitre, donnant sur une sorte de petite chambre d’enfant, une petite fille en pyjama vert. Elle devait avoir six ans tout au plus.
- Il a demandé aux messieurs en blanc de donner des pouvoirs à des gens. Mais ça ne marche pas toujours, et des fois ces gens ils vont dans la salle là-bas. Je crois qu’ils sont morts.
- Bordel, qu’est-ce que tu fais là-dedans ?
- Tu n’as pas le temps de me libérer, va chercher ton ami là-bas, me dit-elle en pointant le doigt vers le bout du couloir. Laisse le garçon électrique dans sa prison, il est méchant. Il est dangereux.
Puis elle m’adressa un sourire triste et son corps devint rapidement transparent avant de disparaître complètement. Okay… c’était bizarre, et j’avais l’étrange sensation que dans chacun de ses mots résonnait la vérité la plus pure. Sans me poser plus de question, je me suis précipité au bout du couloir sans m’arrêter, même devant la cellule de Volt, pour me retrouver devant une porte que j’ouvris.
Sur une chaise d’observation, dans une vaste pièce blanche fortement éclairée, Fred dodelinait de la tête. Chacun de ses poignets était solidement sanglé à un accoudoir, de même que ses chevilles étaient liées. Il était perfusé, sûrement drogué, et n’était vêtu que d’un pyjama d’hôpital bleu et blanc.
Je me suis précipité vers lui et j’ai arraché ses sangles, lui ai retiré ses perfusions et je l’ai soulevé pour le mettre sur mon dos.
- Mat, Mat… arrête…
- On n’a pas le temps, lui murmurai-je. Si on reste ici, dans deux minutes on se fait prendre.
- Il est déjà là, Mat…
Et en me redressant, Fred sur mon dos, je vis à la porte le vieil homme en fauteuil roulant, poussé par un homme blond d’une trentaine d’année à la carrure imposante. Même si ce n’était pas l’image que je m’en faisais, le vieux devait être François Leconte, alias le Maréchal.
- Ne bougez plus, jeune homme, m’ordonna le Maréchal de sa voix fatiguée.
- Laissez-nous passer ou je vous promets que je…
- Que vous allez nous torturer comme cet homme, là-haut ? sourit-il. Oui, mes caméras sont partout, voyez-vous… La plaisanterie a assez duré.
- Mat… soufflait mon camarade sur mon dos.
- Tais-toi, crétin !
- Ça ne sera pas nécessaire, jeune homme… ce que votre ami essaie de vous dire c’est justement que cette histoire de nom de code est obsolète. Je sais qui vous êtes, monsieur Sylvestre.
Mon masque de Gorille masqua ma stupéfaction.
- Monsieur Matthieu Sylvestre.