Histoire : P'tit Lu
Date de parution : Juillet 2005
- Sortez d’ici… tout de suite… bredouilla le plus vieux des trois jeunes hommes, habillés de simples toges rouges à la romaine, présents dans la grande pièce tout en pierre.
Cet endroit semblait tout droit sorti d’une église, avec des dalles inégales de pierre, un très haut plafond, un autel de pierre derrière lequel s’étaient réfugiés les trois garçons, et plusieurs rangées de banc.
Le garçon de 16 ou 17 ans se tourna vers ses deux camarades qui n’en menaient pas large non plus, en fait ils étaient incapables de prononcer un seul mot. La créature qui venait d’arriver les effrayait trop, ils savaient de quoi elle était capable. Celle-ci – recouverte comme à son habitude d’un grand imperméable noir – fit un pas de plus vers les trois jeunes hommes en leur lançant un regard meurtrier et plein de malice. Ses yeux noirs et sa longue chevelure noire les intimidaient tout autant que sa façon de se déplacer, discrète et rapide. Il n’avait que l’apparence d’un homme.
Il se rapprocha de l’autel, et attrapa délicatement une serviette humide posée dessus, puis sortit sa faux de sous son grand habit. Il s’accroupit en signe de soumission et essuya le sang de son arme avec la serviette.
- Par deux fois le sang a coulé en votre nom, dit-il. Par deux fois encore il coulera.
- NON !
Mais celui qui n’avait que l’apparence d’un homme n’en tint pas compte.
- Je paie mon tribut, comme il se doit. Je reviendrai bientôt.
Il se redressa, tourna les talons et quitta la grande pièce en rangeant sa faux sous son imperméable. Les jambes flageolantes de l’un des hommes lâchèrent et il s’écroula sans aucune aide de ses camarades.
* * * * * * *
- C’est… dis-je en choisissant soigneusement chacun de mes mots. C’est une question assez bête à poser après autant de temps… non, ne dis-je rien : quatre ans, Cinq peut-être.
Je cherchais autour de moi une aide quelconque qui ne venait pas : les passants marchaient, s’occupant tous de leurs petites affaires tout comme les clients du café assis aux autres tables.
- Oui, bon, je me lance, quitte à passer pour un imbécile avec la question la plus banale du monde : comment ça va depuis tout ce temps ?
Emily sourit, son sourire était toujours aussi craquant, de même que ses longs cheveux châtains. Ses yeux verts me regardaient avec amusement.
- T’as pas changé, Mat’. En plus, ça fait deux ans que je n’ai pas eu de nouvelles de toi, pas cinq.
- Ça fait quand même beaucoup, soulignai-je.
- Certes. Et pour répondre à ta question, de mon côté ça va bien, même si…
Ses paroles furent couvertes par les hurlements de sirènes des trois voitures de polices qui passèrent tout près de nous.
- Qu’est-ce qui se passe ? marmonnai-je malgré moi en suivant du regard les véhicules.
- Les flics sont à cran, un tueur en série découpe des gens à la hache, ou quelque chose comme ça, me dit-elle. Le pire, c’est qu’il fait ça en public.
- A la hache… ? répétai-je pensivement.
- Non, à la faux. Ça y est, ça me revient maintenant : les journaux l’appellent « le tueur à la faux »
* * * * * * *
Il avait recommencé. Et devant tout le monde, il ne se cachait même pas ! J’ai proposé à Emily qu’on se revoit un autre jour avant de la quitter un peu précipitamment. Elle a trouvé ça bizarre mais n’a pas eu le temps de poser des questions, j’avais déjà disparu.
Je me balançais maintenant de bâtiment en bâtiment en costume de Gorille en direction de l’endroit où je trouverais à coup sûr des réponses : chez l’homme qui me détestait le plus.
* * * * * * *
- Inspecteur, lança un policier en entrant dans le bureau d’El-Hamar. Les résultats du labo concernant le tueur en série.
- Merci, acquiesça-t-il en attrapant que la feuille de papier que l’autre lui tendait.
Il y jeta un regarde, puis releva les yeux en s’apercevant que l’autre attendait debout que son supérieur lui dise ce que le labo avait trouvé.
- Vous n’êtes pas sensé faire tout votre possible pour assurer la sécurité de la population ? lui lança-t-il. Alors qu’est-ce que vous foutez encore là ? Sortez de ce bureau !
Confus, le jeune agent de police quitta le bureau de l’inspecteur précipitamment. El-Hamar ne comprenait rien aux résultats du labo, il allait les appeler et leur expliquer
Une voix s’éleva alors de derrière lui.
- Bravo, très classe. Non, vraiment, rien à redire.
Il sursauta et se retourna, prêt à se battre pour se protéger. Ce qu’il vit le plongea dans la colère la plus noire et il sortit son flingue du tiroir de son bureau pour le pointer vers le Gorille, assit plus haut sur le rebord de la lucarne installée dans le toit en pente. Il avait enfin l’occasion de le neutraliser !
- Vous auriez dû lui taper dessus pour lui faire comprendre plus vite les lois de la hiérarchie, ajouta le primate d’un air moqueur.
- Tais-toi ! cracha El-Hamar. Tu es en état d’arrestation ! Si tu refuses de te rendre…
- Je ne me rendrai pas.
- …je me verrai dans l’obligation de te tirer dessus. J’invoquerai la légitime défense.
- Vous ne tirerez pas.
- Et pourquoi pas ?
- Parce que j’ai sauvé la vie de vos filles.
El-Hamar eut l’impression de recevoir une claque et cligna des yeux : le primate marquait un point. L’incendie ne leur aurait laissé aucune chance. Il hésita encore quelques instants et posa son arme sur son bureau.
- On est quitte, maintenant, et je ne te ferai pas de cadeau la prochaine fois. Bon, pourquoi es-tu là ? Pour me narguer ? Entre le tueur à la faux qui découpe ses victimes, la femme qui tue des Arabes d’une balle en plein cœur et le mec qui se balade à poil dans le musée d’Orsay, j’ai pas vraiment de temps à te consacrer.
- Vous vous donnez beaucoup trop d’importance, inspecteur. Je viens pour le tueur à la faux. Je veux mener mon enquête parallèle et pour ça je dois connaître tous les détails de la votre.
- Je n’ai pas le droit de faire ça, mais voilà le portait robot du tueur – il sortit un croquis d’un dossier et le tendit à son ennemi. Il n’est pas fiché. Il tue ses victimes d’un seul coup de faux au niveau du bassin et tous les experts sont unanimes : la blessure nette qu’il provoque est impossible à produire avec une arme blanche, faux ou autre. Aucune arme n’est capable de couper avec cette netteté. Il a agi la nuit jusqu’ici et il n’y a aucun lien entre les deux victimes. C’est tout, pour l’instant on n’a rien de plus. On va diffuser ce portrait robot à la télé, ça devrait faire avancer les choses.
- Merci, dit le Gorille après avoir examiné le dessin.
- On va diffuser celui-là aussi, ajouta El-Hamar en lui tendant un autre portrait. C’est la femme qui tue des Arabes avec un flingue, préviens-nous si tu la vois.
Le portrait était celui d’une femme d’environ vingt-cinq ans, brune, les yeux marron. Elle ne lui disait rien. El-Hamar lui ordonna de déguerpir et le Gorille disparut. Il fallait vraiment condamner cette lucarne, pensa-t-il…
* * * * * * *
La scène du deuxième meurtre était envahie de flics, j’ai donc dû me rabattre sur celle du premier qui avait été nettoyée. Il risquait de ne plus y avoir d’indices, mais je n’avais pas trop le choix. Je m’y suis rendu en civil, pas la peine d’attirer l’attention. La pendule numérique d’une pharmacie proche indiquait « lundi 15 h 32 ». Merde, je venais de louper le cours de littérature grecque.
Je suis entré dans la ruelle maintenant vide : toutes les ordures avaient été enlevées et le sol avait été nettoyé par le service de nettoyage de la ville, mes chances de trouver une piste s’amenuisaient. J’ai fermé les yeux et j’ai visualisé l’endroit où le corps était étendu, puis la façon dont le corps était couché. Le SDF avait dû tomber en arrière quand l’autre l’a tranché. J’ai rouvert les yeux et me suis positionné là où le clochard devait se trouver quand il a été attaqué. Donc… le tueur devait se trouver dans un périmètre d’au maximum un mètre autour de lui… non, plus : la portée d’une faux est assez importante. Disons deux mètres. Je me suis accroupi pour chercher le moindre indice prouvant que le tueur était bien là, mais qu’attendre après le passage de la police et des nettoyeurs ? Et avant d’attaquer, où pouvait-il être placé ?
- Ils ignorent ce qu’ils ont déclenché, entendis-je.
Je me suis retourné précipitamment : un gamin avait réussi à me surprendre ! Si ça se savait, ma carrière de héros allait tourner court ! Il ne devait pas avoir dix ans, il avait des cheveux blonds et des yeux bleus. Sa posture était droite, les mains derrière le dos.
- Et vous n’avez aucune idée de ce qui vous attend.
- Eh ! Qu’est-ce que tu fais là, toi ?! Il y a eu un meurtre, ici.
- Il représente la plus grande menace qui ait jamais pesé sur cette ville, vos barreaux ne le retiendront pas. Seule sa mort peut vous délivrer de lui.
- Mais qu’est-ce que tu racontes ?!
- Je parle de la Faux, évidemment. Vous allez tous payer pour l’irresponsabilité du Temple.
Alors que j’allais lui attraper le bras, ses yeux virèrent au violet et son corps se dissipa comme s’il ne s’était agit que d’une illusion. J’en restais bouche bée : Matthieu, dans quoi avais-tu mis les pieds ?