Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Juillet 2006
Je m’appelle Mike Jones. Je suis flic. Enfin, détective privé. Flic, je l’étais avant. Avant les médias. Avant les scandales. Avant la honte et le suicide de ma femme. Avant que je ne rencontre Harry Truman, en fait.
Mais je vais trop vite, comme toujours. Je m’appelle John Jones. Je suis détective privé. Et j’ai voulu tuer Harry Truman.
Qui est Harry Truman ? Il est normal que vous vous posiez cette question, même si je me demande si vous n’êtes pas taré… Je me la suis aussi posée, il y a six ans. Avant que tout n’arrive. Avant que ma vie ne prenne le cours horrible et désespéré qu’elle a prit, désormais. Avant que je ne tombe dans la boisson et que ma fille refuse de me parler…
Mais je vais encore trop vite. Je n’ai pas l’habitude de parler, excusez-moi. Je suis plus renfermé, timide. Ma fille pense que je ne sais pas communiquer… elle pense que je ne veux pas communiquer. Elle se trompe lourdement. Je veux communiquer. Je veux me confier. Je ne sais juste pas comment faire.
J’étais donc policier. A New York. Dans le pire quartier de la ville. Le Bronx ? Non, évidemment non. A côté du quartier dont j’avais la charge, le Bronx ressemble à un jardin d’enfants. Non, je n’étais pas au Bronx. J’étais à Hell’s Kitchen. L’enfer sur terre, au sens propre comme au figuré.
J’étais donc policier. Oh, évidemment, pas un gradé. Un homme de la rue, en uniforme. Un vrai flic. Un de ceux qui mettent leurs vies en danger chaque jour pour le bien de leurs concitoyens. J’ai toujours été fier de mon rôle. Jusqu’à ce que je rencontre Harry Truman…
Harry Truman était un petit criminel notoire. Le genre de type qui commence à vendre vaguement de la drogue aux copains de son petit frère, à l’école. Et qui essaye, petit à petit, de monter les niveaux. Jusqu’à ce qu’il se fasse plomber par un flic, qui ne supportera pas cette mort et sombrera dans l’alcool. Comme moi. Sauf que je n’ai pas tué Harry Truman. C’est le plus grand regret de ma vie, d’ailleurs.
Harry était donc un « petit » de Hell’s Kitchen. Quand je me suis intéressé à son cas, il commençait à entrer dans une petite famille. Des Italiens. Ils tentaient de devenir une Mafia, étant donné que, contrairement aux clichés, ce n’étaient plus eux qui contrôlaient le crime à New York. Mais ils avaient du mal. Beaucoup de mal, même. Avec les Chinois et les autres, la concurrence était rude. Et Harry n’avait pas du tout le profil pour changer cela. C’est dingue comme parfois les choses n’arrivent pas comme on le pensait…
Malgré son nom peu italien, Harry avait plu. Peu à peu, son trafic de drogue s’était transformé en trafic de petites armes, puis de grandes. Il arrivait à fournir les familles moyennes de la ville en équipements de toutes sortes, par l’entremise d’une étrange association criminelle : le CLT. Comité de Libération de la Technologie. Des dingues qui pensent qu’il vaut mieux continuer dans la voie de la science, et abandonner l’humain au profit des machines. Des tarés, quoi.
A l’époque, on pensait qu’ils n’étaient pas plus dangereux que les quelques mafias locales. On se trompait. Lourdement.
Evidemment, maintenant, le CLT est connu. Ce n’est plus un simple groupuscule inconnu qui vivote dans l’ombre des puissants. Aujourd’hui, le CLT est une des organisations terroristes les plus dangereuses d’Amérique. Ils tuent, trafiquent et font souffrir chaque semaine des Américains.
Et le dernier attentat à l’avion à l’aéroport JFK de New York n’est que l’événement le plus connu de leurs exactions… et donc le moins important et violent, étant donné que la discrétion dans les grandes opérations est la règle dans ce milieu…
Mais revenons à nos moutons. Ou plutôt, à Harry Truman. Harry gravissait donc lentement, mais sûrement, les échelons de la famille Castiglione, la petite mafia de Hell’s Kitchen. Au bout d’un certain temps, il devint même conseiller principal du petit Don. Mais Harry ne voulait pas s’arrêter là : il voulait le pouvoir. Le pouvoir sur toute la ville. Et c’est à partir de ce moment-là que le NYCPD s’est intéressé à lui.
En fait, on essaye de contrôler la pègre dans New York. Ouais, on essaye. C’est pas facile de tenter de manipuler des tarés qui veulent vous-mêmes vous manipuler. Ça revient à être encore plus intelligent et salaud que les salauds intelligents employés par les boss. Et c’est jamais facile…
En clair, Harry Truman essayait de prendre le pouvoir dans New York. Mais vu qu’il n’était pas un con, il a vite comprit qu’il lui faudrait de la folie, des armes, et des amis assez cons pour l’aider dans ce qu’il voulait faire. Et malheureusement pour moi et ma famille, Truman avait tout cela…et en grande quantité…
Peu à peu, il prenait de l’influence dans les autres organisations criminelles de New York. C’est à ce moment-là que je me suis dis qu’il fallait que je l’arrête. Ou que j’essaye de lui mettre des bâtons dans les roues, de façon à ce que ma gamine puisse au moins échapper à des mafias unies…ce qui serait l’horreur, évidemment.
Donc on a commencé à enquêter sur lui. A l’ancienne : filatures, planques, interrogatoires discrets avec de l’argent à la clef. J’ai pris huit mois de ma vie pour faire ça…huit mois de mon existence pour arriver à détruire définitivement tout ce que j’avais accompli et pour quoi je m’étais battu. C’est…je…enfin, excusez-moi. C’est difficile de se rappeler tout ça. Surtout avec un révolver sur la tempe. Vous voulez pas l’enlever ?
CLICK.
Ok, ok, j’ai compris. Je continue, c’est ça ? D’accord…
La police de Hell’s Kitchen s’est donc penché sur son cas. Mais vu nos salaires et nos vies, on a pas été aussi discret qu’il le fallait. Et Truman l’avait vite capté, malheureusement. Il s’est informé sur nous. Il s’est informé sur qui le cherchait, qui tentait de l’arrêter et de mettre fin à ses projets de grandeur. Et mes collègues, dans leurs grands élans de corruption et de pourriture, n’ont livrés qu’un seul nom, alors que nous étions une douzaine à travailler là-dessus. Qui ? Moi, évidemment. Evidemment…
Truman a donc décidé de détruire ma vie. Mais pas de la façon classique. Oh non, ça aurait été trop simple pour ce taré qui aimait massacrer au couteau ses victimes. Ah, je vous ai pas dis ? Truman était aussi un psychopathe. Il aimait tuer. Il aimait voir le sang de ses victimes sur ses mains et sur la lame de son rasoir. Un véritable monstre. J’aurais aimé le plomber quand j’en ai eu l’occasion. Si seulement j’avais su…Mais passons, il n’est pas bon de remuer la merde du passé.
Donc oui, Harry a voulu m’arrêter. Mais avec « classe » et « style ». Enfin, selon lui, bien sûr. Il n’a donc pas voulu me tuer, me torturer, violer ma fille et ma femme ou les massacrer devant moi. Non. C’était trop classique et pas assez dans l’esprit de ce taré fondu de technologie. Car ouais, bien qu’il tue au rasoir, il adorait les gadgets et nouvelles armes. Je n’ai jamais compris ça. Encore un paradoxe dans la vie…dont je me fous assez, je l’avoue. D’autres choses sont plus importantes que les délires de son pire ennemi, non ? C’est ce que je pense, en tout cas…
Donc oui, Truman a voulu se venger. Et il l’a fait de la pire des façons : il m’a détruit. Moralement, psychiquement, psychologiquement et surtout…physiquement. Un soir, alors que je rentrais chez moi d’une journée difficile de boulot…Je me rappelle encore le parfum de la tarte aux pommes de ma femme Clarice. Le sourire d’Emily. Le bruit de la télévision et des informations. Les cris de la femme frigide et divorcée du dessous qui gueule contre la radio. Le bon temps, quoi…le temps perdu, malheureusement…
Je rentrais donc chez moi, lorsque Truman sortit de l’escalier pour me sauter dessus, et me bloquer au sol. Il avait dû attendre des heures pour faire cela…et avait tenu par la force de sa volonté. J’aurais été impressionné…si il n’avait pas alors commencé son horrible massacre. Car oui, ce fut un massacre.
Me gardant toujours au sol, Harry menaça ma femme et ma fille de son arme, et les ligota. Je crus alors qu’il allait les violer devant moi, pour me faire souffrir… erreur, grave erreur. Il ne voulait pas que je souffre de les voir souiller. Il voulait que je souffre de me voir rejeter et détester par celles que j’aimais…
Ce soir-là, Harry Truman m’a détruit.
Avec son monstrueux rasoir, il a transformé mon visage en œuvre de Picasso. Avec sa lame si horrible, dont je cauchemarde encore, il a découpé chaque zone de ma face pour la rendre monstrueuse, repoussante, dégoûtante. Avec ce qu’il a fait, je ne peux plus me regarder dans la glace, je ne peux plus me rappeler ce à quoi je ressemble sans avoir une effroyable et irrémédiable envie de vomir. C’est monstrueux, ce qu’il m’a fait. Mais ce qui est encore pire, ce sont les conséquences de cela…
Car oui, Harry a réussit ce qu’il voulait. Il voulait me détruire psychologiquement, et il y est parvenu. Après ça, ma femme et ma fille n’ont plus jamais pu être les mêmes. A cause de cela, ma femme s’est suicidée quelques mois après ma…transformation. Elle n’a plus pu supporter de voir mon visage balafré chaque matin. Et ma fille est partie auprès de sa tante…je ne sais même plus ce qu’elle est devenue…
Enfin bon, voila. Cela fait six ans désormais que je vis la nuit, cherchant des maris infidèles et des tarés dans les quartiers difficiles de New York. Mon visage n’a jamais cicatrisé. Je suis toujours aussi horrible, et j’en veux toujours à Harry Truman. Maintenant, et si vous me disiez qui vous êtes et ce que vous voulez, monsieur… ?
L’être aux côtés de Mike Jones se crispe alors. Son doigt ganté s’approche lentement de la gâchette, mais se retire. L’homme (mais en est-ce vraiment un, avec tout son corps protégé par un épais manteau et un chapeau immense ?) recule alors, avant de parler d’une voix froide et monotone…presque robotique, visant toujours Jones.
« Je veux savoir comment vous avez réussis à vous venger.
- Hein ? Mais…comment vous savez ça ?
- Je le sais. C’est tout. Répondez. Vite.
- Mais…je…euh…Oh, et puis si vous savez déjà…Oui, je me suis vengé de Harry Truman…Avec tout ce qu’il m’avait fait, c’était normal, non ? Je ne pouvais pas le détruire physiquement moi-même…alors j’ai fais en sorte que d’autres s’en occupent…
- Expliquez.
- Vous vous rappelez le CLT, les types à qui Truman achetait des armes pour les revendre ? Oui ? Bien. Je savais qu’ils n’aimaient pas être trahis, et qu’ils…avaient des manières très spéciales pour se venger. Après trois ans seul, après que ma femme se soit suicidée et que j’ai tout perdu…je n’ai pas hésité. En utilisant de vieilles informations, je leur ai fais croire que Truman les entubait violemment. Et ces crétins l’ont crus… »
Jones sourit alors, tandis que l’inconnu devant lui se crispait, et que son doigt s’approchait de la gâchette.
« Et après ?
- Après ? Oh, ben alors que Harry allait bientôt prendre le pouvoir dans tout le Sud de New York…il s’est fait avoir. Le CLT l’a enlevé, l’a torturé et l’a certainement tué. Je ne sais pas comment ils ont fais…et je voudrais bien savoir. En fait…j’aurais préféré le faire moi-même. En y repensant, ne pas voir le regard de ce salopard quand il mourrait…ça me manque, quand même…Mais, finalement, je vous ai tout dis, là. Pourquoi vouliez-vous savoir tout ça sur Truman ? Vous lui en vouliez, c’est ça ?
- Non. Pas vraiment. »
L’être enleva alors son immense chapeau, et Jones pu alors voir l’horrible vision qui se déroulait devant ses yeux : de forme humanoïde, cet être n’avait d’humain que de cela. Son…corps était entièrement composé de fils et de fer, et on aurait vraiment dit la création folle d’un esprit pervers qui aurait trop vu de films de robots. Le détective privé faillit tomber de son siège à cause de cela, malgré tout ce qu’il avait vécu…
« Mon…mon dieu…C’est…c’est horrible…
- Oui, grâce à toi, Jones. Tu m’as livré au CLT alors que je n’avais fais que me protéger. J’ai souffert, Jones. Ils ont détruits mon corps, avant de sortir mon cerveau pour le mettre dans…ça. Un corps artificiel. Un cyborg. C’est ce que je suis devenu, Jones. Je ne suis plus humain. Mais j’ai réussis à m’enfuir, après des heures de souffrance infinie. Je t’ai détruis, mais tu m’as détruis. Et je n’accepte pas ça. »
L’être devant Jones visa alors la tête du détective privé, et une balle puissante vola vers le crâne du défiguré. Le visage explosa alors en mille éclats de chair, de sang et d’os…dans un bruit d’horreur qui choquerait n’importe quelle personne présente. Mais personne n’était vraiment présent.
Seul un être, mi humain, mi monstre, était là et n’avait plus de sentiments. Il n’était plus un homme, il n’était pas une machine. Truman n’existait plus. Une autre chose était lâchée sur Hell’s Kitchen, et sa vengeance allait être terrible…