Urban Comics
  Legends #7 : Journal de Guerre (Giant Sized)
 
Auteur : Baragon
Date de parution : Décembre 2005

Arthur Elderwood

Cette fois, c'en est trop…
Mon fils puis ma femme…
Les "tueurs d'innocence" les ont emporté, il y a longtemps maintenant… six ans… à l'époque ce genre de crimes était des plus rares. Pensez-vous, les rapts et meurtres d'enfants n'étaient pas le lot quotidien des médias, tout juste une légende. Jusqu'au jour où vous êtes touché de plein fouet… ma femme ne s'en est jamais remise. Elle s'est donnée la mort quelques mois plus tard. J'ai alors sombré dans l'apathie la plus profonde. Je ne sortais plus que rarement, n'avais plus d'hygiène stricte (mes cheveux m'arrivent maintenant au bas du dos en épaisses mèches)… le seul refuge de cette longue période fut le sport, paradoxal quand mon fils a disparu sur un terrain de sport au bas de notre immeuble.
Il y a un mois que les choses ont changé, tant d'atrocités m'ont glissé dessus que je ne pensais plus pouvoir un jour réagir. Pourtant quand j'ai vu ce gamin se faire menacer par un petit truand dans la ruelle, quelque chose s'est brisé en moi. Peut être était ce la ressemblance avec mon petit Joshua…
Je me suis jeté sur le raquetteur et l'ai roué de coups, comme un réflexe, un exutoire de ces années de reproche. Il était à peine conscient quand je l'ai relâché. J'ai appelé la police et ils ont dû le retrouver dans ce même état quand ils sont arrivés.
Au début, ça m'a parut dingue qu'un acte aussi violent m'ai fait autant de bien. Pourtant petit à petit, l'idée a germé, traquer les "tueurs d'innocence" et en purger le monde. Projet grandiose et futile à la fois. J'ai repris du poil de la bête à une vitesse folle. Je me suis rasé et j'ai natté mes cheveux en souvenir de Marianne. J'ai été flic et les enquêtes marchent mieux sur le terrain sans les chaînes de la paperasse.
J'ai déjà remonté ma première piste. Ce monstre est surnommé "charpie" par les médias. Il choisit toujours des femmes seules et les torture des heures durant. Après leur avoir ôté les cordes vocales avec une précision quasi chirurgicale, il passe à l'action. Les corps sont retrouvés disséminés dans l'appartement. Le cœur est toujours dans la chambre, surmonté d'une rose fanée. Il a déjà tué au moins neuf fois. Mais sa route sanglante va s'arrêter dans peu de temps …
J'ai été un peu trop enthousiaste. Mes anciens collègues patinent et je ne ferais pas beaucoup mieux en gardant leur méthode. En six ans j'ai perdu mes indics, et pour constituer un réseau j'aurais besoin de temps dont je ne dispose pas. Je pourrais commencer par ce clochard aveugle. Je l'ai vu traîner un peu partout en ville à l'époque. Et il semble encore là, c'est léger mais ça reste un début. J'ai dû faire le tour des refuges deux fois avant de le trouver. Pas très causant, mais comme il connaît tous ses "collègues", il représente une sorte de réseau à lui seul. On a discuté de chose et d'autre au bar du coin. De tout sauf ce que j'aurais voulu. Il avait l'air satisfait et m'a donné rendez-vous après demain au bord des docks. Je n'ai même pas réussi à avoir son nom.
Il n'était pas là, je l'ai cherché un peu partout, dans les endroits les plus impromptus. C'est sous une jetée que j'ai trouvé un crochet de garage couvert de petit bout de chair. Dans le même sac il y avait un pendentif… à l'intérieur une photo de la dernière victime avec une enfant dans les bras.
Il se terrait dans les hangars d'une casse automobile. Cet enfoiré était immense, un véritable haltérophile. On ne croirait pas que quelqu'un ayant l'air aussi pataud ait une telle dextérité dans ses affreuses "besognes". Cela n'a pas été facile, mais malgré son cou de taureau, je l'ai étranglé avec un foulard de soie. C'est fou ce que la soie est résistante et "coupante" en tirant suffisamment. J'y aurais toutefois laissé quelques cotes. Il faudra que je travaille ma discrétion pour mieux les surprendre et éviter les coups. J'ai tout laissé sur place. Quand les flics sont arrivés, ils auraient eut tout pour l'inculper s'il avait été vivant. Un de moins… il en reste tant de ces assassins, violeurs et monstres, bourreau de femme et d'enfant…
*
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Le travail paye finalement. Je suis devenu plus silencieux que je ne m'en serai cru capable. Mon foulard est près pour le prochain. Voilà maintenant quatre semaines que l'affaire de "l'enlèvement Raynan" défraie la chronique. Une malheureuse histoire d'homonyme a jeté la fille d'un ouvrier dans les mains d'un ou plusieurs kidnappeurs. Evidemment il n'y a aucun lien de famille entre cet ouvrier et le riche industriel. Depuis l'échec de la demande de rançon, cela fait une semaine qu'il n'y a plus la moindre nouvelle de la petite. C'est Mauser, le vieux clochard aveugle, qui m'a mis sur la piste. Il n'est pas facile à trouver, ou alors il ne veut pas l'être. Mes collègues ne voulaient pas le croire à l'époque, le traitant de vieux fou. J'étais enclin à être de leur avis, mais vu la façon dont il m'a mit sur la piste il est plus fin qu'on ne le croirait. Il aurait entendu une enfant pleurer dans un immeuble désaffecté pendant plusieurs nuits d'affilé, puis plus rien à part des allé retours. Il semble que depuis la dernière fois il me fait confiance. Je m'y rends dès ce soir pour éviter de perdre du temps…
Quand je suis arrivé derrière le bâtiment, j'ai pu voir qu'une ancienne boucherie occupait le rez-de-chaussée. La porte donne dans l'arrière boutique, des chiens errants se disputaient des os entaillés dans l'arrière cour. A l'intérieur il y avait encore des ustensiles, couteaux et scies, sur l'établi. J'aurais cru qu'après la fermeture ils auraient tout emporté. Plus haut j'ai trouvé la chaufferie, une antique machinerie de taule et de cuivre, un chiffon dépassait de l'âtre encore tiède, il ne fait pourtant pas si froid. Aucune trace de la gamine dans tout le bâtiment, pourtant l'âtre est encore tiède…
J'ai aussi fouillé les deux immeubles mitoyens, des fois qu'il se soit trompé dans l'adresse. Tout aussi abandonné que le précédent. Les avis de destruction prochaine couvrent les halls. Encore un parking en puissance. Le premier est bien le seul à avoir servi récemment, le seul chauffé. Heureusement les vieilles chaufferies à combustible tendent à disparaître, le stockage posait trop de problème.
Un instant… il n'y avait pas de telles installations dans les deux autres bâtiments. Ils étaient reliés au réseau urbain. Ce n'est pas une chaufferie mais un incinérateur dépendant de la boucherie. Un incinérateur… alors peut être que… LE CHIFFON !
D'après les coutures c'est un fragment de robe. Le même modèle que les journaux ont décrit. Des taches brunes le recouvrent. L'établi est maculé de sang presque séché. Alors les chiens…
Les chiens ont eut un avant goût de ce qui attend le ou les coupables. Les pauvres bêtes ne savaient pas, mais je ne pouvais laisser passer ça. Il reste des affaires ici, il faudra bien que quelqu'un vienne les récupérer…
Il est revenu, visiblement seul. Je l'ai assommé dans les étages, à son réveil il avait un bayon et des entraves. Je lui ai brisé les rotules et les coudes avant d'en finir. Cette enflure n'a eu que ce qu'il méritait. J'ai même été trop indulgent envers ce déchet…
Il a avoué avoir tué et débité la petite pour s'en débarrasser, puis il l'a jeter aux chiens. Elle était vivante quand il a commencé ! Elle avait à peine sept ans… qu'a ressenti la petite durant ces jours d'horreur ? Je n'ose même pas l'imaginer…
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J'ai eu d'autres menues affaires ces derniers temps. Il n'y a pas que les grands cas qui méritent de l'attention. Une infinité de petit cas se rencontrent chaque jour. Des femmes isolées, persécutées, les jeunes perdus, les revendeurs d'horreur et autre "rêve en sachet". Et la police n'a pu étouffer l'affaire longtemps. Les médias se sont emparés du phénomène : "Héros ou menace", "Un garrot contre le crime"… les titres sont tapageurs mais je ne suis rien de tout ça…
Pour l'instant autre chose me préoccupe : ce "mister mirettes". Il tue dans des lieux publics, à des heures de faible fréquentation, et prélève les yeux de toutes ses victimes, 62 à l'heure actuelle. J'ai repris les bonnes vieilles méthodes en punaisant un plan. Pour l'instant il semble suivre un cercle… un œil peut être ? Ce serait assez ressemblant.
Voilà cinq nuits que j'écume la zone probable de son prochain crime, mais sans le moindre sucés. Je suis épuisé. Je pense que je vais rentrer, le temps de prendre un café au prochain bar.
Bon dieu… il est passé avant moi… l'homme qui sortait avant mon arrivé. Je me suis lancé sur ses traces beaucoup trop tard, les portes du métro se sont refermés sur lui alors que je n'étais qu'à quelques mètres. Encore 11 victimes… et cette fois j'aurais pu, j'aurais dû intervenir pour l'empêcher. Mais maintenant je connais son visage, je me doute des prochains lieux où il compte sévir… là je ne le raterais pas !
De nouveau une semaine de surveillance, ici il n'y a que trois endroits susceptibles de lui "convenir". Cette fois je le tien, il vient d'entrer dans une salle de cinéma. Une salle obscure… Je me suis mis un rang derrière lui, à cette heure nous sommes à peine une demi-douzaine dans la salle. Il a allumé une petite lampe de poche pour écrire quelques lignes dans un calepin. Quand il s'est baissé pour prendre son arme, il ne s'est jamais relevé.
Il était frêle, presque maladif, le regard anxieux derrière d'épaisses lunettes. Son calepin contenait ses pensées, "les yeux sont les miroirs de l'âme et de l'innocence. En les prélevants, je les préserve des horreurs du monde…". Voilà ce qu'il pensait…suis-je aussi fou que lui ?
Je suis sortie de la salle durant le film pour prévenir la police, ils trouveront toutes les preuves dans sa mallette… des tubes contenant des yeux et l'arme des crimes. Mais cette question m'obsède : suis-je à mettre au même niveau que lui ?

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Pour oublier mes doutes je me suis relancé dans le "travail". J'en ai appris un peu sur une nouvelle affaire en discutant avec Straton. Ce vieux flic est trop gentil pour ce métier. Et après quelques bières, il en dit toujours trop. Un mystérieux "expéditeur" envoie des femmes mortes à travers le monde. Le premier corps à été retrouvé par hasard, une caisse s'est brisé dans un aéroport et le corps mutilé s'est fait jour. Une fouille des caisses en transit après plusieurs étapes à permis de retrouver 3 femmes. Combien voyagent encore à travers le monde en ce moment ?
Pour régler de telles pérégrinations il faut pas mal de fonds, et des locaux pour préparer les caisses. En tout cas, il est d'une intelligence rare. Il brouille les piste avec tant de maestria que les postes sont incapables de retrouver le point de départ de ces "colis funèbres". J'ai décidé de faire le tour des hangars et entrepôt de la ville. Le problème réside dans la quantité. Une fois encore je vais devoir faire appel à Mauser… malgré son handicap il est "les yeux et les oreilles" de cette ville.
Encore deux semaines de recherche vaine. Mauser quant à lui est introuvable depuis que je lui ai parlé. Il me reste encore un quart de la ville à quadriller, les nuits seront longues…
Je n'ai rien trouvé… pourtant j'y ai passé un mois et demi… je n'ai plus de piste. J'ai écumé les registres de propriété aussi bien que les lieux en eux même sans le moindre succès. Mauser est toujours introuvable, j'espère ne pas l'avoir jeté dans la gueule du loup. Ma propre sécurité est mon affaire, mais je me refuse à ce que d'autres fassent les frais de ma "croisade".
Finalement ce vieux clochard est de retour. IL n'a rien voulu me dire de précis sauf de voir "du côté des meubles des beaux quartiers"… J'ai du mal à voir ce qu'il voulait dire.
Deux jours à me creuser et j'ai finalement pu crier EUREKA... les meubles des beaux quartiers : les gardes meubles bien sûr. Je n'avais pas exploité le filon dans mes investigations. Je vais reprendre les recherches dès ce soir. Cette fois si je ne trouve rien, soit il n'est pas dans la région, soit c'est le plus doué des fils de pute de cette saloperie de patelin.
Encore cinq nuits blanches au compteur. Incroyable le nombre d'adresses discrètes où louer un étage complet sans que l'on vous pose de questions dans ces quartiers. Il m'en reste trois avant de revenir au point de départ. Espérons que ce ne sera pas le cas.
On dit souvent que "la dernière sera la bonne", et ça n'a pas raté cette fois. Tout semble indiquer qu'il opère ici. Un espace de repos et des caisses d'expéditions qui côtoient des cartes et des itinéraires aériens ou maritime. Comme à mon habitude, je me suis garé à l'écart et j'ai pris un sac à dos avec quelques jours de provisions minimum en vue d'un affût, aujourd'hui cela va servir…
Encore deux jours… mais il a fini par arriver. La femme avec qui il est rentré, s'est avérée être morte avant leur arrivée. Ce malade s'est à demi grimé en femme avant de soliloquer et de préparer la caisse d'expédition. C'est le moment où je lui suis tombé dessus. Il est resté sonné pendant quelques instants. C'est là que j'ai constaté le triste état de la femme. Quand je me suis de nouveau intéressé à lui il était assis dans le fauteuil et m'invitait à m'installer dans le sofa. Je n'aurais jamais dû relâcher mon attention mais son flot ininterrompu de parole était apaisant. Je me suis installé et ai commencé à me confier… il avait un je ne sais quoi de rassurant, de réconfortant. Durant ce temps il s'est approché et a tenté de me défoncer le crâne avec un pied de biche. C'est par un coup de chance inouï que j'en ai réchapé. Alors je l'ai rapidement maîtrisé, il m'a fallu toute ma volonté pour ne pas me laisser aller de nouveau. Je l'ai forcé à avouer ces actes et ces méthodes. Ce psy, père de trois enfants et mari "comblé", cherchait ses victimes dans les pires quartiers et son ton enjôleur, fruit d'année de métier, endormait tout soupçon. Il les tuait dans son véhicule, sur un terrain vague puis les amenait ici en prétextant une quelconque ivresse. 25 victimes sont parties pour d'interminables transferts, sans compter la dernière, leur itinéraire est long et tourne en boucle autour du globe, tous les détails sont dans le bureau. Comme toujours les autorités trouveront tout à côté du corps du coupable, que ses malheureuses victimes trouvent une sépulture descente.
Cette affaire aura eu quelque chose de bon. Il ne le saura jamais mais il m'aura fourni une thérapie en voulant me contrôler. Son ultime travail de psy. Maintenant je suis conforté dans ma décision, cette longue attente m'aura démontré qu'il faut toujours garder espoir. Même quand il ne nous reste que la vengeance.
*
**
Ces temps ci j'essaye de m'atteler à de vieilles affaires récurantes. Les meurtriers se font rare… et c'est tant mieux !
Deux cas ont retenu mon attention :
- Tout d'abord "l'ogre", il sévit depuis une dizaine d'année… déjà à l'époque où j'étais encore en famille, l'époque où… toujours est-il que ce monstre enlève et tue un enfant chaque année dans d'atroce condition. Je me suis juré de mettre la main dessus…
- Ensuite il y a ce "capricorne", il tue tous les ans à la même période depuis trois ans. La période astrologique du capricorne, il exécute une femme par semaine. Je risque de devoir reporter mon attention sur celui ci en premier lieu : la période commence dans deux semaine.
Une chose est sûr, ce cinglé est méticuleux à l'extrême. Les corps sont baignés et peignés avant d'être déposé sur un parterre de fleur dans un parc. Il semble qu'il suive le même rituel chaque année, l'ordre des parcs a l'air de changer mais il n'y en a eu que deux différents. L'ordre de la première année a été répété l'an dernier. Avec un peu de chance, il en fera autant cette année. Ce qui me chagrine c'est que je risque de devoir attendre la première victime pour en être sûr.
J'ai raté quelque chose. J'ai eu beau passer la nuit dans le parc je ne l'ai pas trouvé. Le pire étant que la police a retrouvé le corps de la première victime de l'année au matin… Comment ai-je pu passer à côté de ce détraqué ?
J'ai passé la semaine à recouper les événements de cette nuit là. Toutes les présences, les conditions… même la lumière.
Mis à part quelques passants incapables de dissimuler un corps sur eux et l'agent d'entretien avec son chariot poubelle il n'y avait personne. J'ai bien pensé à lui mais les poubelles étaient si sales qu'il aurait été impossible de transporter un corps aussi irréprochable que celui retrouvé. Ce soir, je pars pour le prochain parc, j'y ai déjà fait des repérages et il n'y a que deux lieux propices a son rituel. Le problème est qu'ils sont aux deux extrémités du parc.
Choux blancs… encore une fois. Je suis bon pour analyser tous les éléments une fois de plus. Il faut impérativement que ce soit la bonne…
Malgré la semaine qui avance, je n'y arrive pas. Les éléments sont encore plus minces que la semaine dernière. Encore moins de passants, apeurés par le début des crimes que les médias se sont empressés d'annoncer, et un agent d'entretien, le même que la dernière fois…
LE MÊME ? Vu la distance entre les deux parcs il y a peu de chance que les affectations des équipes de nettoyage changent si radicalement en une semaine…
Je viens de me renseigner au service concerné de la mairie, aucun nettoyage de ces parcs n'était prévu les soirs où je l'ai croisé. Cette fois je suis sûr que c'est lui.
Fidèle au rendez-vous, il était là ce soir. Je l'ai discrètement suivi à l'exclusion de toute autre piste. Quand il s'est cru seul auprès du parterre de fleur il a sorti le corps d'un double fond sous le chariot. Celui ci était scellé pour éviter toute dégradation du corps par les immondices transportées. Il peignait une dernière fois sa victime quand je me suis approché, il lui parlait avec une infinie tendresse. A mon approche il s'est retourné pour me regarder droit dans les yeux. Il a vu le foulard entre mes mains et a dit qu'il m'attendait pour pouvoir expier ses péchés…
Même si l'exécution aussi sommaire d'une personne acceptant son sort m'a répugné, je ne lui ai pas refusé… ni la vengeance à ses victimes.
J'ai vérifié ses papiers avant de laisser un mot à la police. En passant à son domicile j'ai trouvé toutes les preuves. Il avait monté une sorte de chapelle ardente pour ses victimes. Chacune avait ses photos retraçant de l'enlèvement à l'installation dans les fleurs. Toutes sauf la dernière…
Son histoire d'expiation m'a fait me poser des questions. Autrefois nous ne croyons pas réellement en une religion, notre foyer croyait en une force supérieure sans besoin de culte…
Maintenant que je suis seul je songe à aller me confesser. Plus tard peut être…

*
**
Ces temps-ci, je passe pas mal de temps avec Straton. A force de me voir les traits tirés, il présume que je travaille trop. C'est la troisième fois qu'il insiste pour que je prenne une semaine de congé. Il ne sait pas que je n'ai aucun travail conventionnel. Ayant peu de besoins, ma pension de policier suffit amplement. Je n'ai pas le cœur de le décevoir, alors je prétexte que si je ne peux partir avec sa petite famille pour une semaine de pêche, c'est que mon employeur ne peut me laisser partir pour l'instant, que c'est une petite boite qui émerge et demande beaucoup de travail. Il ne perd pas espoir et je suis sûr qu'il ne tardera pas à tenter de nouveau sa chance.
Pendant ce temps, je continue mes recherches sur l'Ogre. Il n'y a aucune logique dans les dates où il intervient… elles sont complètement chaotiques et je suis incapable d'y mettre un cycle précis. En plus, l'idée de confession fait son chemin. Mauser même m'a dit que ça pourrait me soulager, me rendre les idées plus claires. Il m'a indiqué une paroisse qui venait de changer de prêtre, "une vieille connaissance" a-t-il dit.
J'ai tenté ma chance dans la semaine. On ne peut pas dire que ce soit un prêtre ordinaire, empoté et bedonnant comme on les imagine souvent. Lui serait plutôt du genre quarantaine énergique, de haute taille, avec des mains comme des battoirs, ses cheveux châtains coupés en brosse grisonnant aux tempes. Quand je me regarde avec ma natte jusqu'au bas du dos, je me dis qu'il n'est pas le plus étrange des amis du clochard.
Je suis entré dans le confessionnal et il n'a pas tardé à m'y rejoindre. Je ne savais trop par où commencer alors je me suis lancé dans le vif du sujet. Visiblement il lisait les journaux et avait suivi l'affaire. Je m'attendais à devoir filer en catastrophe, mais je n'en ai pas eu besoin. Il m'a donné l'absolution. Quand je suis sorti, il m'a donné l'accolade. Je dois avouer que je n'y ai rien compris. Il m'a alors invité à prendre un verre dans le presbytère pour parler.
Il a dit me comprendre, que lui-même… mais il n'en dit pas plus… avant quelques verres.
Le père Thony Cormadine était aumônier, non pas militaire mais d'une bande de mercenaires qui écumait les petits pays en guerre civile. Il était jeune et idéaliste, il pensait se mettre toujours du côté du juste ou de l'opprimé. En fait le chef de la troupe se mettait du côté de celui qui y mettait le prix. Un jour, au lieu de rester avec les civils sous la "protection" des mercenaires, il les suivit sur le champ de bataille. Là, il vit leur vrai visage. Pillant, violant et mutilant hommes, femmes, enfants, vieillards… nul ne restait en vie après leur passage. Son propre rôle dans cette machine de mort était de leur donner bonne conscience. Il se résolut à "solder leur ardoise envers le Seigneur". Ce soir là, quand ils viendraient chercher une absolution usurpée, une fournée d'hosties bien particulière les attendrait. Aucun ne sentit l'arsenic, aucun ne prit une vie de plus…
Plus grave encore qu'au sermon, il tenta par la suite de changer de sujet. Toute bonhomie l'avait quitté pour ce soir. "Chacun sa croix" finit-il par dire. Je suis reparti avec sa bénédiction et une recommandation : ne jamais oublier le contact humain, les petites choses de la vie… ne jamais laisser ma "croisade" me consumer entièrement.
Peut être dit-il vrai. A force de me consacrer à mon "travail" j'en oublie d'être humain. J'accepterai peut-être la prochaine invitation de Straton…
*
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Immanquablement, Straton a de nouveau insisté. Et n'en est pas revenu que j'accepte. Cette affaire "d'Ogre" me ronge trop. Un peu de repos me fera du bien. De plus, revenir avec les idées claires et un regard neuf ne peut me faire de mal, je pourrais même progresser…
Il y a des jours comme ça où on se sent poursuivi. La semaine commençait pourtant bien. La petite ville où Straton et sa famille vont à la pêche avait l'air calme et reposant que l'on est en droit d'attendre. Un seul magasin général et une boutique alternant chasse et pêche selon les saisons. C'est au premier journal que tout a dérapé. Un assassin de la pire espèce opère dans la région. Il traque visiblement les femmes dans leur dernier mois de grossesse, il les éventre et doit garder les enfants vu qu'aucun n'a été retrouvé. Ce genre d'horreur ne laisse aucune chance à la mère ou à l'enfant. 6 femmes enceintes sont déjà mortes, cela fait 6 de trop.
Il me faudra peut être rester plus d'une semaine ici. Je ne suis pas vraiment d'humeur à pêcher et Straton en semble affecté. J'ai prétexté un petit souci de santé pour qu'il ne culpabilise pas de mon malaise apparent. Il est difficile de réunir des informations de façon discrète dans ce type de petite communauté. Ce "Daddy" préoccupe mais les gens se méfient des étrangers. Le shérif en particulier voudrait éviter la mauvaise publicité dans les grandes villes que pourrait amener un journaliste de passage. La presse locale lui pourrit déjà suffisamment l'existence avec cette affaire sans que le tourisme ne baisse et remette en cause sa légitimité au poste…
Je n'avais rien trouvé de consistant avant le départ. Dimanche soir, Straton et moi faisions les dernières emplettes pour la route quand une possible solution me sauta au visage. Un homme d'âge mûr, la cinquantaine sûrement, venait de faire des achats pour une petite famille en bas âge. Rien d'inhabituel jusqu'à son départ et l'attitude du gérant et d'un habitué des lieux, comme en réaction à une bonne blague. C'est là que j'ai appris que ce "Franck" était veuf et que son rêve de fonder une famille pour la grandeur de son pays, avait été contrarié par la stérilité de sa femme. Depuis la mort de celle-ci, tout le monde s'est pris d'affection pour ce vieil original qui achète langes et biberons pour rien. La mort de sa femme est survenu deux mois avant les premiers meurtres. C'est peut être idiot mais je reviendrai demain pour en avoir le cœur net.
J'ai passé la soirée de dimanche avec Straton, pour la forme et pour le rassurer. Dès le lundi je suis retourné dans la petite ville. Je l'ai surveillé jusque la fin d'après midi, moment où il est sortit. De ce que j'ai pu apprendre de ses habitudes, s'il a pris son véhicule c'est qu'il en a pour une bonne paire d'heure. Je me suis introduit chez lui avec la plus extrême prudence, je ne savais pas non plus exactement pour combien de temps il en avait. Au début on pourrait dire que j'étais déçu, ou peut-être rassuré, par ce que je trouvais. Rien que de plus normal dans cette demeure. Un détail cependant me chagrinait : la cave semblait très réduite, à peine la place d'y stocker un établi et deux ou trois babioles… de plus, aucune trace des achats du dimanche, même dans les poubelles. Et pourtant il y en avait pour une semaine. J'ai retourné la et ai fini par trouver une porte dérobée derrière l'établi. Celle-ci ouvrait sur une pièce de très grande taille, le reste de la superficie de la maison au moins. Elle était décorée à outrance comme une chambre d'enfant en bas âge, une effroyable odeur flottait dans l'air. Cela semblait venir des sept berceaux au centre de la pièce… SEPT ! Il n'y a eu que six cas signalé. Je me suis précipité aux berceaux et reculais avec un haut-le-cœur. Six des berceaux étaient occupés par des nourrissons et fœtus momifié… par bonheur le dernier est vide. Par bonheur ? Espérons qu'il n'est pas parti "acquérir" son dernier "hériter". Chacun des atroces poupons possède nom, vêtements et jouets attitré. D'après des documents trouvés dans cette salle, il a déjà choisi la prochaine "mère porteuse". Dieu merci il reste encore deux bon mois à cette pauvre enfant, une fille mère. Toujours dans sa paperasse, il dit prendre ses renseignements auprès d'une infirmière de la clinique locale. Elle vient surveiller sa santé et papoter de temps à autre. Si elle savait à quoi ont mené ses bavardages…
Quand il est rentré, il est directement descendu à la cave. En me voyant, il a fondu en larmes, me suppliant de ne pas faire de mal à "ses petits". J'en ai plus fini avec lui par pitié que par véritable colère.
Le shérif a été prévenu et tentera sûrement d'étouffer mon intervention. Malheureusement on peut faire confiance aux médias pour dénicher l'affaire. Ces vacances n'auront pas été de tout repos mais j'aurais avancé par pallier malgré tout…
Etonnant la manie que ces détraqués ont de tout noter sur leurs activités, un peu comme… moi…
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Je ne parviens toujours pas à trouver la logique de son cycle. Et pourtant je m'en rapproche. Les corps n'ont jamais été retrouvés le jour même, le délai correspond à l'âge de la victime. Un jour pour un an. Malgré cette découverte et les modifications de calculs entraînés, je reste dans le flou. Il reste un battement allant jusqu'à deux semaines entre deux de ses crimes… où est la logique de cette affaire ?
Je suis passé voir le père Cormadine avec Mauser. En dépit de son infirmité, le vieux clochard partage la passion de l'astronomie avec le prêtre. Je les écoutais d'une oreille distraite quand ils m'ont donné une piste sans le savoir. Certains alignements d'astres ne se produisent pas de façon strictement régulière, on retrouve parfois des décalages de plusieurs jours… Cela pourrait me fournir la réponse au côté "aléatoire" des activités de ce monstre.
Après avoir contacté le cercle astronomique de la ville, j'ai avancé à pas de géant. Il y a bien une conjonction correspondant aux dates des crimes. Elle aura lieu dans une semaine et je ne suis que la troisième personne à m'y être intéressée ces huit derniers mois. Cela fait deux suspects, un professeur de l'université et un inconnu. Ce dernier s'est avéré travailler pour une magna de la mode et de l'industrie, l'enquête ne fut pas bien longue. Il me faut donc choisir entre Marc Alder et Janeka Pradinsk, les rares témoignages faisant état d'une personne de plus d'un mètre quatre-vingt aux épaules très carrées. Par élimination je vais surveiller Alder, il ne reste que trois jours…
Raté… bien qu'il soit plus dans le gabarit que la svelte Janeka il n'a rien fait le soir en question. S'il a un complice je vais lui coller aux basques encore quelques jours…
Mon Dieu… une enfant de neuf ans vient d'être découverte atrocement mutilée. Au vu du mode opératoire il ne fait aucun doute que c'est bien "l'Ogre". J'ai oppressé un innocent pendant deux semaine pour rien… ça ne peut être Miss Pradinsk, elle n'a pas le gabarit et de plus jamais une femme ne ferait de telle atrocité… non ?
J'ai tenté de trouver d'autres suspects. J'ai écumé les cercle d'astronomie privée dans toute la région sans plus de succès et il est hors de question que j'attende la prochaine conjonction, dans onze mois !
En désespoir de cause je me suis rabattu sur cette femme. Cela fait trois semaines que je la suis dans ses déplacements. Elle ne possède pas moins de six demeures dans la région, aussi bien en ville qu'a la campagne. C'est dans une de ses maisons de campagnes que j'ai trouvé mes premières preuves, durant une de ses absences. Son sous-sol contenait une sorte d'autel couvert de sang séché. Une étagère contenait des bocaux d'organes portant noms et dates de naissance et de "sacrifice" des victimes. J'ai failli tourner de l'œil. Dans une pièce attenante, je suis tombé sur une tenue étrange : des échasses courtes, un chapeau à large bord et un grand manteau renforcé d'épaulettes imposantes… d'où les descriptions des rares témoins. Elle se livrerait à une sorte de rituel de bonne fortune selon ses notes. Un problème de conscience se pose à moi. Avec mes vœux pourrais-je m'en prendre à une femme ? Même un tel monstre…
J'ai pris le temps de peser le pour et le contre. En l'éliminant, je deviendrais d'une certaine façon l'un de ceux que je me suis juré de pourchasser, mais une menace disparaîtra pour les innocents. Je n'ai pas le droit de la laisser impunie de ses crimes. Elle est bien protégée, de cette sûreté que procure l'argent. La tache sera ardue et quoi qu'il advienne, je ne reviendrai pas… je vais confier ce manuscrit à Mauser, c'est bien la dernière personne qui le lira.
Si je m'en sors, il me faudra moi aussi répondre de mes actes…
*
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Je suis le père Cormadine. Il me revient malheureusement de conclure cette histoire. Il y a quelques semaines notre "ami" a clôturé sa dernière affaire. Janeka Pradinsk était bel et bien l'Ogre, et c'est lors de l'une de ses soirées mondaines qu'elle a expié ses crimes…
Ensuite, Arthur c'est simplement rendu au commissariat le plus proche pour se rendre. Il a fourni toutes les preuves nécessaires à son arrestation, ce pauvre Straton n'en est toujours pas revenu…
Pendant le procès il a refusé toute défense et a plaidé coupable. Ce fut le procès le plus médiatique de la décennie, aucune chaîne ni aucun journal ne voulait rater ça. Certains clamaient que justice allait enfin être rendue, d'autre que l'on condamnait un héros… lui n'en avait cure…
Ce n'est pas sa condamnation à la peine de mort qui eut raison de lui, pas plus qu'un véritable suicide. Une semaine après son incarcération, il s'enfuit de sa cellule et étrangla cinq autre détenus avec sa natte… avant que l'un d'eux ne le poignarde avec une lame cachée sous un matelas. Une lettre qu'il avait envoyée à Straton indiquait qu'il comptait éliminer une dernière poignée de "tueurs d'innocence" avant de rejoindre Marianne et Joshua… son dernier plan… son dernier sacrifice…
C'est Mauser qui m'a amené ses textes. Pour que son souvenir persiste, pour que quelqu'un connaisse exactement les fait. Et surtout pour que son combat ne soit pas vain…
 
 
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