Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Juillet 2008
« Alors quoi de neuf aujourd’hui, Josh ?
- Que dalle.
- Quoi de prévu ?
- Que dalle.
- Je t’ai connu plus original. Et plus sympa’.
- Les choses changent. »
Michael soupira en regardant son ami se caler mieux sur sa chaise, un verre de martini dans la main. Ils étaient tranquillement assis sur la terrasse d’un café parisien, sous le soleil d’un chaud après-midi d’été. Ils étaient bien, encore jeunes et semblaient heureux mais il savait que son compagnon ne partageait pas son sentiment. Même si Joshua souriait et semblait apaisé derrière ses lunettes de soleil et ses cheveux hirsutes et mi-longs qui lui tombaient dans le cou, il sentait que ce n’était que du cinéma.
« Allez, Josh, tu peux me dire ce qui va pas…ça fait des semaines que t’ouvres plus la bouche…
- Je te parle quand même, vieux.
- Sois pas bête : on sait tous les deux que ça va plus depuis ce qui est arrivé à Claire. »
La tête de son ami se tourna lentement vers lui, faisant légèrement bouger sa chevelure sombre. Si il n’avait pas eu ses lunettes de soleil, Michael était sûr qu’il aurait pu voir un regard noir sur le visage de son ami. Heureusement, la protection solaire le protégeait de ça aussi…ça valait finalement le coup de dépenser cinquante euros là-dedans.
« Ne parle pas d’elle.
- Il faudra bien que ça vienne tôt ou tard…et vaut mieux tôt, crois-moi… »
Joshua ne répondit rien, avala d’une traite le fond de son verre. Il le reposa sans douceur et fixa les immeubles autour d’eux. Il n’avait aucune envie de parler de celle qui lui avait brisée le cœur, mais apparemment tous ses amis pensaient différemment. Ils voulaient tous qu’il se livre à eux, mais que pouvait-il bien leur dire ? Que ça faisait mal ? Qu’il était triste ? Qu’il aurait tout fait pour qu’elle lui revienne et qu’il lui pardonnerait sur le champ ce qu’elle avait fait ?
Il ne pouvait pas dire ça : il ne le pensait pas. Claire l’avait trahie, elle était partie et il était mieux sans elle. Seulement, ça, les gens ne pouvaient le comprendre : il vivait dans un monde où la dépression était la norme et la recherche du moindre sujet pour se sentir mal le sport le plus populaire du monde. Il était une des rares personnes de la planète à ne pas être malheureux et à ne pas vouloir l’être, quitte à passer à côté des pseudos paroles réconfortantes des autres. Tout ça le dégoûtait.
Il avait pensé que Michael, son vieux pote de bringues, ne l’ennuierait pas avec ça, mais il s’était trompé. Ça faisait dix ans qu’ils avaient faits connaissance sur les bancs du lycée et ils avaient fait les pires bêtises ensemble. Michael avait eu plus de copines que Joshua ne pouvait s’en rappeler, et il était passé maître dans l’art de la drague et des ruptures. Il avait songé que lui au moins aurait la décence de ne pas essayer de l’aider avec ses gros sabots, mais il était encore une fois déçu.
« J’y vais.
- Quoi ? »
Michael ôta sa main de son crâne nu qu’il était en train de masser et lança un regard plein de surprise vers son ami. Ils venaient à peine de s’asseoir et de commencer à parler : même si il n’avait jamais été doué pour les sentiments et pour aider autrui, il avait songé que ça ferait plaisir à son vieux copain de discuter de ce qui n’allait pas. Il savait qu’il vivait une période difficile, mieux valait tout lâcher au lieu de garder pour soi.
« Ouais, j’y vais. C’est pas contre toi, Michael, mais c’est juste que je ne veux pas discuter de Claire. C’est fini, ça fait encore un peu mal mais ça passera. Je veux juste me changer les idées.
- Euh…je…d’accord. Mais si tu veux, on peut…
- Arrête : je sais que tu vas me proposer un plan foireux mais que tu ne seras pas à l’aise toute la soirée car tu te dis que je veux fuir mes problèmes et que ça n’est pas bien. C’était cool de te revoir, faudra qu’on refasse ça. »
Laissant Michael sans voix et déposant quelques euros pour payer son martini, Joshua se leva souplement et se dirigea vers le métro, sa veste marron sur les épaules. Il savait que son ami ne prendrait pas bien ce qu’il venait de faire, mais il n’avait pu agir autrement : il était fatigué de devoir s’expliquer, d’entendre la pitié des gens autour de lui. Tout ce qu’il voulait, c’était penser à autre chose et il savait exactement quoi faire pour ça. Même si il s’était promis de ne pas y retourner après le départ de Claire, ses pieds le menaient directement chez lui, ou plutôt à l’endroit qu’il avait habité pendant des années.
Au bout d’une demi-heure, il parvint finalement à un entrepôt dans un des anciens quartiers industriels de la grande cité. Joshua ne connaissait rien à Paris, il n’avait même jamais su quel était le nom du quartier où il se trouvait et où il avait habité : Claire s’était longtemps occupée de ça, et il ne faisait que recopier ce qu’elle avait fait auparavant depuis son départ. Il n’était pas vraiment du genre à s’inquiéter pour des détails comme ça et il s’en fichait, à vrai dire : ça n’était pas important de connaître Paris du moment qu’il savait quelles stations de métro lui étaient nécessaires pour aller chez lui et chercher ce dont il avait besoin. De plus, refusant toute visite chez lui, ça réglait le problème des indications aux amis.
Calmement, il marcha jusqu’à cet entrepôt qu’il avait observé tant d’années et sourit légèrement : il était heureux de revenir. Même si ça faisait toujours mal de penser que Claire n’était plus là et que c’était le temps passé par ici qui l’avait fait partir, il savait qu’il avait eu raison. Il n’était pas un homme de sentiment, au fond, plus un homme de science et d’aventure, et il était conscient que son existence serait solitaire. Les moments avec Claire avaient été bons et beaux, mais ils étaient passés…ses travaux, eux, étaient toujours là. Ils ne l’abandonneraient jamais.
Il se dirigea alors non pas vers l’entrée de l’entrepôt mais plutôt une cabine téléphonique qui se trouvait juste en face. Le quartier était pauvre et quasiment abandonné : quelques entreprises vivotaient encore, mais la désindustrialisation et la tertiarisation des activités avaient poussés bien des sociétés à délocaliser leurs complexes sous d’autres cieux, laissant là des dizaines de bâtiments inoccupés. La zone était comme une ville fantôme avec encore quelques spectres espérant revoir venir les beaux jours : c’était très triste de voir ces gens se tuer au travail pour ce fol espoir, mais personne n’y pouvait rien. Joshua croisait les doigts pour eux, mais il savait au fond comment ça se finirait.
Il entra tranquillement dans la cabine téléphonique, ferma la porte derrière lui avec habitude puis décrocha le combiné. Il soupira lourdement en se rappelant qu’il s’était juré de ne plus jamais faire ça après le départ de Claire, mais ça n’avait été que folie due à sa souffrance : il était sûr maintenant que ses travaux comptaient plus qu’elle, malheureusement. Elle l’avait quittée mais ça ne devait l’empêcher de continuer…ça aurait été stupide de s’arrêter alors qu’il n’avait plus aucun centre d’intérêt.
Joshua composa le numéro qu’il connaissait par cœur et sourit en entendant le déclic qu’il connaissait si bien. Les hologrammes apparurent sur chaque pan de la cabine téléphonique, où les éventuelles personnes à l’extérieur pouvaient voir le même homme parler, parler et encore parler au téléphone, avant que l’image ne disparaisse au bout de trois heures, le délai ayant sûrement énervé chaque personne observant la cabine ou attendant pour téléphoner. Il avait mis ce petit système en place pour cacher ce qu’il se passait vraiment à l’intérieur : juste en dessous de l’appareil apparaissait une petite trappe découvrant une échelle, coincée dans les ténèbres.
Il sourit en se rendant compte que tout fonctionnait encore, et il se mit calmement à descendre, tandis que la trappe se refermait doucement. Les lumières s’allumèrent dès qu’il passa le pied près du détecteur qu’il avait installé, et en deux minutes il parvint au bout de sa descente, dans son complexe, son antre, sa « Josh-cave », sa « grotte de la solitude » comme il l’avait appelé dans une conversation avec lui-même après avoir relu quelques comics. Ça faisait très geek, mais il s’en fichait : ça le faisait bien marrer.
En fait, il s’agissait d’un sous-sol aménagé par le propriétaire de l’entrepôt : relié à une porte dans le grand bâtiment menant à un grand couloir qui débouchait ici, cette grande salle avait été creusée dans le sol et possédait plusieurs petites plateformes. Il y en avait trois, en tout, et Joshua les utilisait toutes, en plus de l’espace le plus grand qui se trouvait en dessous de celles-ci.
Il avait acheté tout ça avec l’argent de ses prix aux jeux télévisés : petit génie qui avait eu son bac à treize ans et qui avait par la suite suivi quelques études tout en menant une carrière éclair à la télé, il s’était fait une solide réputation treize ans plus tôt avant de rapidement disparaître de la circulation. Il avait empoché beaucoup d’argent et l’avait fait fructifier en bourse et dans l’immobilier, se bâtissant ainsi une jolie fortune qu’il dilapida pour prendre possession de l’entrepôt et faire installer ce qu’il voulait ici. Ses parents étaient devenus fous quand ils avaient vus qu’à ses dix-huit ans il avait tout retiré de la banque, mais il s’en fichait : Joshua n’avait jamais su se faire comprendre d’eux, et il ne leur avait plus parlé depuis. Ils n’étaient pas méchants, ils ne pouvaient juste pas le comprendre et n’avaient fait que le brimer en refusant de lui faire sauter des classes à une époque ou des cadeaux plus utiles que des jouets.
Depuis, il avait créé cet endroit et s’y sentait bien. La première plateforme menait à la cabine téléphonique, et il pouvait passer à la seconde par un petit pont en fer ou bien descendre par une autre échelle. Cette deuxième plateforme contenait son lit, la cuisine, le frigo, la télévision et la salle de bains : ce n’était pas intime et très spartiate, mais ça lui convenait. Il n’avait pas besoin d’un luxe extraordinaire, il lui suffisait du minimum pour survivre.
Cette deuxième plateforme menait elle aussi à la troisième avec le même genre de petit pont, et ce dernier palier avant le sol contenait en fait son débarras, tout le matériel dont il ne se servait plus ou qui avait été rendu inutile par ses expériences.
Enfin, il y avait le gros de la salle, le sol en lui-même, où se trouvaient son énorme ordinateur et toutes ses expériences. Des fils étaient disposés partout sur le sol, des choses étranges vibraient et faisaient de la lumière dans divers endroits, un monstrueux ordinateur fixait celui qui arrivait et des petites unités étaient placées un peu partout dans la pièce : il y en avait pour des milliers d’euros ici, voir plus.
Joshua était un génie, un vrai génie qui pouvait rivaliser avec les meilleurs scientifiques de la planète, et il s’était concentré ces dernières années sur les terres parallèles et leur rapport avec le Temps. Il avait découvert depuis ses dix-sept ans que la théorie d’Einstein sur la relativité permettait de se rendre compte que le monde tel qu’on le connaissait n’était qu’une infime partie de l’univers, contenant lui-même des milliards d’autres réalités alternatives. Il avait été de suite fasciné par cela et s’était mis dans la tête de prouver sa théorie et de voyager entre les dimensions. Et il y était parvenu.
En fait, Joshua ne venait pas vraiment de ce monde : ce n’était pas lui qui avait acheté cet endroit et qui l’avait décoré. Il avait fait de même sur sa propre planète, mais il avait rencontré le Joshua d’ici deux ans plus tôt, quand il avait réussi à s’extirper de l’enfin qu’était devenue sa réalité. Sa Terre avait été gangrénée par des problèmes écologiques beaucoup plus rapides et destructeurs qu’ici, et surtout les solutions apportées par des surhumains sortis de l’inconnu avaient été pires que tout : l’hiver nucléaire était arrivé après une folie nord-coréenne et américaine, et depuis les gens mourraient à petit feu, rongés par le cancer.
Lui avait réussi à s’enfermer dans sa petite grotte mais savait qu’il n’y survivrait pas longtemps : les pillards s’étaient fait de plus en plus nombreux et il n’avait plus eu beaucoup de réserves de nourriture. Il avait donc sauté dans l’inconnu en traversant son vortex verdâtre qu’il avait réussi à créer en drainant toute l’énergie de la région et s’était retrouvé ici, en face de son « frère jumeau » plus surpris encore que lui.
Ils avaient passés plusieurs semaines à discuter, à échanger, à formuler des théories et à se raconter leurs vies. Globalement, les Joshua avaient vécus les mêmes expériences sauf que l’expatrié avait passé sa vie sur une planète déjà condamnée. Celle où il se trouvait maintenant était plus saine mais vu les dérives des gouvernants, ceci ne durerait plus très longtemps. Ils avaient ambitionnés ensemble de transformer le monde en lui donnant les moyens de survivre et en faisant publiques leurs découvertes, et ces moments passés avec lui-même avaient été merveilleux. Pour une des premières fois de sa vie, Joshua avait été heureux et complet, parlant avec quelqu’un de son niveau qui le comprenait parfaitement. Ils avaient commencés de grandes choses ensemble, mais malheureusement tout s’arrêta le jour où le Joshua de ce monde voulut lui aussi faire un grand saut.
Malgré ses critiques appuyées, malgré ses avis sur le fait qu’il ne trouverait peut-être pas un autre Joshua aussi avancé qu’eux et malgré ses tentatives pour l’arrêter, l’expatrié ne parvint pas à lui faire changer d’avis : il avait l’impression que le Joshua local était jaloux de n’avoir pu tenter la même expérience que lui, et qu’il ne comprenait pas le danger qui accompagnait de telles tentatives. L’expatrié avait pu drainer toute l’énergie d’une région entière, se fichant de ceux qui en avaient besoin car ils étaient déjà presque morts à cause des ravages atomiques : le local ne pouvait avoir accès à de telles ressources sur sa planète encore sauve.
Il avait tenté de palier cela par l’obtention de toute l’électricité de Paris, mais ça ne pouvait suffire : il s’était arrêté à un certain minimum pour que les hôpitaux ne soient pas démunis et qu’on ne puisse pas remonter sa trace, mais malheureusement ça avait été trop peu. L’expatrié s’était jeté sur lui pour l’arrêter mais le local l’avait frappé et avait crié de joie en pénétrant dans le vortex. Malheureusement, celui-ci s’était refermé deux secondes après, empêchant toute arrivée réelle dans un autre monde : son « frère jumeau » avait été rayé de l’existence entre deux pans de l’univers, et il avait été incapable de le sauver.
Joshua était resté deux jours entiers à fixer le cercle entourant normalement le vortex quand celui-ci apparaissait, cercle relié à l’ordinateur central qui était si gros qu’il prenait tout le mur de la grotte. Il était triste, déçu et vidé : tous les projets qu’ils avaient montés ensemble, toutes les idées folles qu’ils avaient eues avaient disparus quand son « frère » avait décidé de tenter lui-même le saut. Il avait été bête et stupide, mais il pouvait le combattre : il savait qu’il aurait fait la même chose à sa place, et il aurait dû le voir venir.
Comment un scientifique comme lui n’aurait pas été jaloux de quelqu’un qui avait fait une telle expérience ? Comment avait-il pu tenir si longtemps avant de craquer ?
Joshua avait été triste mais avait su qu’il fallait continuer : si ça n’était pas lui, au moins devait-il prolonger la voie de son « frère » dans ce monde, lui rendre honneur en prenant sa place. Il s’était donc lancé et avait prit l’existence de celui qui l’avait impressionné, et il était depuis devenu le Joshua Ambrose de ce monde. Rien n’avait été différent de sa propre réalité, sauf qu’il avait dû s’occuper de Claire, la véritable petite-amie du Joshua local : il avait été surpris de voir que lui était parvenu à la rendre amoureuse que lui, alors que lui l’expatrié avait entièrement loupé leur premier rendez-vous, ayant choisi une ballade romantique qui finit en douche froide – au propre comme au figuré.
Seulement, dans ce monde, la météo n’était pas autant détraquée que dans le sien depuis ravagé, et il s’était rendu compte qu’ici, la ballade avait été superbe et tout s’était bien passé. Joshua avait alors eu l’occasion de poursuivre ses recherches et d’avoir l’amour, et il avait passé des moments merveilleux avec Claire. Malheureusement, il n’avait pas été à la hauteur et tout était terminé. Il n’avait pu s’empêcher de se dire qu’il violait la mémoire de son « frère ».
Depuis le départ de Claire, Joshua n’arrêtait pas de penser au fait qu’elle avait été extrêmement heureuse avec le local mais qu’elle avait été si mal avec lui qu’elle l’avait quittée. Il ne pouvait s’empêcher de voir qu’il n’avait pas été assez attentionné, assez gentil avec elle et que son « frère » avait été un bien meilleur homme que lui. Quand il s’en était rendu compte lorsque Claire l’avait quittée, il avait juré d’arrêter ses expériences et de vivre une existence exemplaire, loin de toute cette folie qui l’avait conduit à perdre ce qui avait compté le plus pour le Joshua local. Seulement, il s’était trompé.
Le local avait eu les mêmes sentiments que les siens : ses recherches étaient toujours passées avant Claire. Celle-ci ne l’avait jamais acceptée mais elle avait songée que ça s’arrangerait avec le temps, et malheureusement sa limite avait été atteinte avec lui. Il avait passé des nuits entières sans dormir à se dire qu’il était responsable d’une horreur de plus, lui qui se sentait déjà coupable d’avoir abandonné un monde détruit et d’avoir précipité la mort d’autres personnes innocentes mais déjà perdues, avant de se rendre compte que ça ne servait à rien.
Le Joshua local était mort en voulant pousser la science à son maximum, comme lui : la seule façon de lui rendre honneur et de faire amende honorable n’était pas de bien se comporter en société et d’abandonner ses travaux, mais plutôt de les perfectionner et de rendre le monde meilleur. Même si c’était difficile, il se devait de sortir de là pour arranger les choses et travailler dessus. C’était exactement ce qu’il avait fait, seul dans sa chambre d’hôtel sur des papiers qu’il avait tous dans sa veste.
Et maintenant, il se trouvait là, dans son antre, avec ces calculs enfin aboutis, fruits d’insomnies et de fatigue intense ces derniers jours, mais il y était parvenu. Il avait compris comment faire pour avoir plus d’énergie et permettre de revenir lors d’un voyage, point qu’ils avaient abordés sans jamais réussir à y trouver une solution. Joshua n’y avait jamais pensé quand il avait construit sa propre machine car il n’avait jamais eu aucune envie de revenir chez lui : il avait su que c’était une pensée terriblement égoïste de fuir seul et il s’en voulait encore, mais il n’avait plus rien qui le retenait chez lui. Ses parents étaient morts ou devaient être condamnés, et toute la planète elle-même était gangrénée par un cancer atomique. Son monde était mort ou en instance de l’être, et il l’avait fui comme la peste.
Néanmoins, celui sur lequel il se trouvait actuellement était différent et le Joshua local n’avait jamais eu, avant sa pulsion destructrice, l’envie de partir sans revenir : ils avaient donc songés à des possibilités, mais jamais cela n’avait donné grand-chose. Jusqu’à aujourd’hui.
Lui avait trouvé la solution, lui avait su quoi faire ; lors d’une nuit sans lune, il avait fini une bouteille de martini à lui tout seul et la réponse s’était imposée à lui : il fallait laisser un signal de ce côté du vortex, lié à un mécanisme qu’il tiendrait de l’autre côté. Ce signal devrait être dormant, simple et basique, mais quand il le déciderait, il faudrait que ce signal devienne actif et fasse fonctionner le vortex de ce côté : ainsi, il pourrait repartir comme il le voudrait.
Evidemment, il y avait là des inconnues : est-ce qu’il pourrait passer dans le vortex alors qu’il s’ouvrait dans ce monde ? Est-ce que le signal ne disparaîtrait pas dès qu’il serait autre part ? Est-ce qu’il ne serait pas arrêté par le contexte du monde où il arriverait ?
Toutes ces questions étaient bien trop importantes pour être laissées de côté, et Joshua n’était pas un homme à faire les choses à la légère. Il savait que personne ne trouverait ses découvertes et celle de son « frère jumeau » si il mourrait, car aucun être humain ne semblait capable de percer leurs défenses : ils avaient créés des interfaces infernales et des pièges tordus pour quiconque tenterait de venir ici. Ils avaient été sûrement paranoïaques, mais ça avait été une des premières choses qu’ils avaient accomplis à deux, sachant très bien que le gouvernement, même français, prendrait un malin plaisir à étudier l’expatrié, un homme venu d’un autre monde. Après tout, les Etats-Unis encadraient bien ceux qui se disaient surhumains par des lois bientôt tyranniques et la France elle-même semblait s’y mettre…l’âge du merveilleux semblait disparaître pour quelque chose de plus sombre, et Joshua était décidé à empêcher cela en rendant publiques ses découvertes pour montrer au monde la beauté de l’univers.
Au fond, il avait encore une âme d’enfant et était naïf : c’était pour ça que la cabine téléphonique était son entrée principale, c’était pour ça que lui et le local s’étaient amusés à trouver des surnoms à la grotte. Néanmoins, il devait maintenant être sérieux et deux semaines entières de tests débuta alors : il construisit le signal, le relia à l’ordinateur et envoya une sonde dans un autre monde, avec un minuteur pour enclencher le signal à un moment donné.
Presque par miracle, tout se passa bien : la sonde parvint à bon port, elle attendit deux heures puis activa le signal et revint tranquillement. Tout était parfait et il aurait pu directement se lancer dans l’aventure, mais il préféra faire encore deux tentatives, elles aussi concluantes, pour envisager cela.
En fait, Joshua était devenu prudent depuis la disparition de son « frère » local : celui-ci avait fait preuve de stupidité en se lançant ainsi, et il savait qu’il en était lui aussi capable. Il se concentrait donc au maximum pour éviter cela et passait beaucoup de temps à vérifier ses calculs et ses créations pour être sûr que tout irait bien : il n’avait aucune envie de parvenir au même résultat que son « frère ».
Finalement, après tout ce temps passé reclus ici à manger le minimum et à dormir encore moins, Joshua était prêt. Il avait mit l’émetteur du signal dans une bague, celle que le local avait donné à Claire pour l’anniversaire de leurs deux ans : elle le lui avait envoyée en pleine face le soir de son départ, mais il l’avait gardée précieusement. Cela représentait ses erreurs, sa culpabilité et sa honte, mais aussi sa motivation pour continuer et suivre la voie de son prédécesseur. Il savait que celui-ci aimait la jeune femme mais qu’il aurait été fier de lui en le voyant continuer leurs efforts communs.
Il n’avait qu’à appuyer sur le petit diamant de la bague, qui n’en était plus vraiment un depuis qu’il avait miniaturisé les circuits pour les placer dedans, pour que ça fonctionne. En plus d’être génial, Joshua avait aussi un don pour simplifier les choses et ça l’avait encore aidé. Il avait passé quatre jours entiers à faire cela, mais ça en avait valu la peine : cette bague était un symbole et il avait besoin de ça.
Lentement, Joshua soupira et se regarda dans le miroir : habillé simplement d’un jeans et d’un t-shirt bleu, rasé de près, portant un sac avec vivres, vêtements de rechange, trousse de secours, un couteau, une arme à feu et un kit de survie, il était prêt. Il savait qu’il risquait gros en tentant à nouveau ce saut dans l’inconnu, mais il était sûr que ça en valait la peine : sa vie avait été façonnée par cette quête, et il se devait au local de poursuivre leur but commun et d’y parvenir. Le monde avait besoin d’eux, de leurs découvertes pour qu’il comprenne dans quelle mauvaise voie il allait. Et lui-même devait se faire pardonner ses fautes.
Il sourit et activa le vortex : l’énorme cercle verdâtre prit place dans son pendant mécanique et Joshua n’hésita pas avant d’entrer là-dedans. Il sauta dans ce vortex tandis que toute l’énergie était drainée de Paris toute entière, mais aussi de Lyon, Strasbourg, Marseille et une dizaine d’autres villes. Joshua n’avait pas hésité à voler toute l’électricité d’EDF de ces villes mais à des degrés moins violents que lors de sa précédente tentative : plusieurs quartiers en seraient privés, mais pas tous. Comme son « frère », il avait eu peur de tuer des gens ou d’être trop brutal, mais il avait eu l’intelligence de prendre cette puissance à plusieurs villes, pas une seule : ainsi, il y en aurait assez et tout devrait bien fonctionner.