Auteur : Lex
Date de parution : Septembre 2007
Note : La lecture de cet épisode n’est en rien nécessaire à la compréhension de l’intrigue de la série s’y rattachant (Urban Teen Titans). Considérez-le comme un supplément se rapportant à la liaison Robin / Starfire.
Bayview, 2004.
Le poing du latino percuta la mâchoire de Dick qui resta groggy pendant quelques secondes. Il avait mal. Le goût amer du sang dans sa bouche lui signifiait qu’il devait avoir une ou deux dents en moins, et ça ne faisait que commencer. Bon sang, la poisse le poursuivait, on dirait. Son oncle, qui lui faisait office de tuteur lorsqu’il était sobre, l’avait encore une fois mis dans un beau pétrin. Sauf que cette fois-ci, il n’avait aucune certitude de s’en sortir et Miguel Bayo insistait beaucoup sur ce point. Lui et sa bande étaient venu le retrouver à la sortie du lycée et l’avait sommer de le suivre dans une ruelle discrète. Pas vraiment rassuré par cet accueil, Dick avait obéi, n’ayant pas vraiment le choix. Puis Miguel lui avait réclamé l’argent qu’il lui devait, la jolie somme de quatre-mille dollars. Ne pouvant satisfaire le portoricain, il avait voulu parlementer mais des coups avaient cessé toute négociation. Le ton entre l’emprunteur et ses créanciers venait de monter d’un cran et la situation allait très vite mal tourner pour Grayson qui sentait son cœur battre plus vite que la normale.
Essuyant le sang qui coulait le long de son menton, Dick observa furtivement ses adversaires. Ils étaient six et il connaissait tous leur noms. Ils étaient du quartier, à forte tendance hispanique, avaient été au même lycée que lui jusqu’à ce qu’ils soient renvoyés ou qu’ils le quittent et jouaient dans le club de basket local. Pourtant, ce qu’ils avaient dans les mains n’avait rien à voir avec un ballon de basket : couteaux, lattes de bois, battes de base-ball, tout un coquet arsenal pour venir à bout d’une bonne dizaine de personnes. Ajoutez à ça des foulards rouges noués autour de la tête et vous avez les dignes représentants du gang des Redentores de Quesada, une quarantaine de membres au compteur.
Les Redentores, ou Sauveurs, s’étaient auto-proclamés protecteurs du quartier il y avait de cela trois ans. Composé majoritairement d’hispaniques, le gang prospérait en vendant de la came et « en faisant danser les filles », dépendant étroitement de Félix Sanchez, un grand magnat de la drogue qui contrôlait plus ou moins bien les gangs hispaniques de la ville. A sa tête se trouvait une terreur locale, Hero « El Carnicero » Cruz, fondateur et propriétaire, qui avait vécu ici depuis sa plus tendre enfance. Doté d’une mauvaise réputation d’où lui venait son surnom, le gars s’était fait une place dans les rues dès l’âge de douze ans et avait tué pour la première fois un an plus tard. Il était respecté et idolâtré par ses hommes à un tel point qu’il n’y avait jamais eu de querelles ou de tentatives de coup d’état dans toute l’histoire du gang. Beau parcours pour un seul homme.
Ces types faisaient la loi ici et Dick le voyait tout les jours, lorsqu’il mettait un pied dehors. Ces temps-ci, il aurait mieux fallu pour lui de ne pas s’y risquer mais c’était trop tard pour avoir des regrets. Il finirait par trouver un arrangement avec Miguel, du moins, c’était ce qu’il espérait en recevant un second coup dans le ventre. Poussant un râle de douleur, le jeune garçon s’appuya contre le mur pour ne pas tomber.
-T’en as assez ? Questionna le portoricain avec un sourire mauvais.
-Hum…
-Je prend ça pour un non.
Un coup de pied déséquilibra Dick qui se retrouva sur les genoux, face au mur couvert de graffitis. Quand est-ce que ce petit manège sadique allait s’arrêter ? Prendrait-il fin lorsqu’un couteau se ficherait entre ses omoplates ?
-Arrêtes… Murmura Dick en se relevant.
-Oh, au moment où je commençais à m’amuser.
-Je vais… te rembourser.
-C’est ce que tu me dis depuis deux mois, mec. T’as oublié ou quoi ? Je t’accordais un délai d’un mois, et ton temps est écoulé depuis trente jours. Tu sais compter, non ? D’habitude, je suis plus expéditif avec mes « clients » mais je t’ai fais une fleur parce que t’es pote avec mon frangin. Mais faut qu’tu saches que ma patience et ma clémence ont des limites. Je veux revoir ce fric et je me fou de savoir que c’est pour payer ton loyer parce que ton père est alcoolo…
-C’est pas mon père, interrompit Dick d’une voix plus forte.
-Putain mais je m’en balance ! Je veux ce fric et maintenant, tu piges ça ? Merde, je te connais, Grayson, je sais que t’es réglo et je t’ai fais confiance. Et regardes comment tu me remercies ! Tu me craches sur la main que je te tend !
-Dis pas de conneries… Si je me suis adressé… à toi, c’était en dernier recours.
-Ah oai ? Tu crois ça ? Nan, mec. Je vais t’dire pourquoi t’es venu me voir ; Tu te disais : C’est le frère d’Esteban, il me filera du fric, il est cool. Mais t’as pas tout compris. Ce fric il est pas à moi, il est à mon boss, tu saisis ? J’vais avoir des emmerdes à cause de toi.
-On peut s’arranger…
Miguel soupira en secouant la tête, signe d’énervement qui se solderait par un coup. Mais le coup tant attendu ne vient pas. Non, le latino réfléchissait en se grattant le bouc. Que se disait-il ? Vais-je lui donner un nouveau délai ou lui ouvrir le ventre ? Finalement, il redressa la tête et saisit Dick par le col. Il avait fait son choix. Dick ferma les yeux en espérant que ça ne serrait pas trop douloureux.
-J’vais pas te tuer, pauv’ con.
Dick entrouvrit un œil et se décontracta légèrement.
-Je te propose un truc : tu connais Marin County ?
-Au nord, ça, après Golden Gate.
-C’est bien, t’as appris ton cours de géo’. Là-bas, y a un endroit qui s’appelle Belvedere, un putain de coin de riches, tu vois le genre : résidences surveillées par une armée de vigiles, le truc bien hard.
-J’piges pas où tu veux en venir.
-Mec, t’es con ou quoi ? je veux que t’ailles là-bas.
-Pourquoi faire ?
-On trouve des bagnoles qui se revendent très chères dans le marché, des 4x4 à cinq-cent mille dollars, des trucs qui poussent à quatre-cent kilomètres/heures, des engins de rêves. Mon patron aimerait avoir un de ces bébés pour Noël et il a besoin d’un bouffon prêt à risquer sa vie pour ça.
-Hors de question.
Belvedere était un endroit sous surveillance, dont les postes de vigiles étaient reliés directement au bureau du shérif et à son bataillon de lieutenants. Ces types là étaient assez bien payés pour faire correctement leur boulot et s’il était pris, ce serrait la comparution immédiate et la maison de correction. Il fallait être cinglé pour voler une voiture là-bas.
-Putain mais je viens de t’expliquer que t’avais pas le choix ! Tu vas faire ce que je te dis ou ça va très mal finir. J’ai pas mes quatre-mille dollars, okay, mais mon patron est content et toi aussi parce que tu m’auras aidé. T’as rien à perdre à aller là-bas. Alors ?
-Et si je retrouve les quatre-mille dollars avant ?
-On reste copains mais rêves pas, tu les retrouveras jamais.
-Je marche.
-C’est bien. On t’emmène demain soir, tu reviens demain matin avec la bagnole. Fin de la discussion.
Miguel lâcha Dick et fit signe à ses compagnons de le suivre. Sans un regard, pour leur futur « associé », ils disparurent derrière l’angle de la rue. Maintenant, Dick était vraiment dans de sales draps…
*
Belvedere, Marin County.
Les eaux noires de la baie scintillaient sous les cieux étoilés qu’illuminait une lune resplendissante. Tapis dans l’ombre, Dick écoutait en silence le roulis des vagues s’écrasant contre la roche brune du littoral. Isolée du continent par la mer et la muraille rocheuse qui l’entouraient, Belvedere ressemblait à une enclave hors du temps, inaccessible et lointaine. Telle une forteresse imprenable, la petite ville surplombait la baie de tout son orgueil, verte colline où fleurissaient d’impétueuses propriétés dominant l’océan agité.
Pour Dick, cet endroit était le symbole même de l’imperfection du système. Qui pouvait imaginer qu’à un kilomètre à l’ouest, des quartiers miséreux s’étendaient à perte de vu ? Sinistre contraste entre une prospérité écrasante et un désert de pauvreté. Le rêve américain prenait de bien différentes tournures, du fait qu’on était d’un côté ou de l’autre de la barrière sociale. Voir toutes ces maisons chiques se dresser sous ses yeux rendaient Dick malade mais il avait une mission à honorer et il devait faire abstraction de ses sentiments personnels.
Rabattant la capuche de son pull sur sa tête, il sortit de sa cachette. Tout était parfaitement calme, aucun bruit, pas même un aboiement, qui ne venait entacher la sérénité de l’instant. Ce silence allait compliquer les choses et Dick s’en mordait déjà les lèvres. Une barre de fer dans la main droite, il sentait monter en lui l’appréhension et la peur. Ce n’était pas tant le fait de commettre un vol qui l’effrayait mais plutôt la pensée qu’il venait ici en étranger et qu’il risquait beaucoup plus qu’une simple garde à vue s’il était pris.
Tentant de chasser ce sentiment qui le tenaillait, Dick secoua la tête et s’arrêta de marcher pour souffler un moment. Il se trouvait dans une rue large et éclairée, bordée par de coquettes demeures de chaque côté. Chaque maisonnée semblait paisiblement endormie, c’était le moment d’agir. Veillant à n’être épié de personne, Dick s’engagea à couvert et pénétra dans la première propriété venue. Sa « proie », un imposant 4x4 noir, stationnait devant la porte du garage. Jaugeant la situation du regard, l’apprenti voleur se risqua en catimini jusqu’à elle. La sueur perlait sur son front et lui piquait les yeux mais ce n’était pas le moment de flancher. S’il ne volait pas cette voiture, il était mort. Serrant sa barre de mine entre ses doigts, Dick défonça la vitre teintée.
Tandis que l’alarme stridente du véhicule se mettait en route, il ouvrit la portière à la volée en veillant à débarrasser le siège des éclats de verres. Sectionner les fils et les relier entre eux s’avéra plus difficile que prévu et le temps pressait. Déjà, il entendait les cris des propriétaires et les sirènes des voitures de police. Le quartier n’avait à présent plus rien de calme. Enfin, la voiture démarra. Ou du moins c’est ce que crut Dick qui eu la mauvaise surprise de découvrir qu’un système de sécurité de secours s’était enclenché et bloquait les roues, empêchant toute conduite.
-Merde ! Jura-t-il en tapant violemment contre le tableau de bord.
Décidé à ne pas se faire pincer, Dick sortit du 4x4 et sauta la clôture qui le séparait de la maison voisine, abandonnant son travail et tout espoir de s’en sortir. Miguel allait le tuer, ça ne faisait plus guère de doutes. Bon sang, comment avait-il pu être aussi stupide pour accepter ce plan suicidaire ? Pestant contre sa malchance, Dick s’évanouit dans la nuit.
*
Une légère brise caressait le visage endormi de Kory lorsque des cris et une sirène stridente percèrent la nuit. Se réveillant en sursaut, la jeune fille se leva en se frottant les yeux. Que se passait-il ? D’habitude, les nuits étaient plutôt paisibles dans le quartier, alors qu’est-ce qui était à l’origine d’un tel remue-ménage ? Enfilant un peignoir, Kory approcha de la vitre et plissa les yeux pour observer les alentours. Trois voitures de polices étaient stationnées devant la maison des Wellington et des uniformes balayaient les lieux de leurs lampes torches. A en jugée par l’état de leur Lexus, il y avait eu une tentative de vol. L’idée que quelqu’un soit assez fou pour tenter de voler une voiture ici, à Belvedere, alors que chaque propriété était reliée directement au bureau du shérif Beldon, la fit sourire. L’auteur de cet acte avait un sacré culot. Peut être n’était-ce qu’un garçon du coin un peu trop soul qui avait voulut faire une blague idiote, après tout. Pourquoi un type de San Francisco ou d’ailleurs viendrait spécialement ici pour voler une voiture ? Il fallait être vraiment dingue pour faire une chose pareille ou être le pire des idiots. Oui, la thèse du mec bourré tenait un peu plus la route que celle de l’obscur cambrioleur.
Kory soupira et s’allongea sur son futon. L’alarme avait cessé et les lumières disparaissaient au loin. Sûrement les policiers allaient-ils continuer leur recherche toute la nuit mais ce n’était plus son problème. Cette histoire l’avait intrigué pour rien. Mieux valait se rendormir à présent. Mais malgré ses efforts pour penser à autre chose, le sommeil ne vint pas. Maintenant bien réveillée, autant se lever. De toute façon, son père et sa belle-mère étaient en voyage et la maison était à elle pour la semaine. Personne ne serrait-là pour lui faire des remontrances.
Gagnant le salon, Kory entreprit de se faire un thé. Après ça, elle aviserait. Peut-être appellerait-elle Éric pour qu’il vienne lui tenir compagnie. Après tout, c’était son rôle de petit-ami, non ? A cette heure-là, il devait être à la fête qu’organisait Nancy. Entre deux bières, il aurait bien un peu de temps à accorder à sa petite-amie.
Soudain, la sonnette se mit à frémir. Un des lieutenants du shérif venu lui poser quelques questions, sans doute. Kory abandonna sa tasse de thé sur le comptoir de la cuisine pour aller ouvrir la porte. Elle s’apprêtait à renvoyer l’intrus illico presto mais quelle ne fut pas sa surprise de découvrir sur le perron de la porte un jeune homme en vieux jean, encapuchonné comme un voleur… de voiture.
-J’peux entrer ? Demanda-t-il, en jetant des coups d’œil affolés derrière lui.
Kory fut tentée de fermer la porte et de tirer le verrou. Si il était bien le voleur de voiture que la police recherchait, elle risquait d’être inculpée pour complicité si elle l’accueillait ici. Et puis peut être était-il dangereux ? La meilleure chose à faire était de saisir le téléphone et d’appeler le shérif. C’était la bonne solution. Mais alors pourquoi s’était-elle décalée pour le laisser entrer ? Bizarrement, il lui inspirait confiance. Un peu paniquée à l’idée d’accueillir un fugitif chez elle, Kory alla dans la cuisine. Son thé avait refroidi mais elle s’en fichait. Ce qui attira son regard fut le téléphone posé sur la table. Elle n’avait juste qu’un numéro à taper et elle serrait débarrasser du zonard. Alors qu’elle allait saisir l’appareil, le jeune homme surgit du salon. Il sourit gauchement en se frottant la tête. Il était si jeune et semblait si paumé. Il devait avoir son âge ou un peu moins.
-Tu veux du thé ? Finit-elle par demander pour rompre le silence.
-Volontiers.
Kory se retourna et attrapa la tasse qu’elle s’était préparée avant de la tendre au voleur qui avala goulûment le liquide tiède. Puis elle le raccompagna jusqu’au salon. Décoré sobrement, ce dernier donnait sur la terrasse qui surplombait l’océan. Le zonard semblait plongé dans ses pensées alors qu’il tournait la tête vers la mer déchaînée. En l’observant à la dérobée, Kory se demanda comment il avait pu en arriver là et le pourquoi qui l’avait pousser à emprunter la voie de la délinquance. Il semblait si gentil et si…
-Tes parents sont pas là ? Questionna l’intéressé, se tournant vers son interlocutrice.
-Non. Ils sont en voyage, je suis toute seule ici. Tu… Tu t’appelles comment ?
-Dick. Dit-il, ses lèvres se dessinant en un maigre sourire. Et toi ?
-Kory. Kory anders.
-Je t’ai fais peur, Kory ? Demanda-t-il mystérieusement.
-Un peu. C’est toi qui a voulu voler la voiture des Wellington, n’est-ce pas ?
-Je crois bien.
-Pourquoi venir ici pour voler une voiture ? C’est absurde.
-C’est une longue histoire et très compliqué qui plus est. Tu veux l’entendre ?
Kory sourit et s’assit sur le canapé de velours. Dick l’imita en s’installant en face d’elle, sa tasse dans les mains. Puis il reprit :
-Je dois quatre-mille dollars au gang de mon quartier.
-Jolie dette.
-Oui, tu l’as dit. Tu dois sûrement t’imaginer que j’ai utilisé cet argent pour m’acheter de la drogue ou une arme, n’est-ce pas ? Ici, vous devez penser que tout les types de Bayview sont des camés en sursis qui viennent de sortir de taule…
-Je pensais que tu venais d’Oakland, répliqua Kory sur un ton de reproche devant l’attitude acerbe de son interlocuteur. Toutes les gosses de riches ne sont pas comme tu le penses, Dick. Moi pas, en tout cas.
-Tu as raison, répondit Dick, un peu plus calme. Je devrais te remercier de m’accueillir sous ton toit. Tu aurais bien pu appeler les flics ou me foutre à la porte mais tu ne l’as pas fais.
-A toi de me prouver que je n’ais pas eu tord de faire ça.
-Je fais pas parti d’un gang, tu sais. Je ne me shoote pas et je vole pas de voitures… d’habitude. Je suis un type normal qui a juste accepté ce qu’un abruti lui a proposé pour sauver sa peau et rembourser ses dettes.
-Et ça impliquait de venir à Belvedere pour voler une voiture ?
-Exact.
-Quelle histoire. En tout cas, tu sembles avoir échoué.
-On peut dire ça comme ça, oai. Tu as devant toi un futur cadavre.
-Tu n’es pas encore six pieds sous terre. Il y a toujours un espoir.
-Nan, je suis un cas désespéré, crois-moi. Si je m’en sors, ce serra un vrai miracle et je ne crois pas aux miracles.
-Tu devrais…
Un sourire malicieux apparut sur le visage de Kory. Elle avait envie de l’aider et une force incroyable germait en elle et la poussait à faire ça. Elle se sentait à l’aise avec ce sombre délinquant et terriblement attirée par lui. C’était une sensation étrange et agréable, un sentiment puissant qui la prenait aux tripes. Abandonnant son invité, la jeune fille monta les escaliers et pénétra dans la chambre de sa belle-mère. Dick allait avoir une surprise…
Le ronronnement familier d’un moteur qui démarre se fit entendre alors qu’elle redescendait les escaliers. Peut être était-ce les voitures de police qui s’arrêtaient devant chez elle ? D’un pas pressé, elle rejoignit le salon pour dire à Dick de se cacher mais ce dernier s’était volatilisé. Inquiète, elle sortit dehors et découvrit atterrée que sa voiture avait tout bonnement… disparue ! Elle ne put s’empêcher de sourire malgré elle en regardant le collier entre ses mains. Il valait facilement quatre-mille dollars et était moins voyant qu’un 4x4. « Quelle ironie du sort » pensa-t-elle en posant son regard sur les buildings de San Francisco noyés dans la brume nocturne. Son mystérieux voleur était parti mais quelque chose lui disait qu’elle ne l’oublierait pas de sitôt.
Un lycée privé à Belvedere, en fin de matinée.
-Kory ? Je te parle.
-Hum ? Oh excuses-moi, j’étais ailleurs…
Kory releva le nez de ses bouquins scolaires pour adresser un sourire désolé à son amie, assise juste devant elle en cours d’histoire-géographie. Elle n’avait pas prêté vraiment attention à leur discussion tournant autour de la mode estivale, non pas parce que le cours était plus intéressant mais parce qu’elle avait l’esprit ailleurs, chose de plus en plus fréquente ces temps-ci. En effet, depuis cette nuit où elle avait croisé ce mystérieux voleur de voiture, elle ne cessait de repenser à lui. Pourtant, trois semaines s’étaient écoulées depuis mais le souvenir était tenace et elle ne pouvait s’empêcher de laisser vagabonder son esprit vers ces courts instants de sa vie. Oui, Dick occupait ses pensées et les cours ennuyeux qu’elle devait subir tout les jours étaient propices à un laisser aller qui l’emmenait la nuit où elle l’avait rencontré.
Bien sûr, elle n’avait parlé à personne de cette rencontre. Ni à Éric, ni à son père et à sa belle-mère qui se demandaient toujours comment leur voiture avait disparu, et encore moins à ses meilleures amies, plutôt malhabiles lorsqu’il s’agissait de garder un secret. Non, tout ceci était resté au fond d’elle et continuait de la hanter. Elle connaissait ce sentiment qui la prenait au ventre, ce sentiment qu’elle n’avait ressenti que si rarement. Elle était amoureuse, même si elle se prétendait le contraire et la joie se mêlait au sentiment amer de devoir taire la rencontre qui avait changé le cours de sa vie et aussi l’idée que peut-être, elle ne reverrait jamais son charmant inconnu. Dick. Dick. Ce prénom revenait si souvent dans sa tête que ça en devenait obsessionnel. Elle voulait tellement le revoir. Bien sûr, elle savait que c’était impossible qu’un type de Bayview qui venait voler une voiture à Belvedere revienne sur les lieux de ses méfaits, qui plus est pour la voir. Mais elle voulait se prétendre le contraire pour alimenter ses rêves.
-Mais qu’est-ce qui se passe, bon sang ? Questionna son amie. Ca fait des jours que t’es totalement à l’ouest. On dirait que tu te fous de tous, que plus rien n’a d’importance.
-C’est rien, je t’assure. Je… Je pensais juste à… autre chose.
-Oai bah faudrait arrêter parce que ça va plus du tout. Tu viens plus aux fêtes, tu fais plus les boutiques avec nous, tu nous parles même plus !
-Ca va, je te dis. J’ai été un peu surmené ces derniers temps, c’est tout.
-C’est pas une raison pour rêvasser tout le temps, même quand je te parle. Normalement, ça t’intéresse tout ce qui est fringue. Tu veux toujours en faire ton métier, non ?
-Oui. Mais je te dis que ça va aller et puis…
La sonnerie stridente annonçant la fin des cours sauva in extremis Kory dans sa tentative d’explications. Rangeant ses affaires en un temps record, elle déserta la salle de classe et arpenta les couloirs de son lycée privé à pas pressé pour gagner la sortie en espérant qu’elle ne croiserait personne qui puisse encore lui poser des questions sur sa situation. Mais ses prières ne furent pas entendues car à peine avait-elle mis les pieds dehors qu’un groupe de jeunes étudiantes vint à sa rencontre. Kory les connaissait toutes depuis longtemps. Elles avaient grandit et tout fait ensemble et étaient amies véritables. Enfin, à part si une amie tente plusieurs fois de coucher avec votre petit-copain, ce qui était le cas pour la moitié de ces filles.
-Où est-ce que tu vas, Kory ? Interrogea l’une d’elles. On doit aller sur la plage cet après-midi.
-Ce serra sans moi, les filles.
-Mais il y aura des professionnels du mannequinat ! C’est une occasion en or !
-Je dois aller quelque part, aujourd’hui. Je suis vraiment désolé.
-Comme tu voudras, conclut une autre demoiselle. Tu nous en voudras pas si on te pique ta place.
Alors que Kory allait répliquer, une apparition en bas des escaliers la cloua sur place et la fit tressaillir. Non, ça ne pouvait pas être lui. Pourquoi viendrait-il ici, à son lycée, après tout ce qu’il avait fais ? C’était de la science-fiction. Pourtant le signe de la main qu’il était en train de lui faire était bien réel.
-Qui c’est, ce type ? Demanda une fille à côté d’elle.
-Il est pas d’ici, répondit une autre. T’as vu ses fringues ?
-Arrêtez, interrompit Kory en leur lançant un regard noir. Je le connais. Il est… nouveau ici.
Abandonnant ses amies, elle emprunta les escaliers pour rejoindre celui qui ne quittait plus ses pensées depuis trois semaines. Habillé d’un blouson en cuir et d’un vieux jean troué, Dick semblait identique en tout point de vu à leur première rencontre. Un peu paniquée, Kory sentit son cœur s’accélérer lorsqu’elle lui demanda :
-Qu’est-ce que tu fais là ? Tu es fou de venir ici, on pourrait te reconnaître.
-Désolé, répondit Dick, mais je devais venir.
-Pour me rendre ma voiture ?
-Euh… Non. Enfin, si, à la base, j’avais prévu de te rembourser. Ce que j’ai fais est… dégeulasse. J’ai profité de toi quand t’avais le dos tourné et c’était salaud de ma part. Tu m’as aidé et je te remercie en volant ta bagnole et c’est pas cool.
-Tu l’as dis.
-Je… Je voudrais que tu me pardonnes pour ce que j’ai fais, c’était con. Je peux pas te rembourser ni te ramener ta voiture.
-Je me doute. Mais si c’est pour me dire ça, pourquoi tu es venu ? Tu voles ma voiture, tu disparais puis tu reviens dans ma vie comme ça, soudainement.
La voix de Kory avait pris un ton de reproche sans qu’elle le veuille vraiment. Elle ne voulait surtout pas le faire fuir et c’était ce qui allait se passer.
-Je sais que c’était stupide de venir te voir, je te demande pardon. Je vais y aller alors…
-Non.
Kory eut un sourire et attrapa Dick par la manche, lui faisant signe de la suivre. Tout deux se frayèrent un chemin dans la foule d’étudiants jusqu’à un endroit où il pourraient parler tranquillement. Une fois au calme, à l’abri des regards, Kory reprit :
-Je me fiche de cette voiture que tu as volé. Mon père est plein aux as et croit que je l’ai planté dans un arbre et que je refuse de le lui avouer. Rassuré ?
-Euh… oai. Tu m’excuses, alors ?
-Oui. Maintenant, tu peux me dire ce qui t’amènes réellement ?
-Okay. Je suis… venu pour te voir.
Dick s’attendait aux foudres de son interlocutrices mais un rire perlé remplaça ses inquiétudes. Apparemment, Kory prenait plutôt bien qu’un type d’un quartier pauvre de San Francisco vienne à la sortie de son lycée dans le but de la draguer.
-Tu t’es pointé à Belvedere après avoir volé une voiture ici juste pour moi ? Demanda sur un ton d’ironie Kory. Wah, je suis impressionné.
-Je sais, concéda Dick, c’est stupide. Désolé. Mais c’est la vérité. J’avais besoin de te voir.
-Je rêve où tu essayes de me draguer ?
-Tu rêves pas. Affirma Dick.
Kory sentait son pouls s’accélérer soudainement. Les sentiments qu’elle avait connu étaient donc partagés.
-Tu es libre, cet après-midi ? Poursuivit Dick.
-Pour sûr, Dick.
Kory eut un sourire et attrapa son nouvel ami par le bras. Ils avaient beaucoup de choses à se dire.
*
Une plage déserte, le soir.
-Joli endroit.
Dick sourit en regardant le panorama qui s’offrait à lui. Caché entre deux falaises, une petite crique ensablée donnait lieu sur la baie de San Francisco. Au loin, on pouvait apercevoir le Golden Gate Bridge qui brillait de mille feux ainsi que les tours de Financial District qui dominaient l’horizon. Derrière ces immeubles, quelques kilomètres plus loin, Bayview, l’endroit où il vivait, l’endroit où il aurait du être. Mais au lieu de ça, il se trouvait avec la fille dont il était tombé amoureux dans le comté le plus riche des États-Unis, de « l’autre côté de la barrière ». On pouvait presque croire au rêve américain dans ces moments là. Et tout ça avait tout d’un rêve.
-Ca te plait ? Susurra Kory à l’oreille de son ami. Je venais souvent ici avec mes amies quand j’étais petite.
-T’as grandi ici ?
-Je suis né à Jérusalem et je suis parti d’Israël quand j’étais toute petite.
-T’as mère était israélienne ?
-Oui. Mon père l’a connu alors qu’elle était ambassadrice à Washington. Ils ont divorcé depuis. Toi, t’es né à Frisco ?
-Nan, dans l’Illinois, à deux kilomètres de Chicago. Tu vas sans doute pas me croire mais mes parents étaient acrobates dans un cirque.
-Sérieux ? Mais je croyais que tu vivais avec ton oncle ?
-Ils sont morts dans un accident et c’est mon oncle qui est devenu mon tuteur.
-Oh je suis… désolé. Ca doit être horrible.
-On s’y habitue. Sans ça, je t’aurais jamais rencontré.
Un sourire apparut sur les lèvres de Kory qui approcha sa bouche de celle de Dick en fermant les yeux.
-J’y crois pas !
Une voix interrompit brusquement ce moment si précieux et Kory connaissait son propriétaire. Elle le connaissait même très bien, hélas. En soupirant, elle découvrit Éric et deux de ses amis et leur présence ici n’annonçait rien de bon.
-Éric, c’est pas ce que tu crois.
-Alors c’était à lui que tu pensais depuis tout ce temps ? A ce connard ?
-Calmes-toi, je t’en prie.
Mais Éric ne semblait pas avoir envie de se calmer. Se dirigeant vers le couple, il serrait les poings, prêt à frapper. Dick ne tarda pas à comprendre que ce type était le petit-ami de sa dulcinée et qu’il devait voir d’un mauvais œil qu’un inconnu soit prêt à l’embrasser. Tandis que Kory s’était levée pour calmer son homme, Dick lui dit brusquement :
-Kory t’aime pas.
-Toi, ferme ta gueule ! Explosa Éric. D’où tu viens ? Pourquoi tu tentes de piquer ma meuf ?
-Je viens de Bayview mais je pense pas que ça t’intéresse.
-Oh contraire, connard ! T’es un zonard, c’est ça ? Un camé qui vient foutre sa merde ici, hein ? Retourne chez toi ! On veut pas de type comme toi ici !
Le ton était violent et Dick y voyait bien plus qu’un simple conflit entre deux prétendants amoureux. Pour Éric, il représentait la basse société, le peuple dont personne ne se souciait. Il était l’ennemi social personnifié, le portait caricaturé qu’avait dû lui brosser ses parents quand il était petit. Les gens de la Haute ne se mêlait pas au peuple, c’était bien connu et cette règle sociale s’appliquait ici, plus qu’ailleurs.
Mais Dick se foutait de l’échelle sociale. Il s’en foutait même complètement. Il était amoureux de Kory et c’était pas un gosse de riche qui allait le forcer à abandonner la partie. Aussi s’approcha t’il de son nouvel ennemi pour le provoquer. Écumant, Éric, poussa violemment sa copine qui tentait de le calmer. Kory s’écroula par terre avec un petit cri de douleur. Il n’en fallut pas plus à Dick et d’un geste ample, il décocha un puissant crochet du droit dans la mâchoire de son adversaire. Ce dernier recula sous le choc avant de se ruer comme une bête sur lui.
-Venez m’aider, les gars ! Ordonna Éric à ses amis qui se firent un plaisir de s’exécuter.
Dick n’eut pas le temps de réagir qu’on le passait déjà à tabac. Les coups dégringolèrent pendant quelques minutes tandis qu’il résistait comme il le pouvait. Puis ils cessèrent totalement après que les amis d’Éric aient empêcher ce dernier de le cogner d’avantage, au risque de le tuer. Un coup de pied dans les côtes vint donc clore le combat et la voix de Éric se fit entendre tandis qu’il s’éloignait :
-T’es pas de notre monde ! On veut pas de toi ici !
Enfin, le roulis des vagues remplaça les voix humaines. Ils étaient partis. En venant ici, Dick avait récolté une haine dont il aurait dû s’attendre. Il ne put s’empêcher de comparer son histoire à celle d’un de ces contes cruels dans lequel le pauvre tombait amoureux de la princesse et finissait par perdre la vie à vouloir changer l’ordre social. Ses yeux convergèrent vers la princesse de son histoire, Kory Anders. Elle pleurait devant cette injustice et elle savait qu’elle ne pouvait rien faire.
Le plus triste dans tout ça ? C’était que Dick allait se résigner car il en devait être ainsi. Oui, il allait repartir, quitter la fille qu’il aimait et qui approchait de lui en bredouillant des « pardon ». La fille qui se blottissait maintenant contre lui pour tenter de le retenir. La fille dont il goûta les lèvres pour la première et dernière fois avant de se dégager et de rabattre sa capuche sur sa tête.
-On est pas du même monde, Kory.
Les paroles qu’il prononça résonnèrent dans sa tête pendant quelques minutes avant qu’il disparaisse dans la nuit, abandonnant Kory, seule et en larmes, telle Andromaque pleurant sur le corps mutilé d’Hector.