Auteur : Baragon
Date de parution : Août 2007
Los Angeles… la cité des anges…
A condition d’aimer les « anges » blond peroxydé et en toutes saisons plus bronzé qu’un toast, on peut reconnaître un fond de vérité à cette appellation… à croire que personne ici n’a entendu parlé de cancer de la peau. Et pourtant j’ai toujours une certaine affection pour cette ville, il m’arrive d’être un brin sentimental, surtout ces derniers temps.
Encore une journée étouffante qui se termine là où je l’ai commencée, dans le calme ouaté de mon bureau. Depuis que la clim a rendu l’âme le mois dernier je ne ferme quasiment plus ma fenêtre, comme d’habitude le store baissé claque épisodiquement sur le chambranle de la fenêtre au rythme mou des courants d’air. C’est décidé, encore une petite heure et je retourne la plaque sur la porte, ça fait quinze jours que je n’ai pas vu un client alors baste, aujourd’hui je ne fais pas de rab nocturne. La question est : la trésorerie me permettra t’elle de sortir ou bien serais-je encore cantonné au sempiternel plateau télé ? Question rhétorique encore une fois, j’étais fauché hier, je suis fauché aujourd’hui.
Tant pis pour l’heure d’attente, j’en ai ma claque aujourd’hui. La pancarte est prestement tournée et je rejoins mon logis… à trois mètres de là… déçu ? Ce deux pièces était le seul bureau dans mes moyens… on fait ce qu’on peut.
Le micro onde tourne et je passe en revue ma collection de film. « Le faucon maltais » ou « Robin des bois », Humphrey Bogart ou Errol Flynn ? J’en suis là de mes réflexions quand on frappe à ma porte… il était écrit que j’aurais une journée pourri, je le sens.
Dans un polar, une rousse incendiaire franchirait la porte de mon bureau, affolée, et finirait sa course dans mes bras. Bon, pas de bol, on est dans mon quotidien, le gars n’est pas bien grand, il a un début de calvitie et d’épaisse lunette… mais à trois jours du loyer, un client est un client. Je remets mon chapeau mou, je retends mes bretelles et fini par passer le rideau qui sépare les deux pièces, le micro onde sonne… une chance sur deux...
- Bienvenue, que puis-je pour vous ? Monsieur ?
- Euh… Tampeltin, j’ai un affreux problème de…
Je me laisse nonchalamment tomber dans mon fauteuil, puis, joignant les mains, je le regarde droit dans les yeux… j’adore la mise en scène…
- Je vous en prie, continuez…
- Ah… euh, oui… je suis navré, avec tout ce qui m’arrive…
Et en plus c’est lui qui s’excuse… il doit être limite nerveusement, ça sent pas bon tout ça. Je l’invite à poursuivre d’un petit sourire compatissant… ça mange pas de pain et il à l’air d’en avoir besoin.
- Voilà… il y a quelques semaines que nous avons dû déménager pour mon travail, j’étais très pris avec ce nouveau poste et Julie passait pas mal de temps seul à la maison, elle ne s’est pas encore fais beaucoup de connaissance dans le voisinage…
Je lui donnerais bien la petite quarantaine, employé de banque ou d’assurance à vue de nez… si ça femme est dans la même tranche d’âge, seul et délaissé… rah, j’ai horreur des histoires de cocu… ça me pourrit toujours le moral.
- Et vous avez peur qu’elle vous ait trouvé un « remplacent » pendant vos heures de bureau ?
- Non. Julie est ma fille, Anna Line nous a quitté il y a 2 ans déjà…
- Veuillez m’excuser, vous m’en voyez navré.
Et PAN… les pieds dans le plat… autant pour la fine analyse…
- Bon, et que ce passe t’il avec Julie ?
- Elle avait fini par se faire une amie, Paty Lou Jenkins. Je ne lui trouvais pas une très bonne influence… mais Julie avait tellement besoin de voir des jeunes de son age. Et puis il y a eu ce concert. Elle n’aimait pas ce genre de musique avant et elle est trop jeune pour aller dans ce genre d’endroit… je lui ai interdit d’y aller… le ton est monté… et…
Il commence à sangloter… ça me fend le cœur de voir ça, la suite n’est pas compliquée à deviner : elle à fait une fugue il y a un ou deux jours et il s’inquiète.
- Elle y a été quand même je suppose, et elle n’est pas encore rentrée ?
- Snirf… oui, c’était il y a presque deux semaines… la police dit qu’il faut attendre un mois pour considérer une disparition…
- Je vois… vous avez cherché de l’aide et vous avez fini par arriver chez moi…
- Ou… oui, un de vos collègues m’a dit que vous étiez le meilleur pour ça… « Un véritable ange gardien »… ce sont ses mots…
Bon… une petite fugue un peu prolongée… pas de quoi fouetter un chat. Mais cet air de chien battu, et le regard luisant de larmes… que voulez vous, j’ai un cœur d’artichaut, IL le sait mieux que quiconque et s’arrange toujours pour que ce genre de cas échoue chez moi… d’une façon ou d’une autre…
- Avez-vous une photographie de votre fille ? Et de son amie peut-être, ça pourrait m’être utile.
- Oui… votre collègue m’a prévenue, j’en ai une que Julie avait prise, où elles sont toutes les deux.
Sur la photo je vois deux gamines heureuses. 16, peut-être 17 ans… je parierais que la gentille fille en robe droite est Julie… ce qui laisse le look un peu punk pour Paty Lou…
Je finis de lui assurer de prendre l’affaire en charge, allant jusqu'à ajouter que je vais sûrement démarrer dans la soirée, écrasant une grosse larme il ne tarit pas d’éloge sur mon professionnalisme et ma compréhension… je n’ai pas le cœur de lui dire que de toute façon je n’ai rien de mieux à faire et que je m’ennuie fermement en ce moment. Il finit par en venir au tarif alors que je le raccompagne à l’entrée, c’est que j’aurais presque oublié ce détail vital ! 20$ la journée plus les frais, en plus je ne suis pas cher, que demande le peuple ?
Voilà mon premier client depuis 15 jours reconduis dehors, le temps de manger un morceau avant de sortir, je m’en retourne vers ma kitchenette pour découvrir l’horreur de la situation… mon micro onde a encore continué a tourner après la sonnerie et son contenu est maintenant proprement immangeable… comme je le pensais plus tôt, une chance sur deux…
Je jette un œil à mon courrier après être sorti. J’utilise une boite postale, ça m’évite d’être enseveli sous les pubs et les factures. Rien de bien folichon aujourd’hui, ma facture de courant, le second rappel du service des eaux… et une clef USB portant une étiquette représentant un logo anarchiste sanguinolent. C’est pour le moins étrange mais ça attendra, même si j’ai sacrifié les bons vieux dossiers pour un ordinateur dissimulé dans mon secrétaire, mon budget ne m’a pas fais de fleurs… c’est un vieux modèle résolument dépourvu de port USB, c’est déjà à peine si j’ai un lecteur de CD intégré…
Heureusement il me reste quelques litre dans le réservoir de ma corvette, c’est un vieux modèle des années 50… ça a toujours une classe folle mais c’est un gouffre en carburant. Résultat, si je veux me déplacer plus de quelques miles, mes 20 premiers dollars risque fortement de finir en grande partie dans une pompe, autant pour mes projets de resto… ce soir ce sera hot-dog.
Bon finalement ce n’est pas si mal le hot-dog, surtout quand on peut soutirer un petit renseignement au vendeur, pas mal de monde me connaît en ville, ils ont tous cette espèce d’impression que je suis dans le coin depuis presque toujours sans jamais mettre vraiment le doigt sur notre première rencontre… finalement j’apprends que le concert d ‘il y a deux semaines à de grande chance d’être celui de « Evil Sixth Finger », le sixième doigt diabolique, décidément il y en a dont l’imagination supporte mal l’insomnie. C’est un groupe de « grind core metal » un truc de brute qui vous grille les tympans en quelque sorte… où sont passé les classiques ? Je vous le demande ?
Je n’ai pas beaucoup d’autre piste donc je remonte jusqu’au lieux du concert pour voir si quelqu’un aurait vu les filles dans le voisinage. Tout a eu lieu dans une petite salle indépendante, elle dépend d’un bar et peut accueillir 250 personnes assises ou pas loin de 400 debout. Avec un peu de chance quelqu’un dans la sécu ou à la caisse pourra me rencarder.
Le patron n’est pas très causant, il veut éviter les ennuis et ça se comprend, tout ce que j’arrive à lui arracher c’est le nom de l’agence qui assure la sécurité quand il loue la salle, la billetterie est généralement à la charge du staff des groupes. Je tente ma chance mais il affirme ne pas avoir vu mes deux disparue, un coup d’œil prolongé lui permet d’ajouter que de toute façon il n’aurait pas servi d’alcool à des mineurs… il à l’œil le bougre. Pour l’agence de sécurité il est trop tard aujourd’hui, je n’aurais personne à cette heure.
Choux blancs pour ma première soirée, en même temps si c’était aussi simple il y aurait plus de bureau de privés que de bar dans ce pays, heureusement pour moi, ce n’est pas le cas. Il n’est pas si tard et je n’ai de toute façon pas tant besoin de sommeil. Je sors de la ville et continu sur quelques kilomètres. En rase campagne je peux profiter de la nuit et de la liberté, je pense que c’est ce qui me manque le plus en ville, la liberté des grands espace. Que ressent-on dans l’immensité d’un ciel nocturne ? Un type l’a su dans cette ville, un gars bien qui faisait ce qu’il pouvait dans la jungle urbaine… j’ai appris dans le journal qu’il avait connu une fin tragique il y a quelques jours, c’est triste et c’est comme ça, les héros partent un jour, comme tout le monde.
Je me suis trop laissé aller hier soir, résultat je porte toujours mes vêtements de la veille et le soleil se lève tout juste quand j’aborde le centre ville. Tout juste le temps d’un passage chez moi histoire de me rafraîchir, j’ai horreur de porter mes sous-vêtements de la veille. Je ressors et le soleil n’est pas beaucoup plus haut, mais j’aime prendre mon journal très tôt, quasiment à la livraison, c’est ce qu’on appel des nouvelles fraîches. Pas grand chose de neuf, mais au moins pas de catastrophe à la une aujourd’hui.
Encore choux blanc, à l’agence de sécurité cette fois, ça devient rageant même si cette fois il ne s’agit que d’un demi-échec. Le patron m’a reçut avec un plaisir relativement moyen, je me demande toujours d’où viens cette inimité entre les privés et les agents de sécurité… Au moins j’ai un semblant d’indice, ils ont envoyé une équipe pour le concert à la demande du manager, mais le chanteur a insisté au dernier moment pour que la sécurité soit assurée par son équipe, une bande de jeune « blouson noir » qu’il avait prit en affection sur place. Il prétendait qu’ils sauraient mieux que quiconque comment encadrer leur camarade. La soirée avait été payée d’avance et le manager avait finit par signer une décharge donc pas de raison de s’attarder.
Le patron du bar reconnais finalement que c’est une pratique courante, pas mal de groupes en font autant, c’est « meilleur » pour leur image mais les assurances demandent des factures de professionnel, d’où l’arnaque. Je le travail encore un peu, et me paie une paire de verres pour faire bonne figure, jus de fruit seulement, je n’aime pas l’alcool, même al bouteille de bourbon de mon bureau contient du jus de pommes, pour le principe et le décorum. Finalement j’obtiens un nom de « gang » et le coin où les trouver, les jeunes traînent dans la zone industrielle, il y a toujours un entrepôt plus ou moins abandonné ou entre deux locations par là bas. Plus qu’a faire un saut chez moi et a attendre la fin d’après midi pour avoir plus de chance de les chopper. Je jetterais un coups d’œil à mes fichiers entre-temps.
Bon… pas grand chose de neuf, mes fichiers commencent à dater, vous me direz, deux jour pour une enquête sur une disparition, c’est pas encore énorme, mais j’ai un deuxième problème qui vient de me tomber sur les bras… un colis que je garde depuis pas mal de temps, depuis que j’ai « déménagé » en fait, a faillit foutre le feu à mon bureau. Il n’y a pas trente-six solutions, ça veux dire que le destinataire du colis est proche d’en avoir besoin ou à utilisé un ersatz entre temps… ça annonce rien de bon.
Me voilà dans la zone industrielle et je traîne en espérant tomber sur quelque chose, je crois à ma bonne étoile comme si je l’avais rencontrées, allez comprendre.
Je tourne deux bonnes heures avant de croiser quelque chose qui en vaille la peine. Un graffiti représentant une main à six doigts, ça collerait avec le nom du groupe alors autant tenter ma chance.
Ça sent la bière et le tabac froid près de ce hangar, je chauffe… peut être même un peu trop aux voies que j’entends…
- … avez bien dis qu’on devait pas la garder cette petite conne…
- Et moi je t’ai déjà dis de fermer ta grande gueule.
- Il a pas tord Gino. Tu t’es bien marré avec cette gamine, je dirais même que tu t’en es payé une bonne tranche… mais la garder shooté en permanence avec nous c’est une connerie monumentale !
- Et vous proposez quoi ?
- Ben on est près des docks non ? Une junky noyée de plus ou de moins, y’aura personne pour la chialer… le temps que quelqu’un la retrouve, elle sera plus reconnaissable et on enterrera une Janne Do de plus. Fin de l’histoire.
- N’empêche que ça m’emmerde… je commençais à m’attacher moi… pis les zicos on gardé l’autre, on est pas près de la revoir.
- T’occupe… on fait comme a dis Jo et on se prend pas la tête… avec le fric que ce malade nous refile pour faire ses conneries t’ira au pûtes, ça te changera !
Suis un concert de rire gras… je dirais encore quatre personnes en plus de Gino, Jo et le troisième interlocuteur. 7 en tout, ça se prend pas à la légère en théorie. En théorie ouais… mais là je le sens très mal pour la gamine dont ils parlent. Je n’aime pas jouer les John Wayne et rentrer dedans, c’est pas très fin. Mais là je sens qu’ils ont besoin d’une bonne leçon avant de commettre l’irréparable.
Je m’approche des portes du hangar et je prends une longue inspiration. Ce qui fait les bon héros dans les films, c’est l’entrée. De nos jours il y a pléthore d’effets spéciaux, tout explose autour du héros et les gens considèrent ça comme une entrée… ça manque de tension, de cœur dans l’interprétation… mais là n’est plus la question, il est plus que temps que je me lance.
La porte s’ouvre lentement, dévoilant un fin rayon de lumière qui prend peu à peu de l’ampleur, et dans ce rayon grandissant, mon ombre prend elle aussi de plus en plus d’envergure, emplissant quasiment tout l’espace, le conter jour me dissimule, un bloc d’un noir de jais qui se découpe dans la lumière, mon imperméable claque au vent comme une cape. Au silence sépulcrale et au regards exorbité qui accompagne mon entrée, j’ai remporté mon paris, l’ascendant psychologique m’appartient plus que jamais. Mon imper tombe au sol avec une lenteur délibérée, et elle se déploient enfin…
Fondu au noir… enchaînement…
La gamine d’élire complètement, elle ne dois pas être loin de l’overdose. Et merde, la Corvette est restée en dehors de la zone industriel. Il ne reste pas grand choix pour être à l’hôpital dans les temps pour la sauver. Tient le coups Paty Lou…
*
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D’après les médecins, la gamine délire à propos d’un ange qui l’aurait emmené dans le ciel… la drogue fais des ravages de nos jours. J’ai prévenu Tampeltin pour le tenir au courant, il m’a fallu une bonne demi heure pour lui assurer que le fait que Paty Lou soit seul n’est pas obligatoirement signe d’une disparition définitive de sa fille. Au contraire, quand elle ira mieux dans un jour ou deux elle pourrait même confirmer la dernière fois où elle l’à vue. En attendant, je ne lâche pas l’affaire et je suis la piste du groupe lui-même, il repasse à Los Angeles d’ici quatre jours, et là je compte bien titiller ce sixième doigt, quel qu’en soit le propriétaire…