Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Février 2006
Hit the road Jack and don't you come back no more, no more, no more, no more.
Hit the road Jack and don't you come back no more.
Whaaaaaat you say?
Hit the road Jack and don't you come back no more, no more., no more, no more.
Mon réveil.
Mon cher réveil.
Mon très doux réveil.
Celui que j’aime tant et que j’entends chaque matin.
Avec une chanson différente de ma réserve personnelle à chaque fois. Y a pas de petit plaisir.
Là, c’est
Hit the Road, Jack.
Une grande chanson du grand Ray Charles.
En général, j’adore ses chansons, à Ray. Entraînantes, fun, cool. C’était vraiment de la bonne musique. Ouais, cool, le mot y va bien. Même le type était cool, remarque. Il adorait se marrer, à s’éclater. Je l’ai aidé à le faire plusieurs fois. Trop, peut-être, vu les problèmes qu’il avait eues avec ces saloperies.
Mais bon, c’était pas mon problème…Je ne fais que vendre. Enfin, je ne faisais que vendre.
Ouais,
Hit the Road, Jack.
Une chanson du film des Blues Brothers, en plus. Ça me rappelle des bons souvenirs, en général. L’alcool, les filles, les drogues…c’était le bon temps, quand ça passait ce truc. Ouais, vraiment le bon temps. Le très, très bon temps, même.
Mais là, ce matin, là juste maintenant alors que la musique continue d’affluer dans mes oreilles et que ça me réveille après deux heures de sommeil…ça marche pas comme avant. Là, j’ai une envie de destruction massive sur mon réveil telle que même Attila passerait pour un Martin Luther King devenu bouddhiste.
Putain, faudrait pas que je sois Président, là maintenant…je serais capable de raser l’Europe juste pour me calmer…
SCRANG.
Wow.
Quel bruit space, comme disent les jeunes maintenant.
Je serais toujours impressionné par la gamme de bruits que peuvent faire les choses qu’on écrabouille. Je pensais que j’aurais un SCRING, un SCRATCH…bah nan, c’était un SCRANG. Bizarre…enfin, si y avait que ça de bizarre dans ma vie…Je crois que je suis un de ceux qui devraient être en photo à côté de la définition de bizarre, dans les dicos. Bon, allez, on arrête les réflexions philosophiques à trente cents mexicains, j’ai pas que ça à faire.
Faut que j’aille bosser. Chienne de vie.
Car oui, je bosse. Malgré ma condition, je dois pouvoir payer le loyer, les impôts, la bouffe…enfin, la bouffe que je balance dans les poubelles après l’avoir achetée, sous le regard amusé de mon idiot de chat. Crétin de chat, je devrais le bouffer. Mais j’suis allergique, j’risquerais de m’étouffer avec, et ça lui ferait trop plaisir…Crétin de chat.
Parce que ouais, j’y reviens, faut faire semblant d’être quelqu’un comme un autre pour pouvoir survivre dans cette société pourrie dans laquelle je continue à survivre, pourtant. Je sais, vous comprenez pas pourquoi. Vous en faites pas, moi non plus.
Faut faire semblant de se grouiller le soir pour aller chercher de quoi manger avant la fermeture de ces foutus magasins, ces chaînes commerciales à la con que j’ai presque imaginées tout seul. Je devais pas être clean, ce jour-là.
Faut faire semblant d’avoir des problèmes pour payer ce qui doit normalement aller dans l’estomac, puis les chiottes après. Le nombre de fois que j’ai dû aller faire une visite dans ma merde, je les compte même plus…on comprend la réelle signification de la journée de merde, dans ces moments-là…
‘Tain, qu’est-ce que c’est casse couilles, quand même, la vie d’un homme…
Allez, hop, on se lève. Mes os craquent, mes muscles hurlent sous l’exercice. Je leur ordonne de la fermer, et je les menace de les faire encore plus souffrir si ils continuent. Ils obéissent. C’est cool de contrôler son corps ainsi. Très cool.
Remarquez, après 99 ans sur cette Terre à supporter mes beuveries et vices, ils savent que je suis sérieux quand je leur dis ça. Et ils savent aussi que ce que j’ai fais hier soir n’est rien comparé aux folles soirées de Prague, jadis. Ah, Prague…ça, c’est des souvenirs…
Helena nue m’attendant dans sa chambre…ses frères aux corps si musclés et si jeunes, avec leurs veines si grosses que la recherche n’en est plus une…le vin qui coule à flot dans la pièce…les douceurs subtiles du sang frais et de la vierge à dépuceler…
Aaaah, ça c’était le vrai bon temps, hein…
Mais trêve de souvenirs. Je dois aller dans la salle de bains, tenter de retrouver le rasoir sous la tonne de capotes et de strings qui se battent en duels depuis quelques années. Je devrais rappeler la femme de ménage, tiens. Remarque, vu comment je l’ai virée de mon pieu après une partie de baise, je suis pas sûr qu’elle veuille revenir…Bah, après tout, elle était pas si douée…mais j’aurais peut-être pas dû tout filmer et balancer sur le Net, aussi…
J’aurais dû suivre mes conseils, tiens… « Ne baise jamais ce qui bosse pour toi »…A qui j’avais dis ça, tiens ? Ah oui…à Bill…Apparemment, il ne se rappelle pas des conseils de son vieux professeur de fac, vu ce qu’il s’est passé à la Maison Blanche…
Oh putain…
Quel crétin je suis…
Comme un imbécile, je me place devant ma glace, et j’espère pouvoir voir mon reflet. Imbécile. Crétin. Ça fait 70 ans que tu peux plus te voir dans ce genre de trucs. Ça fait 70 ans que tu peux plus te voir, en fait, sauf en photo. Tu croyais quoi ? Que ça allait changer juste ce matin et que tu allais devoir éviter le pire moment de la journée, du moins jusqu’à ce que tu sortes ? Nan, bien sûr que nan…t’aurais pas dû prendre de la Jamaïcaine, hier soir, Frank te l’avait bien dit…
Lentement, je me dirige vers la table du salon, recouverte de lettres jamais ouvertes, de cendres, de canettes de bières et de trucs suspects qui seraient devenus vivants…enfin, je crois. De toutes façons, ça fait longtemps que j’essaye plus de comprendre mon appartement…
Enfin, passons. Je prends ce fichu truc dans la main, et je soupire. Qu’est-ce que je déteste faire ça…
Tiens, vous savez comment un Vampire sait qu’il a une sale gueule, le matin ? Bon, ok, y a pas que le matin, mais bon faites semblant, quoi…
Ah mais ouais, c’est vrai. Je vous ai pas dis : je suis un Vampire. Un vrai. Vous savez, un de ceux qui font gueuler les pucelles comme ça : Vampiiiiiiire, Vampiiiiiire, Vaaaaampiiiiiiiire…
Oui, oui…les Ombres de la Nuit, les Princes es Ténèbres, etc… Les films sont très flatteurs avec nous, mais la réalité est toute autre.
A part quelques uns, aucun d’entre nous ne vit peinard dans son château à faire mumuse avec les villageois du coin et à torturer peinard dans les sous sols. Nan. Bien sûr, on aimerait faire ça, hein, ça serait plus simple que de vivre avec ceux qu’on pourrait considérer comme de la bouffe sur patte. Seulement, on peut pas, et ça fait bien chier…surtout quand on connaît des potes qui, eux, vivent comme ça…
Parce que ouais, si la plupart est comme tout le monde, à bosser pour vivre, enfin tenter hein vu ma condition c’est compliqué, certains sont bien peinards en Europe. Ça créé des tensions aux réunions…c’est assez marrant quand ça part en bastons, d’ailleurs…
Remarquez, y en a d’autres. Ils forment des clubs, ambitionnent de gouverner le monde et passent leurs soirées à boire du sang de jeunes gothiques tout en déclamant des rimes et à s’appeler par des noms stupides. J’étais parfois à ce genre de réunions. J’y vais plus depuis, la population Vampire baisse trop quand je m’énerve contre eux…
Ouais, ok, être Vampire c’est fun et tout, t’as des pouvoirs, t’as les trucs, et tout, et tout…Tu peux te transformer, tu peux parler aux animaux…t’es Immortel…Ouais, nan, c’est cool, hein…mais bon le matin…galère.
Vous, quand vous vous levez, c’est hop direction la salle de bains et on se regarde dans la glace, nan ? On se lave, peinard, on se rase et on se casse dire bonjour à la famille ou passer du temps avec la radio, la télé ou le journal. Ben nous, on peut pas. Et nan…
Alors si on veut pas passer pour des Zombies au boulot (pis bon ça réveillerait les animosités entre nous, et allez tenter de casser des mecs qui continuent d’avancer même coupés en deux…vous comprendrez pourquoi on veut pas les faire chier), ben on doit se prendre en photo pour remplacer ce handicap. Si, si, je suis sérieux.
J’explose mon budget polaroïd pour voir ma tronche, l’arranger, et reprendre une photo pour voir comment ça a évolué. C’est pas vraiment facile quand on a apparemment des cernes aussi grosses que le Croissant Fertile, mais on fait ce qu’on peut. Après tout, c’est un peu notre malédiction…enfin, une de nos malédictions…
Et là, ce matin, ça me gave. Ouais, bon, ok, c’est tous les matins…ça va, hein…
Olalala…
L’horreur…
C’est encore pire ce que j’imaginais, et pourtant j’ai une grande imagination en général…
Là c’est…wow…Mes longs cheveux noirs tombent lentement sur mes yeux exorbités et rougis par les drogues de la veille…J’ai d’énormes cernes, et on voit de plus en plus ces petites rides qui m’énervent de plus en plus…Je me ferais bien faire de la chirurgie esthétique, mais essayez d’aller chez le médecin sans dossier médical, sans sécurité sociale et sans famille…Allez, hein, on va bien rire…
Bon, je sais ce qu’il me reste à faire. L’eau froide, c’est mortel le matin pour moi. C’est presque une sorte d’eau bénite, vu le rapport difficile que j’ai avec cette substance. C’est bien, l’eau, c’est l’élément de la vie, mais je préfère l’alcool…Enfin, arrêtons de penser des conneries, j’ai autre chose à faire.
Et vite, parce que le boulot attend pas, et que m’énerver sur mon patron en le déchiquetant devant tout le monde, c’est pas la meilleure chose à faire, nan ?
Ouais, je sais, je sais…
Je devrais pas penser ce genre de choses, dès le matin…
Mais j’y peux rien : mon cerveau va parfois trop vite et pense des conneries. Et en dis. C’est là tout le problème. Ma grande gueule m’a causée beaucoup de soucis, tellement que maintenant j’essaye de me la fermer. Et c’est pas facile, parce que vu le temps qu’elle était ouverte, y a crampe et ça bloque. Olalala, ça vole bas…
Enfin, passons. Donc ouais, c’est dur de ne pas dire ce qu’on pense, maintenant. Enfin, pour moi. Surtout quand il s’agit de vanner un petit con de patron arrogant, frimeur et sûr de lui en lui expliquant comment j’avais retrouvé son père avec une canette de bière enfoncée dans l’anus alors qu’il n’avait pas dix huit ans…
Même si ça ferait du bien de lâcher ça, c’est dur à expliquer. Très. Et ça me gonfle de jouer à l’imaginaire alors que je suis même pas encore bourré…ou drogué. Enfin, ça va de paire en général avec moi.
Parce que ouais, on y pense peu, mais être un Vampire, c’est pas toujours si facile que ça en a l’air. On doit dormir dans la terre où on est nés, et franchement c’est bien casse couilles…Si, si. Dis comme ça, ça a l’air simple, suffit de piquer de la terre, hein ? Ben nan. Ça fonctionne pas trop, ça.
Ça marche, hein, mais ceux qui le font n’ont plus de pouvoirs. Et moi, devoir sucer du sang sans pouvoir avoir les bons côtés de la chose, ça m’intéresse pas. Donc ouais, c’est dur de dormir dans la terre où on est nés pour survivre. Et c’est surtout dur de l’expliquer aux voisins, hein.
Allez dire à vos voisins, que vous avez connus spermatozoïdes et embryons, pourquoi vous avez pas pris une ride alors qu’ils sont en fauteuil roulant, baves et se lâchent dès qu’ils voient quelque chose d’excitant, c'est-à-dire Derrick ? J’vous souhaite bien du plaisir, hein…
Enfin, passons.
J’en reparlerais p’têt après, mais là maintenant, j’ai autre chose à faire que de ressasser le passé et râler comme un taré. Bien sûr, râler est une seconde nature pour moi, et mon vieux pote Stan avait même eut l’idée de faire un comics sur moi, Râleur Man. Enfin, bon, heureusement qu’il était bourré Papy Lunettes, parce que sinon on aurait pas eu l’autre truc en collants rouge et bleu qui est une pub’ vivante pour les tueurs d’araignée…
Et voila, je suis encore en train de me disperser alors que je suis en retard et que l’autre petit con va encore se taper son complexe de supériorité qui me donnera des envies de carnage. Ce gars-là, un jour, je me le ferais…pire qu’à Prague…Oh oui, ça sera bien…
Bon allez, j’y vais maintenant. Le temps de passer mon jeans crade et troué (je peux pas me départir de cette mode à la con…), un t-shirt à l’image d’un vague groupe de musique trouvé en promotion et mes baskets basiques (ouais en fait pas chères et trouvées vaguement quelque part…ouais, je sais, je suis radin, et alors ?) et je pars vers mon boulot. Mon cher boulot. Mon boulot adoré.
Je vous ai pas dis ce que je faisais, hein ?
Ca va vous faire marrer, je le sens. Ça fait toujours marrer.
Sauf moi. Faut dire, c’est assez étrange de faire ça, vu ma condition.
Ouais, mais bon, c’est ma meilleure protection. La couverture ultime. Le jeu le plus absolu.
Après tout, qui penserait…qui oserait pensé (si on accepte que les gens comme moi existent) qu’un Vampire, qu’un Prince de la Nuit, qu’un Démon de l’Enfer bosse dans une usine, à empaqueter chaque jour, chaque heure de mes dix huit heures hebdomadaires, à foutre donc dans des foutus paquets des foutues…hosties ?
Ouais, allez, je sais, marrez-vous…
Je le ferais bien à votre place si je me brûlais pas chaque jour à prendre ces saloperies dans mes mains…
Mais allez bon, faut que j’y aille maintenant…Allez, sors de ton appartement, descends l’escalier craquelant, passe entre les junkies, slalome entre les gosses qui jouent dans les rues avec leurs armes qui ressemblent plus à des Kalach’ qu’aux billes d’avant…Allez, vas-y…Allez…
Ah…
Mmh…
Ouais, bon…
Y a quelque chose d’intéressant qui monte…
Qui me frôle, qui me fait sentir son doux parfum corporel…
Pas de parfum chimique, juste l’odeur de sa peau…de sa douce et tendre peau…
Mmh…Peut-être que je vais me faire porter pâle, aujourd’hui…J’ai peut-être autre chose à faire que de foutre dans des paquets des saloperies qui me brûlent les doigts…
Bien que bon…ce que je veux faire sera aussi brûlant…Mais ça sera certainement plus agréable…Je suis sûr que vous souriez déjà, bande de pervers…Vous en faites pas…moi aussi…Héhé…