Histoire : Lex
Date de parution : Avril 2007
Elle était là, assise, seule dans le froid, un kimono de soie blanc, sur lequel étaient dessinés de petits corbeaux aux traits flous, sur les épaules . Sa peau blanchâtre et son air hagard lui donnait une étrange allure, comme si elle n’était qu’une esquisse sortie d’un vieux film de samouraï . Qui était-elle et que faisait-elle en plein Japan Town, alors que la température chutait en cette fin Novembre ? Ses yeux sombres semblaient ailleurs, loin de cette rue de San Francisco, oui, bien loin . Les passants qui croisaient son regard reculaient ou se dépêchaient de passer leur chemin . Qui était cette gamine à peine vêtue, semblant être sous l’emprise de produits illicites ? Finalement, l’étrange jeune fille se leva et risqua un pied sur le trottoir humide et froid, se fondant dans la masse des habitants du quartier, seul petit flocon blanc parmi tout ces gens en imperméables ou sous leurs parapluies . Car une pluie fine et froide venait de s’abattre sur la ville depuis quelques heures maintenant, ce genre d’averse cinglante qui semble traverser vos chaires et vos os lorsqu’elle vous atteint . Elle, elle ne semblait pas gêner par cela . Elle continuait à marcher dans cette foule dense aux allures tokyoïtes, perdue dans l’immensité, telle une fleur de cerisier dérivant dans la rivière urbaine .
Deux garçons avec des couteaux la suivaient depuis quelque minutes, mais ça, elle ne le savait pas encore . Elle ne tarda pas à le découvrir lorsque les deux hommes l’abordèrent et la forcèrent à les suivre dans une ruelle . L’un des deux était de grande taille, typé asiatique, comme elle, et l’autre était noir et de taille moyenne, avec un bonnet gris sur la tête . Elle comprit ce qu’ils lui voulaient lorsqu’ils sortirent leurs armes .
-Allez, poupée ! Dit l’asiatique avec un sourire . Tu nous laisse faire et on les utilise pas .
Au lieu d’hocher la tête, la jeune fille recula, son visage n’exprimant qu’une vague indifférence . Selon les deux pseudos violeurs, elle avait pris un truc puissant pour planer comme ça . Ils échangèrent un regard qui signifiait « Autant en profiter, surtout si elle réagit pas . » . Les deux compères s’approchèrent donc d’elle en s’amusant avec leurs lames et en souriant, satisfait du « morceau » qu’ils avaient choisis . Une camée irait jamais se plaindre à la police, de toute façon . Le noir posa sa main sur l’épaule de sa future victime et fit glisser le parfait tissu sur son épaule puis sur son sein gauche, encore pubère . C’est alors que le masque indifférent de sa proie se transforma en quelques secondes en une expression de haine qui déforma son visage en une terrifiante grimace . Apeuré, l’homme recula et lâcha son arme . Son camarade fronça les sourcils et lui dit :
-Qu’est ce que tu fous ? Elle va rien te faire !
-Et si c’est une mutante !
-T’inquiète, elle est juste camée, mec ! Elle va même pas réagir quand on va la baiser !
Mais à peine s’était t-il tut qu’un cri strident et horrible sortit de la bouche de la jeune fille, un cri horrible, à réveiller un mort . L’asiatique se boucha les oreilles tandis que son pote lui criait de la faire taire . Finalement, elle se tut d’elle même, toujours crispée et tendue . Lentement, l’asiatique s’approcha . Puis, une fois à quelques centimètres d’elle, lui arracha son kimono . Sous celui-ci, elle se trouvait nue . Après une contemplation en extase, le jeune homme l’attrapa par la taille tout en défaisant son pantalon et en faisant signe à son ami de faire le guet . Puis, main sur la gorge de sa victime, il la pénétra . Mais à peine avait-il commencé son abominable acte qu’il fut interrompu par le regard, autrefois placide de son jouet sexuel, et devenu en une seconde un brasier ardent et haineux qui le fixait avec une intensité effrayante . Mais une puissante claque la fit fermer les yeux . Une terrible erreur de la part du violeur . Son horrible cri alerta son partenaire, surveillant le trottoir qui se retourna . Mais c’était déjà trop tard, son ami gisait par terre, mort, crispé dans une expression d’horreur pour l’éternité . Le noir, la bouche grande ouverte, leva les yeux sur la jeune fille, debout devant lui, son regard sombre ne le quittant plus . Sans prendre le temps de réfléchir, il quitta les lieux en vitesse, toujours choqué par ce qu‘il venait de voir .
-J’te jures ! Elle était devant moi et elle me r’gardait comme si elle allait me buter !
-C’est qui, cette fille ? Une mutante ?
-J’en sais rien, mec ! Elle a buté Gill en tout cas .
-Et qu’est ce que tu comptais faire avec elle ?
-Écoute, Vic’, on voulait juste s’amuser, c’est tout .
-Mal’, putain ! Tu voulais violer cette gamine, merde ! Tu crois que c’est normal ? Si elle a buté Gill, c’est en cas de légitime défense, tu comprend ça ?
Victor Stone, du haut de son un mètre quatre-vingt-dix, lança au jeune homme devant lui un regard noir plein de mépris . Les deux hommes se connaissaient depuis longtemps et avaient même été amis lorsque l’athlète vivait encore à San Francisco . C’était tout naturellement que Malcolm Duncan s’était tourné vers son frère de race . Depuis qu’il connaissait les activités de l’ancien quaterback, il lui servait d’informateur . En échange, Victor passait l’éponge sur ses quelques délits mineurs . Mais en voulant violer cette fille, Malcolm était allé trop loin, beaucoup trop loin, et Victor allait le lui rappeler amèrement . La gifle partit si rapidement que Mal’ n’eut même pas le temps de réagir qu’il se trouvait déjà groggy, une marque sur la joue .
-Putain, mec ! T’es malade ou quoi !? Moi j’voulais pas la violer cette fille, j’te jure ! C’était Gill qui a avait eu l’idée et j’voulais pas participer .
-Je ne sais pas pourquoi, mais je ne te crois pas .
Une nouvelle claque rougit l’autre joue d’un Malcolm à terre, les larmes aux yeux . La main puissante de Victor le releva et le plaqua contre le mur . Le géant noir, l’air franchement énervé, lui dit avec une extrême froideur :
-Espèce de petit con . Tu crois que c’est parce que je suis pas allé voir les flics pour leur raconter que tu avais volé le sac à main de ta voisine de quatre-vingt ans que je te laisse le droit de tout faire ? Le viol, tu sais ce que s’est, ptit connard ? C’est dix ans fermes dans un pénitencier . Tu sais ce qu’on fait aux petits blacks dans ton genre dans les prisons ? Hein ?
Malcolm hocha la tête, fuyant le regard du colosse . Il avait raison, cette fois il était allé trop loin . Finalement, Victor le posa au sol après lui avoir donné une taloche bien méritée . Sans un regard, il lui demanda d’une voix aigre aux consonances métalliques :
-Où ça s’est passé ? Je veux le lieux exact .
-Sutter Street, à Japan Town .
Tandis que Victor commençait à partir, Malcolm l’interpella :
-Je suis désolé, Vic ! Ca se reproduira plus, je te le promet .
Victor et Dick, debout l’un à côté de l’autre, regardait la scène de crime en se demandant par quels moyens la jeune fille agressée avait tué Gill . Les justiciers avaient appelé les inspecteur Trayce et Chase pour leur signaler le meurtre . Depuis l’affaire des moines tueurs, les Titans, nom désormais officiel de la team, et les deux policiers faisaient équipe de temps à autre, lorsque l’affaire se corsait ou qu’elle devenait ingérable pour la police . Avec les évènements de ces dix derniers jours et la disparition du maître du crime local, San Francisco était en ébullition et il aurait fallut un rien pour déclencher une nouvelle guerre des gangs . Mais les organisations mafieuses n’étaient pas la principale source de préoccupation de Dick et de son ami . Pour l’heure, ils devaient retrouvés une jeune fille aux étranges pouvoirs qui avait assassiné un homme . Après avoir interrogé quelques passants plutôt réticents, ils avaient fini par obtenir une indication d’un vieux clochard du quartier qui avait vu une gamine en kimono se promener dans les rues . Selon lui, elle se dirigeait vers Bryant Street et Bay Bridge .
Bay Bridge traversait la baie de San Francisco pour rejoindre Oakland . A cette heure de la journée, la circulation devenait plus dense et le célèbre pont était fréquenté par des milliers d’automobilistes se rendant à leur travail . Sur le trottoir, une jeune fille l’air complètement perdue, habillée d’un kimono en soie blanc, les cheveux en bataille, marchait pieds nus sur le trottoir, à quelques mètres des voitures, prise dans un nuage de dioxyde de carbone provoqué par les véhicules . Le soleil avait percé l’atmosphère pluvieux et ombrageux et baignait de ses rayons chauds la frêle silhouette, qui s’était arrêtée pour contempler le spectacle qui s’offrait à elle . Prise d’une soudaine envie inexplicable d’améliorer son point de vu sur le panorama, elle emprunta un escalier réservé habituellement au personnel . Après avoir gravi les quelques centaines de marches sans aucune peine, la jeune fille continua son chemin sur la passerelle qui donnait lieu à une plate forme, surplombant la route, point le plus haut du pont . Bercée par les bourrasques de vent, elle se trouvait face à l’océan et voyait San Francisco dans toute sa splendeur . Oakland, Alameda, Berkeley et Richmond à l’est, San Rafael et Vallejo au nord, Daly City à l’ouest, Hayward et Fremont au sud, s’offraient à ses yeux maintenant émerveillés .
-Tu vois ce que je vois, Dick ?
-Pour sûr, Victor .
Les deux justiciers échangèrent un bref regard avant de courir vers le troisième pilier du célèbre pont, autour duquel c’était rassemblée une foule de piétons et d’automobilistes sortis de leurs voitures, interrompant ainsi la circulation . Tous avaient les yeux rivés vers le ciel, vers cette jeune fille en kimono blanc perchée sur l’un des points les plus hauts de la ville . Que faisait-elle la haut ? Allait-elle sautée ? Les interrogations fusaient en tout sens . Rapidement, Dick et Victor se frayèrent un chemin parmi la populace . Une petite fille sembla reconnaître Dick et demanda à sa mère, prête d’elle :
-Maman ? C’est le garçon qu’on a vu à la télé ? C’est Robin ?
La mère ne lui répondit pas, trop occupée à regarder vers les cieux . Robin était un surnom que la presse avait trouvé pour qualifier Dick . C’était plus mélioratif que le mutant, jolie pseudonyme attribué à Garfield, qui n’appréciait qu’à demi mesure, sa nouvelle appellation . Mais quel pouvait-bien être le nom de cette jeune fille, là-haut, auteur d’un meurtre ? Car c’était elle, Dick en était persuadé, bien qu’il ne voyait d’elle que des traits gommés par le soleil . Selon Victor, elle était droguée et si c’était le cas, un faux mouvement et elle tombait dans le vide . Les deux hommes devaient intervenir le plus vite possible . Sans hésitation, ils se jetèrent dans les escaliers qui menaient jusqu’en haut . Les marches furent avalées en à peine quinze minutes et nos deux héros se retrouvèrent sur le « toit » en un rien de temps . Devant eux, la jeune fille en kimono observait l’étendue aqueuse devant elle . Restant prudemment à l’écart, Dick demanda d’une voix calme :
-Est-ce que ça va ?
Ces paroles interrompant cet unique moment de quiétude, l’intéressée fit volte-face . Ses yeux sombres contemplèrent les deux intrus pendant quelques instants puis les quittèrent . Que signifiait ce troublant regard ? Avec la même prudence, Dick avança vers elle, Victor restant derrière lui . En observant la frêle silhouette devant ses yeux, il découvrit un étrange tatouage, naissant sur sa nuque . Bizarre .
-Qu’est ce que vous me voulez ?
Le ton cassant et lassé de la jeune asiatique qui venait de prononcer ces mots figèrent sur place le justicier qui souhaitait, plus que tout, éviter un drame . Qui était-elle bon sang ? Elle semblait si fatiguée et usée, qu’avait-elle vécu pour en arriver là ? Cette voix résultait-elle de produits qu’elle avait consommées ? Lentement, Dick répondit, moins sûr de lui :
-On est là pour t’aider . Comment t’appelles-tu ?
-Je ne sais pas .
-Tu es amnésique ou c’est l’effet de quelque chose que tu as pris ?
-Je vous ai dis que je ne me souvenais plus de rien .
-Très bien, très bien . Donc tu ne sais pas pourquoi tu es là, au bord du vide ?
La jeune fille secoua la tête, toujours dos à son interlocuteur, comme si elle refusait de se dévoiler . Dick devait la faire descendre d’ici, c’était la seule chose à faire . Une fois en bas, ils pourraient discuter plus tranquillement et réfléchir à tout ça .
-Tu ne veux pas qu’on descende ? Si tu veux je vais t’aider à …
-N’approchez pas ! Tonna-t-elle à l’adresse de Dick qui avait fait un pas en avant .
-D’accord, d’accord ! Nous ne te voulons aucun mal, on veut juste parler . On est des … amis .
Mais rien ne pouvait entamer sa méfiance . Qui étaient-ils ? Des violeurs, comme ceux de tout à l’heure ? Une larme roula sur sa joue puis elle se retourna, prête à user de ses dons ou plutôt, de sa malédiction . Celui qui lui avait parlé était un jeune homme avec un masque vert qui cachait ses yeux et un vêtement militaire . Ses mains recouvertes de mitaines noires étaient levées, comme pour la retenir . Son visage exprimait une sincérité touchante qui ne trahissait pas un quelconque mensonge . Devait-elle lui faire confiance ? Sa tête lui faisait horriblement mal . Et ces voix … ces voix incessantes qui bourdonnaient sans répit . Une ombre noire lui voila le regard . Elle ne vit pas Dick se précipiter vers elle pour l’empêcher de vaciller et la soutenir, elle ne vit rien, n’entendit rien, sombra dans le néant absolu .
La villa des titans était le témoin privilégié d’une dispute spectaculaire entre Dick Grayson et Victor Stone . La raison de cette stupide joute verbale ? La jeune fille qu’ils avaient ramené . L’ancien quaterback souhaitait qu’on la livre à la police pour le crime qu’elle avait commis . Dick s’insurgeait contre cette idée et voulait qu’elle reste ici, à l’abri . Elle serrait en sécurité et pourrait apprendre à contrôler ses étranges pouvoirs . Garfield tentait de calmer les deux amis qui s’insultaient copieusement . Qui aurait put croire que les deux hommes étaient les meilleurs amis du monde il y avait quelques heures ? Tula, elle, était resté à veiller sur la jeune asiatique, évanouie . Celle-ci, dans son sommeil, prononçait d’étranges mots dénués de sens . Finalement, elle quitta son chevet pour sortir, en ayant assez des cris de ses coéquipiers .
-Cette fille est dangereuse, elle a tué ce type en un regard !
-Qui t’as rapporté ça, déjà ? Ah oui, ton « informateur », Malcolm Duncan, c’est ça ? Ouais… Et pourrais-tu me rafraîchir la mémoire sur ce qu’il a voulut lui faire ? La violer, je crois . Non ?
-Arrêtez .
Une voix cassante et lasse coupa les deux hommes dans leur débat . Derrière eux, leur hôte se tenait dans l’entrebâillement de la porte du salon, vêtue d’un pull noir, d’un jean et une paire de baskets aux pieds .
-Je m’en vais .
Dick tenta de la retenir mais elle était déjà partie . Il lança un regard noir à Victor . Jamais il ne saurait qui était cette énigmatique amnésique et d’où étaient tirés ses pouvoirs . Elle resterait cette mystérieuse inconnue, envolée tel un corbeau dans les ténèbres obscurs, fuyant la vie pour une contrée où sommeillait la mort seule …