Urban Comics
  Teen Titans #21 : Blood (4)
 

Histoire : Lex
Datede parution : Février 2008

Victor était inquiet. Une inquiétude qui rongeait son âme tandis que les premiers rayons du soleil pointaient à l’horizon, découpant les sommets des montagnes qui bordaient la vallée californienne. Il était réveillé depuis déjà plusieurs heures, le sommeil l’ayant définitivement quitté après un appel de l’inspecteur Chase qui l’avait informé de l’avancée de l’enquête. Au téléphone, il lui avait semblé optimiste mais l’ancien quaterback ne partageait pas cette joie. Un sombre pressentiment le tenaillait, comme si les monstres qui avaient tués Loren Jupiter ne pouvaient être inquiétés par l’enquête.

Devenait-il comme Raven ? Commençait-il à avoir des dons de médium ? Depuis quelques temps, il ne discernait plus très bien le faux du vrai. En réalité, il était perdu. Le choc de la mort de Loren avait provoqué chez les Titans un abattement général car chaque membre en connaissait les conséquences. L’inquiétude avait donc succédé au chagrin car l’avenir n’était pas assuré, loin de là. Comment le groupe continuerait-il à vivre sans la fortune de Loren ? C’était elle qui contrôlait les versements d’argents, elle la propriétaire de la villa dans laquelle ils logeaient, elle, leur unique mécène qui les aidait financièrement. Loren disparue, qui allait reprendre le flambeau ? Peu de candidats se profilaient à l’horizon. Même aucun. La situation était donc extrêmement tendue et c’était vers Victor que tous s’était tourné dans cette période de crise.

Dick ayant disparu de la circulation après avoir évasivement indiqué par téléphone qu’il partait pour Chicago pour une durée indéterminée, Victor jouait le rôle de chef par intérim. Et ce rôle ne lui allait pas si bien que ça. Bien sûr, il savait prendre des décisions et imposer son autorité mais la situation que vivaient les Titans était trop difficile pour qu’il y arrive seul.

Et puis l’absence de Dick dans ces moments pénibles le faisait considérer ça comme une sorte de désertion. Il aurait au moins pu lui indiquer un numéro où le joindre ou quelques choses dans le genre. S’octroyer des vacances ainsi, juste après la guerre des gangs, n’était pas dans le genre du justicier de Bayview et ça devait donc être important pour lui mais ce n’était pourtant pas une raison pour abandonner l’équipe et San Francisco. Au fond de lui, Victor savait qu’il se passait un truc. En vérité, depuis que Dick avait rencontré sa petite amie, Kory, qu’il n’avait pas eu l’occasion de voir, le jeune homme semblait délaisser son rôle au sein des Titans et ça, Victor ne l’acceptait pas.

Oui, Victor était inquiet. Vraiment inquiet même. Le futur ne présentait aucune certitude et le présent laissait un goût amer dans la bouche de chacun. Et puis Victor commençait à ne plus s’entendre avec Tula. Celle-ci lui avait d’ailleurs clairement fait comprendre que s’il ne faisait rien pour arranger les choses, elle le quitterait. C’était donc un poids plus qu’énorme qui demeurait sur les épaules du jeune athlète, un poids auquel il n’était pas sûr de résister.

-Tu es debout.

Victor se retourna en entendant la voix familière de Garfield derrière lui. Le mutant affichait une bonne mine après les tragiques évènements qui avaient eu lieu. Les deux équipiers avaient mis du temps pour s’apprécier mais aujourd’hui était née une véritable amitié entre eux. Oui, ils étaient deux vrais amis et se faisaient confiance mutuellement. En ce moment, ils en avaient bien besoin.

-Oui. Je ne trouvais pas le sommeil. Chase a appelé cette nuit. Ils ont réussi à obtenir des informations d’un des moines fous grâce à une taupe dans la prison où il est interné. La piste semble les mener vers la Jupiter Corp. Ils ont tout lieu de penser que Loren n’était pas étrangère au financement de la bande.
-Prions pour que ce soit faux.

Garfield avait dit ça en soupirant, guère convaincu par ses propres mots. Il savait, bien sûr, que Loren n’avait pas du être étrangère à cette organisation et que l’aide qu’elle avait apporté aux Titans n’était pas innocente.

-Raven aussi a été « contactée », cette nuit.
-Elle a fait un nouveau cauchemar ?
-Oui. Je sais que tu crois pas à ce genre d’histoires mais ça me paraît bizarre. Dans son rêve, elle a vu le nom d’une boutique : « Higgins Book ». Une librairie semble-t-il. Pour toi, ça doit être que des délires et je comprends que tu…
-Qu’est-ce qu’on attend pour localiser cette foutue librairie ? Coupa Victor. Allez, au boulot. Va réveiller Tula et Tara et amène Raven. On doit savoir.

Garfield fronça les sourcils en acquiesçant. Victor commençait-il à croire enfin à ce que racontait Raven ?

*

-C’est ici.

Le ton de Raven était sans équivoque. Elle reconnaissait l’endroit ainsi que son emplacement comme si elle s’y était déjà rendue. Elle avait vu ces lieux en rêve, elle en était certaine. Ce petit bâtiment à l’architecture ancienne, coincé entre deux immeubles qui semblaient vouloir le broyer, elle l’avait clairement vu, tout comme l’inscription en lettres dorées sur la devanture : « Higgins Book ». Oui, c’était bel et bien ici. Et cet endroit apporterait des réponses. C’était ce que lui avait dit cette voix puissante et masculine, cette voix étrangère qui lui avait provoqué cette vision, cette voix qui la terrorisait et qu’elle tentait d’affronter et de surmonter.

-Tu es sûre ?

La voix pleine de gentillesse de Garfield la fit sourire. Il était le seul garçon qu’elle avait connu à se soucier d’elle. Depuis quelques jours, ses souvenirs commençaient à revenir, sans qu’elle n’est rien dit à personne. Des visages qu’elle ne connaissait pas se dessinaient dans sa tête. Celui d’un asiatique à l’air mauvais par exemple. Puis des flashs se mettaient à la harceler dans lesquels elle se voyait, petite, se faire frapper par cet homme. Peut être en parlerait-elle à Garfield.

-Oui. Entrons.

Garfield emboîta le pas de son amie et tout deux franchirent le seuil du magasin, vide de monde. Tout en longueur, celui-ci comprenait de nombreuses étagères le long des murs, qui montaient à près de trois mètres de haut. Chaque rangée était remplie de livres poussiéreux, en morceaux pour certains, et sentaient le moisi. Sans doute de très vieux ouvrages. En tout cas, les lieux ne respiraient pas la fraîcheur et la nouveauté, bien au contraire.

-Puis-je vous aider ?

Les regards des deux titans se tournèrent vers un homme chétif aux cheveux grisonnant qui se tenait en équilibre sur une échelle noueuse, menaçant de tomber en pièces. Une fois en sécurité au sol, il rejoignit les deux jeunes gens avec un petit sourire puis les détailla, de ses lunettes cerclées.

-Vous n’êtes pas le genre de client que j’ai l’habitude de recevoir, murmura t-il en se dirigeant vers son bureau, encastré entre deux étagères. Que voulez-vous ?
-Et bien en fait nous… Commença Garfield.
-Que savez vous sur le livre noir ?

Raven venait de couper son ami. Sa voix cassée semblait déterminée et presque dure et ses yeux étaient plongés dans ceux du libraire qui venait de reculer presque imperceptiblement.

-Je… Je ne vois pas de quoi vous voulez parler… Marmonna le vieil homme en baissant les yeux.
-Ne mentez pas.

Le ton était devenu froid et la détermination avait laissé place à une réelle dureté. La jeune japonaise fusillait son interlocuteur du regard et celui-ci semblait incapable de lui tenir tête. Lentement, l’adolescente s’approcha du vieil homme qui commençait à trembler puis réitéra sa question avec plus d’insistance. Mais il tenait bon, tentant de ne pas fléchir devant elle, ce qui commençait à l’agacer profondément. Au fond d’elle même, elle sentait la colère poindre et une folle envie de secouer cet olibrius lui prit. Il lui mentait et ça l’énervait au plus haut point. Oui, elle allait craquer alors que ses poings se serraient et que ses ongles s’enfonçaient dans ses paumes.

-Hé, du calme.

La main de Garfield se posa sur l’épaule de son amie qui sursauta avant de secouer la tête pour chasser le flot de sentiments violents qui la submergeait. Elle devait regagner son habituelle froideur et faire le vide en elle. Lentement, elle se calma en respirant profondément puis recula pour mettre fin à sa présence oppressante face au libraire tremblant comme une feuille morte.

-Excusez la, monsieur, mais elle est un peu fatiguée en ce moment. Nous venons de perde un proche et ça l’affecte beaucoup.
-Oh, je suis désolé. Je comprends votre douleur.
-C’est justement parce que nous croyons que notre défunte amie est liée à ce livre que nous voulons connaître son origine. Rien de plus.
-Bon, bon. Je consens à vous raconter d’où il vient mais c’est tout.
-Bien sûr.

Le ton courtois et agréable qu’avait pris le jeune mutant avait fait des merveilles et avait convaincu le vieillard de livrer ses secrets. D’habitude moqueur, Garfield savait se montrer aimable quand il le fallait.

-Le Livre Noir fut écris par un jeune jésuite portugais du nom de Paolo Manuel Hernandez, vers quinze cent quatre vingt-deux. La datation n’est qu’approximative car les écrits relatant l’affaire sont extrêmement rares. Il est possible que l’écriture ait été commencée sur le bateau qui ramenait Paolo au Portugal et est pris fin peut être des années après son arrivée, datant de quinze cent quatre vingt-un.
-Où était-il allé ? Interrogea le mutant métamorphe.
-Voyez-vous, l’œuvre missionnaire du récent ordre des jésuites était d’une importance capitale dans leur philosophie. Aussi, une mission en partance pour le Japon, terre peuplée par ce qu’on prenait à l’époque pour des sauvages et non la civilisation raffinée que l’on connaît aujourd’hui, eut comme principal objectif de convertir au catholicisme les habitants de ce pays. Paolo était de ce voyage. Arrivé en janvier quinze cent quatre-vingt, le jeune homme fut chargé de répandre la foi chrétienne au nord de l’île de Kyushu, avec l’accord des seigneurs de guerre locaux qui voyaient en ces européens un appui possible dans les guerres de clans qui déchiraient le pays. Parti de Nagasaki en mars, l’expédition entreprit son œuvre d’évangélisation et convertit plusieurs villages au dogme chrétien. Mais alors que Paolo était sur le chemin du retour, des bandits attaquèrent la petite troupe qui ne résistât guère et le jésuite disparut de la circulation pendant six mois lunaires, une longue période durant laquelle on le crut mort. Mais à la surprise générale, Paolo réapparut après sa longue absence dans les rues de Nagasaki, tenant des paroles vides de sens, l’allure d’un pauvre hère et le visage ravagé par une barbe brune et sale. Rapatrié dans sa patrie quelques mois plus tard, Paolo entreprit la rédaction d’une œuvre qu’il disait « dictée par le Diable ». Il semble que le pauvre homme ait vu Satan lors de sa disparition et lui ait servi d’oreille attentive.
-Qu’est-il advenu de lui par la suite ?
-Oh, il fut condamné, lui et son livre, par l’inquisition portugaise à être brûlé vif pour hérésie.
-Mais l’œuvre a survécu, n’est-ce pas ?

Le libraire, soudain mal à l’aise haussa les épaules en signe d’ignorance. Mais la sueur qui perlait sur son front le trahissait. Il savait quelque chose. Quelque chose d’important qu’il ne voulait pas révéler. Ce fut Raven qui brisa le silence tendu qui s’était abattu.

-Vous en avez été le propriétaire ?

Pas de réponses. Le vieillard semblait de plus en plus mal à l’aise et ses joues prenaient à présent une couleur rosée.

-Répondez !

Le libraire tressaillit devant le ton menaçant que prenait la jeune adolescente, visiblement énervée qu’il refuse d’obtempérer. Les yeux de cette dernière semblait lancer des éclairs rouges et irradiait le visage du pauvre homme, paniqué et apeuré. Il sentait qu’il avait à faire à un être à la puissance incroyable, surnaturel peut être. Si elle voulait savoir quelque chose, elle l’obtiendrait, quoi qu’il fasse. Aussi finit-il dire par dire d’une voix faible :

-Je l’ai vendu il y a trois mois. Au départ je ne voulais pas m’en séparer mais j’ai été faible et ils avaient beaucoup d’argent avec eux… Bien sûr, j’aurais dû me méfier mais j’étais sans le sous et mes livres tombaient en miettes.
-Combien en avez-vous toucher ?
-Ce livre n’a pas de prix mais ils m’en ont donner trois millions.
-Trois millions ! Répéta Garfield, ébahi par une telle somme.
-Oui.
-Mais que contient ce livre pour qu’il vaille autant ?
-C’est… c’est une sorte de cheminement intellectuel et spirituel qui est tracé pour qui veut suivre la voie du Diable et devenir son… hôte.
-Vous voulez dire qu’avec ce bouquin, un guignol peut invoquer le Diable ?
-Exactement.

Garfield n’en revenait et lança un regard crédule à Raven, toujours dans son coin à observer le libraire en silence. Elle semblait prendre au sérieux les propos du vieil homme.

-Et à quoi ressemblaient les personnes qui sont venus vous voir ?
-Ils étaient deux, un homme et une femme.
-Ils vous ont dis leurs noms ?
-J’ai pu voir le prénom de la femme sur la bague qu’elle portait au doigt. C’était quelque chose comme Irène ou Loren.
-Loren ! C’est pas possible… Mais qu’est-ce que Loren foutait avec une bible satanique ?!

L’univers autour de Garfield était en train de s’écrouler. Loren côtoyaient des types bizarres et avait acheté un manuel pour invoquer Satan. C’était du délire, ça ne pouvait être vrai. Jusqu’à la dernière minute, il s’était persuadé que Loren n’avait rien à voir avec cette histoire mais c’était faux. Il s’était lourdement trompé même.

A présent, il devait réfléchir sur comment prouver toutes ces histoires et faire le lien avec l’affaire.

-Je peux peut être vous aider sur un point. Fit timidement le libraire. L’argent a été versé sur un compte à Vancouver et je crois que la transaction venait de la Jupiter Corp.
-C’est l’entreprise de Loren. Bon sang, ces histoires sont belle et bien liées.
-Et la femme, Loren, a appelé l’homme Sebastian.
-Il faut que j’appelle Chase.

*

-On les tient !

Adrian Chase jubilait et se pâmait devant le procureur Hart, une feuille de papier dans les mains qu’il entreprit de lire à haute voix.

-Sebastian Cassidy, pasteur protestant de quarante-deux ans, marié et père de deux fils. Il réside dans la banlieue de San Francisco, à Emeryville et officie à la paroisse des Saules Pleureurs. On l’avait dans la liste des types qu’on a interrogé pour la précédente enquête, monsieur le procureur ! Il ne vous reste plus qu’à signer le mandat de perquisition pour faire une descente chez lui et l’arrêter. Bon sang, on va les avoir, ces salauds !
-Calmez-vous, Chase.

Le ton qu’employait Hart n’avait rien de joyeux et avait tout l’air du contraire. Il semblait morose et taciturne alors que le dossier venait de faire un bon grâce aux explications des Titans qui avaient enquêté de leur côté.

-Qu’y a-t-il ? Interrogea l’inspecteur, plutôt étonné.
-Asseyez-vous, Adrian.

Ce dernier obtempéra, soupçonneux, avant de lancer un regard d’interrogation à sa coéquipière assise à sa droite.

-J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. On m’a invité à ne pas donner suite à l’enquête.
-Quoi ?

Chase avait bondi de sa chaise et regardait le procureur comme s’il lui avait annoncé l’heure de sa mort.

-Non, ça peut pas être possible ! On touche au but !
-Je sais. Mais nous n’y pouvons rien. Les instances supérieures ne m’autorisent pas à aller plus loin.
-C’est un complot ! Hurla Chase. On tente de nous faire taire c’est… c’est…
-C’est ainsi.
-Mais il n’y a rien à faire ? Demanda Trayce, moins atteinte que son collègue par la nouvelle.
-Je suis pieds et poings liés. Si je fais quoi que ce soit, je suis grillé.
-C’est pas possible. Continuait de répéter Chase en secouant la tête. Qui vous a donné cet ordre aberrent ? Qui est le corrompu qui…
-Suffit. C’est le maire lui-même qui m’a ordonné de stopper la procédure.
-Ca nous prouve une chose, il y a des types de la haute derrière tout ça ! Beugla Adrian.
-Je sais, Chase. Mais si je fais quelque chose, ma carrière est brisée.
-Mettez donc de côté votre foutue carrière ! C’est à ça que vous pensez alors que nous on se casse le cul a résoudre cette putain d’affaire de merde ?! Nous on risque notre vie pour boucler cette affaire, on a faillit se faire buter pour ça et vous, tout ce qui vous importe, c’est votre petite carrière de merde ?!
-Arrêtez.
-Non ! J’en ai assez qu’une poignée d’enculés décident si oui ou non on a le droit d’appliquer la justice de ce pays ! Que des fils de putes de corrompus manipulent la police, les médias et tout le tralala pour pouvoir avoir les mains libres ! Vous voulez que je vous dise ? Ce sont pas les types comme Moretti ou Choo les vrais mafieux. Non, ce sont ces connards qui vous dirigent !
-Assez.
-Fermez-là ! Je n’ai pas d’ordre à recevoir d’un lâche !
-Vous pouvez être renvoyé pou…
-J’m’en tape ! Qu’ils viennent me faire taire ! Vous êtes tous les mêmes pourris de toute façon.
-Non.
-Si vous respectez leur ordre, vous êtes comme eux !
-Mais je ne vais pas respecter cet ordre.

Cette annonce refroidit Adrian qui s’assit et se calma presque aussitôt. Le procureur reprit en ne quittant pas des yeux son interlocuteur :

-J’ai fais une promesse à la femme qu’on a retrouvé morte et je vais résoudre cette affaire, coûte que coûte, quoi qu’il advienne de moi. Ce matin, j’ai téléphoné à un ami du FBI et lui ai tout raconté. Il reprend l’affaire. Depuis ce matin il lutte pour obtenir des autorisations et une équipe pour bosser sur le dossier.
-Mais c’est aujourd’hui qu’il faut les coincer ! Si ils ont des potes chez les officiels, ils seront prévenus !
-On ne peut pas faire autrement.
-Moi si.
-Que… ?
-J’appelle les Titans !

 
 
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