Histoire : Lex
Date de parution :
Lorsque le vieux réveil rouge se mit à frétiller et à sonner comme une alarme de pompiers, une forme humaine sembla se mouvoir sous les épaisses couvertures bleus marines et un jeune homme brun, cheveux coupés courts, émergea . Les yeux encore bouffis par la fatigue, Dick chercha à tâtons ce maudit réveil et le balança par terre pour faire terre cette horrible machine . Mais le choc ne fit rien perdre de la vigueur de la sonnerie de réveil qui aurait réveillé un régiment entier en moins de deux minutes . Dick soupira avant de se lever pour arrêter l’affreux tintamarre qui résonnait dans ses oreilles . Il ramassa l’instrument de torture et l’arrêta en tournant un bouton . « Enfin le silence, le vrai » pensa Dick en soupirant d’aise . Puis il se dirigea vers la salle de bain . Une fois sa toilette terminée et habillé d’un jean et d’un pull aux couleurs de l’équipe de base-ball locale, il descendit l’escalier en colimaçon qui donnait tout droit à la cuisine ikea de la maison . Avec des gestes lents et endormis, le jeune homme sortit un bol et y versa une bonne quantité de céréales avant de tirer du tiroir une cuillère et de prendre dans une des armoires en kit un verre et une bouteille de jus d’orange dans le frigo . Le petit déjeuner fut rapidement avalé et Dick se dépêcha d’enfiler une veste et de se chausser après avoir prit son sac à dos .
L’air était frais en cette matinée d’automne . Les feuilles jaunies des maigres arbres du quartiers jonchaient les caniveaux et les imperfections du trottoir s’étaient transformées en immenses flaques . Dick s’élança néanmoins sur la chaussée défoncée, passant devant les immeubles désaffectés du quartier, puis emprunta une ruelle sombre, un raccourci vers son lycée qui lui évitait les billets de retards . Ces ruelles étaient réputées dangereuses mais le jeune homme n’avait aucune crainte de ce côté . Après cinq ans de judo et trois ans d’aïkido, deux ou trois camés en manque n’allaient pas l’effrayer .
Après dix minutes de marche, Dick aperçut le bâtiment scolaire qui lui servait de lycée ; lycée réputé difficile par ailleurs mais Bryan Grayson n’avait pas les moyens d’assurer à son neveu des cours dans le privé ni de déménager dans un coin moins « chaud » de San Francisco . Et puis, personne ne quittait les quartiers de Bayview et Excelsior sans l’autorisation des gangs . Ici, ils étaient les maîtres, et ce n’était pas l’institution scolaire qui y changerait quelque chose car le lycée était l’une des principales sources de recrutement pour les gangs latinos, afro-américain et blancs . Triste vie .
Pour une fois, Dick n’était pas en retard . « Parfois, ce fichu réveil a du bon » se dit-il lorsqu’il entra en salle de cours . Il s’installa silencieusement au fond de classe et sortit ses manuels d’histoire . Dick avait toujours été un bon élève . Silencieux et une moyenne d’oral au plus bas, mais un bon élève quand même . Si tout se passait bien, il irait à l’université dans un an . « Plus qu’un an à tenir dans ce foutu quartier » pensa-t-il alors que les autres élèves commençaient à rentrer . La plupart des élèves étaient plutôt calmes à part quelque têtes brûlés qui s’occupaient avec un tôt de réussite élevé à animer les cours mornes des professeurs . Un garçon de même âge que Dick, un peu plus grand, les cheveux mi-longs avec un look de skatteur vint s’asseoir à côté de Dick après lui avoir serré la main .
-Alors vieux, ça boum ?
Dick acquiesça avec le sourire . Angelo Lucci était son meilleur ami depuis des années déjà . Ils avaient grandis ensemble pour ainsi dire et avait su éviter les problèmes en restant unis comme deux frères . Les parents d’Angelo étaient propriétaires d’une pizzeria, l’un des seuls commerces qui n’ait pas été braqué depuis son ouverture, un véritable record . Les deux garçons profitèrent de l’heure de cours pour discuter tranquillement . Ce n’était pas Monsieur Timothy, un vieil enseignant qui aurait dû prendre sa retraite depuis déjà dix ans, qui allaient y changer quelque chose . Il n’avait jamais eu beaucoup d’autorité . Lorsque la fin du cours sonna, les deux amis se rendirent à leurs cours suivants en parlant base-ball, filles et cours . La matinée passa en un éclair . Résultat des courses : interrogation de Mathématiques et Gina porte un nouveau string . Les deux amis, assis derrière elle en espagnol, avaient profités du spectacle, bien plus intéressant que les paroles mornes de la professeur . Au réfectoire, ce fut une de leur principale source de conversation surtout qu’Angelo ne rêvait que de sortir avec elle .
-Tu penses que j’ai mes chances, Dick ? Allez ! Soit franc, vieux !
-Tu as toute tes chances, répondit le brun avec un sourire amusé, tu es le beau gosse de la classe, rappelles-toi .
-Et toi, avec Noémie, où ça en est ? Elle est folle de toi, pourquoi tu vas pas la voir, t’es gay ou quoi ?
Dick ne put s’empêcher de rire en secouant la tête . Non, il n’était pas homosexuel mais plutôt timide comme gars . Il aimait prendre son temps avec les filles et puis, ce n’était pas sa première préoccupation, contrairement à Angelo . Noémie était une jolie fille qu’il avait connu au club de dessin, l’année dernière . Ses regards appuyés et ses sourires discrets lui avait fait rapidement comprendre qu’elle s’intéressait à lui . Mais cela datait de l’année dernière et depuis, il l’avait perdu de vu . Angelo voulait le forcer à aller la voir mais ses refus l’avaient finalement découragés . Une voix avec un accent hispanique le tira de sa rêverie . Dick leva la tête pour croiser le regard de Esteban, un latino habillé d’un jean bas délavé, d’un maillot de football US et d’une casquette mise de travers .
-Ouech, les mecs, ça boum ou quoi, vas y !
Cette phrase fut ponctué par des mimiques typiques des rappeurs de la West Coast . Dick ne put s’empêcher de sourire . Malgré la différence de style, Esteban et lui et Angelo étaient potes . Esteban aimait jouer les caïd mais en réalité, il n’avait jamais brutalisé qui que ce soit et il était la fierté de sa mère . Le pseudo rappeur s’assit donc près d’eux et s’ensuivit une discussion sur une compétition de tunning se déroulant dans deux jours à North Beach .
Après le repas, les trois compères sortirent du réfectoire pour se diriger vers la cour, surface de béton semblable à celle qu’on voit dans les documentaires sur les prisons hautes sécurités du Colorado . Éparpillés un peu partout, les lycéens se réunissaient en groupe . Au fond de la cour, les quelques pseudos gangs du lycée discutaient ensemble tout en se refilant des sachets d’héroïne à revendre ou à consommer sous l’œil distrait des quelques surveillants qui ne s’aventuraient jamais dans cette partie de la Cour . Elle leur appartenait et quiconque s’y opposait en subissait les conséquences . Il y a une semaine, on avait même retrouvé un professeur poignardé dans le parking souterrain du lycée, à la fin des cours . Deux latinos l’avaient attendu pour lui faire la peau . Bien sûr, personne ne savait rien, personne n’avait rien vu et l’enquête de la police n’avait abouti à rien, dû à la pression constante des gangs . Même San Francisco a son enfer, et Dick Grayson y vit .
Alors que les trois camarades regardaient en direction de ces types à peine plus âgés qu’eux, mais qui avaient déjà, pour quelques uns d’entre eux, du sang sur les mains, ils virent un jeune garçon aux cheveux bouclés, pâle comme un linge, se diriger vers l’un des groupes .
-Qu’est ce qui fout ? Lâcha Esteban les yeux grands ouverts . C’est un ouf ou quoi ce mec ?
-Il est dans notre classe, dit lentement Angelo, les yeux plissés . Il s’appelle Dom, je crois .
Dick resta silencieux en regardant la scène . Le dénommé Dom se trouvait entouré par le gang de T-Mike, un blanc avec un bandana rouge sur la tête, un T-shirt XL sur les épaules et un jean taille basse autour des hanches . Celui-ci semblait être en proie à une colère non dissimulée tandis que ces amis semblaient rire . Dom était tremblant comme une feuille .
-Qu’est qu’ils foutent ? Interrogea Esteban, les sourcils froncés .
-Dom s’est fait racketté avant hier pat T-Mike et sa bande . Lâcha Dick d’une voix absente .
-Je n’aime pas ça . Concéda Angelo . On devrait aller voir ce qui se trame, non ?
-T’es un ouf dans ta tête ou quoi, mon frère ? Tu veux t’faire détruire ta face ou quoi, mon pote ?
Angelo sourit et commença à partir en direction du groupe, suivi de Dick . Voyant qu’il n’avait pas trop le choix, le latino les suivit en soupirant . Les trois compères s’arrêtèrent à quelques mètres . Ils n’étaient pas les seuls à s’être approché ; plusieurs autres lycéens regardaient la scène, inquiets pour certain, amusés pour d’autre . Dick faisait sans aucun doute parti des inquiets . Enfin, on entendait ce qui se disait .
-Eh ! Mec ! Tu tiens pas à la vie, on dirait ? T’as vraiment envie que j’te défonce ta race ou quoi ?
-Ferme-la … Salopard … Je …
-T’as dis quoi là ? Demanda T-Mike en faisant semblant d’avoir mal entendu . Putain, tu veux trop que j’te démolisse ta mère, toi !
Dom était tremblant comme une feuille morte, comme pris de convulsions, ce qui faisait rire à gorge déployée les membres de la bande de T-Mike et ce qui ajoutait au malaise de la scène . Dick avait mal pour Dom qui était foutu . Il avait osé insulter T-Mike et ça avait sans doute signé son arrêt de mort . Mais quelque chose d’autre qu’une simple baston se tramait . Non, il y avait quelque chose dans l’attitude suicidaire du garçon qui interrogeait Dick . Et il n’avait hélas, pas tord .
Dom plongea sa main dans son jean pour en sortir un colt Anaconda et pointa l’arme sur T-Mike . Cette fois, les membres du gang ne riaient plus et s’étaient même écartés . T-Mike semblait si surprise par la succession d’évènements qu’il ne dit mot . Un mince sourire apparut sur le visage pâle de Dom et ses sourcils se froncèrent . Il allait tirer, c’était sûr . Dick sentit son estomac se nouer, tout ceci allait dégénérer dans moins d’une minute si il ne lâchait pas ce flingue . Il n’aimait pas jouer les héros, surtout s’il risquait de se faire plomber, mais si personne ne faisait rien, T-Mike ou Dom allait perdre la vie . Il commença à avancer vers Dom mais fut bousculé par Angelo qui l’avait devancé . Angelo avait prit son courage à deux mains et avait voulu s’imposer en médiateur pour calmer Dom et lui faire lâcher l’arme . L’italien s’arrêta à quelques centimètres de l’arme et dit aussi calmement que son cœur, battant à la chamade, le lui permettait :
-Écoute, Dom . Ca sert à rien d’arriver à des extrémités pareilles, pas vrai ? Mike est peut être le dernier des abrutis mais il vaut pas la peine d’être flinguer .
Derrière Angelo, T-Mike parut offusqué par ces paroles mais l’arme, toujours braquée sur lui, le dissuada de répliquer . Mais malgré les propos d’Angelo, Dom refusait de lâcher son arme . Pour une fois il n’allait pas se dégonfler et il se vengerait de T-Mike qui l’avait racketté et frappé à la sortie du lycée . Ce n’était pas non plus les larmes qui commençaient à perler au coin de ses yeux et la boule dans sa gorge qui l’empêchait de déglutir qui allaient y changer quelque chose . Il allait avoir le courage de tirer, même si on l’en empêchait .
-Je sais pourquoi tu fais ça . Reprit Angelo d’une voix ou perçait une angoisse contenue . Tu crois qu’en tuant un homme, tu régleras tout tes problèmes, que T-Mike l’a cherché . Mais, est-ce qu’un homme mérite de mourir pour ses fautes ? Allons, Dom, pose ce flingue et calme toi . Essaye de faire le vide dans ton esprit et baisse cette arme . Pense à tes parents, ta famille, tu crois vraiment qu’ils serraient fiers de toi s’il te voyait, dans cette cour, une arme à la main ?
Dom ne semblait pas entendre les mots d’Angelo mais ils résonnaient, contre son gré, dans sa tête et s’entrechoquaient contre les parois de son crâne . Les larmes commençaient à lui brouiller la vue et son sourire s’était éteint . Le cœur d’Angelo commença à ralentir et il sentit comme un poids s’enlever . Mais c’était sans compter la stupidité de T-Mike qui avait retrouvait son sourire et son ton railleur :
-Alors ptite merde ? On fait dans son froque, ah oai ? Va-y, ptite queue, appuie ! T’es même pas …
Angelo n’eut le temps de reculer qu’une horrible détonation, aussi violente et puissante qu’un grondement de tonnerre éclata . Il n’avait fallu à Dom qu’une seconde pour appuyer sur la détente et reculer sous la pression de l’arme . Dick avait fermé les yeux au moment du tir pour ne pas voir ce qui allait se passer . Ce fut le « madre de dios » d’Esteban qui le fit revenir à la réalité . Lorsque ses paupières se rouvrirent, il put contempler la scène . T-Mike était à terre, entouré d’une flaque de sang et -horreur !- Angelo était à terre, lui aussi . Dom se tenait debout, les yeux dans le vague, prit d’un rire nerveux et compulsif et marmonnant des bout de phrase comme « J’l’avais dit que j’allai tirer … Il l’a cherché … » . Puis il recula comme mal à l’aise devant les regards horrifiés que lui lançaient les lycéens de la cour .
Sans réfléchir, Dick se rua sur Dom et sans qu’il est put réagir, lui donna un coup de poing dans le ventre et lui arracha l’arme à feu . Dom s’écroula, la main sur le ventre . Puis il se dirigea, des gouttes de sueurs perlant sur son front, vers le corps d’Angelo . Celui-ci avait sa main sur sa poitrine et semblait encore vivant . Voir son ami aux portes de la mort, se vidant de son sang, faillit le faire vomir tandis que ses yeux s’inondaient de larmes peu à peu . Les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, Dick restait en état de choc, comme à peu près tout le monde dans la cour, devenue terriblement silencieuse, mortellement silencieuse . Ce silence semblait assourdissant, agressif . Ho non, il n’avait rien d’un silence paisible . C’était un silence de mort, un silence sans pitié, un silence froid, glacial et profondément inhumain . Mais il fallait que Dick réagisse . Son ami était en train de perdre son sang devant lui et il devait faire quelque chose . Il tourna la tête vers Esteban qui était, comme la plupart, en état de choc .
-Esteban ! Hurla-t-il . Prévient une ambulance ! L’infirmière ! Dépêches-toi !
Presque machinalement, Esteban s’exécuta et traversa la cour au pas de course en se répétant que ce n’était pas possible tandis que des surveillants, aussi choqués que les élèves approchaient timidement .
-Bon Dieu, dépêchez vous ! Leur hurla Dick, désemparé .
Comme robotisé, les surveillants coururent en direction du blessé qui se vidait de son sang . Dick tentait de le réconforter en lui disant qu’il allait s’en sortir, que ce n’était qu’une question de minutes mais Angelo s’en allait . Son sang coulait et inondait son pull noir et le liquide vital s’écoulait de sa bouche béante . Lorsque les sirènes de l’ambulance retentirent et que les brancardiers firent irruption dans la cour en courant, il était trop tard … trop tard … Angelo était mort, son cœur ne battait plus, il s’était vidé de son sang sans que personne ne puisse rien faire . De grosses larmes coulèrent alors sur ses joues et il s’écroula sur le cadavre de son ami, une balle logée dans le thorax . Il ne vit pas les ambulanciers le tirer, n’entendit pas les questions des policiers arrivés sur les lieux avec l’ambulance, seul le cadavre de son ami restait gravé dans sa mémoire, seule image qui lui semblait réel, une peut plus réel . Comme dix ans auparavant avec la mort de ses parents, seul le décès d’Angelo comptait .