Histoire : LEx
Date de parution : Mars 2008
-C’est terminé, révérend.
La voix de Victor Stone était sèche et sans appel. Le géant noir d’un mètre quatre vingt dix, vêtu d’un pull gris, la capuche rabattue sur son visage, lançait un regard noir à son interlocuteur, un homme d’une quarantaine d’années, des lunettes sur le nez et l’allure du parfait père de famille, aimé de ses voisins. Un vrai profil de psychopathe comme dans les films, en somme. Derrière lui, habilement ligotés, se trouvaient une femme, la trentaine et plutôt jolie, ainsi que deux enfants, une fille et un garçon, âgés d’une dizaine d’années, pas plus. Des otages finement choisis par celui qu’on appelait dans la presse « le boucher de San Francisco », Sebastian Cassidy. Bien sûr, des bruits avaient filtré et les journaux avaient tirés cette nuit les gros titres d’aujourd’hui ne parlant que de l’affaire des moines fous et des arrestations historiques effectués cette nuit par les fédéraux. En s’emparant de l’histoire, les médias avaient asséné le coup de grâce aux moines tarés et à leur petite secte.
Au compteur des arrestations se trouvaient des célébrités locales que Dieu lui même n’aurait jamais pu accuser de faire parti de cette macabre mascarade. Bromwell Stick, propriétaire de la chaîne de télévision San Francisco Channel et de plusieurs journaux locaux, ces derniers ne figurant étrangement pas dans les kiosques en cette matinée, avait été arrêté vers une heure du matin, au lit avec sa maîtresse. Terrorisé par l’arrivée des services spéciaux, le pauvre n’avait pas arrêté de chialer sur tout le trajet qui le menait au commissariat, racontant qu’on l’avait forcé à participer à ces jeux macabres qui avaient tenu en émois tout les habitants de la ville.
André Le Blanc, premier adjoint au maire, avait été le deuxième sur la liste et avait été interpellé à son domicile. Il n’avait opposé aucune résistance, le regard vide, comme si il s’attendait à ce que les forces de l’ordre débarquent chez lui et lui hurlent aux oreilles qu’il avait le droit de garder le silence et d’appeler un avocat après sa garde à vu. Lui aussi s’était rapidement mis à table, livrant un bon nombre de noms qui figuraient déjà pour la plupart dans les dossiers du Bureau et du procureur Hart.
La troisième interpellation s’effectua plus difficilement puisque la juge May Bennett, connue pour son charisme et son impartialité, avait fuis dans la nuit et traversé la banlieue chic où elle vivait en robe de chambre en essayant d’échapper aux projecteurs des hélicoptères qui zébraient le ciel. Finalement, ce fut des fléchettes tranquillisantes qui eurent raison d’elle, alors qu’elle s’apprêtait à se défendre contre les policiers aguerris qui allaient à sa rencontre.
Vers trois heures du matin, Vernon Questor eut la surprise de voir atterrir dans son jardin un hélicoptère d’où sortit une escouade d’officiers de police, armes au poing, prêt à le molester si il se défendait. Plus choqué et déstabilisé qu’autre chose, le PDG et premier actionnaire de la Blue Company, célèbre compagnie pétrolière d’Alaska dont le siège social se trouvait à San Francisco, s’était laissé passer les menottes et avait suivi la police avec calme.
La dernière prise de la nuit fut le colonel Sammy Jaye, ayant servi dans l’US Navy puis dans l’Air Force pendant près de trente ans. Républicain et conservateur intransigeant, le vieux combattant avait vigoureusement protesté contre cette arrestation arbitraire et sans fondements. Pourtant, on pouvait lire dans la presse de ce matin qu’il avait été l’un des membres les plus actifs de la secte. Un comble pour le patriote intègre qu’il se prétendait être. Finalement, tout ce joli petit monde avait été vigoureusement interrogé par l’agent Sarge Steel, chef des opérations, jusqu’à ce que chacun des suspects avoue et dénonce ses camarades. La méthode fut si efficace que les agents fédéraux n’eurent aucun mal à découvrir l’endroit où se terrait le gourou de la secte, Sebastian Cassidy, vénérable pasteur de banlieue, véritable taré, exécuteur et sadique en vérité.
L’endroit se trouvait être une sorte d’ancienne usine désaffectée, un véritable nid à détraqués où junkies et putains venaient se fournir pour tenir le coup. Ici, on trouvait de tout : violeurs, maniaques, clodos. Un vrai brassage de soupe populaire qui puait la coke et la pisse jusqu’à l’autre bout de la ville. On était au cœur de Bayview, la cour des miracles version Sun Belt où les pauvres crèvent en silence sous des panneaux publicitaires vantant les mérites d’un dentifrice made in China. Rien d’étonnant, donc, qu’un malade en cavale vienne se planquer dans ce coin pourri où le Diable avait élu domicile. Et comme rien n’était simple, Cassidy avait organisé une petite réunion de famille en emmenant sa femme et ses deux gosses.
Ces deniers étaient maintenant ligotés fermement derrière le cinglé qui tenait un couteau effilé entre ses mains et qui observait Victor Stone avec un sourire. Qui était assez taré pour prendre en otage sa propre famille ? En voyant les yeux des gamins de Sebastian, Victor ne fut vraiment pas étonné de ses rencontres précédentes avec tant de gosses paumés et détraqués. Pourquoi les adultes se sentaient-ils obliger de faire souffrir leurs mômes ? Mettant de côté ses pensées, Victor reporta son attention sur son adversaire, toujours tout sourire avec un regard pervers derrière ses lunettes rectangulaires. Ce malade était prêt à tout pour arriver à ses fins, prêt à buter sa femmes et ses marmots, prêt à ordonner à ses potes qui s’étaient réunis dans le coin de provoquer un bain de sang mémorable.
Les clodos étaient au nombre de vingt deux, et, dopés à une drogue inconnue, formaient un cercle autour des Titans, dans la vaste déchetterie à ciel ouvert qu’était cette vieille usine en lambeaux. Au dessus d’eux, la lune aussi pleine qu’une femme enceinte observait le spectacle et attendait les prémices du combat qui s’annonçait. Les Titans étaient venus seuls une fois que le procureur Hart leur ait indiqué la planque de Cassidy. Et maintenant, les voilà confrontés à une bande de satanistes, tout ce qu’il y avait de plus tarés ici bas.
-Bien. Apparemment, vous êtes trop con ou trop défoncé pour comprendre que vous n’avez aucune chance face à nous.
-Quand vous dîtes vous, vous parlez de vous et de vos guignols entourés par mes hommes, c’est bien ça ?
L’ironie était mordante et la voix parfaitement horripilante. Cette même voix que Victor avait entendu dans l’entrepôt où Dick, lui et tout les autres avaient combattu les moines fous.
-Oui, je parle de moi et de mes amis, de mes compagnons, de mes gars.
-Je ne comprends toujours pas comment vous pouvez encore être en vie, tous. Vous êtes une bande de bras cassés totalement débiles et vous n’avez jamais perdu un seul de vos membres ? Hum… Il faudra que je remédie à cette anomalie.
-Tu vas vite comprendre, crois moi, qu’on est pas qu’une bande de loosers. Tu te demandes comment ç se fait qu’on est survécu à l’enfer des rues, aux cinglés dans ton genre, aux toxicos et aux mafieux ? Simple. On est les Titans, mec. Les types qui vont t’envoyer en Enfer.
Victor avait abandonné toute forme de politesse et donnait dans le trivial. Normal face à un connard de la pire espèce qui se foutait ouvertement de la gueule de ses frères d’arme. D’accord, Dick n’était pas là, okay, les Titans n’étaient pas au mieux de leur formes, c’est vrai que lui et Tula, ça n’allait vraiment pas fort et qu’ils allaient certainement rompre bientôt. Mais, bordel, ils étaient les Titans ! Garfield, Tara, Tula, Connor (qui s’était planqué en hauteur, prêt à intervenir à l’aide de ses flèches), Raven et bien sûr, lui-même. Tous étaient réunis pour clore une bonne fois pour toute l’affaire des moines fous. Et Victor allait le faire comprendre à Sebastian.
- Écoute pauvre taré, enculé congénitale, sadique de merde découpeur de gosses, je vais être clair avec toi : t’es qu’un connard que les Titans vont se faire un plaisir de foutre en taule, tu piges, ça ? Et tu sais ce qui t’attend, mec ? La chaise électrique. Ton putain de cerveau va griller avant que t’es pu dire « ouf ».
-Pff…C’est toi qui ne pige rien mon garçon.
Victor fut légèrement surpris par l’assurance de son adversaire, tandis qu’il sentait Garfield à ses côtés, qui l’observait, inquiet.
-Tes copains sont des manches et tu le sais. Tu crois vraiment que j’ai peur de la mort ? Je sais que Trigon mon maître est de nouveau parmi nous, qu’il frappera l’humanité et la détruira comme il l’a fais il y a des siècles. J’ai accompli ma mission. J’ai R.E.U.S.S.I ! Tu comprends, pauvre tâche ? Bientôt, mon maître vous tuera tous et récupérera son bien le plus précieux !
Son regard électrique se posa sur Raven qui recula instinctivement. Merde. C’était Raven dont il parlait ? Victor fronça les sourcils. L’affaire se corsait mais pour l’heure, il devait se concentrer sur Cassidy et l’arrêter.
-Okay, tu veux crever. C’est ton problème, Sebastian. Mais relâche ta femme et tes enfants. Ils ont rien à voir avec tout ça.
-Oh mais si Victor. Ils sont les raisons même pour lesquelles tu ne vas pas te battre et te laisser massacrer. Tu sais que je les tuerai si tu tentes quoique ce soit. Tu crois que c’est moi qui est piégé ? Allons bon. C’est tout le contraire.
-Tu me connais mal, fumier. Connor !
Une flèche se ficha dans la tête de Cassidy avant qu’il n’est pu faire quoique ce soit. Immédiatement, les clochards se mirent en action et se ruèrent sur leurs adversaires, pelles, battes, couteaux, clefs anglaises, en mains. Telle une nuée d’insectes, les vingt deux soldats du Diable attaquèrent les Titans.
- Défense !
Les mots de Victor résonnèrent dans la nuit et l’ordre fut exécuté aussitôt. Garfield se transforma en bélier et botta les fesses de deux gros bras qui s’écrasèrent un peu plus loin. Tara ferma les yeux et le sol se craquela, déséquilibrant trois gaillards qui courraient vers elle. Tula verrouilla sa défense et boxa ses quatre assaillants avec vigueur. Connor, rejoint par cinq zombies au services du Mal tenta de se défendre avec plus ou moins de succès. Le seul hic venait d’une Raven terrorisée et paralysée, qui ne bougeait un muscle. Victor, lui fit signe de protéger la famille du feu pasteur Cassidy qui baignait dans son sang mais rien n’y faisait, la jeune japonaise restait interdite, les jambes flageolantes. Victor se résolut à abandonner son poste et à rejoindre les otages qui allaient être massacré. Un crochet du droit, un coup de boule puis un coup de pied retourné eurent raisons des créatures de Sebastian mais un problème vint se dessiner rapidement.
D’autres clochards surgissaient de l’ombre, et en grand nombre cette fois. Pire encore, leurs yeux brillaient d’une lueur rouge et malsaine, annonciateur de mauvaises, très mauvaises choses.
-Autour des otages !
Les Titans se regroupèrent rapidement autour de la femme et des enfants de Sebastian, prêt à se défendre. Tara resta près de Raven, évanouie, prête à la défendre jusqu’à la mort. La jeune fille d’abord hostile aux Titans avait fini par les apprécier et à les aimer. Connor, qui voulait, semblait-il, détruire le groupe, avait changé ses plans et c’était une bonne chose. Les Titans était sa nouvelle famille et elle en était fière.
Garfield observa ses deux amies, inquiet.
-Vic, on est dans une sacrée merde, là.
- Je sais, Gar. Mais on doit défendre les otages contre ces…
Victor asséna un puissant coup à une de ses victimes précédentes qui se relevait.
-… cinglés.
-Ils sont dopés à je sais pas quoi.
-Je sais, Connor. Ces fils de pute vont être coriaces mais nous aussi, on l’est, non ?
- Oui, t’as raison.
Les mots de Tula rassurèrent quelque peu le géant noir qui serra les poings.
-Titans, vous êtes prêt ?
-Oui !
La réponse était claire et un sourire se dessina sur les lèvres du leader de l’équipe. Ils allaient se battre, et jusqu’au bout.
-Attaquez…
Un cri mou sortit des rangs de la légion zombifiée et les soldats se mirent en route. Certains étaient lents, d’autres très rapides, composant un éventail de combattants hétérogènes et coriaces.
Un tremblement de terre nerveux déstabilisa les premiers rangs et une dizaine de ces créatures disparurent dans l’énorme fossé creusé par Tara, en avant garde. Connor mitraillait avec rapidité et précision, tuant sur le coup. Garfield, sous sa forme humaine, et haletant des suites de la transformation précédente, savait qu’il ne pourrait plus se transformer avant une bonne dizaine de minutes. Mais il se battrait quand même, pour Vic, pour ses compagnons, pour les otages, maintenant dans les bras de Morphée. En garde, Victor se préparait à accueillir l’assaut, tout comme Tula. Un regard pour elle et il sut qu’elle serrait prête à mourir avec lui. Leurs mains s’effleurèrent brièvement puis ils se remirent en position.
Les hordes submergeaient maintenant Tara qui donnait coup sur coup et essayait de défendre Raven. Elle devait protéger son amie face à ces malades. Ces deniers, yeux rouges et luisants, ressemblaient à des machines et abaissaient leurs armes sur la jeune femme avec un automatisme macabre. Bientôt, elle disparut sous le nombre…
-Merde ! Tara !
Connor tira en direction des clochards qui avaient attaqué sa copine mais rien n’y faisait. A présent, le seul horizon qui s’offrait aux Titans était une armée de zombies en puissance. Les rapides vinrent bientôt au contact et un corps à corps sanglant s’engagea. Connor, de concert avec Garfield, tentait de blesser l’adversaire et l’arc de l’archer faisait maintenant office d’arme blanche. Le jeune métamorphe, en pleurs, sentait sa fin approcher, mais avec la force du désespoir, combattait comme le plus courageux des spartiates, poings en avant. Les coups pleuvaient sur son visage mais il luttait, il luttait, jusqu’à ce qu’il s’évanouisse, face à la douleur. Instinctivement, Victor fit barrière entre Garfield et les otages et l’armée maléfique. Il ne laisserait pas ces salauds achever celui qu’il considérait maintenant comme son meilleur ami. Ils avaient tout partagé depuis sept mois. Ils étaient devenus des frères. Et un frère tombé au combat se devait d’être protéger !
-Raaaahhhh !!!
Victor cognait de plus en plus fort les monstres qui attaquaient de tout côté. La masse n’aurait pas tout de suite raison de lui et il mourrait après avoir renvoyé ces démons d’où ils venaient ! Comme un boxeur, lourd et brutal, Victor s’affairait à détruire des mâchoires, tordre des bras, exploser des os et réduire en miette l‘adversaire. La pitié avait totalement disparue de son regard, celui d’un guerrier. Connor et Tula étaient les seuls encore debout et frappaient durs pour envoyer valser leurs ennemis. Leurs forces réunis, ils pouvaient tenir encore dix minutes. Les centaines de zombies s’entassaient devant eux et c’était trop dur de résister. Connor tomba le premier, évanoui ou… pire. Tula, qui luttait avec énergie, ne put contenir les cinquante fous furieux qui la tabassaient et elle finit par crouler sous le poids, inconsciente. Alors qu’elle tombait, elle murmura à Victor dans un souffle :
-Je voulais pas… tu sais… je… il m’a forcé et…
A présent, Vic était le seul rempart de la famille Cassidy, encore vivante. L’homme de métal résisterait encore un peu. Encore. Oui mais la fatigue, la force des coups qu’on lui assénait, le sang noir qui coulait de son œil, son regard qui se ternissait, ses muscles qui lâchaient. Tout ceci fut le facteur de sa chute. Tombant à genoux, l’athlète afro-américain eut le temps de voir un éclair noir faire sauter tout ces pantins avant de sombrer. Une énergie qui venait de Raven.