Urban Comics
  Batman #32 : Robin (2)
 
Auteur : Lex
Date de parution : Janvier 2008

Barbara sentit la tristesse la submerger devant la scène qui s’offrait à elle. Derrière la vitre qui la séparait de la chambre vingt et une, elle pouvait voir le docteur Wayne, directeur de la clinique privée dans laquelle elle travaillait depuis un mois, au chevet de ce gosse. Plongé dans un coma artificiel qui le maintenait précairement en vie, le jeune patient avait évité la mort de peu, victime d’une perforation de l’abdomen. Il n’avait que treize ans et était mignon comme un cœur. Mais ce n’était pas ça le pire, non. Le plus triste dans tout ça, c’était qu’on lui avait tiré dessus parce qu’il s’était déguisé en justicier.

Ces types qui soit disant se battaient contre la criminalité et que tout le monde adulait n’étaient en rien des héros à ses yeux. Bien au contraire, ils ne se souciaient pas des répercussions de leurs actes sur la vie d’autrui et quelles horreurs cela pouvait engendrer. Des horreurs comme celle-ci. Ce gamin avait voulu imiter l’un de ces types au dessus des lois, l’une de ses idoles magnifiées par les médias et voilà ce qui s’était passé. Si le docteur Wayne ne l’avait pas trouver sur les lieux du drame et amener jusqu’à l’hôpital, il serrait mort à l’heure qu’il est.

Bruce Wayne, lui, était un vrai héros. Il donnait sa vie, chaque instant de son existence, pour aider son prochain et permettre d’améliorer le quotidien de tous. Rien à voir avec ce Batman qui sévissait depuis plusieurs mois dans les rues de Chicago. Non, vraiment rien à voir entre un homme anonyme et solidaire et une créature égoïste se basant sur une sinistre mythologie urbaine pour asseoir son autorité. D’ailleurs où était-il lorsque ce garçon s’était fait mitrailler par un malade ? Peut-être n’était-ce pas un cas assez « important » pour un justicier tel que lui. S’occuper d’un enfant de treize ans blessé aux tréfonds de cette ville n’avait rien de valorisant pour lui. Qui s’en soucierait aux infos ? Non, le plus important c’était de faire la une des journaux parce qu’on avait arrêté les membres d’un gang ou empêcher un psychopathe de renom de tuer le fils du maire. Les malheurs des pauvres gens, des gens ordinaires comme ce gosse, ne devait pas compter pour cette chauve-souris sans cœur. Ce n’était pas lui qui réparait les catastrophes qu’il causait, non. C’était des gens comme Bruce Wayne, des gens sans masques, des gens ordinaires, à qui incomber « l’honneur » de recoller les morceaux cassés. Le plus dur, en somme.

Et maintenant, ce jeune garçon allait peut être mourir. Mourir pour un bout de tissu qu’il portait sur lui. Mourir parce qu’un de ces cinglés en costume avait influencé les choix d’un enfant perdu. Un masque et un habit extravagant n’arrêtaient pas les balles, hélas. Personne n’était invincible, non, personne. Quelle image ces justiciers donnaient-ils aux gamins qui ne rêvaient que de les imiter ? Celle de héros invulnérables. Des monstres, oui ! Des monstres insouciants et inconscients.

En fermant les yeux, la jeune infirmière sentit une larme perler sur ses cils puis descendre le long de sa joue. Elle avait vu les parents du garçon. Elle avait vu le docteur Wayne s’avancer vers eux et leur apprendre la nouvelle en leur expliquant comment l’agression était arrivée. Elle avait vu le père, un grand type imperturbable, s’effondrer, son épouse fondre en larmes en criant désespérément. Et elle, elle était restée à l’écart, interdite devant une telle scène. Leur vie familiale serrait brisée à jamais à cause de ça, à cause d’un déguisement qui allait peut être coûter la vie à leur fils chéri. Un costume avec la majuscule R tatouée sur le poitrail rouge vermillon, qui avait viré au rouge sang. Le sang d’un enfant innocent injustement versé une sombre nuit d’hiver.

Le docteur Wayne semblait lui aussi ébranlé par le choc de cette injustice, plus que de coutume pour un médecin. Il était resté avec les parents du petit pendant de longues minutes et les avaient soutenus de son mieux puis leur avait promis de veiller sur leur fils quand ils ne serraient pas là. Et c’était ce qu’il faisait en ce moment même. Il restait assis près de lui, la tête dans les mains, la solitude pour toute compagnie. On avait dit à Barbara que Bruce Wayne était un être froid et exigeant lorsqu’elle était arrivée ici mais elle comprenait à quel point on se trompait sur son compte. C’était un type en or.

*

Bruce Wayne releva la tête pour observer l’électrocardiographe affichant l’activité musculaire du cœur de Tim Drake. Le jeune adolescent était plongé dans un sommeil artificiel depuis trois jours maintenant. Il respirait à l’aide d’un tube enfoncé dans sa gorge et les intraveineuses l’alimentaient en permanence. Sinistre lien qui le reliait encore à la vie, au combien futile. Car ses chances étaient minimes. Son cerveau avait été trop longtemps privé d’oxygène, entraînant des dommages cérébraux importants. Pour stopper les dégâts, Bruce avait décidé, avec le consentement de la famille, de plonger le garçon dans le coma en attendant une possible opération sans réelles grand espoir de réussite. Il avait treize ans. Il n’avait que treize ans. Ce n’était qu’un enfant qui avait voulu imiter un justicier. Lui-même en était un mais le principal intéressé n‘avait rien à voir avec lui. Il avait entendu parlé de ce groupe de justiciers apparus à San Francisco, cinq jeunes gens à pouvoirs, excepté un, le dénommé Robin. C’était ce dernier que Tim avait voulu singer, Bruce en était quasi-certain.

Bien sûr, il aurait dû enquêter mais il ne pouvait se résoudre à abandonner le jeune Tim. Cela faisait trois jours qu’il n’avait pas quitté l’hôpital qu’il dirigeait, trois jours que Batman était resté au fond de sa cave sombre et humide sans y sortir. Bon sang, il avait l’impression de revivre ce qui s’était passé avec Harvey. La plaie était loin d’avoir cicatrisée et il ne voulait vraiment pas qu’elle se réouvre. Les marques du combat avec le Joker étaient des piqûres de rappel amplement suffisantes à ses yeux. Mais la situation était tellement semblable : Tim était allongé sur un grand lit froid, entre la vie et la mort, tout comme Harvey l’avait été avant lui. Était-ce cette image qui le perturbait tant, au point qu’il ne puisse même plus trouver le courage de retourner chez lui ? Sa conscience lui dictait de rester auprès de cet enfant et le Batman n’avait rien à dire là-dessus. L’enquête passerait après le bien être de Tim. Si enquête il y avait.

Encore une fois, il avait peur de sa propre réaction. Il faisait une sorte de blocage sur sa condition de Batman, il le savait. Il ne voulait pas sombrer dans cette folie qui l’avait dévasté, lui et ses proches. Le Batman avait pris le contrôle total sans que Bruce puisse y poser son veto et il l’avait laisser faire. Il l’avait laissé jouer avec les vies de beaucoup d’innocents et son erreur lui avait coûté cher. C’était depuis cette époque que la police ne lui faisait plus confiance et elle avait raison au vu des actes qu’il avait fait. Il avait fallu l’intervention de l’Anarchiste pour lui faire comprendre à quel point il était dans l’erreur. Mais c’était déjà trop tard, Alfred était parti, la police le haïssait et son plan avait était un échec cinglant. Bruce savait qu’il allait encore payer pendant longtemps les pots cassés. Au moins, ça avait l’avantage de lui rappeler ce qui se passait lorsque le Batman devenait le maître à bord et qu’il laissait libre court à sa folie. Une bien amère leçon qu’il avait comprise et assimilée. Mais ce gamin sous respirateur ravivait en lui cette sinistre facette de sa personnalité qui ne demandait qu’à s’exprimer. Aussi préférait-il rester près de lui plutôt que de tenter quoi que ce soit qui aurait des répercussions qu’il regretterait tôt ou tard.

*

Dick Grayson franchit les portes du Wayne Hospital en grelottant. Dehors, le froid hivernal faisait rage et la neige tombait sans interruption depuis trois jours. Vivant sur la côté Ouest des États-Unis, Il n’était plus habitué aux températures en dessous de zéro. C’était à Chicago que Dick était né et qu’il avait vécu pendant ses six premières années et revoir l’ancienne cité industrielle ravivait en lui des souvenirs qu’il avait depuis longtemps refoulé. Des souvenirs d’enfance dont le cirque faisait partie intégrante. Ses parents étaient de célèbres acrobates qui faisaient la renommée du crique où ils travaillaient. Au milieu des gens du spectacle, Dick avait vécu ses premiers instants, découvert ses premiers émois. Il avait été heureux parmi ces gens. Oui, il avait connu le bonheur. Mais la mort accidentelle de son père et de sa mère, en pleine représentation, avait définitivement détruit cette vie de saltimbanque qu’il avait eu tôt fait de ranger dans un coin obscur de sa mémoire une fois arrivé en Californie. Ne pas y penser, c’était se priver de l’image de ses parents mais c’était le prix à payer pour ne pas revivre les sentiments qu’il avait eu à cette époque, après le drame, ces sentiments qui menaçaient d’éclater en lui. La haine, la colère, la douleur. Un lot qu’il refusait de reconnaître. Il ne souhaitait pas sombrer dans le néant des émotions qui lui ferraient perdre le contrôle de lui-même.

Chassant ces pensées de son esprit, Dick avança jusqu’à l’accueil, tenu par une réceptionniste au téléphone. Patientant jusqu’à la fin de l’appel, il l’interrogea une fois qu’elle eut raccrochée sur le numéro de chambre du patient Tim Drake. Elle le lui donna évasivement avant de reprendre le combiné du téléphone. Chambre vingt et une du service neurologie, soit deux étages au dessus. Ces informations en tête, Dick se dirigea vers l’ascenseur, vide. Alors que ce dernier se mettait en marche, le jeune homme sentit son cœur s’accélérer. Ce Tim, il ne l’avait jamais vu, il ne le connaissait même pas. Et pourtant, un lien manifeste existait entre eux deux, un lien qu’il avait découvert trois jours plus tôt, en apprenant que ce gamin s’était fait tiré dessus alors qu’il imitait un justicier. Jusque là, ça ne le concernait pas exclusivement car il n’était pas le seul justicier des États-Unis d’Amérique, loin de là. Mais Tim n’avait pas singé n’importe lequel de ces justiciers et Dick avait reconnu en ce gamin une partie de lui. Le R sur son costume rouge, le masque et le bâton, tant d’attributs qui lui rappelaient lui-même. Oui, il n’y avait pas de doute, Tim l’avait imité. Ce fait qui n’avait été nullement médiatisé ne lui avait pourtant pas échappé et l’effet sur lui était dévastateur. La culpabilité le rongeait jusqu’à la moelle, le plongeait dans une dépression noire et une sérieuse remise en question de son statut justicier s’imposait. D’ailleurs, il n’avait pas remis son masque depuis la nouvelle et s’était empressé de prendre le premier avion pour Chicago. Il devait affronter la vérité en face et connaître Tim, voir son visage, en apprendre plus sur lui et bien sur, prendre connaissance de sa santé.

Enfin, les portes s’ouvrirent sur le service de neurologie qui prenait en charge les patients comateux et autres malades victime de pathologies neurologiques. S’engageant dans le couloir qui s’offrait à lui, Dick put apercevoir derrière les vitres les divers patients du service. Maladie de Parkinson, Alzheimer, tumeur cérébrale, méningite bactérienne, Sclérose en plaques, myopathie, … Toutes ces pathologies, toute cette souffrance était réuni dans cet endroit. Est-ce que Tim était dans le même état que tout ces gens ? Sûrement. Dick sentit une boule se former au creux de son estomac et il s’arrêta un instant pour respirer. Tout cela n’avait aucun sens. Pourquoi Tim avait voulu l’imiter ? Qu’est-ce qu’il avait fait pour mériter une chose pareille ? Il avait treize ans disaient les rapports, treize ans… Un âge où prévaut l’innocence et la pureté. Une vie qui s’arrête pour rien. Quelle absurdité.

Reprenant sa marche, Dick tenta d’ignorer l’émotion qui le gagnait et entreprit de trouver la chambre qu’il cherchait. Ses yeux se posèrent après quelques minutes sur le numéro vingt et un inscrit sur une porte. C’était ici. Son cœur battait la chamade mais il devait pousser la porte. C’était son devoir de rencontrer Tim. Mais aurait-il seulement le courage de le faire ? C’est alors que le jeune homme se rendit compte de la présence d’une infirmière à quelques mètres de lui. Rousse et jolie, elle semblait entièrement concentrée sur ce qu’elle voyait à travers la vitre qui la séparait de la chambre et Dick crut voir une larme naître sur ses longs cils. Même le personnel hospitalier semblait en proie à de vives émotions dans le secteur, tout comme lui. S’approchant, Dick put voir derrière la vitre le corps de Tim allongé, sous respirateur. A ses côtés, un homme brun d’une trentaine d’années. Peut être était-ce son père. C’était idiot mais Dick pensait qu’il pourrait voir l’adolescent seul et n’avait pas prévu qu’il y est une autre personne, qui plus est un potentiel membre de la famille. Il se tourna vers l’infirmière qui l’avait remarqué et lui demanda d’une voix qui se voulait sereine :

-C’est bien la chambre de Tim Drake ?
-Oui. Répondit la jeune femme en se tournant vers son interlocuteur. Vous êtes de la famille ?
-Pas vraiment… Disons que je connaissais Tim. Et lui qui est-ce ?

Dick désigna l’homme au chevet de Tim.

-C’est le docteur Wayne. Il s’est occupé de Tim. C’est même lui qui l’a amené à l’hôpital. Il ne l’a pas quitté depuis ce matin.
-Au moins, quelqu’un veille sur lui. Vous pensez que je peux entrer ?
-Oh, oui ! Monsieur Wayne serra sûrement heureux d’échanger quelques mots avec quelqu’un qui partage sa peine. Allez-y, n’ayez pas peur.
-Merci.

Dick sourit à la jeune infirmière puis tourna la poignet. Lorsqu’il pénétra dans la chambre, il sentit une atmosphère pesante qui le mit très rapidement mal à l’aise. Ignorant ce fait, il s’assit à côté de Tim dont il contempla le visage endormi. Bon sang, il était vraiment jeune. Si jeune. Trop jeune. Le destin créait tellement d’injustices, tellement de douleurs et d’horreurs. Cet enfant si innocent se retrouvait presque mort à cause d’un type qui avait décidé de combattre le crime avec ses amis, un type qui ne s’était soucié de ce genre de répercussions, et ce type c’était lui. Comme il s’en voulait… Si seulement ça avait put se passer autrement, si seulement Tim ne l’avait pas imité.

-Vous le connaissiez ?

La voix grave du docteur Wayne brisa le silence qui enveloppait les lieux. Dick se tourna vers lui et crut voir de la tristesse dans le regard du médecin. Lentement, il hocha la tête pour répondre à sa question, trop ému pour prendre la parole.

-Comment il va ? Finit-il par demander après quelques instants. Il… souffre ?
-Il est dans un coma sédatif de stade deux. C’est à dire qu’il est plongé dans l’inconscience et ne peut pas nous entendre. La morphine inhibe le circuit de la douleur, il ne souffre pas.
-Tant mieux. Et vous pensez qu’il a une chance ?
-Elle est… mince. Nous en serrons plus après l’opération de tout à l’heure.
-Il va être opéré ?
-Oui, dans deux heures. Le cerveau est resté trop longtemps sans oxygène, ce qui a causé des lésions importantes au niveau du cervelet et des zones cérébrales motrices. Une intervention chirurgicale est requise si on veut qu’il s’en sorte.
-C’est vous qui opérerez ?
-Oui.

Cet homme semblait compétant dans son travail. Il n’y avait pas de raisons pour que ça ne marche pas. Non aucune. De toute façon, ça devait marcher. Ca ne pouvait pas se finir comme ça. Tim devait s’en sortir !

*

-Tout est de ma faute… Murmura le jeune homme pour lui-même.
-Pardon ?
-Non rien. Je parlais tout seul.

Bruce fronça les sourcils. Ce type à la petite vingtaine était trop vieux pour être un ami de Tim. Jusqu’à quel point le connaissait-il d’ailleurs ? C’était louche. Et puis quelque chose le gênait. Son visage lui était familier. Décidé, Bruce demanda :

-Vous habitez à Chicago ?
-Moi ? Non. San Francisco.
-Et vous connaissiez bien Tim ?
-Pas vraiment. C’est… compliqué. De l’ordre du privé.

Il n’en dirait pas plus, bien sûr. Cet inconnu commençait à sérieusement l’intriguer. Peut être… Non, il ne devait pas penser à ça. Il devait se concentrer pour l’opération qui allait avoir lieu. Les parents allaient arrivés bientôt et il devait leur montrer qu’il allait tout faire pour sauver leur fils. Il le devait pour eux et pour lui-même. Il finit par dire :

-Nous ferrions mieux de laisser Tim se reposer avant l’opération. Ses parents vont arriver d’un instant à l’autre et ils voudront être seuls avec lui.
-Je comprend, répondit le jeune homme en se levant.

Bruce se leva et conduisit son interlocuteur vers la sortie. Une fois ce dernier parti, il se tourna vers Barbara, une nouvelle infirmière et lui dit d’une voix qui ne trahissait aucune émotion :

-Vous lui ferrez un iono sanguin, un hémogramme et un bilan rénale.
-Bien, docteur.

Bruce tourna les talons est pris la direction du bloc. Il devait préparer l’intervention avec son équipe chirurgicale. Cette fois-ci, il ne tolérerait aucune faute de la part de ses collègues et la moindre erreur engendrerait un licenciement pur et simple. Il s’était promis de sauver Tim coûte que coûte. La vie de cet enfant était inestimable à ses yeux et il se raccrochait à ça pour ne pas sombrer une nouvelle fois dans la démence.
 
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