Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Juin 2008
« Alfred, ça ne peut pas être lui. »
Le nez cassé, James Gordon tentait de se faire comprendre par son ami qui préparait toutes les armes qu’ils avaient pu se procurer depuis leur retour en ville. Dans la maison qu’il louait, l’ancien majordome récoltait tout leur arsenal, prêt à se lancer dans une sorte de vendetta imbécile.
« Alfred, il est mort : je sais que tu as envie d’y croire, mais ça n’est pas Bruce Wayne ! Tu l’as vu à la morgue, tu as identifié le corps, toi seul est le plus à même de rejeter cette possibilité. Ca n’est pas lui, alors calmes-toi.
- Il en est hors de question. »
Pennysworth s’arrêta de courir pour commencer à charger toutes les armes : que ça soit pistolets ou mitrailleuses, toutes allaient être prêtes à faire feu dès qu’il en aurait fini avec elles. Son visage n’était plus qu’un masque de détermination et de colère contenue, et l’ancien policier faisait tout ce qu’il pouvait pour l’arrêter dans cette entreprise…en pure perte, pour le moment.
« Même si ce n’est pas Bruce, cet homme déshonore son costume, déshonore ce pourquoi il se battait, et je ne peux pas accepter ça. Nous devons l’arrêter, quoiqu’il nous en coûte. Ou le ramener à la raison.
- Ok, ok…mais pourquoi toutes ces armes si tu penses que ce n’est pas lui ? Je comprends que tu veuilles te venger de celui qui nous a passé à tabac, mais pourquoi t’armer ainsi si c’est bien lui ?
- Parce que ça voudrait dire qu’il a encore perdu l’esprit, à un point tel qu’il veuille nous écarter de son chemin. Je ne suis pas prêt à accepter ça. »
D’un geste rageur, il enclencha le chargeur dans un Glock, mais sa douleur à l’épaule l’empêchait de faire tous les mouvements qu’il désirait. Cela faisait une journée qu’ils s’étaient sortis de l’entrepôt où ils avaient été frappés par le « nouveau » Batman, et leur colère ne s’était toujours pas éteinte. Bourrés d’anti douleurs, les deux hommes tentaient de donner le change, mais il était clair qu’ils auraient besoin de plusieurs journées pour se remettre de cette bastonnade ; pourtant, seul Gordon s’en rendait compte, son ami étant tout à sa vengeance à venir.
« Alfred, c’est du suicide : il nous a eu facilement alors qu’on était armés et qu’on avait l’élément de surprise. Même si il n’avait pas la technique de l’original, il se bat bien et vite, autant que les meilleures petites frappes que je connaissais quand j’étais flic. On ne fait pas le poids : si on veut faire quelque chose, on doit attendre et demander de l’aide.
- Je n’aime pas attendre. Et personne ne peut nous aider. »
Pennysworth rangea le Glock dans son étui sous son aisselle gauche, avant de charger son second pistolet. Sa détermination était telle qu’il était prêt à se jeter dans la gueule du loup rien que pour découvrir la vérité, mais il devait bien avouer que James n’avait pas tort en disant qu’ils ne feraient pas le poids ; seulement, il n’était pas encore prêt à s’avouer vaincu. Bruce n’avait jamais reculé devant le danger, et il ne pouvait accepter de lui faire honte.
« Je peux vous aider. »
Une voix fit sursauter les deux hommes : immédiatement, ils se tournèrent vers la porte de la chambre pour voir leur autre ami, celui qu’ils avaient volontairement écartés de la précédente opération pour sa propre sécurité…et la leur, par la même occasion. Le visage dans l’ombre, il avait une voix extrêmement faible et ne portait qu’un t-shirt Yin et Yang avec un jeans bleu délavé. Il semblait être un fantôme, et en se faisant la réflexion, Gordon pensa qu’il ne devait pas être loin de la vérité : il ne restait pas grand-chose de l’ancien homme de loi Harvey Dent.
« Harvey, c’est très gentil mais ça serait trop dangereux pour toi.
- Et pour toi aussi, Alfred : ce n’est pas parce que tu as fait certaines choses étant jeune que ça veut dire que tu as le niveau. Ce type nous a rétamés aussi facilement que des gamins !
- Je sas que vous vous inquiétez pour moi, mais je vais mieux : ça fait trop longtemps que je reste ici, à ne rien faire. Je deviens fou, je crois…j’ai besoin d’aller dehors pour aller mieux. J’ai besoin de vous aider. »
Sa voix était très déplaisante à entendre : le monstre qui avait détruit sa vie n’avait pas touché à ses cordes vocales, mais Harvey était resté des semaines sans rien dire dans le coma, puis fut encore par la suite torturé par l’horrible Joker, l’assassin de Bruce Wayne. Celui-ci lui avait coupé légèrement la gorge, et désormais Dent se faisait entendre très difficilement : jamais sa voix n’était très forte, et cela participait à son aspect extraordinaire et malheureusement repoussant.
« Je sais, mais tu nous aides en restant ici et en faisant des recherches : je ne peux pas t’emmener. Je suis désolé.
- Tu crois vraiment que tu peux y aller toi, Alfred ? Tu es blessé, tu es vieux et tu n’as pas le niveau : je ne sais même pas si Bruce pourrait tenir la longueur face à ce type ! »
A ces mots, Pennysworth vit rouge : il ne supportait pas qu’on insulte la mémoire de l’homme qui comptait le plus pour lui. Sans rien penser d’autre, il se jeta sur Gordon et le propulsa contre le mur blanc de la pièce, se collant à lui par la force de l’impact et de sa propulsion. Les yeux pleins de rage, l’ancien majordome leva son bras pour frapper son nouvel ami au visage, quand il sentit une main arrêter son geste. Il allait répondre par la violence à cette intrusion quand il se rendit compte de qui l’avait stoppé. Immédiatement, il baissa le poing devant le visage massacré d’Harvey Dent.
Même si ils le voyaient chaque jour depuis leur voyage en Europe, même si ils savaient désormais à quoi il ressemblait, James et lui étaient toujours autant choqués quand ils posaient les yeux sur ce qui restait de l’ancien procureur. Celui-ci avait la moitié gauche du visage totalement détruite : plus de cheveux, plus d’œil, plus de peau ou presque. Entièrement massacrée par Bane et le Joker, sa face n’était plus celle d’un humain, alors que l’autre côté semblait encore relativement normal. Les cheveux s’arrêtaient globalement au milieu, quelques mèches tombant sur la peau râpée au scalpel ou au couteau, mais c’était assez rare, Harvey supportant difficilement quelque chose dessus. Il tentait toujours de se cacher dans l’ombre, ayant évidemment honte de ça, mais parfois, comme là, il était obligé de montrer à tous comment il était, et c’était toujours une souffrance pour lui.
Par respect pour sa douleur et pour leur amitié, Pennysworth et s’arrêta, reculant légèrement pour montrer son calme retrouvé. Mais si lui s’était calmé, ce n’était pas le cas de Gordon.
S’étant laissé faire à cause de l’effet de surprise de l’attaque de l’ancien majordome, l’ancien inspecteur en avait assez des caprices de celui qui était venu les trouver dans leur retraite de Londres, lui et Harvey. Même si il l’appréciait et qu’il comprenait sa douleur, il en avait assez de devoir subir ses effets d’humeur, et il savait qu’il était temps de faire quelque chose. D’un geste ample, il frappa violemment Alfred à l’arcade gauche, faisant lourdement tomber son nouvel ami, sans trop de remords.
Devant le regard vaguement surpris de Harvey – il était difficile de savoir ce qu’il pensait avec son œil mort et la peau qui pendait dessus – il haussa vaguement les épaules.
« Quoi ? Ne me dis pas que ça ne te démangeait pas !
- Peut-être, mais ce n’est pas pour ça que la violence est acceptable.
- Gordon…tu frappes fort… »
James regarda Alfred qui gisait au sol : il était évident qu’il était affaibli par sa blessure, qui venait de se rouvrir à en croire le sang sur sa chemise. Il lui présenta sa main pour l’aider à se relever, et celui-ci l’accepta de bon cœur.
« Ouais, mais toi tu es trop borné pour écouter autrement ! Moi aussi j’ai envie de savoir qui est ce type et pourquoi il agit ainsi, mais moi au moins j’ai l’intelligence de réfléchir un peu avant d’agir ! La base pour un flic c’est pas d’apprendre à boire pour oublier, mais plutôt de savoir gérer la situation en fonction des cartes qu’on a, et c’est clair que maintenant, on a les plus mauvaises de la table ! »
Pennysworth soupira : il avait raison. Même si ça lui faisait mal de le reconnaître, Gordon était la voix de la sagesse, et il valait mieux attendre avant d’agir. Néanmoins, ça n’était pas pour ça que c’était plus facile de nager dans le mystère et de ne pas foncer pour découvrir la vérité.
« On n’est pas préparés, on est tous blessés, on n’a aucun plan et on est en sous effectif : on ne peut rien faire ! Et si je t’ai suivi ici, ce n’est pas pour faire un suicide mais faire quelque chose de bien, Alfred ! Alors arrête tes conneries, maintenant !
- C’est faux. »
Les trois hommes se tournèrent de suite vers la fenêtre, d’où était arrivée une voix étouffée qu’ils ne connaissaient pas. Immédiatement, Harvey Dent recula dans l’ombre pour cacher son visage défiguré et James sortit son arme pour se protéger, au cas où. Néanmoins, il savait bien qu’avec son nez cassé et ses courbatures, Alfred blessé et fatigué et Harvey sans aucune formation, leurs peaux ne vaudraient pas très chères.
« Vous n’êtes pas en sous effectif : je suis là pour vous aider. Et j’ai un plan…j’ai toujours un plan. »
L’être qui venait d’arriver et d’ouvrir très silencieusement la fenêtre était costumé, ce qui devenait une habitude dans cette ville, apparemment. Habillé entièrement, de la tête aux pieds, il portait un justaucorps totalement blanc, avec des bottes et des gants de la même couleur. Seuls sa ceinture et un symbole sur le torse étaient gris foncé, et le sigle représentait un croissant de lune. Il avait aussi une sorte de cape rapiécée et mal faite, avec une cagoule qui cachait le haut de son crâne. Son visage était protégé par un masque noir, où seules deux zones teintées de blanc pour les yeux donnaient de la diversité. Il avait un aspect très étrange, mais sa face était elle presque terrifiante.
« Mais…mais qui est ce type ? »
Par réflexe, James avait levé son arme. Ni Alfred, ni Harvey ne parlaient pour le moment.
« Je suis Moon Knight. Et je vous connais mieux que vous-mêmes. »
« Euh…vous êtes sûr que je dois rentrer là-dedans ?
- Tu veux voir le boss, non ?
- Oui…
- Alors rentre. »
Oswald Cobblepott rageait intérieurement de se faire traiter ainsi par un minable garde du corps. Quelques mois plus tôt, il aurait suffit qu’il appelle une personne pour que la vie de ce type ne devienne un véritable enfer. Malheureusement, il avait perdu de sa superbe et était même devenu la risée de tout Chicago après ce que lui avait fait le Batman. Il n’était plus qu’un souvenir, et cet entretien représentait pour lui la seule chance de vraiment redevenir quelqu’un : il ne pouvait donc le rater pour un problème d’égo.
Acquiesçant aux paroles de l’homme au crâné rasé qui lui indiquait une porte sombre, Oswald soupira et l’ouvrit doucement. Depuis que son pire ennemi l’avait mutilé et torturé avec une de ses armes, il ne se déplaçait plus bien : le bas de son dos avait été frappé violemment avec un « Batarang », et même son postérieur avait subi quelques attaques de cette horreur. Les médecins avaient fait ce qu’ils avaient pu, mais maintenant celui qu’on surnommait jadis le Pingouin pour sa petite taille se déplaçait vraiment comme l’animal auquel il avait emprunté le nom : il se devait de passer d’un pied sur l’autre, et ce dans une grande souffrance. Pas un jour ne passait sans qu’il maudisse le nom du Batman.
Il parvint donc dans la pièce où se trouvait sa dernière chance, mais celle-ci était extrêmement sombre et froide. Evidemment, il ne se sentait pas à l’aise, et il commença à se demander si ça avait été une si bonne idée que ça de venir ici : beaucoup lui avaient conseillé de le faire, mais encore plus lui avaient presque hurlé de rester chez lui. Seulement, il avait perdu toutes ses économies, était à la rue et n’avait plus ses capacités d’antan : jamais il ne pourrait se refaire seul.
Il avait besoin de l’homme présent ici, malheureusement.
« Entre, Oswald, entre. Avec le sourire, bien sûr : je ne supporte pas les gens tristes. »
Oswald déglutit, et s’approcha difficilement du centre de la pièce. Seul cet endroit était éclairé par une ampoule nue au plafond, et il pouvait vaguement voir au fil de ses pas des corps allongés au sol…des corps de femmes. Il savait que le propriétaire des lieux était friand de la gente féminine, mais aucune de ses conquêtes n’avait encore réussi à parler aux autres pour expliquer ce qu’il leur faisait. Apparemment, soit il s’était trop occupé à les faire sourire, soit elles avaient simplement disparues.
Pour le moment, il ne parvenait pas à savoir comment elles étaient, mais Cobblepott songea qu’il valait peut-être mieux rester dans l’ignorance : ce monstre était bien trop fou pour tenter de le comprendre. Il accéléra donc l’allure pour s’arrêter devant son « trône ».
En effet, sous l’ampoule se trouvait un petit monticule de bois sur lequel une énorme chaise était posée, mais ce n’était pas une chaise normale : faite dans une matière étrange, très blanche et robuste même si le siège semblait fin, elle dégageait une odeur assez horrible. Celui qu’il était venu voir y était assis sans aucun coussin, à même la matière, et soudain Oswald se rendit compte de ce que c’était en voyant les pieds de la chaise : des os. Il était assis sur un trône en os. Ce type était vraiment dingue.
« Tu ne souris pas vraiment. Je n’aime pas ça. »
Le Pingouin avait fait tomber son sourire figé quand il avait vu les os, mais immédiatement il se reprit : il savait que bien des hommes étaient morts parce qu’ils avaient fait l’erreur de ne pas suivre les directives de ce monstre, et il ne tenait pas à en faire partie. Même si il avait souvent souhaité une telle délivrance quand il avait souffert dans son lit d’hôpital, il voulait désormais vivre et tenter de retrouver ce statut qu’il avait perdu à cause du Batman.
Il sourit donc à pleines dents, et se permit pour la première fois de regarder l’homme qui représentait tous ses espoirs. Pour la première fois de sa vie, il eût l’impression de regarder le Mal dans les yeux : même le Batman, même ses pires adversaires n’irradiaient pas autant d’horreur et de sadisme. Le Joker était bel et bien un monstre.
Habillé encore de sa blouse d’hôpital sale, il ne portait rien d’autre et regardait étrangement Oswald. Il avait les deux mains posées sur la chaise en os, et semblait totalement profiter de la situation. Son visage n’était qu’une horreur sans nom, avec ses lèvres massacrées et ses joues défigurées pour former un sourire éternel. Ses yeux étaient rouges comme le sang qui les avait pénétré sous le coup des drogues qu’il prenait continuellement, et ses cheveux étaient tellement sales qu’ils prenaient presque une teinte verdâtre. Si l’odeur pestilencienne venait surtout de la chaise, il était certain que le Joker lui-même était aussi une infection. Son invité se demandait si il réussirait à tenir le temps de leur entretien, ou si il vomirait avant ; cette idée le terrifiait, car il n’avait aucun contrôle sur cela.
« Je sais pourquoi tu es là, Oswald. Tu es là pour que je te rende le sourire.
- Euh…
- Je sais, je sais : je ne devrais pas être aussi bon, je ne devrais pas montrer à tous la voie du bonheur. Mes médecins me le disaient toujours, mais que veux-tu : je suis trop bon. Je ne supporte pas de voir des gens tristes. Je ne supporte pas de ne pas voir de sourire. Car, après tout, à quoi sert la vie sans sourire ? Sourire est le propre de l’homme : si il disparaît, l’homme disparaît aussi. Alors pourquoi ne pas le tuer si il n’est plus là ? Ca me semble la seule chose à faire, hihi. »
Cet homme était fou.
Il le savait déjà avant de venir, mais Oswald ne savait pas que c’était à ce point-là. Rien dans son discours n’était cohérent, en dehors de ses envies meurtrières et de sa rage de rendre le monde comme il le désirait. Et dire qu’il était désormais le maître de Chicago…il en frissonnait quand il pensait de quoi il était capable après son exploit face au Batman…
« Euh oui, bien sûr…mais je…
- Chut, chut, chut ! Ne dis rien ! Je sais tout ! On m’a envoyé ici pour t’aider, hihi, et c’est ce que je vais faire ! Maintenant que j’ai arrêté le Grand Méchant, plus rien n’est impossible ! Aaaaah ce fut bon, n’est-ce pas ? C’est bon, même ! Jamais blague ne fut si belle ! Le Grand Méchant est mort, et j’ai vaincu ! En riant ! En m’amusant ! En souriant ! Hahahaha ! Le sourire est le plus beau des cadeaux, mais il ne l’a jamais compris ! Moi oui ! Je comprends tout ! Je sais tout ! Et je fais tout ! Je suis capable de tout ! De tout ! Hihihi…d’absolument tout ! »
Cobblepott recula par réflexe : il n’aurait jamais dû venir ici. Même si le Joker était désormais le maître incontesté de Chicago, malgré le fait qu’officiellement ça soit toujours le très silencieux Cole Cash qui gérait la ville depuis la disparition de Simeoni, tenter d’obtenir ses faveurs était totalement stupide. Cet homme était complètement fou, et tout valait mieux que de rester une minute de plus en sa compagnie. Même sa voix était oppressante, et lentement le Pingouin tenta de reculer, malgré la difficulté de sa manœuvre vu ses douleurs récurrentes.
« Hihihihi, tu ne voudrais pas partir quand même, Oswald ? Tu souris à peine : je suis sûr que tu es malheureux ! Oh oui, tu es malheureux ! Malheureux ! Malheureux ! Malheureux ! Et je n’aime pas les gens malheureux, surtout ceux qui ont subi notre ancien ami, le Grand Méchant ! Il a été très vilain avec toi, je le sais, et je n’aime pas ça ! Normalement, je devrais te faire disparaître vu que tu ne souris pas, maiiiiis ce n’est pas de ta faute ! C’est celle du Grand Méchant ! Et pour ça, je vais t’aider ! Tu es content, hein ? Je suis sûr qu’il est content ! Hahahahaha ! »
Oswald sentait que quelque chose allait mal se passer. Il tenta de se retourner le plus vite possible et de se précipiter vers la sortie, mais déjà la porte se refermait et trois hommes s’approchaient calmement vers lui, des engins tranchants dans les mains. Il savait que résister ne servirait à rien, et il entendit le bois craquer derrière lui : le Joker descendait de son trône, prêt à lui offrir son cadeau et à le faire sourire éternellement, comme tous les autres.
Le Pingouin soupira et ferma les yeux. La dernière chose dont il se souvint fut ce rire glaçant, avant d’être frappé et de tomber au sol. Apparemment, il allait être joyeux à jamais, maintenant : au moins mourrait-il avec le sourire, pensa-t-il. Tout ce qu’il espérait, c’était que ça aille vite et qu’il s’évanouirait rapidement. Malheureusement, son instinct lui criait que le Joker prendrait tout son temps, et que l’horreur ne faisait que commencer.
« Cole, dis-moi ce qui ne va pas. »
Jérémy Stone n’en pouvait plus : depuis l’incident avec le Batman, son ami refusait de sortir et c’était lui qui devait gérer l’empire en son absence. Même si ça s’était bien passé au début grâce aux ressorts bien huilés du mécanisme créé par Cole Cash, maintenant cela devenait beaucoup plus difficile avec l’apparition du Joker et les trahisons multiples. Il ne savait plus quoi faire et espérait de l’aide de la seule personne encore capable de faire quelque chose pour sauver la situation, mais il était clair que le Parrain officiel avait perdu l’esprit.
Celui-ci avait en effet sa tête collée contre la vitre de sa propriété, et était entièrement nu. Cela faisait des jours qu’il se promenait ainsi, sans rien dire, et c’était un miracle qu’aucun journaliste n’ait encore révélé cela. Enfin, un miracle…celui de l’argent, bien sûr. Mais celui-ci commençait à baisser, peu à peu.
« Cole, écoute, je sais que tu es malade et que tu as besoin d’aide, mais tu as refusé tous les docteurs que j’ai amené, et tu continues d’être silencieux. Ca ne va plus, mon vieux : tout s’écroule, et même Halo refuse de m’obéir parce qu’ils ont peur du Joker ! Ce type nous dépasse, et…et je suis pas à la hauteur pour gérer tout ça tout seul ! J’ai besoin de toi ! »
Mais comme d’habitude, il était toujours sans réaction. Peut-être Jérémy aurait-il eu plus de résultat en appelant l’homme devant lui Antonio Simeoni et non plus Cole Cash : le neveu de l’ancien Parrain avait pris la place de celui qui avait condamné son oncle à la prison à perpétuité par vengeance, mais il s’était peu à peu perdu. Pas assez fort psychologiquement pour tenir, Antonio était désormais une loque sans personnalité, incapable de savoir qui il était vraiment et comment s’en sortir. Un psychiatre aurait pu l’aider, mais ses dernières forces étaient toujours utilisées pour les rejeter, par crainte qu’ils ne découvrent la supercherie et que ses gardes du corps ne le tuent pour cela.
En clair, il était dans un cercle vicieux : pour être sauvé et protéger son empire, il devait parler, mais si il le faisait, il serait tué par ses propres hommes. A chaque heure du jour, il s’enfonçait de plus en plus dans la folie à cause de cet enfer.
Jérémy, quant à lui, était à deux doigts de le frapper. Même si il comprenait qu’il était malade, même si il acceptait que Cole ait perdu l’esprit suite à sa défaite face au Batman, certaines choses passaient avant, et leur survie commune en faisait partie. Evidemment, il était certain que rouer de coups son ami ne changerait rien, mais peut-être que cela agirait comme un déclencheur psychologique pour faire revenir celui sur lequel ils comptaient tous. Et, surtout, ça lui ferait du bien avec toute la pression qu’il avait sur les épaules.
Néanmoins, il savait qu’il ne pourrait jamais faire ça : Cole était son meilleur ami, presque un frère, et il souffrait autant de le voir ainsi que de ne pouvoir rien faire pour l’aider. Il avait engagé les meilleurs spécialistes, mais ça n’avait rien changé et Cash était toujours autant silencieux. Il ne savait plus quoi faire, et songeait de plus en plus à quitter la ville avec lui : ça serait une honte, mais au moins ils survivraient, ce qui n’était plus très sûr par les temps qui couraient.
En effet, l’arrivée du Joker avait changé la donne et les attentats contre leurs activités se faisaient de plus en plus insistants : il était évident qu’avant la fin du mois, si rien n’était fait, le Parrain officiel serait mort. Et Jérémy n’aimait pas vraiment ça.
Encore une fois, il rassembla son courage pour parler à son ami, mais les lumières s’éteignirent subitement. Il déglutit lentement : il savait ce que ça voulait dire. La maison avait son propre générateur et rien ne pouvait normalement l’arrêter, sauf si on le coupait volontairement. Il avait renvoyé tous les domestiques, et les gardes du corps étaient postés aux quatre coins du jardin, sans qu’aucun ne sache comment accéder au générateur. Quelqu’un était là et voulait les prendre par surprise.
Instinctivement, il sortit son arme, mais il savait que c’était peine perdue : si leurs ennemis avaient décidé de passer maintenant à l’action, il ne pourrait rien contre eux. Ils s’étaient rapidement organisés, et il les avait sous estimé en pensant qu’il avait encore du temps pour demander à Cole de l’aide. Il aurait dû l’emmener dès la mort du Batman au loin, mais il avait espéré encore gérer l’affaire…il avait été présomptueux. Ca allait leur coûter la vie.
Par réflexe, il s’approcha de son ami, mais celui-ci n’était plus collé contre la vitre. Il fronça les sourcils pour essayer de comprendre comment quelqu’un qui restait immobile des heures entières depuis des semaines avait pu bouger sans qu’il le remarque, et tenta de le retrouver en tâtonnant dans le noir. Tenant fermement son arme, il espérait pouvoir tirer sur quelques adversaires avant d’être touché, pour peut-être réveiller Cole et le faire sortir de là. C’était un espoir mince et utopique, mais il n’avait malheureusement plus que ça…
Soudain, alors qu’il avait la main posée sur le mur blanc, il sentit quelque chose à ses pieds : une forme. Il se baissa lentement et prudemment, et reconnut avec ses doigts un corps humain, et plus précisément celui de Cole vu l’absence de vêtement. Il ne comprenait pas comment son ami avait pu tomber ou être touché sans qu’il l’entende, mais il passa immédiatement à l’autre problème : quelqu’un était là, et allait bientôt s’en prendre à lui.
En un clin d’œil, Jérémy se releva et allait commencer à crier pour menacer son adversaire quand la lumière revint. Surpris, il fut aveuglé quelques secondes, et cela fut plus que suffisant pour qu’on frappe sa main et que son arme vole au travers de la pièce. Il tenta de prendre son couteau à sa ceinture, mais un coup de pied dans le ventre le priva de souffle, et il sentit qu’on retirait la lame sans ménagement. Il entendit ensuite une voix inconnue, alors que la douleur pénétrait lentement chaque pore de son organisme, et que son ami restait toujours immobile, derrière.
« Je ne vous veux pas de mal, monsieur Stone : je viens parler affaires. Je viens vous proposer une alliance.
- Une…alliance ? Putain…en plus d’avoir des manières à la con de…demander, putain ça fait mal ! »
Il avait le souffle coupé, mais sa respiration redevenait lentement normale. Malheureusement, cela se faisait avec une certaine douleur dans les poumons, sans parler de celle du choc pur.
« Ouais, en plus…en plus de ça, tu viens nous demander ça à nous…alors que tu vois Cole comme ça ! T’es qui pour ça ? T’es qui pour demander alliance avec le type que tout le monde rêve de tuer ? »
Jérémy en avait assez : il savait qu’il n’aurait pas dû parler ainsi, que c’était stupide, mais toute la pression et la souffrance de voir Cole ainsi étaient de trop. Il avait besoin de se lâcher, quitte à peut-être perdre tout espoir de survie future.
« Je suis le Batman, monsieur Stone. Et je suis plus que sérieux. »
Il releva les yeux et vit un être étrange, avec un costume ressemblant vaguement à celui du Batman et qui croisait calmement les bras. Il soupira en se laissant tomber en arrière, sur les fesses : il en avait vraiment marre des dingues. Surtout des déguisés.