Urban Comics
  Batman #40 : Qui est Batman ? (4)
 
Auteur : Ben Wawe
Date de parution : Août 2008


Rouge – vert – bleu. Le monde est rouge – vert – bleu et Danny trouve ça magnifique.
Les couleurs changent de place à chaque seconde, la gravité s’amuse d’elle-même et roule dans l’herbe de l’univers comme pour prendre enfin du bon temps et il l’adore. Son rire est strident et étrange mais il ne trouve pas ça anormal : pour lui, tout est juste et vrai. Jamais il n’a vu le monde comme il est vraiment et il est fou de cette expérience.

Il ne comprend pas ce qu’il se passe mais il sait que tout ça est dû à la drogue. Ses gestes sont désordonnés et il doit se calmer et se reprendre, mais il n’en a pas envie. Toute sa vie, il a attendu le moment où il pourrait poser les armes et vivre comme il l’avait toujours rêvé : une petite femme – de préférence Sara d’ailleurs –, des enfants, un emploi tranquille avec lequel il aurait le temps d’écrire un peu. Malheureusement, ça n’est jamais arrivé mais il sent que ça peut devenir proche. Le monde l’a toujours fait vivre dans un cadre imposé et strict où le Bien et le Mal ne sont que des concepts stricts et étranges, et où il ne gagne que rarement à la fin. Maintenant, c’est lui qui domine le monde et il adore ça.

Danny se prend à nouveau d’un fou rire alors qu’il lève ses mains devant ses yeux. Il sait qu’il est toujours couché sur le sol et que Silence doit être au-dessus de lui à observer avec intérêt l’effet de la substance sur lui, mais tout ce qu’il voit ce sont deux énormes tapettes à mouche et une monstrueuse abeille au-dessus de lui. Il ne voit pas son dard mais le sent colossal et tout ce qu’il veut, c’est l’écraser pour la réduire en miettes – oui, en miettes. C’est exactement ça qu’il veut : la détruire, la disséquer, lui enlever les ailes, les pattes, la faire souffrir, la soigner puis la torturer encore, lui crever un œil après l’autre…il veut l’entendre crier. Il veut l’entendre hurler à l’aide et la faire gémir, et il trouve ça terriblement drôle.

Etrangement, il entend l’abeille lui parler, lui demander ce qu’il ressent mais il a complètement oublié la drogue et l’effet qui lui fait voir Silence ainsi. Pour lui, il n’y a plus qu’une abeille et ses deux tapettes à la place des mains. Ses yeux rougis par le LSD, la bave aux lèvres, il commence à frapper frénétiquement les avant-bras du criminel masqué, le faisant reculer alors qu’il explose d’un rire qui ne ferait pas honte au Joker. Il adore ça, vraiment : il tape, tape encore sur ces pattes d’abeille qui vont souffrir comme jamais. Il aime lui faire mal, il aime la pousser contre le mur ; même s’il n’est pas encore debout, il sait qu’il va bientôt se lever et l’écraser totalement. Tout ce qui restera d’elle, ça sera une énorme tâche rouge sur le mur – rouge comme le sang. Rouge comme ses mains désormais recouvertes du précieux liquide de l’abeille qu’il va réduire en poussière, alors qu’il s’agit plutôt de l’hallucination pure de l’ancien policier.
Danny essaie de se lever et retombe au sol, ses mains ne pouvant le rattraper car elles sont devenues d’énormes tapettes. Il explose de rire alors que l’abeille reste dans son coin, visiblement apeurée de ce qu’il se passe. Il la fixe et se tape le ventre pour calmer la douleur de sa crise. Dieu qu’il adore ça.

Rouge – vert – bleu. Le monde est rouge – vert – bleu et Danny ne sait pas où il est mais il aime déjà cet endroit.
Il ne se rappelle pas de ce qu’il a fait pour arriver là mais il marche dans une sorte de long couloir qui semble infini. Il ne voit que des portes sur le côté et tout tourne, tourne et tourne encore comme si ça n’était qu’un monstrueux cylindre dans lequel un hamster passe son temps. Peut-être est-il un hamster, d’ailleurs : peut-être que tout ça n’est que sa roue et les portes celles servant à sortir de là pour aller dans les longs tubes multicolores de sa cage. Enfin, pas totalement multicolores : Danny est sûr qu’ils sont rouge, vert et bleu. Il ne sait pas pourquoi mais ça lui revient tout le temps à l’esprit et il ne veut pas se contrarier. Il reste tout le temps dans les tubes quand il fait ça et la roue ne l’attire plus.

Le couloir semble vraiment sans fin et il ne sait pas depuis combien de temps il y marche. A chaque pas, il a l’impression de tomber mais de se retenir par chance, comme si quelqu’un venait lui donner une main avant la chute finale – mais il ne voit jamais personne. Il n’y a que lui dans la cage et dans la roue, aucun autre rongeur n’est venu l’épauler et il sait qu’il n’aimerait pas ça. Il a eu des rencontres, jadis, mais il n’a pas aimé ça. Il veut sa cage, sa roue, ses tubes rouge – vert – bleu et rien d’autre. La compagnie n’est pas son amie.

Il ne sait pas où il va, en fait, et il ne sait pas pourquoi. Pour lui, la vie se résume à une cage, des tubes et de la nourriture donnée par quelqu’un – il ne sait pas qui et ça ne l’intéresse. Il veut continuer à faire tourner la roue parce que ça l’amuse et parce que ça l’occupe. Il aime cette vie pure et simple, avec ces couleurs éternelles et ce sentiment d’être en sécurité. Ça fait longtemps qu’il fait ça et il continuera autant qu’il le peut, même si ça ne fait que deux minutes qu’il est sortit de l’appartement et qu’il a déjà dépassé la moitié du couloir. Seulement, ça, le rongeur ne le sait pas – et donc Danny non plus.

Tout tourne encore et toujours mais étrangement il heurte quelque chose, pour la première fois de son existence. Il n’est qu’un hamster dans un monde qu’il ne contrôle pas et il a depuis longtemps accepté ça, mais ça, ce n’est pas normal. Sa vie est constituée de tubes tricolores, de vie facile et c’est exactement ce qu’il veut : il n’a pas envie d’avoir de souci, pas envie de revoir encore et toujours ce même cauchemar. Il ne sait pas ce qu’il vient de toucher mais les larmes coulent de ses yeux rougis par la drogue, et il s’écroule au pied de l’ascenseur. Il n’en peut plus et il sait pourquoi : le monstre est de retour. Il s’en était caché en allant dans ses tubes et dans sa roue, et même si elle tourne encore et qu’il a l’impression de tomber, il sait que l’horreur va bientôt revenir. Il veut s’en sortir, il veut fuir mais son moral auparavant si beau est totalement en ruine : l’ombre le guette. Cette face inquiétante, mystérieuse avec ses ailes noires et ces deux pointes qui s’approche toujours de lui va revenir, il le sait. Il s’était caché ici mais tout est terminé.
Ses efforts sont réduits à néant et il ne peut le supporter. Il frappe violemment contre les ténèbres devant lui, apeuré que ça soit déjà son adversaire qui profite de sa faiblesse. Danny a juste oublié qu’il a les yeux fermés et qu’il ne voit donc rien ; il se fracture l’index en frappant contre l’ascenseur avant de continuer à pleurer à chaudes larmes. L’ombre le tient et elle ne le laissera plus jamais fuir.

Rouge – vert – bleu. Le monde est rouge – vert – bleu et Danny est à la chasse aux abeilles même s’il n’y en a pas beaucoup la nuit. Il s’occupe donc des chauves souris.
Il ne sait pas comment ça lui est venu, mais il a maintenant une haine intense de ces saletés. Il se rappelle avoir été dans des tubes et dans une cage, mais qui n’a pas déjà vécu ça ? Chaque être humain est emmuré dans une vie sociale plus ou moins virtuelle, à faire ce qu’on a prévu pour lui – rouler dans la cage et éventuellement fuir parfois par quelques tubes pour avoir l’illusion de la liberté et du changement. Mais quelle liberté ? Celle de prendre le tube vert au lieu du rouge, voir le bleu en cas de vrai bouleversement. Et quel changement ? Et bien la vie semble bien différente selon que la lumière est reflétée d’une manière ou d’une autre. La planète entière est une cage, le corps lui-même est une cage pour l’âme qui ne peut jamais s’en échapper même si elle en a l’illusion.

Seulement, même s’il est parfaitement conscient du monde et de sa marche, il ne sait pas pourquoi il veut chasser les chauves souris ni pourquoi deux hommes sans visage rôdent à ses côtés. En fait, il n’est pas sûr que ça soit vraiment deux hommes : ils sont côte à côte, marchent exactement de la même façon et sont identiques. Il est impossible que deux êtres aient le même pas et les mêmes gestes aux mêmes moments et il ne peut que douter de leur existence réelle. Sont-ils des clones ? Des doubles ? Ou bien est-ce une hallucination ? Mais à quoi serait-elle due ? Il a l’impression que la réponse est à portée de bras mais qu’elle lui échappe encore. Il n’aime pas ça.

Il veut attraper des chauves souris mais n’entend pas ce que lui disent les deux hommes sans visages. Ils ont quelque chose sur leur crâne qui les cachent mais il n’arrive pas à voir ce que c’est et ça ne l’intéresse pas. Ce qu’il veut savoir, c’est pourquoi ils peuvent coexister et ce qu’ils lui veulent. Ils semblent être deux personnes inversées, deux contraires qui sont pourtant irrémédiablement attirés l’un envers l’autre. Il n’a jamais autant raisonné que maintenant, mais que peut-il se dire quand il se demande pourquoi il agit comme ça ? Qu’il devient fou ? Peut-être mais la folie n’est que trop proche du génie pour que ça soit vraiment pertinent. Le monde ne lui a jamais paru plus réel et plus passionnant et il ne veut pas s’arrêter en si bon chemin.

Pourtant, l’énigme de ces deux êtres qui semblent bien trop silencieux l’ennuie, il ne sait pas ce qu’il doit en faire. Danny sait qu’il est en retard pour la chasse aux chauves souris mais celles-ci peuvent attendre – leur reine a disparu, il l’a appris même s’il ne le croit pas. Elles ne feront rien tant qu’elle ne sera pas sortie de sa cachette et il compte bien capturer le plus grand nombre de ses esclaves pour la forcer à faire ça, mais pas de suite. Cet homme – ou plutôt ces deux hommes – sont deux faces d’un même être sans visage : le Bien et le Mal, même si ce ne sont que des faces complexes. L’une lui est familière, l’autre représente le danger. L’une est ce qu’il veut approcher, l’autre ce qu’il veut faire partir. Comment choisir ? Comment décider ? Il n’est qu’un chasseur de papillons reconvertit et ne sait pas faire autre chose que de se demander comment sortir de sa cage pour retrouver la reine, dont il n’avait pas confiance la minute d’avant d’ailleurs.
Danny ne sait pas ce qu’il a mais il voit le monde comme il ne l’a jamais vu et des secrets terrifiants lui sont révélés à chaque instant…il adore ça. L’homme aux deux êtres mais sans face continue de marcher à ses côtés, comme s’il le guidait quelque part, mais il s’en fiche. Tant qu’il peut réfléchir et penser, tout ira bien pour lui même si son nez commence à le gratter ; et il n’aime pas le liquide rouge qui se trouve sur ses mains dès qu’elles s’approchent de son visage.

Rouge – vert – bleu. Le monde est rouge – vert – bleu et il ne comprend pas pourquoi tout est devenu aussi monstrueux et triste. Les couleurs pâlissent, les immeubles grossissent et Danny sait que ça n’est que le début. La reine est sortie de son trou mais ce n’est pas ce qu’il attendait – ce n’est pas celle qu’il avait prévue.

Il ne sait pas bien comment il s’est fait piéger mais les deux hommes n’ont pas pu faire grand-chose pour se sortir de là. La reine, cette ombre terrifiante qu’il avait déjà entrevue auparavant même s’il ne sait plus où et comment – ce qui l’inquiète d’ailleurs même si ça n’est pas le moment –, a gagné. Elle a surgi de l’ombre pour frapper les deux êtres et ils ne se sont pas relevés. Elle l’a emmené dans son repaire et le fixe depuis ce qui lui semble être des heures, mais il n’en est pas sûr. Danny n’est plus sûr de rien, en fait : tout allait bien avant mais c’est fini. Il est conscient qu’il n’est rien dans le monde et que son plan était terriblement mauvais. Il a voulu débusquer un monstre mais il n’a fait que sortir une horreur bien plus sordide que celle qui avait déjà disparue ; il aurait mieux fait de laisser la première dans sa tombe au lieu de jouer au voleur de cadavre, mais il ne peut pas revenir en arrière.

La reine le regarde et il sait que ce n’est pas celle qu’il croyait. Il a eu tort de songer qu’elle vaincrait la Mort alors que tous disaient qu’elle avait bien failli à sa tâche pour une fois. Ses exploits sont légendaires et il a logiquement songé que tout ça n’était qu’un piège, mais il s’est trompé. L’ancienne reine est bien morte et sa remplaçante est encore pire : elle a frappé les deux êtres sans visage avec la fureur et la sauvagerie des monstres antiques et Danny sait qu’il ne peut rien contre elle. Elle est l’incarnation de la rage, de la colère de son peuple, de son antre et il est conscient que personne ne peut arrêter quelque chose comme ça. L’ancienne avait de ça aussi, mais elle s’est perdue avec des connaissances trop dispersées, avec des amis qu’elle aurait dû tuer dès qu’elle vit pour la première fois ; celle-ci ne fera pas cette erreur. Celle-ci achèvera n’importe qui se mettra en travers de sa route.

Et il sait que c’est son cas, qu’il est un obstacle pour elle. Elle le jauge, l’observe, ouvre grand ses longues ailes alors que ses yeux sombres plongent dans les méandres de son âme. Plus rien ne tourne, ses mains sont normales même s’il ne sait pas pourquoi ça aurait pu être différent et il a peur. L’odeur qu’il sent ne vient pas seulement de l’antre fétide de la bête et il est conscient qu’il perd toute crédibilité alors qu’une tâche sombre apparaît sur son pantalon mais il ne peut rien faire contre ça. Danny n’est qu’un rouage de la machine, un petit boulon qui s’est vu trop grand alors qu’il affrontait plusieurs reines – une folie que même les hommes sans visage n’auraient jamais tenté.
Le monde n’est plus ce qu’il était et la reine le fixe toujours. Les couleurs ont presque disparu, le monde n’est presque plus rouge – vert – bleu et sans elles leur côté apaisant n’est logiquement plus ; il est terrifié et il sait pourquoi. Ses repères l’ont abandonné et il est face à l’abîme, ne pouvant s’empêcher de la regarder. Elle le regarde aussi – et c’est ça le pire.

Rouge – vert – bleu. Le monde est rouge – vert – bleu et Danny ne comprend pas pourquoi ni comment il est encore vivant. Il est sur une poubelle et n’a aucune idée de comment il est arrivé ici. Il ne se sent pas bien.

Son pantalon est mouillé, ses cheveux sont aussi coupants que du rasoir et du sang coule de ses mains – à moins qu’il ne coule dessus ? Il ne sait pas, il a juste mal. La nuit est froide et dure à Chicago, et heureusement personne ne passe dans la rue pour voir un homme blessé et aux yeux exorbités de sang. A deux rues de là git le corps de son ancien partenaire, vaincu par plus fort que lui ; Danny n’en sait rien et il s’en fiche. Danny ne va pas bien et ne veut s’occuper que de lui.

En fait, il a eu une vision et est terrifié. Il a vu une reine vaincre sa prédécesseure et régner sur son antre sans que celle-ci ne le sache ; lui en est conscient mais n’ose rien dire. Il a vu les yeux de la bête et sait ce que son âme cache. Il a vu la face cachée de cette horreur et sait qui elle est vraiment. Il avait fait son enquête sur l’ancienne reine et ses exploits et a déjà vu ça quelque part, mais il ne peut pas dire où et quand – il a trop peur. Il sait ce qui est arrivé à l’ancienne et ne veut pas subir le même sort. Il est terrorisé et la tâche de son vêtement s’agrandit.

Il grelotte de froid alors que ses yeux se ferment lentement. Il ne sait pas quoi faire, il ne sait pas où aller. Le monde est divisé en trois couleurs mais plus aucune ne répond à sa signification. Jadis, le rouge, le vert et le bleu répondaient à des critères précis : chacun était une voie à suivre, une ligne de pensée qui montrait la différence entre le Bien, le Mal et l’Homme. Il ne sait pas d’où vient cette distinction entre ces trois forces mais il aime ça ; il veut croire que l’Homme est différent de ces concepts et qu’il peut créer quelque chose de différent, quelque chose d’annexe. Seulement, il ne croit pas qu’il soit à la hauteur. L’Homme est emmuré dans ses songes, dans ses rêves, dans ses problèmes et ne voit pas grand-chose du monde extérieur. Il laisse mourir ses frères et sœurs pour de l’argent et des choses sans intérêt alors que la vie humaine est sacrée. Il se confronte à l’abîme mais laisse des reines sans cœur et sans raison gérer sa destinée. L’Homme n’est ni bon, ni mauvais ; il est juste incapable de contrôler sa vie et ne peut l’accepter.
Danny sait ça et en est triste, parce qu’il est lui-même humain et qu’il ne pourra donc jamais être totalement bon ou totalement mauvais. Comme tous les autres, il navigue et naviguera toujours entre les deux côtés et se laissera contrôler par une force venue là pour montrer la voie – et ça le rend triste et désespéré. Pourquoi continuer à vivre en sachant que l’Homme ne sera jamais entier, qu’il ne sera qu’une partie des trois forces incarnées dans les trois couleurs qu’il voit partout mais qui semblent disparaître – comme si le monde lui-même était lassé de son existence ? Si le monde ne veut plus continuer, s’il est lassé et laisse des monstres comme ça le gouverner, que peut faire le Bien face à ça ? Et le Mal ? Et surtout l’Homme ?

Rouge – vert – bleu. Le monde est rouge – vert – bleu et les couleurs ne survivent que par la seule force de volonté de Danny. Il s’est cru le maître du monde parce qu’il raisonnait parfaitement avant mais il sait maintenant que ça ne veut rien dire. Être intelligent est une malédiction et il donnerait tout pour retomber dans l’ignorance ; le monde est terrifiant et il ne peut y vivre maintenant qu’il sait ça.

Les couleurs faisaient sa force mais une seule semble gagner du terrain. Il veut retourner rouler, il veut retourner dans sa cage avec ses tubes mais il sait que c’est impossible. L’être double mais sans visage l’a tiré de là pour le faire vivre au grand air mais il a alors découvert le monde – mais l’ombre est passée par là et plus rien n’est pareil. Des larmes rouges coulent le long de son visage alors qu’il s’écroule tout du long, lui qui a tenté de marcher sans grande détermination. Il sait qu’il est condamné et ne veut plus lutter. Ses membres se durcissent et il ne peut plus bouger – il ne le veut plus non plus d’ailleurs. Il veut juste rester là et attendre que le voile final vienne prendre possession de lui.

Danny ne sait pas pourquoi mais il se rappelle que les deux êtres sans visage lui avaient dit qu’ils devaient aller voir le Clown – il ne comprend pas pour quelle raison mais il sent que ça n’est pas une bonne idée. Il ne sait pas quelle horreur coule dans ses veines mais il peut y sentir quelque chose passer dans chacun des atomes de son corps. Une longue langue de serpent se déroule dans chaque molécule pour y injecter son venin et il ne peut rien contre ça ; ses muscles sont durs et incapables de faire le moindre geste. Il n’a pas mal mais il sait déjà que tout est fini. Ses pupilles n’ont plus un éclat de blancheur, le rouge prend définitivement possession de lui mais le vert et le bleu sont cruellement absents.

Au fond, peut-être est-ce ça le véritable enfer pour l’Homme : se rendre compte que quelque chose va casser l’équilibre et le dominer. Mais quelle partie ? Le Bien ? Le Mal ? L’Homme lui-même ? Va-t-il enfin prendre son indépendance ? Non, ça ne peut que conduire au Chaos et Danny veut lutter contre ça. Il est venu ici pour retrouver celui qui luttait contre le Chaos avec le Chaos mais il se rend maintenant compte de sa folie. Des ombres bougent devant lui, à la fois rouges, vertes et bleues et il sait que tout ça n’est que folie – mais une folie bien réelle. Le monde devient complètement fou depuis que la reine est morte et rien ne viendra changer ça ; sa remplaçante fera ce qu’elle pourra mais l’équilibre sera brisé. Mais quel camp l’emportera ? Quelle couleur ? Il n’ose répondre à cette question.
Ses mains tremblent sans qu’il l’ait demandé, ses yeux fixent le ciel évidemment rouge – vert – bleu de la ville même si l’une d’entre elles domine les autres mais il ne veut pas savoir laquelle. Il a peur que tout ça se termine, qu’il se rende définitivement compte qu’il n’est rien et que le monde n’est rien. Soudain, une ombre passe devant lui et un rire explose à ses oreilles. L’abîme l’observe à nouveau et il ne peut décoller ses yeux de son odieux néant ; il a encore perdu.

Rouge – vert – bleu. Le monde est rouge – vert – bleu et pourtant Danny ne voit que le blanc sur l’être qui le regarde. Il ne comprend pas comment quelqu’un peut échapper à la trinité alors que le monde est cloisonné dans ces trois faces et que rien ni personne ne peut empêcher ça – sauf la reine, évidemment. Est-ce la reine ? Est-ce elle qui revient le hanter ? Non, il le sait dès son premier regard. C’est le fils mais il est gris et non pas blanc.

Encore une fois, il ne peut bouger et ne sait pas où il est mais ça ne l’intéresse pas. Même s’il a l’impression qu’il a passé sa soirée à faire ça, il n’est concerné que par l’être au-dessus de lui et il sait que c’est important. Il a rencontré énormément de gens bizarres cette nuit et se rappelle que tout ça a un rapport avec l’homme double mais ne se rappelle plus pourquoi. Il sent qu’on l’a manipulé et qu’on s’est servi de lui mais en quoi est-ce étonnant ? La vie elle-même n’est faite qu’ainsi et les hommes se contrôlent les uns les autres dans l’illusion d’être indépendants. Il n’est qu’un rouage de la machine, un boulon qui a voulu trop en faire et qui s’est fait prendre. Des larmes de sang coulent de son visage alors qu’il entend un rire étrange qui attire l’attention du fils gris – il ne sait toujours pas d’où lui vient ce surnom mais il semble approprié.

Pour lui, l’homme à ses côtés habillé tout de blanc – mais d’un blanc très sale – est le digne fils de la reine mais est son contraire. La première était toute noire et terrifiante mais lui semble différent, plus trouble mais tellement proche d’elle. Son air, ses manières, même ses ailes lui rappellent ce qu’il a vu de la première reine et il sait qu’il n’y a rien de tout ça dans la nouvelle. Cette dernière est bien trop violente et destructrice, elle est la rage incarnée de son antre qui crie vengeance pour la précédente. Elle ne durera pas, elle n’en a pas besoin : elle est l’agent du Chaos alors que l’ancienne luttait contre ça…mais les temps ont changé. On a fait tomber la première reine et les ruines ont fait apparaître quelque chose de pire mais ça n’est pas étonnant : l’antre a perdu son espoir, normal qu’elle fasse désormais ressentir sa colère.

Le fils gris se lève et regarde autour de lui ; il attend quelque chose et Danny ne sait pas quoi. Il se rappelle de ceux qui ont suivi la reine et quelques noms reviennent, mais il n’arrive plus à se les remémorer distinctement. Tout ce qu’il sait, c’est que le fils gris semble inquiet et qu’il entend un rire terrifiant. Il a mal, ses yeux sont injectés de sang et il sent que le pire est à venir. Il a raisonné comme jamais cette nuit et il est conscient que l’univers ne laisse pas ses enfants atteindre un tel niveau sans rien demander en retour. Peut-être a-t-il déjà sacrifié son âme et il ne s’en rappelle pas, mais il y a un prix à payer pour ça. Il n’est plus un hamster qui roule dans sa cage et doit choisir entre ses tubes pour seule possibilité d’éphémère changement ; il est désormais au-dessus de bien des gens car il a dépassé la roue, il a rencontré la reine et a compris qu’elle n’est pas là pour sauver mais pour détruire. L’antre pleure celle qui devait la sauver et hurle avec celle qui veut la venger. Le monde perd ses couleurs car le rouge gagne et c’est logique : le sang va l’emporter. Le sang va recouvrir l’antre. Le sang va le recouvrir ; c’est déjà fait d’ailleurs.
Il n’entend pas les paroles du fils gris mais ça n’est pas grave : il a compris le message. Les coups de feu sont restés muets à son oreille et il ne sent aucune douleur, mais pourtant ses tripes lui disent qu’il saigne, que le précieux liquide rouge recouvre son corps. L’univers lui a fait accéder à la connaissance, il a touché du doigt la vérité et le prix à payer est cher mais il accepte. Ses yeux sont gorgés de sang et la pluie commence à couler sur son visage alors que le fils gris tombe à genoux, étrangement touché lui aussi. Des cheveux verdâtres apparaissent étrangement au-dessus d’eux en riant, le seul son qu’il parvient à entendre – et il ne trouve pas ça étrange. Tout lui semble normal dans le plan cosmique qu’on lui a permis d’entrevoir, tout se déroule parfaitement comme prévu.

Le bleu des gouttes s’impose à ses yeux tandis qu’elles tombent frénétiquement sur ses paupières ; le vert ressort parfaitement de la scène alors que la fumée se dégage lentement de l’arme mais comme toujours, le rouge est vainqueur : c’est lui qui domine l’image et personne ne peut le contester. Le sang ruisselle des corps pour surpasser le bleu de l’eau qui forme des mares troubles et le vert est en trop grande infériorité numérique pour tenter quelque chose ou même espérer chambouler le nouvel ordre établi.
Rouge – vert – bleu. Le monde n’est plus rouge – vert – bleu. Et alors que la drogue disparaît et que Danny reprend légèrement pied dans la réalité, ça n’est que pour la quitter définitivement. Le monde est rouge et son camp a définitivement gagné. Plus rien ne sera jamais comme avant.
 
 
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