Auteur : Zauriel
Date de parution : Janvier 2006
L’hôpital. Les odeurs de désinfectants, de propre, de métal, de mort. Des odeurs qui restent coincées au fond de votre gorge pour y former une boule de malaise. Des gens qui marchent vite dans les couloirs, ne faisant attention à personne. Des bruits, des paroles échangées, des larmes, des cris. Une cacophonie qui semble piégée sous du verre et qui s’accroît à n’en plus finir, rendant les hommes fous. Les murs blancs rendus étincelants par les reflets aveuglent et donnent des maux de tête. Quel étrange endroit où se faire soigner..
Clint déambulait. Il avait les yeux hagards, et une barbe de trois quatre jours commençait à lui manger le visage. Il s’arrêta devant un bureau, un accueil, où une infirmière dodue pianotait derrière un ordinateur, les yeux grossis par une paire de lunettes aux verres énormes. Clint toussota et elle leva les yeux vers lui. Ses traits durs se détendirent et elle afficha même un sourire.
« Que puis-je faire pour vous, monsieur ? »
Clint sentait la boule dans sa gorge se remettre à remuer. Etait-ce les odeurs, ou bien sa culpabilité qui se manifestaient en cet instant ? Il aspira une grande bouffée d’air et parla.
« Je voudrais voir Dane Whitman. On m’a dit… On m’a dit qu’il était réveillé. »
Réveillé. Bien sûr qu’il était réveillé. Réveillé mutilé, et à cause de qui ? A cause de lui. L’infirmière tapa sur quelques touches.
« Chambre 210, monsieur. C’est au bout du couloir. »
Clint murmura un remerciement, et se dirigea d’un pas peu assuré vers la chambre 210.
Dane s’était réveillé il y a quelques instants. Il regardait par la fenêtre les grandes tours, et ferma les yeux. C’était étrange. Il ressentait encore son bras, ses muscles, sa main et ses doigts, quand il fermait les yeux. Il avait entendu parler de gens qui, comme lui, avaient perdu un membre et qui, parfois, sentaient sa présence. On appelle ça les membres fantômes. Dane eut un sourire cynique. Fantôme. C’était ce qu’il deviendrait. Sans son bras droit, il n’était plus rien qu’un handicapé de plus, voire de trop. Et s’il voulait se remettre à combattre le crime, il lui faudrait apprendre à basculer son sens de l’équilibre. Mais le voulait-il vraiment ? La porte s’ouvrit doucement et d’instinct, il ferma les yeux, sans pour autant les crisper.
Clint savait bien que son ami n’était pas endormi, bien qu’il voulait donner cette impression. Il prit la chaise qui se situait à côté de la petite table blanche et vint s’asseoir à côté du lit. Dieu. Dane était si pâle. De longues cernes se dessinaient sous ses yeux. Et les balafres qui zébraient son visage commençaient à cicatriser. Enfin. Il soupira.
Dane entendit. Il ouvrit les yeux et tourna la tête vers son visiteur. Son regard trahissait la colère, la peur et la tristesse. Une question. Pourquoi ? Pourquoi lui était- ce arrivé à lui, et non à cet archer de malheur ? Pourquoi avait-il dû en pâtir plus que lui ?
Clint n’essaya pas une seconde de soutenir ce regard. C’était bien trop difficile. Trop douloureux. Une morsure, une blessure au fond de son cœur.
« Ne te mets pas à pleurer. »
Dane n’avait pas regarder Clint en disant cela. Il regardait dehors, il regardait les gratte-ciels. Il avait serré son seul et unique poing maintenant sur les draps, pour contenir sa rage et son désespoir. Quoi ? C’était lui qui était dans ce lit, lui qui souffrait le martyr et à qui il manquait un membre. Clint n’avait pas besoin d’afficher cette tête d’enterrement. Au contraire, il devrait mieux afficher sa joie, de s’en être sorti indemne.
« Tu es entier, toi. »
La remarque le cingla comme un coup de fouet. Ce n’était ni plus ni moins aussi violent qu’un coup de poing dans l’estomac. Clint déglutit difficilement.
« Ecoute, j’aurais dû être là. .. »
Dane le coupa d’un geste de la main.
« Tu aurais été là, ça n’aurait rien changé. C’aurait même été pire. Dis moi juste qui c’était. J’ai cru que c’était toi. »
En un sens, c’était lui. C’était Hawkeye qui avait précipité la chute de son ami, ne prenant pas au sérieux la menace des mercenaires. Chacun de leur côté, ils avaient affronté et battu deux guignols, Batroc et Zaran. Mais le dernier, le Taskmaster, cette espèce de monstre, n’était pas un véritable chasseur de primes.
« C’est le mari de Karla »
Dane serra les dents. Karla. Etait-ce aussi de sa faute, s’il se trouvait dans cet état ? Bon Dieu, il n’allait quand même pas en vouloir à la terre entière, non ?.
« Elle est morte. »
Il n’avait pas à lui en vouloir. Il se mordit la langue. Et continua ses petites questions.
« C’était quoi ses motivations ?. »
Clint se caressa le menton du bout des doigts. Ses motivations. Les motivations de Andrew Breckman, celui qui avait détruit en l’espace d’une soirée, sur les ordres d’un mystérieux conseil mafieux, la réputation de Hawkeye, la confiance en Yelena, et le corps de Dane.
« Karla… Karla essayait de le fuir. Mais à chaque fois, il la retrouvait, et lui faisait baver. Ce mec… T’as déjà entendu parler des mutants ?. »
Dane acquiesça.
« Je croyais que c’était des conneries. »
Clint eut un sourire.
« On s’est bien battu contre des démons. Ce Taskmaster en est un. Il peut… Il change d’apparence et adopte les facultés de celui à qui il vole les traits. »
Dane poussa un sifflement. Pas étonnant qu’il se fût fait avoir. Celui qu’il avait prit pour Hawkeye cette fameuse nuit. Il parlait comme lui, se mouvait comme lui, et surtout, avait son apparence. Il ne l’avait pas vu venir.
« Qu’est ce qui t’est arrivé ? »
Marrant que Dane pose cette question. Il avait un bras en moins mais réussissait tout de même à s’attarder sur les petits détails, comme les cernes, et les autres marques de fatigue qu’arborait Clint.
« Je l’ai retrouvé chez Karla. Il l’a tué, sous mes yeux, et il… il a fait en sorte que ce soit moi le coupable. »
Dane se redressa dans son lit en un pénible effort qui lui arracha une grimace de douleur.
« Explique moi. »
Clint posa sa tête sur ses poings et continua.
« Il avait prévenu les flics. Avant que j’arrive. Il avait tout minuté. Il avait promis à Karla qu’il la laisserait si elle me tuait. On est montés sur le toit. Elle m’a tiré dessus, mais m’a loupé. J’étais sous le choc, écroulé. Un hélicoptère de flics a débarqué, et il a eu le temps de m’enlever mon déguisement et de tuer Karla sous mes traits. Sous mes traits ! Ils ont cru que c’était moi. Depuis, le fameux héros que je suis est fiché.
- T’as essayé de ressortir en Hawkeye ?
Clint sourit avec amertume.
« Une fois. Et je suis tombé sur des flics et des voyous qui se tapaient dessus pour avoir ma tête. La célébrité est dangereuse. »
Dane opina. Ils avaient bien mesuré les dégâts. Mais au fond, la perte de son bras, la mort de Karla, la trahison de Yelena, ce n’était pas ça qui importait. Ce qui importait, c’était que cet enfoiré qui avait tout bousillé avait disparu, célébrant sa victoire. Dane avala sa salive et prononça la phrase qu’il avait tant préparé depuis qu’il était revenu dans le monde des vivants.
« Je voudrais que l’on ne se voie plus pendant quelques temps. »
Clint s’était attendu aux larmes, à la colère, à la folie, même. Mais pas à ça.
« Pourquoi ?.
- Après ce qui nous est arrivé, je préfère qu’on s’éloigne un peu. Les circonstances qui nous ont rapproché n’étaient pas des plus… saines. On est devenus amis sans vraiment se connaître, et le fait qu’on ait tous deux une double vie n’arrange pas vraiment les choses. Et puis, j’ai besoin de temps pour… »
Il ne finit pas sa phrase, mais regarda ostensiblement la place qu’aurait dû occupé une certaine partie de son corps. Clint se leva, et posa sa main sur l’épaule de Dane.
« Je comprends. Je vais te laisser. A bientôt. »
Dane acquiesça, sans un mot. Il le laissa partir. Et referma les yeux. L’héritage des Whitman lui semblait maintenant plus lourd qu’autrefois. Que devait-il faire ?
Clint était rentré depuis dix minutes. Il avait mal. Mal d‘avoir vu son ami dans cet état. Mal de l’avoir entendu dire ce qu’il avait dit. Peut être parce que c’était la vérité. Il appuya sur le bouton de messagerie de son téléphone. Une voix familière se fit entendre.
« Bonjour, Clint. Désolée de ne pas avoir donné de mes nouvelles plus tôt. Le boulot, et tout et tout, tu vois le truc. Mais j’aimerais que tu viennes sur la côté Ouest. Il se passe des trucs bizarres ici et j’ai besoin de ton avis. Appelle moi dès que tu as ce message. »
La côte Ouest ? Ca lui ferait changer d’air…